Date : 20230412
Dossier : IMM-2398-22
Référence : 2023 CF 520
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 avril 2023
En présence de madame la juge Strickland
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ENTRE : |
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ABIGAIL ADU-DAAKO |
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demanderesse |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La demanderesse, Abigail Adu-Daako, sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] [l’agente] qui a rejeté sa demande de visa de résident permanent à titre de travailleuse qualifiée.
Contexte
[2] La demanderesse est citoyenne du Ghana. Elle a demandé la résidence permanente au Canada par l’intermédiaire d’Entrée express, un système électronique de gestion des demandes pour trois programmes d’immigration économique, dont le Programme des travailleurs qualifiés (fédéral), au titre duquel elle a présenté sa demande. Selon les notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC], la demanderesse a créé le 16 décembre 2019 un profil d’Entrée express indiquant que le code de la Classification nationale des professions (CNP) associé à sa profession principale était le code CNP 4164000 (également désigné dans le dossier comme étant le code CNP 4164). Les codes CNP sont attribués aux professions du marché du travail canadien. Le code CNP 4164 est associé aux professions suivantes : « recherchistes, experts-conseils/expertes-conseils et agents/agentes de programmes en politiques sociales »
.
[3] Le 16 décembre 2019, la demanderesse a été informée par IRCC qu’elle avait été acceptée dans le bassin de candidats d’Entrée express et, le 19 décembre 2019, elle a été invitée à présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).
[4] Le 15 février 2020, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente. Selon les notes versées au SMGC, dans cette demande, il était indiqué que le code CNP associé à sa profession principale était le code CNP 4163000 (également désigné dans le dossier comme étant le code CNP 4163). Le code CNP 4163 est associé aux professions suivantes : « agents/agentes de développement économique, recherchistes et experts-conseils/expertes-conseils en marketing »
. La demande faisait aussi état de l’expérience de travail suivante :
-
-Open Beauty, depuis le 1er juillet 2019 : CNP 4163, analyse d’études de marché;
-
-Greenling Institute, du 22 janvier 2019 au 17 mai 2019 : CNP 4164, conseillère en politiques;
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-Center for Effective Global Action, du 5 novembre 2018 au 17 mai 2019 : CNP 4162, associée de recherche;
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-Groupe de la Banque mondiale, du 28 mai 2018 au 10 août 2018 : CNP 4163, emploi d’été comme conseillère;
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-Ghana Investment Promotion Centre, du 7 septembre 2015 au 31 août 2016; du 1er septembre 2016 au 7 juillet 2017 : CNP 4161, agente adjointe de promotion des investissements.
[5] Les notes au SMGC révèlent que, le 9 avril 2020, un agent de traitement des demandes d’IRCC a analysé la demande de la demanderesse et a conclu, en se fondant sur les documents fournis par celle-ci et les renseignements contenus dans le dossier, que la demanderesse ne semblait pas avoir accumulé, de façon continue, une année d’expérience de travail dans sa profession principale visée par le code CNP 4163. Par conséquent, il a demandé que le dossier soit examiné par un agent de niveau supérieur.
[6] Les notes versées au SMGC indiquent que l’agente a examiné la demande le 16 février 2022. Elle a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni une preuve suffisante pour la convaincre qu’elle avait accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail rémunéré à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail rémunéré à temps partiel, dans la profession désignée comme sa profession principale. En conséquence, l’agente a rejeté la demande parce qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse respectait les exigences au titre de l’article 75 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].
[7] L’agente a informé la demanderesse de sa décision dans une lettre datée du 16 février 2022.
Décision faisant l’objet du contrôle
[8] La lettre du 16 février 2022, soit la décision faisant l’objet du contrôle, indique que l’agente a examiné la demande de visa de résident permanent de la demanderesse à titre de travailleuse qualifiée et a conclu que celle-ci ne satisfaisait pas aux exigences pour immigrer au Canada.
[9] L’agente a mentionné plus précisément ne pas être convaincue que la demanderesse avait respecté les exigences énoncées au paragraphe 75(2) du RIPR puisqu’elle n’avait pas fourni une preuve suffisante pour la convaincre qu’elle avait accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail rémunéré à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail rémunéré à temps partiel, dans la profession déclarée dans sa demande.
[10] L’agente a ensuite mentionné le paragraphe 75(3) du RIPR, qui précise que, si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe 75(2), l’agent met fin à l’examen de sa demande et la refuse.
[11] Par la suite, l’agente a renvoyé au paragraphe 11(1) et à l’article 11.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Elle a déclaré que l’article 11.2 exige que les renseignements fournis dans le profil d’Entrée express de la demanderesse concernant son admissibilité à être invitée à présenter une demande (paragraphe 10.3(1)) ainsi que les attributs sur la base desquels elle a été classée (alinéa 10.3(1)h)) soient valides à la fois lorsque l’invitation a été formulée et lorsque la demande de résidence permanente a été reçue. L’agente a affirmé que, puisqu’elle avait conclu que la demanderesse ne répondait plus aux critères pour pouvoir être invitée à présenter une demande prévus dans une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)e), elle ne satisfaisait plus aux exigences de l’article 11.2 de la LIPR. L’agente a donc rejeté sa demande.
Questions en litige et norme de contrôle applicable
[12] La demanderesse soulève deux questions en l’espèce :
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Y a-t-il eu un délai injustifié dans le traitement de la demande qui a causé un manquement à l’obligation d’équité procédurale?
-
La décision de l’agente était-elle raisonnable?
[13] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, la Cour d’appel fédérale a jugé que, bien que l’exercice de contrôle puisse être particulièrement bien reflété – quoique de façon imparfaite – dans la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. La Cour doit plutôt décider si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.
[14] Je suis d’accord avec les parties que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à l’évaluation du bien-fondé de la décision de l’agente (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25 [Vavilov]). Dans un contrôle judiciaire, la Cour « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov, au para 99).
Aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale
[15] La demanderesse affirme avoir présenté sa demande de résidence permanente le 15 février 2020. Bien qu’un agent de traitement des demandes l’ait examinée le 9 avril 2020, après le début de la pandémie de COVID-19, ce n’est que deux ans après la présentation de la demande que l’agente a rendu sa décision. La demanderesse soutient que ce délai est injustifié et rend le processus décisionnel inéquitable sur le plan procédural.
[16] Le défendeur fait remarquer que la question de l’équité procédurale n’a pas été soulevée dans le mémoire initial présenté par la demanderesse à l’appui de sa demande d’autorisation et soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et s’abstenir d’examiner la question. Il renvoie à cet égard à la décision Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 22 [Al Mansuri]. Subsidiairement, le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse est dénué de fondement parce qu’il n’y avait aucune garantie que sa demande serait traitée dans les six mois (le délai qu’IRCC tente de respecter pour le traitement de la plupart des demandes soumises par l’intermédiaire du système Entrée express), comme IRCC en avait informé la demanderesse. De plus, le défendeur affirme que les notes versées au SMGC indiquent que des mesures ont été prises dans le dossier jusqu’à l’examen final par l’agente et que la demanderesse n’a pas démontré que le délai était de nature à constituer un manquement à l’équité procédurale.
Analyse
[17] Dans la décision Al Mansuri, la Cour a statué qu’il lui appartient d’exercer son pouvoir discrétionnaire en permettant ou non que des arguments soient invoqués pour la première fois dans le mémoire complémentaire des faits et du droit d’une partie. Voici certains facteurs à prendre en considération à cet égard :
i) Les faits et éléments intéressant les nouveaux arguments étaient‑ils tous connus (ou raisonnablement accessibles) à l’époque où la demande d’autorisation fut déposée et/ou mise en état?
ii) Est‑il possible que la partie adverse subisse un préjudice si les nouveaux arguments sont étudiés?
iii) Le dossier révèle‑t‑il tous les faits à l’origine des nouveaux arguments?
iv) Les nouveaux arguments sont‑ils apparentés à ceux au regard desquels fut accordée l’autorisation?
v) Quelle est la force apparente des nouveaux arguments?
vi) Le fait de permettre que les nouveaux arguments soient invoqués retardera‑t‑il indûment l’audition de la demande?
[18] En l’espèce, l’avis de demande est générique en ce sens qu’il indique, par exemple, que [traduction] « [l]’agente a omis d’agir, n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’elle était légalement tenue de respecter, ou a par ailleurs outrepassé sa compétence, entravé l’exercice de celle-ci ou refusé de l’exercer »
. Il ne mentionne pas le délai injustifié maintenant allégué par la demanderesse ni le manquement à l’équité procédurale qui en aurait résulté. De plus, bien que l’alinéa 10(2)vi) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, exige des demandeurs qu’ils joignent au dossier de demande un mémoire énonçant succinctement les faits et les règles de droit qu’ils invoquent à l’appui du redressement envisagé dans le cas où l’autorisation est accordée, le mémoire initial de la demanderesse ne mentionnait pas non plus la question du délai. Il y était plutôt avancé que la décision [traduction] « était inéquitable sur le plan procédural, puisque la demanderesse a été déboutée en raison d’une erreur commise par l’agente. La demanderesse s’attendait légitimement à ce que sa demande soit dûment examinée en fonction des renseignements fournis et du droit ».
Plus précisément, le mémoire indiquait que la demanderesse [traduction] « a tout fait correctement, a suivi les instructions, a satisfait aux exigences de recevabilité et s’attendait légitimement à ce que le processus de traitement de sa demande se déroule comme prévu »
. Essentiellement, l’argument de la demanderesse à l’étape de l’autorisation était que l’agente avait commis une erreur en catégorisant sa profession principale dans le groupe 4163.
[19] Je suis d’accord avec le défendeur que la demanderesse n’a avancé aucune raison – valable ou autre – pour expliquer pourquoi elle n’avait pas pu soulever la question du délai en temps opportun. Je note également que le défendeur a présenté deux affidavits de Hiba Kadhim, l’agente qui a examiné et tranché la demande de la demanderesse. Dans ces affidavits, l’agente fournit des renseignements généraux sur le système Entrée express et les exigences du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) ainsi que des renseignements propres au dossier. Il est raisonnable de croire que, si la demanderesse avait soulevé la question du délai, l’agente l’aurait examinée. Par conséquent, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il a été privé de la possibilité de faire de plus amples recherches et d’expliquer pleinement le délai de traitement prétendument injustifié. Il est également clair que la question du délai n’est pas liée à la question pour laquelle l’autorisation a été accordée. Comme la demanderesse n’a pas porté la question du délai à l’attention du défendeur, elle ne peut pas maintenant affirmer que celui-ci ne l’a pas justifié.
[20] Pour ce motif, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et d’examiner cette nouvelle question. Cependant, même si j’avais été disposée à le faire, cet argument ne peut être retenu.
[21] Dans l’arrêt Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29 [Abrametz], la Cour suprême du Canada a entériné l’analyse à trois volets énoncée dans l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe], qui permet de déterminer si un délai administratif constitue un abus de procédure. Dans l’arrêt Abrametz, la Cour suprême a noté qu’elle avait énoncé, dans l’arrêt Blencoe, deux situations dans lesquelles un délai peut constituer un abus de procédure. La première concerne l’équité de l’audience, car le délai peut nuire à la capacité d’une partie de répondre à la plainte portée contre elle. Par ailleurs, même dans les cas où il n’y a pas d’atteinte à l’équité de l’audience, il peut y avoir un abus de procédure si un préjudice important a été causé en raison d’un délai excessif (Blencoe, aux para 122 et 132).
[22] Concernant cette deuxième situation, la Cour suprême a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Abrametz :
[43] L’arrêt Blencoe établit une analyse à trois volets pour déterminer si un délai qui ne porte pas atteinte à l’équité de l’audience constitue néanmoins un abus de procédure. Premièrement, le délai en cause doit être excessif. Deuxièmement, ce délai doit avoir directement causé un préjudice important. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le tribunal judiciaire ou administratif procède à une dernière évaluation afin de déterminer si le délai constitue un abus de procédure. Un délai constituera un abus de procédure s’il est manifestement injuste envers une partie ou s’il déconsidère d’une autre manière l’administration de la justice : Behn, par. 40‑41.
[23] La demanderesse n’a tout simplement pas appliqué ce critère. Bien qu’IRCC ait informé la demanderesse, dans sa lettre du 15 février 2020, qu’il s’efforce de traiter la plupart des demandes présentées par l’intermédiaire du système Entrée express en six mois ou moins, comme l’affirme le défendeur, il ne s’agit pas d’une garantie. La demanderesse n’a pas démontré que le délai en l’espèce était excessif et elle n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve établissant que le délai lui a causé un préjudice direct et important (voir Sharif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2022 CF 745 au para 34).
[24] Dans ses observations sur le caractère raisonnable de la décision, la demanderesse affirme que, si elle avait su en temps opportun que sa demande de résidence permanente serait jugée irrecevable, elle aurait pu recommencer le processus et modifier son profil dans le système Entrée express, recevoir une nouvelle invitation à présenter une demande et présenter une nouvelle demande de résidence permanente [traduction] « indiquant le bon code CNP associé à sa profession principale ».
Ainsi, elle soutient que le délai [traduction] « témoigne du caractère globalement déraisonnable du processus décisionnel »
et lui a causé un préjudice.
[25] Cependant, le problème avec cet argument, c’est que la demanderesse n’explique pas en quoi le délai lui a réellement causé un préjudice ou pourquoi elle n’a pas pu présenter une nouvelle demande après que la décision a été rendue. À l’audience, son avocate a émis l’hypothèse que, puisque le Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) est fondé sur un système de points, la note de la demanderesse aurait pu changer au cours du délai de traitement de deux ans, notamment parce que son expérience de travail pourrait maintenant être différente, et que la demanderesse aurait donc [traduction] « probablement »
eu de meilleures chances d’obtenir une nouvelle invitation à présenter une demande si elle avait su plus tôt que sa demande avait été rejetée et si elle avait pu présenter une nouvelle demande. Toutefois, rien au dossier dont je dispose n’étaye cette hypothèse et ne démontre que la demanderesse s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle a subi un préjudice en raison du délai.
[26] Enfin, et quoi qu’il en soit, même s’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale, et j’ai conclu que ce n’est pas le cas, compte tenu des faits et du droit, comme je l’explique ci-dessous, le manquement n’aurait pas invalidé la décision, parce que le résultat était inéluctable sur le plan juridique (voir Lima c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 336 aux para 35-36, citant Canada (Procureur général) c McBain, 2017 CAF 204 aux para 9-10).
La décision de l’agente était raisonnable
[27] L’argument principal de la demanderesse est que l’agente a évalué de manière déraisonnable son expérience de travail. Elle avance que l’agente n’a pas justifié comment elle en est venue à conclure que la demanderesse n’avait pas fourni une preuve suffisante pour la convaincre qu’elle avait accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail rémunéré à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail rémunéré à temps partiel, dans la profession mentionnée dans sa demande.
[28] La demanderesse soutient également que l’agente n’a pas reconnu qu’il y avait une différence manifeste entre le code CNP inscrit dans son profil d’Entrée express et celui inscrit dans sa demande de résidence permanente, et que l’agente n’a pas justifié [traduction] « pourquoi elle n’a pas examiné l’ensemble de la demande pour s’assurer qu’il n’y avait pas eu d’erreur, humaine ou autre, dans le processus de génération prétendument automatique des données dans le SMGC »
. La demanderesse prétend qu’elle n’avait aucune raison de changer le code CNP associé à sa profession principale puisqu’elle satisfaisait clairement aux exigences de recevabilité compte tenu de son expérience professionnelle au titre du code CNP 4164. Dans ces circonstances, la demanderesse soutient en outre qu’il était déraisonnable que l’agente n’ait pas envisagé de substituer son appréciation aux exigences.
[29] Aux dires de la demanderesse, [traduction] « le défendeur a confirmé dans son nouvel affidavit que, parce qu’un chiffre du code CNP de sa profession principale était différent, aucun des éléments de preuve n’a été examiné ou pris en considération »
, et l’agente n’a pas envisagé la possibilité que la divergence ait été attribuable à une faute de frappe, à une erreur d’écriture ou à un problème technique.
[30] Enfin, la demanderesse soutient que le délai dans le traitement de sa demande démontre le caractère globalement déraisonnable du processus décisionnel et lui a causé un préjudice.
Analyse
[31] À mon avis, les arguments de la demanderesse sont dénués de fondement et ne révèlent pas d’erreur susceptible de révision.
[32] La demanderesse mentionne que, lorsqu’elle a rempli son profil d’Entrée express, elle a inscrit le code CNP 4164 pour sa profession principale. Cependant, elle ne traite pas de l’affidavit de l’agente, qui comprend des captures d’écran du SMGC montrant que, le 15 février 2020, lorsque la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente, elle a inscrit le code CNP 4163 pour sa profession principale. Dans son affidavit, l’agente explique également que les codes CNP sont générés automatiquement dans le SMGC au moment de la présentation d’une demande de résidence permanente. De plus, la demanderesse ne mentionne ni ne conteste, d’une part, la preuve par affidavit de l’agente selon laquelle les agents d’IRCC, même ceux de niveau supérieur, ne peuvent pas mettre à jour les renseignements dans le SMGC sans que leurs initiales et la date et l’heure de l’entrée soient enregistrées et, d’autre part, les extraits du SMGC joints à l’affidavit de l’agente qui montrent que la dernière mise à jour des renseignements dans le SMGC a été faite par la demanderesse le 15 février 2020, date à laquelle le code CNP a été modifié. La demanderesse ne conteste pas non plus l’affirmation de l’agente selon laquelle, au 15 février 2020, soit la « date déterminante »
dans son cas, la demanderesse comptait huit mois d’emploi continu dans une profession visée par le code CNP 4163.
[33] La demanderesse soutient plutôt qu’elle a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle a accumulé, de façon continue, plus d’une année d’expérience de travail dans une profession visée par le code CNP 4164 et que, malgré la preuve par affidavit de l’agente, [traduction] elle « doute du caractère équitable et raisonnable du processus »
. De plus, devant moi, elle a affirmé en dépit des notes du SMGC et de la preuve par affidavit de l’agente qu’elle n’avait pas changé le code CNP et qu’il n’était [traduction] « pas clair »
comment ce changement s’était produit.
[34] Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes comprennent les paragraphes 75(1) et (2) du RIPR :
Travailleurs qualifiés (fédéral)
Catégorie
75 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.
Qualité
(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :
a) il a accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de sa demande de visa de résident permanent, dans la profession principale visée par sa demande appartenant aux catégories FÉER 0, 1, 2 ou 3 de la Classification nationale des professions, exception faite des professions d’accès limité;
[…]
[35] D’après les renseignements fournis par la demanderesse et vu le choix de celle-ci d’inscrire le code CNP 4163 dans sa demande de résidence permanente présentée le 15 février 2020, l’agente a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour la convaincre qu’elle avait accumulé, de façon continue, au moins une année d’expérience de travail rémunéré à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail rémunéré à temps partiel, dans la profession déclarée dans sa demande, soit le code CNP 4163. La demande a été rejetée parce que l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse satisfaisait aux exigences énoncées à l’article 75 du RIPR, ce que l’agente a clairement expliqué dans sa décision et ce qui ressort des notes du SMGC, qui font partie des motifs de la décision.
[36] De plus, l’agente n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’en décider autrement, comme le prévoit le paragraphe 75(3) du RIPR :
Exigences
(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.
[37] Quant à l’argument de la demanderesse selon lequel l’agente aurait dû tenir compte du fait qu’une erreur quelconque aurait pu entraîner l’utilisation du code CNP 4163 dans sa demande de résidence permanente, il est purement hypothétique. De plus, cet argument tente de rendre IRCC responsable du changement du code CNP 4164 au code CNP 4163, sans aucune preuve à l’appui. Cet argument n’est pas non plus étayé par la preuve par affidavit de l’agente, qui explique comment les renseignements relatifs à la demande dans Entrée express et à la demande de résidence permanente sont intégrés au SMGC : les données du SMGC sont fondées sur les renseignements communiqués par voie électronique par la demanderesse elle-même.
[38] Quoi qu’il en soit, le paragraphe 75(3) précise aussi que si les exigences ne sont pas respectées, il est mis fin à l’examen. Je suis d’accord avec le défendeur que l’alinéa 75(2)a) oblige les agents à tenir compte de l’expérience de travail accumulée dans la profession principale visée par le code CNP inscrit par la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), et non à déterminer quel code CNP ou quelle expérience de travail aurait dû être inscrit pour la profession principale. C’est à la demanderesse qu’incombait le fardeau de convaincre l’agente qu’elle satisfaisait aux exigences. L’agente n’était pas tenue de deviner quel code CNP la demanderesse entendait inscrire ni de demander des éclaircissements à cet égard (voir Ekama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 105; Zahedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 931 au para 8; Kamchibekov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411 au para 26).
[39] Je conviens également avec le défendeur que le paragraphe 76(3) du RIPR n’est pas pertinent en l’espèce. Le paragraphe 76(1) énonce les critères qui indiquent que le travailleur peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Selon le paragraphe 76(3), si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié – que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe 76(2) – n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa 76(1)a). En l’espèce, toutefois, il a été conclu que la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Par conséquent, cette disposition ne s’applique pas à elle. Son argument selon lequel il était déraisonnable pour l’agente de ne pas envisager de substituer son appréciation aux critères est sans fondement.
[40] En conclusion, la décision de l’agente était fondée sur le règlement qu’elle était tenue d’appliquer et sur les renseignements fournis par la demanderesse. Autrement dit, la décision « est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov, au para 99). La décision est donc raisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2398-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucuns dépens ne sont adjugés.
-
Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
DOSSIER : |
IMM-2398-22 |
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INTITULÉ : |
ABIGAIL ADU-DAAKO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
tenue par vidéoconférence sur Zoom |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 6 AVRIL 2023 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE STRICKLAND |
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DATE DES MOTIFS : |
Le 12 avril 2023 |
COMPARUTIONS :
|
Alexandra Goncharova |
POUR LA DEMANDERESSE |
|
Diane Gyimah |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
Bellissimo Law Group PC Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
|
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |