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Date : 20240117

Dossier : T-119-19

Référence : 2024 CF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2024

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

DENNIS MANUGE, RAYMOND TOTH, BETTY BROUSSE,

BRENTON MACDONALD, JEAN‑FRANCOIS PELLETIER ET DAVID WHITE

représentants demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les représentants demandeurs et le défendeur ont déposé la présente requête conjointe en vertu de l’article 334.29 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], en vue d’obtenir l’approbation de la transaction définitive dans le cadre du présent recours collectif. Les avocats du groupe demandent également l’approbation de leurs honoraires et débours, ainsi que des honoraires de 10 000 $ pour chacun des représentants demandeurs.

[2] De façon générale, la transaction définitive traite des allégations d’erreurs de calcul et de paiements insuffisants des pensions d’invalidité payables aux membres et aux vétérans des Forces armées canadiennes [FAC] et de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] ainsi qu’à leurs époux ou épouses, à leurs conjoints ou conjointes de fait, à leurs personnes à charge, à leurs survivants ou survivantes ou à leurs successions. En 2018, le ministre d’Anciens Combattants Canada [ACC] a reconnu que des erreurs s’étaient glissées dans le calcul des crédits d’impôt provinciaux applicables au taux de salaire, ce qui a entraîné une diminution des paiements de certaines prestations versées aux bénéficiaires admissibles. Le montant total des paiements insuffisants a été estimé à 165 millions de dollars. ACC a alloué 165 millions de dollars pour effectuer des « paiements correctifs »; environ la moitié de ces paiements ont été versés depuis 2018.

[3] Par la suite, les avocats du groupe ont découvert d’autres erreurs. Le règlement porte sur l’incidence de ces erreurs supplémentaires et des intérêts sur les paiements correctifs.

[4] Pour les motifs qui suivent, la Cour approuve la transaction définitive, les honoraires et les débours des avocats du groupe, ainsi que les honoraires des représentants demandeurs.

[5] Les documents annexés aux présents motifs et à l’ordonnance, y compris la transaction définitive, fournissent de plus amples détails. La transaction définitive est le résultat de négociations qui sont fondées sur les connaissances et la compréhension des avocats du groupe et du défendeur et qui reposent sur de solides éléments de preuves actuariels concernant la façon dont diverses prestations ont été touchées par les calculs erronés. Le rapport d’expert, préparé par M. Alexander MacLeod, explique la méthode et la formule qui seront utilisées pour calculer le montant à payer, afin de remédier aux paiements insuffisants, en fonction des erreurs relevées.

[6] Les motifs de la Cour ne s’attardent pas sur la complexité du calcul des ajustements des prestations en cause ni sur la méthode utilisée pour corriger les calculs erronés. Les observations écrites et orales des avocats du groupe, ainsi que les affidavits et pièces des demandeurs et du défendeur, ont éclairé les questions en litige et ont été examinés avec soin. Les avocats du groupe et le défendeur soutiennent fermement le règlement négocié et se félicitent de l’issue favorable pour les membres du groupe. La Cour est largement convaincue que la transaction définitive est juste et raisonnable et dans l’intérêt supérieur des membres du groupe.

[7] La Cour est également convaincue que les honoraires et débours sont justes et raisonnables. Il se peut qu’à première vue, le lecteur considère le montant maximal possible des honoraires et débours des avocats du groupe, exprimé en dollars, comme un gain fortuit. Toutefois, comme je l’explique ci-dessous, les avocats du groupe ont consacré un nombre d’heures incalculable au présent recours collectif et ont dépensé des sommes importantes pour le mener à bien, sans aucune certitude quant à son succès, et leur travail se poursuivra. Conformément au mandat de représentation qu’ils ont signé avec les représentants demandeurs, les avocats du groupe toucheront – pour leurs honoraires et débours – un pourcentage du montant du règlement. Ces honoraires ne s’appliquent pas à la somme versée pour corriger l’erreur initiale reconnue par ACC; ils ne concernent que les erreurs supplémentaires découvertes grâce à la diligence des avocats du groupe. Ces derniers percevront leurs honoraires et débours à mesure que les membres du groupe recevront leurs paiements, et au prorata de ceux-ci.

I. Contexte

A. Les demandeurs

[8] Dennis Manuge est un résident de la Nouvelle-Écosse et un ancien membre des FAC, au sein desquelles il a servi d’août 1994 à décembre 2002. Il a été libéré à cette date, car il souffrait de problèmes de santé qui ne lui permettaient plus de répondre aux exigences professionnelles de l’universalité du service. M. Manuge touche une pension d’invalidité mensuelle depuis 2002. M. Manuge a démontré son implication dans le présent recours collectif, notamment en partageant ses dossiers et en apportant son assistance pour comprendre les erreurs de calcul à corriger.

[9] Raymond Toth est un résident de l’Ontario. Il a servi dans les FAC jusqu’à sa libération, en 2007. À partir de cette date, les blessures survenues au cours de son service au sein des FAC ne lui permettaient plus de répondre à toutes les exigences de son métier. M. Toth touche une pension d’invalidité mensuelle depuis février 2004.

[10] Betty Brousse est une résidente de l’Ontario. Mme Brousse a servi dans les FAC pendant 27 ans et a pris sa retraite en 2001. Elle touche une pension d’invalidité mensuelle depuis octobre 2000. Mme Brousse a démontré son implication dans le présent recours collectif, notamment grâce à ses affidavits à l’appui d’une requête en procès sommaire (qui a finalement été ajournée indéfiniment) et à l’utilisation de ses renseignements personnels pour démontrer les erreurs de calcul commises et la façon dont la transaction définitive permettra de les corriger.

[11] Brenton MacDonald est un résident de l’Ontario et un ancien membre de la GRC. Il a pris sa retraite en avril 2004, après 38 ans de service. Au cours de sa carrière à la GRC, M. Macdonald a occupé un poste à la Sous-direction de l’indemnisation en tant que responsable des pensions, des avantages sociaux et des questions d’indemnisation. Il touche une pension d’invalidité mensuelle depuis avril 2004. Les avocats du groupe ont félicité M. Macdonald pour ses conseils utiles qui leur ont permis de clarifier les prestations de pension.

[12] Jean-Francois Pelletier est un résident de la Nouvelle-Écosse. Il a servi dans la Marine royale canadienne, au sein des FAC, de 1986 à 2005. Il touche une pension d’invalidité mensuelle depuis 2002.

[13] David White est un résident de la Nouvelle-Écosse. M. White a été membre de la GRC de 1973 à 2002. Il a pris sa retraite en raison d’une invalidité médicale résultant d’une blessure liée au service. Il touche une pension d’invalidité mensuelle depuis août 2002. M. White, dont le défunt père a servi dans la Marine royale canadienne et était également membre du groupe, a expliqué combien la transaction définitive simplifie le processus qui permet aux personnes de la succession des membres du groupe de percevoir leur paiement de règlement, par rapport à la procédure mise en place par ACC pour que ces personnes puissent demander le paiement correctif pour l’erreur de calcul initiale. Les renseignements personnels de M. White ont également servi à démontrer les erreurs de calcul et l’incidence de la transaction définitive : ils ont notamment permis de dresser une comparaison entre la transaction définitive et une poursuite fructueuse.

[14] Tous les représentants demandeurs ont décrit la façon dont ils se sont aperçus de l’erreur dans le calcul du taux de salaire et de son incidence sur leurs prestations, ont pris contact avec un avocat afin d’obtenir réparation pour le paiement insuffisant, ont communiqué par la suite avec les avocats du groupe et leur ont fourni les renseignements et les documents nécessaires à la poursuite de la présente action. De plus, les représentants demandeurs ont renseigné les autres membres du groupe sur les questions soulevées dans le présent litige et l’état de l’instance. Les représentants demandeurs ont expliqué avoir appris que les avocats du groupe solliciteraient des honoraires pour leur compte qu’une fois que la transaction proposée avait été négociée.

B. Les procédures à ce jour

[15] Au début de l’année 2019, les demandeurs ont intenté individuellement, par l’entremise de leurs avocats respectifs, quatre recours collectifs distincts, mais similaires. Tous alléguaient que leur pension d’invalidité annuelle avait été mal calculée et sollicitaient des dommages‑intérêts ou un dédommagement. Les avocats représentant les demandeurs ont conclu une entente de collaboration, désignée depuis lors sous le nom de « consortium ». La Cour a ordonné que les quatre actions soient regroupées et a suspendu une cinquième action concurrente.

[16] Le 30 octobre 2019, les avocats du groupe ont déposé leur déclaration commune, qui contenait des allégations concernant l’erreur de calcul initiale et les erreurs découvertes par la suite, qui sont décrites ci-dessous (l’erreur relative à l’impôt territorial et l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du montant canadien pour emploi).

[17] Le 23 décembre 2020, la Cour a autorisé le recours collectif. La requête en autorisation des demandeurs, initialement contestée, a été ajournée en raison des répercussions des premiers jours de la pandémie de COVID-19. Des négociations entre les parties ont permis d’affiner les questions communes et la requête en autorisation s’est poursuivie sur consentement.

[18] Le groupe est défini dans l’ordonnance d’autorisation comme suit :

[traduction]

Tous les membres et anciens membres des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada, ainsi que leurs conjoints, conjoints de fait, personnes à charge, survivants, orphelins et toute autre personne, y compris les successions admissibles de ces personnes, qui ont reçu – à tout moment entre 2002 et aujourd’hui – des pensions d’invalidité, des indemnités d’invalidité et d’autres avantages d’Anciens Combattants Canada qui ont été touchés par l’ajustement annuel de la pension de base en vertu de l’article 75 de la Loi sur les pensions, y compris, mais sans s’y limiter, les indemnités et les avantages énumérés [dans l’annexe de la présente ordonnance].

[19] La Cour a autorisé les questions communes suivantes aux fins du présent recours collectif :

[traduction]

[20] Les avocats du groupe ont créé et administré un site Web bilingue, qui fonctionne depuis février 2021, pour informer les membres du groupe des questions en litige et de l’état du recours collectif et leur permettre d’exprimer leur intérêt à l’égard du recours collectif et d’y prendre part.

[21] Le 30 juillet 2021, le défendeur a déposé sa défense, dans laquelle il reconnaît l’erreur initiale et nie les deux erreurs ultérieures.

[22] Une longue période d’interrogatoires préalables s’en est suivie.

[23] Le 30 juillet 2021, l’avis d’autorisation a été largement diffusé, notamment dans les principaux journaux et sur le site Web d’ACC, et a été téléversé dans « Mon dossier ACC ». La date limite pour s’exclure du recours collectif a expiré le 30 mars 2022. Les avocats du groupe n’ont reçu qu’un seul formulaire d’exclusion.

[24] Au début de l’année 2022, les demandeurs ont fait part de leur intention de déposer une requête en procès sommaire. En juillet 2022, ils ont déposé un volumineux dossier de requête. La Cour a fixé l’audition de la requête au mois de janvier 2023, avant de l’ajourner indéfiniment à la demande des parties. Les négociations en vue de régler le recours collectif se sont poursuivies.

[25] Le 8 novembre 2023, les parties ont signé la transaction définitive.

[26] Comme je l’ai mentionné, le règlement découle d’une erreur de calcul des pensions d’invalidité payables aux membres et aux vétérans des FAC et de la GRC ainsi qu’à leur époux ou épouse, à leur conjoint ou conjointe de fait, à leurs personnes à charge, à leurs survivants ou survivantes, à leurs orphelins ou orphelines ou à leurs successions.

C. L’erreur initiale et les erreurs supplémentaires

[27] En vertu du paragraphe 75(1) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6, les pensions et allocations d’invalidité mensuelles sont ajustées chaque année pour tenir compte des augmentations annuelles de l’indice des prix à la consommation [IPC] au Canada et du calcul du taux de salaire (salaire moyen de certaines catégories d’employés du secteur public fédéral moins l’impôt sur le revenu, calculé en utilisant comme référence la province ayant le taux d’imposition sur le revenu combiné provincial et fédéral le plus bas). Les pensions d’invalidité et les prestations connexes comprennent celles payables en vertu de la Loi sur les pensions; de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-11; de l’article 3 du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation, CRC, c 10; et du paragraphe 2(2) de la Loi sur les prestations de guerre pour les civils, LRC 1985, c C‑31.

[28] En novembre 2018, l’ombud des vétérans du Canada a relevé une erreur dans le calcul des indemnités d’invalidité de 2003 à 2010. Cette erreur comptable représente environ 165 000 000 $ [erreur initiale]. Le ministre responsable d’ACC a reconnu l’erreur et ACC s’est engagé à verser des paiements correctifs rétroactifs, comme je l’ai mentionné ci-dessus. Les paiements correctifs n’incluaient pas les intérêts.

[29] Les avocats du groupe ont par la suite découvert d’autres erreurs causées par la sous-évaluation du taux de salaire sur une période plus longue que celle qui avait été déterminée initialement. Ces erreurs ultérieures comprennent le fait que le défendeur n’a pas utilisé le Nunavut comme province ou territoire ayant le taux d’imposition applicable le plus bas [erreur relative à l’impôt territorial] et n’a pas pris en compte le crédit d’impôt au titre du montant canadien pour emploi [erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE].

D. Avantages inclus et exclus

[30] La transaction définitive comprend une définition des termes utilisés, y compris le terme « avantages visés ». La liste des avantages visés comprend les prestations prévues par la Loi sur les pensions (p. ex., pensions pour invalidité et pour cause de décès, allocation de présence et prestations d’invalidité de la GRC), les pensions de guerre prévues par la Loi sur les prestations de guerre pour les civils et les prestations du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation.

[31] Grâce au processus de divulgation des documents et aux négociations, les avocats du groupe ont appris que les erreurs de calcul alléguées n’avaient aucune incidence sur certains avantages :

[32] Les avocats du groupe ont également découvert que l’allocation de commisération, qui figurait auparavant dans l’ordonnance d’autorisation en tant qu’avantage visé distinct, avait été versée à titre de pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions et avait déjà été incluse dans la liste des avantages visés.

[33] Les avocats du groupe expliquent que les bénéficiaires des avantages exclus mentionnés ci-dessus n’ont pas du tout été touchés par les erreurs de calcul dont il est question dans la transaction définitive.

E. La transaction définitive

[34] Les parties se sont engagées dans de longues négociations pour arriver à la transaction définitive. Cette dernière s’appuie sur le calcul de cinq composantes : l’erreur relative à l’impôt territorial, l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE, les intérêts applicables à l’erreur relative à l’impôt territorial et à l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE, les intérêts applicables aux paiements correctifs versés à ce jour et les intérêts applicables aux paiements correctifs à verser. Le tableau suivant résume le redressement proposé dans le cadre de la transaction définitive :

[35] L’affidavit de M. MacLeod, gestionnaire au sein du groupe consultatif sur les évaluations et les différends de KPMG S.E.N.C.R.L., s.r.l., explique comment il a aidé les avocats du groupe à repérer les erreurs de calcul concernant les prestations et à établir les montants supplémentaires qui auraient dû être versés en même temps que les paiements correctifs. Son rapport détaillé illustre à l’aide d’exemples concrets l’élaboration et la mise en œuvre de la formule à appliquer dans la transaction. M. MacLeod explique également comment les honoraires et débours des avocats du groupe approuvés par la Cour, conformément au mandat de représentation, ont été intégrés à cette formule et à la transaction définitive.

[36] Le tableau 3, entre autres informations contenues dans le rapport de M. MacLeod, présente la valeur des diverses composantes de la valeur totale du règlement, à savoir :

erreur relative à l’impôt territorial – 528,5 millions de dollars;

erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE – 31,7 millions de dollars;

intérêts applicables à l’erreur relative à l’impôt territorial et à l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE – 194,9 millions de dollars;

intérêts applicables aux paiements correctifs (c.-à-d. le montant versé par ACC après 2018) – 26,7 millions de dollars;

intérêts applicables aux paiements correctifs qui n’ont pas encore été versés – 39,4 millions de dollars.

Selon les calculs de M. MacLeod, la valeur totale du règlement s’élève à 821,2 millions de dollars. Le montant du règlement est de 817,3 millions de dollars. La différence de 3,9 millions de dollars découle des négociations entre les parties. Par exemple, les avocats du groupe expliquent que les honoraires de l’administrateur seront payés par le défendeur; ils ne seront pas déduits des sommes à verser aux membres du groupe. Cela constitue pour ces derniers un avantage qui a été pris en compte pour arriver au montant final du règlement.

[37] M. MacLeod explique également que, puisque la période de référence (du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2023) n’était pas encore terminée au moment où il a présenté son rapport, il est impossible pour le moment de donner avec précision le montant exact des avantages visés versés au groupe au cours de la période de référence (telle qu’elle est définie dans la transaction définitive et utilisée dans la formule).

[38] Les membres du groupe se répartissent en deux sous-groupes. Le « sous-groupe de paiement d’ACC » comprend les membres du groupe qui ont déjà une relation de paiement avec ACC. Les membres du groupe qui n’ont pas de relation de paiement existante avec ACC font partie du « sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations ». Les membres de ce sous-groupe devront soumettre un formulaire de demande d’indemnisation simple, et l’administrateur évaluera leurs réclamations.

[39] Comme je l’ai mentionné précédemment, le règlement pourrait atteindre un montant total de 817 300 000 $, duquel le sous-groupe de paiement d’ACC recevrait une somme totale de 435 500 000 $ et le sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations recevrait une somme pouvant atteindre 381 800 000 $. Le groupe se composerait d’environ 333 711 personnes.

[40] L’affidavit du déposant du défendeur, Rory Beck, gestionnaire, Unité de coordination des litiges au sein d’ACC, décrit la transaction définitive et ses répercussions.

[41] M. Beck explique que, sans la transaction définitive, le calcul précis des ajustements totaux des prestations versées aux membres du groupe au cours de la période de référence (du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2023) serait long et complexe. Il précise que le règlement est [traduction] « fondé sur l’écart estimé entre le total des prestations versées au groupe au cours de la période de référence et le total des prestations qui auraient dû lui être versées, auquel s’ajoutent les intérêts. De plus, un montant a été ajouté au règlement concernant les intérêts applicables aux paiements correctifs au titre de la pension d’invalidité ».

[42] M. Beck explique plus en détail le partage du règlement :

[traduction]

Le montant global du règlement sera calculé au prorata entre les membres du groupe en fonction de la proportion que représente la somme de tous les avantages visés, tels que définis dans la transaction définitive, payés à chaque membre au cours de la période de référence, par rapport à la somme de tous les avantages visés payés à l’ensemble du groupe au cours de la période de référence, telle que définie dans la transaction définitive. Si chaque réclamant pouvait être localisé et payé, le montant total du paiement en vertu du règlement serait d’environ 817 300 000 $.

[43] Selon M. Beck, environ 330 711 membres du groupe ont droit à 332 840 paiements. Il explique que 2 129 membres du groupe sont admissibles à deux paiements distincts, l’un à titre de vétéran et l’autre à titre de survivant ou de personne à charge de l’ancien combattant, ce qui explique l’écart entre les chiffres.

[44] M. Beck mentionne que les membres du sous-groupe de paiement d’ACC ont droit à 117 697 paiements, tandis que ceux du sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations ont droit à 215 143 paiements admissibles.

[45] M. Beck explique la répartition des paiements admissibles possibles. Le membre médian du groupe recevrait la somme d’environ 1 258,75 $, moins les honoraires approuvés par la Cour. Le membre moyen du groupe recevrait la somme d’environ 2 455,53 $, moins les honoraires approuvés par la Cour. Toujours selon les explications fournies par M. Beck, la majorité des paiements admissibles sont inférieurs à 5 000 $. Seuls 40 paiements admissibles excèdent la somme de 35 000 $.

[46] Comme l’a fait remarquer M. Beck, bien que le sous-groupe de paiement d’ACC soit plus petit, le montant total des paiements versés à ses membres sera plus élevé. Les membres du sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations sont plus nombreux, et les avocats du groupe ainsi qu’ACC s’efforceront de communiquer avec eux pour les informer de la procédure à suivre afin de présenter leurs réclamations. Comme je l’explique ci-dessous, les avocats du groupe ne peuvent percevoir d’honoraires que si les membres du sous-groupe fondé sur les réclamations présentent une réclamation et que des paiements leur sont ensuite versés.

[47] La transaction définitive oblige le défendeur à verser automatiquement les paiements de règlement aux membres du sous-groupe de paiement d’ACC dans un délai de neuf mois à compter de l’ordonnance définitive de la Cour. Les membres du sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations devront soumettre un formulaire de demande d’indemnisation à l’administrateur dans les douze mois suivant la présente ordonnance approuvant la transaction définitive. Le défendeur, l’administrateur et les avocats du groupe s’engagent à travailler en collaboration pour aviser les membres potentiels du sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations. Tous les paiements seront exonérés d’impôt.

[48] Les avocats du groupe font savoir qu’ils continueront également d’aider à titre gracieux les membres du groupe qui n’ont pas encore reçu leur paiement correctif.

[49] Le défendeur a accepté de payer les honoraires de l’administrateur de la transaction; ces honoraires ne seront pas déduits du montant total du règlement (c.-à-d. qu’il n’y aura pas de déduction proportionnellement aux paiements de règlement individuels). Les parties font remarquer que cela est très avantageux pour les membres du groupe.

[50] Les avocats du groupe notent qu’une seule objection a été reçue en réponse à l’avis de règlement. L’opposant conteste le fait que les honoraires des avocats soient déduits des paiements versés aux membres du groupe. Comme l’expliquent les avocats du groupe, ce point a joué dans la négociation de la transaction. De plus, les Règles n’autorisent pas la Cour à adjuger les honoraires dans le cadre d’un recours collectif.

[51] En outre, la correspondance d’un autre membre du groupe à la Cour a été transmise aux avocats du groupe et à l’avocat du défendeur. Les avocats du groupe ont confirmé que les préoccupations exprimées par le membre du groupe concernaient des avantages qui n’étaient pas visés par les erreurs de calcul et qui, par conséquent, n’étaient pas couverts par la transaction définitive. Les avocats du groupe ont confirmé que le membre du groupe n’avait pas été désavantagé.

II. Les questions en litige

[52] Les questions à aborder sont les suivantes :

III. Les dispositions législatives

[53] Les Règles prévoient ce qui suit :

IV. La Cour devrait-elle approuver la transaction définitive?

A. Les principes directeurs tirés de la jurisprudence

[54] Dans la décision Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc c Canada, 2023 CF 327, la juge McDonald a résumé les principes directeurs aux paragraphes 47 à 50 :

[47] Aux termes du paragraphe 334.29(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le règlement d’un recours collectif ne prend effet que s’il est approuvé par un juge. Le critère à appliquer est de « savoir si le règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe en général » (Merlo c La Reine, 2017 CF 533, au paragraphe 16 (Merlo)).

[48] La Cour doit se demander si le règlement est raisonnable, et non s’il est parfait (Châteauneuf c La Reine, 2006 CF 286, au paragraphe 7; Merlo, au paragraphe 18). De même, la Cour a uniquement le pouvoir d’approuver ou de rejeter le règlement; elle ne peut pas le modifier (Merlo, au paragraphe 17; Manuge c Canada, 2013 CF 341, [2014] 4 R.C.F. 67, au paragraphe 5).

[49] Les facteurs dont il faut tenir compte pour apprécier le caractère raisonnable global du règlement proposé sont décrits dans plusieurs décisions (voir Condon c La Reine, 2018 CF 522, au paragraphe 19; Lin c. Airbnb, Inc., 2021 CF 1260, au paragraphe 22) et comprennent les éléments suivants :

[50] Comme il est mentionné dans la décision McLean c La Reine, 2019 CF 1075 (McLean), au paragraphe 68, outre les facteurs qui précèdent, il faut examiner le règlement proposé dans son ensemble. La Cour ne peut réécrire les modalités de fond du règlement ou évaluer les intérêts de chaque membre du groupe isolément de l’ensemble du groupe.

[55] Dans la décision Condon c Canada, 2018 CF 522, au para 20 [Condon], la juge Gagné a souligné que les facteurs susmentionnés donnent des lignes directrices, sans plus; certains ne seront pas forcément pertinents, et le poids qui leur est accordé peut varier.

B. Observations des avocats du groupe

[56] Les avocats du groupe soutiennent que tous les facteurs pertinents étayent l’approbation de la transaction définitive. Ils soutiennent que le règlement est dans l’intérêt supérieur du groupe dans son ensemble.

[57] Les avocats du groupe soulignent, entre autres avantages, que la transaction définitive permettra d’indemniser équitablement les membres du groupe, y compris leurs survivant(e)s et leurs successions, et de verser aux membres vieillissants du groupe des paiements selon une procédure simple dans un avenir rapproché qui évitent les longs délais et autres défis liés aux instances judiciaires. Les avocats du groupe ajoutent que la transaction donne des résultats comparables – et probablement plus généreux – que ce qui pourrait être obtenu dans le cadre d’un litige devant la cour, dont on ne peut, en outre, jamais garantir la probabilité de succès.

[58] Les avocats du groupe expliquent que la transaction vise à indemniser entièrement les membres du groupe pour les calculs erronés liés à l’erreur relative à l’impôt territorial. De plus, il prévoit un taux d’intérêt de 2,9 % pour l’erreur initiale et les erreurs supplémentaires. Le recouvrement de l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE, décrite comme une réclamation davantage spéculative, est le fruit d’un compromis obtenu à l’issue de négociations.

[59] Les avocats du groupe mettent en évidence plusieurs caractéristiques qui reflètent le caractère équitable et raisonnable de la transaction :

[60] Selon les avocats du groupe, d’autres facteurs pourraient miner le gain de cause, notamment la possibilité que des changements législatifs ou politiques aient une incidence sur les régimes d’avantages sociaux.

[61] Les avocats du groupe ont décrit les efforts qu’ils ont déployés au cours des cinq dernières années pour repérer les erreurs, demander la communication des renseignements, examiner des milliers de pages de documents, retenir les services d’experts et évaluer l’étendue des calculs erronés allégués et leurs répercussions.

[62] Les avocats du groupe soulignent qu’ils se sont engagés dans des négociations actives et difficiles, qui ont atteint leur paroxysme avec leur requête en jugement sommaire (qui a finalement été ajournée indéfiniment).

[63] Les avocats du groupe notent également qu’ils ont communiqué régulièrement avec les membres du groupe de diverses façons, y compris un site Web bilingue, afin de leur fournir des informations. Ces mécanismes de communication se poursuivront tout au long de la gestion du règlement.

C. La position du procureur général du Canada

[64] Le défendeur, le procureur général du Canada [PGC], convient que la transaction définitive est juste et raisonnable et dans l’intérêt supérieur des membres du groupe. Il a félicité les avocats du groupe pour la diligence et le professionnalisme dont ils ont fait preuve tout au long des négociations pour donner un excellent résultat aux membres du groupe. Comme l’a fait observer le PGC, bien qu’elle reflète les compromis réalisés par les deux parties, la transaction définitive permettra de verser les paiements aux membres du groupe plus rapidement et plus simplement que ne le feraient le traitement et le calcul des réclamations sur une base individuelle. Le PGC a également exprimé tant la reconnaissance du Canada pour le rôle et l’engagement des membres des FAC et de la GRC et que le soutien actif du Canada à la transaction définitive qui profitera aux membres du groupe.

D. La transaction définitive est juste et raisonnable et dans l’intérêt supérieur des membres du groupe

[65] La Cour a examiné tous les facteurs pertinents, y compris la complexité des calculs; la défense qui aurait pu être présentée si l’instance se poursuivait en justice; la possibilité que d’autres changements soient apportés aux prestations en cause; les avantages globaux du règlement tels que décrits ci-dessus, qui découlent des concessions et des compromis faits par les deux parties; les points de vue d’avocats chevronnés; le soutien des membres du groupe; ainsi que le soutien du défendeur à la transaction définitive et la reconnaissance du succès obtenu par les membres du groupe.

[66] La probabilité de recouvrement ou de réussite est un facteur pertinent pour déterminer s’il y a lieu d’approuver une entente de règlement. Comme l’ont fait remarquer les avocats du groupe, bien qu’ACC ait reconnu l’erreur initiale, il a fallu une évaluation et des négociations rigoureuses pour corriger les erreurs qui ont été découvertes par la suite. Si le défendeur avait contesté les allégations de calculs erronés des prestations, en particulier l’erreur relative à l’impôt territorial et l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE, il aurait alors fallu démêler l’enchevêtrement de prestations et de dispositions législatives complexes. Comme l’ont également fait remarquer les avocats du groupe, les allégations d’enrichissement sans cause auraient pu facilement être rejetées compte tenu de la jurisprudence existante.

[67] Comme dans d’autres recours collectifs qui comptent eux aussi de nombreux membres, dont une part significative de membres âgés, et dans le cadre desquels chaque gain (même modeste) est important, la possibilité d’intenter des poursuites individuelles et d’attendre l’issue de l’affaire doit être évaluée au regard de l’avantage que procurent le montant du règlement et l’existence d’un processus clair pour la distribution de ce dernier. Comme le précise M. Beck dans son affidavit, la majorité des montants individuels payables sont inférieurs à 5 000 $, et le montant moyen payable sera de 2 455,53 $. Le fait d’intenter des poursuites individuelles (qui seraient très probablement portées devant la Cour des petites créances) aurait entraîné un processus plus formel, des coûts supplémentaires et de longs délais. De nombreuses personnes seraient probablement découragées de faire valoir leurs réclamations individuellement au vu du rapport coûts-avantages.

[68] Les représentants demandeurs confirment soutenir la transaction définitive et être convaincus que cette dernière est juste et raisonnable et qu’elle permet d’éviter des litiges longs et coûteux. Ils soulignent également les avantages du régime de paiement et du processus de réclamation proposés.

[69] Aucune objection à l’égard de la transaction définitive elle-même n’a été reçue. La seule objection portait sur le fait que le défendeur devrait assumer le fardeau des honoraires et débours des avocats du groupe.

[70] Le consortium d’avocats du groupe a mis en commun les expertises et les décennies d’expérience accumulées dans le domaine des recours collectifs pour parvenir à une transaction définitive pour les membres du groupe. Les recommandations des avocats du groupe, qui invitent les membres du groupe à appuyer la transaction définitive et la Cour à l’approuver, ont un poids important.

[71] L’examen de tous les facteurs pertinents appuie la conclusion de la Cour selon laquelle la transaction définitive est juste et raisonnable et dans l’intérêt supérieur des membres du groupe.

V. Y a-t-il lieu de verser des honoraires à chacun des représentants demandeurs?

[72] Les avocats du groupe demandent à la Cour d’approuver le paiement d’honoraires, d’un montant de 10 000 $, à chacun des représentants demandeurs, à même le montant approuvé des honoraires et débours des avocats du groupe. Les honoraires des représentants demandeurs ne réduisent pas les sommes payables aux membres du groupe.

[73] Comme le souligne la décision Toth c Canada, 2019 CF 125, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’approuver de tels honoraires, et elle l’a fait dans plusieurs recours collectifs. Ces honoraires visent à reconnaître la contribution significative des représentants demandeurs au recours collectif, sans lesquels ce dernier n’aurait pu être envisagé.

[74] Au paragraphe 43 de la décision Robinson v Rochester Financial, 2012 ONSC 911, la Cour a cerné plusieurs facteurs à prendre en considération au moment de décider s’il faut accorder ou non des honoraires au représentant demandeur, y compris sa participation active au litige, les difficultés personnelles importantes ou les inconvénients liés à la poursuite du litige, le temps consacré à l’instance, la communication avec les autres membres du groupe et la participation à l’instance.

[75] Au paragraphe 52 de la décision Première Nation Tk'emlúps te Secwépemc c Canada, 2023 CF 357 [Tk’emlúps te Secwépemc], la juge McDonald a énoncé les facteurs pertinents qui guident l’approbation des honoraires :

[52] La liste des facteurs pertinents pour décider si les représentants demandeurs devraient recevoir des honoraires comprend les facteurs suivants : un préjudice personnel important, une participation active au début du litige et au choix d’un avocat, le temps consacré et les activités entreprises pour le litige, les communications et les contacts avec les autres membres du groupe, et la participation aux diverses étapes du litige (Merlo au paragraphe 72; Toth c La Reine, 2019 CF 125 au paragraphe 96).

[53] Le litige a exigé des efforts exceptionnels de la part des représentants demandeurs, qui ont passé 11 ans à supporter le fardeau du présent litige difficile et psychologiquement éprouvant. L’ancien chef Shane Gottfriedson et l’ancien chef Garry Feschuk ont continué à participer activement au présent litige pendant des années après la fin de leur mandat en tant que chefs élus de leurs nations respectives.

[76] Comme je l’ai mentionné plus haut, les représentants demandeurs ont intenté leur propre action en justice, après avoir appris que l’ombud avait découvert l’erreur initiale, et ont poursuivi cette action pendant les cinq dernières années. Ils ont, entre autres, fourni aux avocats du groupe des exemples personnels de l’incidence des calculs erronés, maintenu le contact avec les membres du groupe, recueilli et diffusé des renseignements et fourni des affidavits et des pièces pour permettre l’avancement du recours.

[77] Compte tenu des considérations pertinentes, la Cour convient que les efforts des représentants demandeurs justifient qu’ils reçoivent les honoraires proposés.

VI. L’entente sur les honoraires devrait-elle être approuvée?

A. Les honoraires et débours des avocats du groupe

[78] Les avocats du groupe demandent l’approbation de leurs honoraires et débours conformément à l’article 334.4 des Règles. Les avocats du groupe soutiennent que les honoraires et débours reflètent le mandat de représentation du recours collectif [mandat de représentation] conclu entre les représentants demandeurs et le consortium (Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l., McInnes Cooper, le Cabinet juridique Michel Drapeau, Koskie Minsky LLP et Murphy Battista LLP). Le consortium agit au nom des quelque 333 711 membres du groupe composé d’anciens combattants, de leurs familles et de leurs successions.

[79] Les avocats du groupe expliquent que leurs honoraires ne sont pas déduits des paiements correctifs alloués par ACC pour corriger l’erreur initiale (165 millions de dollars). Les honoraires et débours approuvés pour les avocats du groupe ne sont déduits que des paiements de règlement découlant des erreurs supplémentaires et des intérêts applicables à ces montants, comme je l’ai décrit ci-dessus (montant de l’erreur relative à l’impôt territorial, montant de l’erreur relative au crédit d’impôt au titre du MCE et intérêts applicables à ces montants).

[80] Les avocats du groupe font valoir qu’ils ont consacré beaucoup de temps et déployé des efforts considérables pour intenter et régler la présente action. À ce jour, ils ont reçu 580 000 $ pour les débours, et 420 000 $ de débours supplémentaires sont prévus. Les avocats du groupe estiment avoir comptabilisé environ 8 millions de dollars en heures facturables jusqu’à présent, et il leur reste 10 000 heures de travail supplémentaires à accomplir.

[81] Le mandat de représentation stipule que les avocats du groupe recevront leurs honoraires sur la base d’un pourcentage conditionnel (c.-à-d. que des honoraires ne leur seront payés que si l’affaire aboutit). En effet, les avocats du groupe ont pris en charge le présent recours collectif sur une base conditionnelle : autrement dit, ils ne toucheront des honoraires et des débours que si la cause est accueillie. Les avocats du groupe ont assumé ce risque et financé jusqu’à présent le litige sans aucun remboursement. Les modalités ayant trait aux honoraires et débours des avocats du groupe ont été énoncées dans la requête en autorisation, dans l’avis d’autorisation et dans l’avis de règlement proposé de novembre 2023. L’avis d’autorisation et l’avis de règlement proposé ont tous deux été publiés dans des journaux nationaux et en ligne et mis à disposition des membres du groupe dans « Mon dossier ACC ».

[82] La transaction définitive prévoit que les honoraires et débours des avocats du groupe approuvés par la Cour [frais approuvés par la Cour] seront déduits proportionnellement de la somme recouvrée disponible et versée à chaque membre du groupe. Les avocats du groupe proposent une « tarification mixte » pour leurs honoraires, qui comprend la TVH et les débours, et mentionnent qu’un calcul plus détaillé des honoraires figure dans l’avis aux membres du groupe. Les membres du groupe soutiennent l’entente sur les honoraires.

[83] Dans son affidavit, M. MacLeod explique comment la déduction fondée sur un pourcentage de chaque paiement de règlement (soit un montant combiné de 17,46 %) reflète les exigences du mandat de représentation de verser des honoraires et débours aux avocats du groupe. Le rapport de M. MacLeod fournit des détails sur le calcul du montant combiné de 17,46 % et note que ce dernier comprend la TVH et les débours estimés.

[84] Le mandat de représentation – qui décrit l’entente sur les honoraires conditionnels dégressifs (à savoir, la diminution du pourcentage des honoraires à mesure que les montants totaux à payer augmentent) – fixe un montant combiné d’honoraires de 15,24 % (soit 17,46 %, après l’ajout des débours et de la TVH) qui sera déduit du montant payable à chaque membre du groupe au moment où ce montant est versé.

[85] Selon les avocats du groupe, bien que le sous-groupe de paiement d’ACC soit de petite taille, il touchera un montant total de 435,4 millions de dollars.

[86] Les honoraires des avocats du sous-groupe de paiement d’ACC s’élèveront à environ 66,4 millions de dollars après déduction de la TVH et des débours. Les avocats du groupe notent que les membres du sous-groupe de paiement d’ACC recevront automatiquement leurs montants admissibles dans un délai de neuf mois. Les honoraires des avocats du groupe seront déduits proportionnellement de chaque paiement de règlement. Bien que les paiements soient automatiques pour les membres de ce sous-groupe, il subsiste une certaine incertitude quant au nombre précis de réclamations à payer.

[87] Les honoraires des avocats du groupe pour le sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations pourraient atteindre environ 58,2 millions de dollars après déduction de la TVH et des débours. Mais les avocats du groupe devront consentir des efforts continus pour localiser les réclamants et les aider à présenter une réclamation.

[88] Les membres du sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations doivent être avisés de leur admissibilité (s’ils ne sont pas encore au courant). Ils doivent présenter leur réclamation de façon proactive, et celle-ci sera évaluée par l’administrateur. Les honoraires et débours des avocats du groupe seront également déduits au prorata. Cependant, il existe une incertitude considérable quant au nombre de personnes, appartenant au sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations, qui présenteront une réclamation. Une profonde incertitude plane également sur le montant total des honoraires et débours à verser aux avocats du groupe, car ce montant dépend des efforts que ces derniers et d’autres fourniront pour communiquer avec les membres admissibles du sous-groupe et les aider à présenter une réclamation.

[89] Les avocats du groupe soutiennent que les risques qu’ils ont pris et les résultats qu’ils ont obtenus, ainsi que le temps investi et les efforts déployés, entre autres considérations pertinentes, appuient leur requête visant à faire approuver leurs honoraires et débours par la Cour.

B. Les principes tirés de la jurisprudence

[90] La jurisprudence établit les facteurs à considérer pour apprécier le caractère raisonnable des honoraires accordés aux avocats du groupe (p. ex., Manuge c Canada, 2013 CF 341 au para 28 [Manuge 2013]; Condon, aux para 81-83; Merlo c Canada, 2020 CF 1005 aux para 78‑98). Ces facteurs comprennent : les résultats obtenus, le risque assumé, le temps consacré, la complexité des questions, l’importance du litige pour les demandeurs, le niveau de responsabilité assumée par les avocats, les qualités et compétences des avocats, la capacité de payer du groupe, les attentes du groupe et les honoraires approuvés dans des affaires comparables.

[91] Les deux facteurs clés sont habituellement les risques assumés et les résultats obtenus (Condon, au para 83; Mancinelli v Royal Bank of Canada, 2018 ONSC 4206 au para 2 [Mancinelli]; Brown v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429 au para 41 [Brown]). La jurisprudence reconnaît que les honoraires permettent de récompenser les avocats du groupe d’avoir pris des risques (mesurés au début de l’affaire) et d’avoir mené le litige avec habileté et diligence (Condon, aux para 90-91; Mancinelli, au para 4; Brown, au para 50; Manuge 2013, au para 37).

[92] Dans la décision Tk’emlúps te Secwépemc, la juge McDonald a souligné que la Cour doit se demander si les honoraires des avocats du groupe sont « justes et raisonnables » dans l’ensemble des circonstances (citant McLean c Canada, 2019 CF 1077 au para 2). La juge McDonald a passé en revue les principes établis et les a exposés au paragraphe 15 :

[15] Les facteurs liés au caractère « juste et raisonnable » ont été exposés comme suit au paragraphe 25 de la décision McLean :

La Cour fédérale dispose d’un ensemble établi de facteurs non exhaustifs qui lui permet de déterminer ce qui est « juste et raisonnable ». Dans les décisions Condon c Canada, 2018 CF 522, au paragraphe 82, 293 ACWS (3d) 697 [Condon]; Merlo c Canada, 2017 CF 533, aux paragraphes 78 à 98, 281 ACWS (3d) 702 [Merlo]; et Manuge, au paragraphe 28, les facteurs comprenaient : les résultats obtenus, le risque assumé, le temps consacré, la complexité des questions, l’importance du litige pour les demandeurs, le niveau de responsabilité assumée par les avocats, les qualités et compétences des avocats, la capacité de payer du groupe, les attentes du groupe, et les honoraires approuvés dans des affaires comparables. Les observations de la Cour suivent, mais il convient de garder à l’esprit que les facteurs ont un poids différent d’une affaire à l’autre et que le risque et les résultats demeurent les facteurs essentiels (Condon, au paragraphe 83).

[93] Plus récemment, à la suite de l’audition de la présente requête, la juge Aylen s’est intéressée, dans l’affaire Moushoom c Canada (Procureur général), 2023 CF 1739 [Moushoom], à la question des honoraires des avocats du groupe dans les règlements associés à des « mégafonds ». Un « mégafonds » désigne habituellement un montant de recouvrement supérieur à 100 millions de dollars. Dans l’affaire Moushoom, la juge Aylen a approuvé le plus important règlement de l’histoire du Canada, soit un montant de plus de 23 milliards de dollars. Les honoraires des avocats des groupes faisaient l’objet de certaines négociations et la Cour a fini par en réduire le montant.

[94] La juge Aylen constate que, dans les règlements associés à des mégafonds, les honoraires des avocats du groupe qui sont déterminés en fonction d’un pourcentage donnent habituellement lieu à des gains fortuits supérieurs à un montant juste et raisonnable et qui sont en décalage avec les facteurs pertinents, y compris les risques assumés par les avocats du groupe. Par conséquent, la juge Aylen conclut que, lorsqu’elle examine le caractère raisonnable des honoraires et les facteurs pertinents dans les règlements associés à des mégafonds, la Cour doit se concentrer sur le montant des honoraires en dollars. La juge Aylen mentionne ainsi aux paragraphes 108 à 111 :

[108] La détermination de la prime doit reposer sur l’ensemble des circonstances de l’affaire, dont les facteurs prédominants que sont le risque assumé par les avocats du groupe et les résultats obtenus, ainsi que les autres facteurs décrits ci-dessus (le temps et les efforts consacrés par les avocats du groupe, la complexité et la difficulté de l’affaire, le degré de responsabilité assumé par les avocats du groupe, les honoraires accordés dans des affaires semblables, les attentes du groupe, l’expérience et l’expertise des avocats du groupe, la capacité de payer du groupe et l’importance du litige pour les demandeurs). Bien que les honoraires accordés dans des affaires semblables puissent constituer un facteur pertinent, je juge que leur utilité est limitée dans le contexte de règlements associés à des mégafonds (pour les raisons énoncées ci-dessus), mais je ne vois aucune raison de retirer complètement ce facteur de la liste. Je m’attends plutôt à ce que le poids accordé par notre Cour aux comparaisons des honoraires dans le contexte de règlements associés à des mégafonds comme en l’espèce soit minime.

[109] De plus, j’estime qu’un autre facteur devrait être ajouté à la liste, soit la question de savoir si toutes les parties s’entendent sur la somme demandée.

[110] L’importance du poids à accorder à chacun de ces facteurs et, plus particulièrement, aux facteurs prédominants du risque et des résultats, dépend des faits de l’affaire. Cela dit, il arrivera un moment où le poids accordé aux résultats obtenus (et le rajustement qui en découle) doit plafonner, peu importe à combien s’élève le montant du règlement.

[111] Lorsqu’elle détermine la prime, la Cour doit aussi être guidée par le principe de la proportionnalité, qui sous-tend les Règles, afin de veiller à ce que les honoraires ne soient pas excessifs par rapport au risque assumé ou aux résultats obtenus [voir Brown, au para 53].

[112] Par conséquent, dans le cas des règlements associés à des mégafonds, plutôt que de mettre l’accent sur le pourcentage de recouvrement ou le coefficient, la Cour doit se concentrer sur le montant réel en dollars des honoraires d’avocat qui sera approuvé.

C. L’entente sur les honoraires est raisonnable

[95] Le montant maximal que les avocats du groupe pourraient recevoir, si tous les paiements admissibles étaient versés, est d’environ 124,6 millions de dollars (après déduction de la TVH et des débours), sur une valeur totale du règlement de 817,3 millions de dollars. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le montant total comprend les honoraires du sous-groupe de paiement d’ACC (environ 66,4 millions de dollars, après TVH et débours), qui seront versés aux avocats à mesure que les membres du sous-groupe recevront leur paiement automatiquement et au prorata de ce dernier, et le montant maximal pour le sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations (environ 58,2 millions de dollars, avant TVH et débours).

[96] Bien que ce montant soit très élevé lorsque sa valeur totale est exprimée en dollars, il représente, en pourcentage, 15,24 % (après TVH et débours) de la valeur totale du règlement et reflète le mandat de représentation. Les honoraires se situent dans la fourchette des honoraires adjugés dans de nombreux autres recours collectifs, y compris des recours moins compliqués et qui profitent à des groupes beaucoup plus restreints. Comme l’ont fait remarquer les avocats du groupe, leurs honoraires et débours sont plafonnés, mais il n’y a pas de montant plancher. Le montant des honoraires versés aux avocats du groupe dépendra du taux de participation au recours collectif, en particulier en ce qui concerne le sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations. Comme il a été mentionné ci-dessus, ce groupe est très large, puisqu’il compte plus de 330 000 membres, et le travail des avocats du groupe n’est pas encore terminé.

[97] En l’espèce, les avocats du groupe qui participaient à quatre actions distinctes, ont adopté l’approche unique en formant un consortium, en regroupant les actions et en collaborant pour mettre au jour d’autres problèmes, en démêlant collectivement un régime complexe de prestations et en défendant un très large groupe. Le temps et l’argent qui ont été investis à partir de 2018, notamment pour retenir les services d’experts en actuariat afin de faire la lumière sur les erreurs de calcul supplémentaires alléguées, comportaient un risque financier. Bien que l’erreur initiale ait été reconnue, le succès n’était pas garanti.

[98] Le défendeur soutient que l’entente sur les honoraires est une affaire entre les membres du groupe et les avocats du groupe. Le défendeur ne prend pas position quant à l’approbation des honoraires.

[99] Le montant total du règlement, qui s’élève à 817,3 millions de dollars, le place bien dans la catégorie des « mégafonds », et la Cour a examiné avec la plus grande attention la requête visant à faire approuver les honoraires déterminés en fonction d’un pourcentage. Les honoraires des avocats du groupe, conformément aux honoraires conditionnels dégressifs décrits dans le mandat de représentation, représentent un montant réel important en dollars. Ce montant reflète les risques importants assumés, les efforts des avocats expérimentés du groupe et les excellents résultats obtenus par les avocats du groupe. Comme je l’ai mentionné plus haut, le travail des avocats du groupe n’est pas terminé. Ces derniers devront continuer de s’investir pour mener le règlement à son terme afin de s’assurer que les membres du groupe demandent et reçoivent les sommes auxquelles ils ont droit.

[100] Les facteurs pertinents – qui, pour beaucoup, sont les mêmes que ceux qui appuient l’équité et le caractère raisonnable de la transaction définitive – corroborent la conclusion selon laquelle les honoraires et débours des avocats du groupe sont justes et raisonnables.

[101] La Cour n’a pas négligé les directives émises dans la décision Moushoom pour évaluer le caractère juste et raisonnable des honoraires des avocats du groupe dans le cadre de règlements associés à des mégafonds. Les honoraires adjugés dans l’affaire Moushoom par rapport au montant du règlement contrastent fortement avec le règlement beaucoup plus modeste (mais tout de même substantiel) en l’espèce. Cependant, il existe des différences significatives entre les deux instances.

[102] Dans la décision Moushoom, la juge Aylen a souligné le fait que les recours collectifs ne soulevaient pas de réclamations nouvelles. En effet, le Tribunal canadien des droits de la personne avait déjà conclu que le Canada était responsable de la même conduite discriminatoire que celle alléguée par les avocats du groupe.

[103] En l’espèce, les avocats du groupe ne demandent pas d’honoraires pour les paiements correctifs précédemment versés par ACC, mais plutôt pour les montants qui s’ajoutent aux paiements correctifs (évalués à 165 millions de dollars). Les avocats du groupe ont enquêté et ont découvert d’autres erreurs dans le calcul des prestations. Ils ont calculé l’incidence de ces erreurs – que ni ACC, ni les vérificateurs, ni l’ombud n’avaient découvertes – puis ont fait valoir ces réclamations ainsi que les intérêts sur les paiements correctifs. Le défendeur a contesté ces réclamations, avant de les négocier au sein de la transaction définitive. En l’espèce, le défendeur ne prend pas position quant aux honoraires demandés. De plus, contrairement à l’affaire Moushoom, les honoraires des avocats du groupe leur seront payés proportionnellement aux paiements de règlement versés aux membres du groupe. Comme cela a été précisé plus haut, le groupe compte environ 333 711 membres, et il pourrait y avoir un total de 332 840 paiements individuels.

[104] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, les membres du groupe ont été informés à plusieurs reprises de l’existence du mandat de représentation et n’ont formulé aucune objection. De plus, j’ai également mis en avant le fait que les avocats du groupe continueront d’investir beaucoup de temps et de consentir des efforts importants pour communiquer avec les membres du sous-groupe de paiement fondé sur les réclamations et les aider à présenter leurs réclamations. Le versement des honoraires des avocats représentant ce sous-groupe dépend du paiement des réclamations. Les avocats du groupe aideront également les membres du groupe qui n’ont pas encore reçu leurs paiements correctifs.

[105] Les facteurs relevés dans la jurisprudence antérieure et dans la décision Moushoom ont été appliqués aux faits de l’espèce. Bien que le montant total maximal des honoraires des avocats du groupe soit élevé, les facteurs pertinents étayent la conclusion que ces honoraires sont raisonnables.

ORDONNANCE dans le dossier T-119-19

ATTENDU QUE la présente action a été autorisée comme recours collectif par ordonnance datée du 23 décembre 2020;

ATTENDU QUE les représentants demandeurs et le défendeur [collectivement, les parties] ont conclu le 8 novembre 2023 un projet de transaction, la transaction définitive [transaction définitive], afin de résoudre toutes les réclamations liées à ou découlant du recours collectif jusqu’au 31 décembre 2023 inclusivement;

ATTENDU QUE l’approbation de la transaction définitive par la Cour est requise en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles];

ATTENDU QUE les Règles prévoient que la Cour doit approuver les frais de l’instance, y compris les honoraires des avocats du groupe, les débours, les taxes sur les honoraires des avocats et les honoraires à payer aux représentants demandeurs sur les honoraires des avocats du groupe;

APRÈS avoir pris connaissance des avis de requête, des affidavits déposés par les parties à l’appui des requêtes, des observations écrites et orales des parties et pour les motifs plus détaillés exposés ci-dessus;

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

« Catherine M. Kane »


 

Annexe A

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 


 

 

 


 

 

 


 

 

 


 

 

 

 

Annexe B

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe C

 



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