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Date : 20250428


Dossiers : T-942-24

T-941-24

Référence : 2025 CF 755

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2025

En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis

ENTRE:

CHANTAL BOULÉ

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire, soit celle émanant du dossier T-942-24 en lien avec la Prestation canadienne d'urgence [PCU] et celle du dossier T-941-24 en lien avec la Prestation canadienne de relance économique [PCRE]. Madame Chantal Boulé [demanderesse], se représentant seule, demande le contrôle judiciaire des décisions émanant du deuxième examen de révision rendue par un agent de l'Agence du Revenu du Canada [ARC] le 26 mars 2024 en lien avec la PCU et la PCRE [collectivement, les Décisions]. L’ARC a rendu ses Décisions dans deux lettres séparées dans lesquelles l’ARC a déclaré la demanderesse inadmissible à la PCU et à la PCRE pour les motifs suivants liés au critère du lien avec la COVID-19:

  • Pour la PCU, la demanderesse n’a pas cessé de travailler ou ses heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19;

 

  • Pour la PCRE, la demanderesse ne travaille pas pour des raisons autres que la COVID-19.

[2] Pour les motifs suivants, et conformément au rôle de cette Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les deux demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Les Décisions sont claires, justifiées, et intelligibles au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). L’agent de l’ARC a raisonnablement appliqué les faits au critère du lien avec la COVID-19; une application des faits au droit qui est justifiée dans les circonstances de cette affaire.

II. Contexte

A. Législation pertinente

[3] À l’arrivée de la pandémie COVID-19, le gouvernement a mis en œuvre des programmes de prestations pour fournir de l’aide aux Canadiens qui répondaient aux exigences établies par la loi, notamment pour nos fins, les lois pertinentes sont la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8 [la LPCU] et la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE].

[4] Pour les fins de la présente demande de contrôle judiciaire, les conditions d’admissibilité pertinentes de la PCU, énoncées au paragraphe 6(1) de la LPCU, sont applicables :

Admissibilité

6 (1) Est admissible à l’allocation de soutien du revenu le travailleur qui remplit les conditions suivantes :

a) il cesse d’exercer son emploi — ou d’exécuter un travail pour son compte — pour des raisons liées à la COVID-19 pendant au moins quatorze jours consécutifs compris dans la période de quatre semaines pour laquelle il demande l’allocation ;

[…]

Eligibility

6 (1) A worker is eligible for an income support payment if

(a) the worker, whether employed or self-employed, ceases working for reasons related to COVID-19 for at least 14 consecutive days within the four-week period in respect of which they apply for the payment; and

[…]

 

[Notre accentuation]

[5] De même, les conditions d’admissibilité pertinentes de la PCRE, énoncées au paragraphe 3(1) de la LPCRE, sont applicables :

Admissibilité

3 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

[…]

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID-19, à l’exclusion des raisons prévues aux sous-alinéas 17(1)f)(i) et (ii), soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent — ou, si un pourcentage moins élevé est fixé par règlement, ce pourcentage — de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à :

[…]

 

Eligibility

3 (1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

[…]

(f) during the two-week period, for reasons related to COVID-19, other than for reasons referred to in subparagraph 17(1)(f)(i) and (ii), they were not employed or self-employed or they had a reduction of at least 50% or, if a lower percentage is fixed by regulation, that percentage, in their average weekly employment income or self-employment income for the two-week period relative to

[…]

 

[Notre accentuation]

[6] Il revient à la personne qui demande les prestations de prouver qu’elle satisfait, selon la prépondérance des probabilités, les critères applicables (Grandmont c Canada (Procureur général), 2023 CF 1765 au para 38; paragraphe 5(3) de la LPCU; article 6 de la LPCRE).

B. Faits

[7] La demanderesse travaillait avec son mari, président et seul actionnaire de la compagnie Variations (9322-5092 Québec Inc.), à la salle de montre où elle l’assistait et servait les clients.

[8] La demanderesse a demandé des prestations sous deux régimes : (1) la PCU pour les 7 périodes d’admissibilité disponibles dans le cadre du programme, soit pour les périodes 1 à 7 (du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020), et (2) la PCRE pour les 27 périodes d’admissibilité disponibles dans le cadre du programme, soit pour les périodes 1 à 27 (du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021), [collectivement, les Périodes visées].

[9] Par lettre datée du 14 septembre 2023, l’ARC a informé la demanderesse que son dossier a été sélectionné pour une vérification et lui a demandé de fournir de la documentation afin de déterminer si les critères d'admissibilité établis par la loi lors de son obtention des prestations sous les régimes de la PCU et la PCRE avaient tous été satisfaits.

[10] Par lettres datées du 29 janvier 2024, à la suite du premier examen conduit par l’ARC, la demanderesse a été avisée de son inadmissibilité à la PCU et à la PCRE. Le 4 mars 2024, la demanderesse a exercé son droit de demander un deuxième examen des deux premières décisions relatives à la PCU et à la PCRE et par lettre datée du 14 mars 2024, la demanderesse faisait état du cancer de son mari et de la fermeture de leur entreprise en février 2020.

[11] L’ARC a effectué un deuxième examen et a désigné Andrew Boivin [agent] pour le conduire. À la suite de l’appel téléphonique du 4 mars 2024, la demanderesse a soumis les documents demandés par l’agent, incluant des fichiers de comptabilité, des relevés bancaires, des factures et contrats, un CV et une photo du local commercial. L’agent a parlé avec la demanderesse au téléphone à six reprises les 4, 12, 18 et le 20 mars 2024, et avait dans son dossier trois lettres de la défenderesse soumises le 12 octobre 2023 (lettre non datée), 24 octobre 2023 (lettre non datée), et le 18 mars 2024 (lettre datée du 14 mars 2024).

C. Décisions sous contrôle judiciaire

[12] Par lettres datées du 26 mars 2024, l’agent de l’ARC a avisé la demanderesse de ses Décisions qu’elle était inadmissible pour les deux prestations demandées pour les raisons suivantes :

Objet : Deuxième examen de votre demande de [PCU]

[…]

  • -Vous n’avez pas cessé de travailler ou vos heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

Objet : Deuxième examen de votre demande de [PCRE]

  • -[…]

- Vous ne travaillez pas pour des raisons autres que la COVID-19

[13] Les notes de l’agent au système de l’ARC [Notes] datées du 22 mars 2024, qui incluent notamment les rapports de deuxième examen, font partie des motifs des Décisions refusant les PCU et PCRE (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 [Aryan] au para 22).

[14] Les Notes de l’agent indiquent d’abord une liste de documents reçus par l’ARC depuis le premier examen avec les explications qui accompagnent ceux-ci, les principaux arguments de la demanderesse, les préoccupations abordées avec la demanderesse et une liste des six appels conduits du 4 mars au 20 mars 2024. Ensuite, les Notes de l’agent détaillent les points abordés lors des appels du 4, 12 et 20 mars 2024.

[15] Enfin, les Notes de l’agent, reproduites ci-dessous, étayent les rapports du deuxième examen et les explications menant aux Décisions:

[…] Selon le contexte de la révision en cours, il est essentiel de mentionner la maladie du mari, car en dépit du fait que la [demanderesse] atteste avoir arrêté de travailler à cause de la COVID-19, ses explications lors des discussions ainsi que dans ses documents démontrent clairement que la cessation des activités est en réalité due à l’état de santé du mari et non à la pandémie. Il est question des raisons de la fermeture de l’entreprise qu’elle exploitait conjointement avec celui-ci jusqu’en 2020.

En effet, [la demanderesse] affirme qu’en février 2020, elle recevait de l’information sur la COVID-19 par le biais de sa belle-fille qui est agente de bord pour Air Canada. [La demanderesse] atteste que c’est ce qui l’aurait convaincu de fermer son entreprise de façon préventive à partir de la fin du mois de février 2020. Cependant, [la demanderesse] admet clairement qu’elle et son mari envisageait déjà une fermeture avant le début de la pandémie, car l’état de santé de celui-ci se dégradait. C’est pourquoi [la demanderesse] affirme qu’une réouverture éventuelle était impossible indépendamment des conséquences de la COVID-19, d’autant plus qu’elle considérait infaisable de continuer à maintenir les activités de l’entreprise sans son mari. [La demanderesse] suggère également que l’entreprise aurait continué d’exister si ce n’était de cette situation, car leurs affaires se portaient bien.

[La demanderesse] admet avoir arrêté de travailler avant l’annonce des premières mesures de santé publique le 11 mars 2020 et le début de l’urgence sanitaire à partir du 13 mars 2020. En effet, la chronologie des communications avec [la demanderesse] est importante, car celle-ci réitère plusieurs fois qu’elle a décidé de fermer son entreprise avant d’avoir reçus les premières directives officielles du gouvernement dans ce sens. […]

[Notre accentuation].

III. Question d’ordre préliminaire- Inadmissibilité de la nouvelle preuve

[16] Le défendeur soulève à juste titre une question préliminaire du fait que la demanderesse a soumis à la Cour des éléments de preuve dont l’agent ne disposait pas qui ne devraient pas être admissibles. Le défendeur a déposé l’affidavit de Andrew Boivin, l’agent qui a procédé aux deuxièmes examens, qui mentionne que l’affidavit de la demanderesse contient des pièces qui n’ont pas été présentées en preuve devant lui.

  1. Les pièces P.1 à P.11, décrites comme suit :

    1. Les critères d’admissibilité à la PCU (Pièce P.1);

    2. Les critères d’admissibilité à la PCRE (Pièce P.2);

    3. La lettre de Service Canada (Pièce P.3);

    4. L’article concernant l’annulation de vol par Air Canada en raison du Coronavirus (Pièce P.4);

    5. Le « Résumé des critères d’admissibilité à la PCU » (Pièce P.5);

    6. Le document « 1.1.7 Mise à pied avant le 15 mars » (Pièce P.6);

    7. L’article de Radio-Canada (Pièce P.7);

    8. Le document « 1.1.2 Retour au travail impossible » (Pièce P.8);

    9. Le document discutant de l’objectif de la PCU (Pièce P.9);

    10. Le document discutant du fait que la PCRE peut aussi s’appliquer pour un proche aidant (Pièce P.10); et

    11. Le formulaire d’information et de consentement (Pièce P.11).

  2. La dernière page de la pièce P.12, intitulée « emploiretraite.ca »

  3. Les pièces P.13 à P.15, décrites comme suit :

    1. Le document intitulé « Personnes atteintes de maladies chroniques ou avec un système immunitaire affaibli dans le contexte de la COVID-19 » (Pièce P.13);

    2. Le document « 1.1.4. Prendre soin d’autres personnes » (Pièce P.14) et;

    3. La page 3 (Pièce P.15).

d. Les pages 1 et 2 de la pièce P.16, soit la « Déclaration de revenus et de prestations de 2019 » et le « Sommaire comparatif 2 ans – Fédéral – 2019 ».

[17] Dans le cours normal des choses, les éléments de preuves qui n’étaient pas portés à la connaissance du décideur administratif et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée devant notre Cour (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] au para 19). Dans l’arrêt Access Copyright, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 20, qu’il existe quelques exceptions reconnues au principe général qui « ne jouent que dans les situations dans lesquelles l'admission, par notre Cour, d'éléments de preuve n'est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif ». La Cour d’appel fédérale a énuméré les trois exceptions non exhaustives suivantes:

  1. Lorsque les nouveaux éléments de preuve contiennent des informations générales qui sont susceptibles d'aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui ne se rapportent pas au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif.

2. Lorsque les nouveaux éléments de preuve sont nécessaires pour porter à l'attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu'on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif; et

3. Lorsque les nouveaux éléments de preuve font ressortir l'absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu'il a tiré une conclusion déterminée.

[18] Je ne suis pas convaincu que les pièces 1 à 11 et 13 à 16 répondent à l’une ou l’autre des exceptions énumérées dans Access Copyright. Les admettre en preuve serait incompatible avec le rôle de cette Cour qui est de réviser la décision de l’agent sur la base des éléments dont il disposait (alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7).

[19] Les seuls éléments de preuve que j’ai pris en considération sont ceux qui ont été présentés à l’agent et qui sont joints aux dossiers de l’ARC signifié à la demanderesse et produit le 16 mai 2024 au dossier de cette Cour.

IV. Question en litige

[20] Lors de l’audience, la demanderesse a confirmé à la Cour qu’elle n’a pas soulevé une question d’équité procédurale devant l’agent de l’ARC. La seule question en litige est de déterminer si les Décisions de l’agent étaient raisonnables.

V. La norme de contrôle

[21] La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’une cour effectue le contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.

[22] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La Cour ne devrait pas intervenir dans le cas d’une « erreur mineure » (Vavilov au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36). Ce n’est pas n’importe quelle erreur ou préoccupation qui justifient une intervention de la Cour. Les lacunes reprochées doivent être au-delà des évocations superficielles sur le fond de la décision contestée. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov au para 100).

[23] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et que, à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov au para 125). La Cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’ « éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov au para 83).

[24] La norme de la décision raisonnable exige de la Cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue judiciaire envers une telle décision (Vavilov au para 85).

VI. Analyse

[25] Les Décisions de rejeter la demande à la PCU et à la PCRE ne sont pas déraisonnables.

[26] La demanderesse argumente que la date de la fermeture de la salle de montre de l’entreprise ne constitue pas un critère exclusif pour déterminer son éligibilité. Elle s’appuie sur la maladie de son mari qui était atteint d’un cancer avancé et affirme que la cessation d’emploi est dû à la pandémie, notamment parce que son mari courrait des complications graves s’il contractait la COVID-19.

[27] Le défendeur argumente que la demanderesse demande essentiellement à la Cour de substituer son interprétation de la loi et son application des faits au droit de l’agent et de soupeser à nouveau la preuve, incluant des éléments qui n’étaient pas devant l’agent, sans pointer clairement les lacunes dans les motifs de l’agent. Le défendeur soumet que l’agent a notamment expliqué dans ces Notes que les « explications [de la demanderesse] lors des discussions ainsi que dans ses documents démontrent clairement que la cessation des activités est en réalité due à l’état de santé du mari et non à la pandémie » (Notes de l’agent en date du 22 mars 2024, Dossier du défendeur aux pp 210, 443). À l’audience, le défendeur a mis en lumière le passage clé suivant contenu dans les Notes de l’agent:

Cependant, [la demanderesse] admet clairement qu’elle et son mari envisageait déjà une fermeture avant le début de la pandémie, car l’état de santé de celui-ci se dégradait. C’est pourquoi elle affirme qu’une réouverture éventuelle était impossible indépendamment des conséquences de la COVID-19, d’autant plus qu’elle considérait infaisable de continuer à maintenir les activités de l’entreprise sans son mari. […]

(Notes de l’agent en date du 22 mars 2024, Dossier du défendeur aux pp 210, 443, accentuation ajoutée)

[28] Je suis d’accord avec le défendeur et ne peux cependant donner raison à la demanderesse. La demanderesse a fait la demande pour les Périodes visées, soit du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020 pour la PCU et du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021 pour la PCRE. Or, dans les rapports d’examen des Décisions de l’ARC contenu dans les Notes, il est expliqué que la chronologie des communications a joué un rôle dans les Décisions de l’ARC:

[La demanderesse] admet avoir arrêté de travailler avant l’annonce des premières mesures de santé publique le 11 mars 2020 et le début de l’urgence sanitaire à partir du 13 mars 2020. En effet, la chronologie des communications avec [la demanderesse] est importante, car celle-ci réitère plusieurs fois qu’elle a décidé de fermer son entreprise avant d’avoir reçus les premières directives officielles du gouvernement en ce sens.

(Notes de l’agent en date du 22 mars 2024, Dossier du défendeur aux pp 210, 443, notre accentuation)

[29] Premièrement, dans sa lettre soumise le 12 octobre 2023, la demanderesse explique ce qui suit : « En 2018 mon mari a été diagnostiqué cancer de la prostate stade 4. Nous avons fermé février 2020, sa santé se dégradait. » (notre accentuation). À l’audience, le défendeur a insisté sur le fait que cette première explication de la demanderesse est importante puisqu’elle mentionne le mois de « février » et que la cause de fermeture était la maladie de son mari. Ensuite, dans sa lettre soumise le 24 octobre 2023, la demanderesse explique de nouveau qu’ils ont « fermé en 2020 ». Dans les Notes datées du 22 mars 2024, l’ARC énumère la liste complète des communications avec la demanderesse et considère ces deux lettres pour conclure que la demanderesse a cessé de travailler avant d’avoir reçu les premières directives officielles du gouvernement, et ce, pour des raisons autres que la pandémie.

[30] Deuxièmement, dans sa lettre datée du 14 mars 2024, la demanderesse écrit « [à] cause de la pandémie nous avons dû fermer entre la fin février et mi-mars » et qu’ils ont « conclu les derniers appels, commande et fermé boutique » en mars. À l’audience, le défendeur a insisté sur cette lettre pour expliquer la chronologie et le fait que les Notes de l’agent prennent cet élément en compte. Effectivement, l’ARC a conclu dans les Notes du rapport du deuxième examen que la demanderesse n’avait plus de relation de travail lorsqu’elle réclamait les prestations compte tenu du fait qu’elle atteste avoir arrêté de recevoir des clients lors de la première semaine de mars et qu’elle affirme que la clientèle constituait « 100% de [leurs] affaires » dans sa lettre du 14 mars 2024.

[31] Finalement, suivant un deuxième appel téléphonique, les Notes du 22 mars 2024 indiquent que la demanderesse explique qu’une réouverture éventuelle était impossible, car l’état de santé du mari se dégradait et qu’elle a arrêté de travailler « fin février ou début mars 2020 environ ». Puis, suivant le sixième appel téléphonique, les mêmes Notes mentionnent que la demanderesse atteste qu’elle a reçu l’information sur la pandémie en février 2020 par le biais de sa belle-fille qui est agente de bord, qu’ils ont entamé la fermeture « à partir de la fin du mois de février 2020 de façon préventive » et qu’elle estime que la fermeture a été finalisée « en avril ou mai 2020 ».

[32] En somme, les Notes indiquent clairement que l’agent a pris en considération les Périodes visées par les demandes et toute la preuve figurant au dossier et les a appliqués au critère du lien avec la COVID-19. L’agent a interprété la LPCU et la LPCRE, a appliqué les faits et la preuve aux critères établis par la loi pour rendre les Décisions.

[33] Après une lecture attentive du dossier devant notre Cour, incluant les lettres soumises par la demanderesse et les Notes, j’estime que les Décisions de l’agent sont raisonnables. Ayant conclu que la cessation d’emploi était plutôt due à l’état de santé de son mari, indépendamment de la COVID-19, laquelle est survenue avant les premières mesures sanitaires dues à la COVID-19, il était raisonnable pour l’ARC de conclure à l’inadmissibilité de la demanderesse puisque les exigences législatives n’avaient pas toutes été remplies. À la lumière de ce qui précède, je trouve que l’ARC a pris le soin de détailler tous les appels conduits avec la demanderesse, a considéré le fait que la demanderesse vivait une situation particulière à cause du cancer de son mari et a pris le temps d’étayer son raisonnement pour expliquer la raison de l’inadmissibilité de la demanderesse à la suite desdits appels et à la preuve disponible à ce moment-là, rendant ainsi les Décisions raisonnables dans leur ensemble.

[34] Bien que la portée du critère du « lien avec la COVID-19 » n’a pas encore été clairement établie par la jurisprudence (Archer v Canada (Attorney General), 2024 FC 1614 [Archer] au para 39), il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure comme il l’a fait. La clé est l’élément factuel du dossier puisque l’agent est arrivé à la conclusion que l’arrêt de travail de la demanderesse n’était pas dû à la COVID-19 mais à la maladie de son mari et qu’il aurait eu un arrêt de travail indépendamment de l’arrivée de la COVID-19 ou pas. Dans les Notes des Décisions, l’agent indique que « [la demanderesse] affirme qu’une réouverture éventuelle était impossible indépendamment des conséquences de la COVID-19, d’autant plus qu’elle considérait infaisable de continuer à maintenir les activités de l’entreprise sans son mari. ». L’intention était de fermer la boutique avant même l’arrivée des premières mesures concernant la COVID-19. Si l’on prend comme point de départ les motifs du décideur, il va sans dire que les conclusions sont claires et que le cheminement de son raisonnement est détaillé et rationnel.

[35] La Cour doit éprouver une retenue envers les décisions prises par l’ARC, vu l’expertise de l’ARC (Tadros c Canada (Procureur général), 2024 CF 1411 au para 52). L’agent avait appliqué les faits à son interprétation de la loi et la Cour doit déférence tant à l’interprétation juridique qu’a pu faire l’agent au critère du lien avec la COVID-19 tant qu’à son interprétation de la preuve.

VII. Les dépens

[36] À l’audience, les parties ont avisé la Cour qu’elles ont convenu que la partie perdante n’aurait pas à verser des dépens à l’autre partie.

VIII. Conclusion

[37] La Cour constate que la demanderesse soutient avoir fait preuve de bonne foi au moment de faire les demandes aux régimes de prestations et d’être certaine de remplir les critères d’admissibilités des régimes de mesures sanitaires. Cependant, ayant pris en considération les lois pertinentes et les documents admissibles du dossier, ainsi que les arguments des deux parties, et malgré la sympathie que la Cour partage pour la situation de la demanderesse, la Cour n’est pas en mesure d’intervenir puisque les Décisions faisant l’objet des contrôles judiciaires n’étaient pas déraisonnables (Larocque c Canada (Procureur général), 2022 CF 613).

[38] La demanderesse n’a pas satisfait son fardeau de démontrer qu’elle satisfait aux critères d’admissibilités établis par les lois précitées. Étant donné que l’ARC a pris en considération la preuve présente au dossier au moment de ses Décisions, il est trop tard pour que la demanderesse rajoute d’autres éléments de preuve après que l’ARC a rendu sa Décision.

[39] Les Notes détaillées de l’agent qui reflètent les nombreuses communications entre l’ARC et la demanderesse démontrent que l’agent a pris en compte l’ensemble de la preuve déposée et fournis par la demanderesse et font en sorte que les Décisions, à la suite des exercices du deuxième examen, étaient justifiées, intelligibles et transparentes.

[40] Pour les raisons mentionnées ci-dessus, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Bien que ses arguments n’aient pas été victorieux, je salue la demanderesse pour son éloquence et son professionnalisme en tant que demanderesse non représentée pendant l’audience.


JUGEMENT dans les dossiers T-942-24 et T-941-24

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucun dépens ne sont accordés.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS:

T-942-24

T-941-24

 

INTITULÉ:

CHANTAL BOULÉ c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 15 avril 2025

 

JUGEMENT ET motifs:

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS:

LE 28 avril 2025

 

COMPARUTIONS :

Chantal Boulé

pour LA DEMANDERESSE

(se représentant seule)

 

Guillaume Turcotte

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chantal Boulé

Montréal (Québec)

 

pour lA DEMANDERESSE

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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