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Date : 20240426

Dossier : IMM-12366-22

Référence : 2024 CF 643

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2024

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

RITU ANTTAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, une citoyenne de l’Inde, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] le 4 novembre 2022 par laquelle il a rejeté sa demande de permis de travail ouvert pour conjoints et a conclu qu’elle était interdite de territoire au Canada conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou a risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Plus particulièrement, la demanderesse a omis de divulguer que ses trois demandes antérieures de permis d’études canadien avaient été rejetées.

[2] La demanderesse n’affirme pas que la décision de l’agent était déraisonnable. La demanderesse affirme plutôt qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale découlant de l’incompétence du parajuriste agréé qui agissait en son nom [le représentant] dans le cadre de la demande de permis de travail sous-jacente. La demanderesse soutient que son représentant : a) lui a erronément dit qu’elle était admissible à un permis de travail ouvert pour conjoints; b) a omis de divulguer dans sa demande les refus de ses demandes antérieures, lesquels, selon la demanderesse, ont été portés à l’attention du représentant à plus d’une reprise; c) a déclaré faussement qu’il était avocat.

[3] Le représentant a été avisé des allégations faites contre lui et a présenté des observations écrites le 8 mars 2023, ainsi que divers messages échangés sur WhatsApp qui n’ont pas été joints à un affidavit. Le représentant conteste toutes les allégations d’incompétence faites contre lui. Cependant, la demanderesse n’a pas signifié au représentant l’ordonnance d’autorisation « sans délai », comme l’exige le protocole de la Cour. L’ordonnance d’autorisation a plutôt été signifiée au représentant le 15 avril 2024. Par la suite, durant la courte période qui s’est écoulée entre la signification de l’ordonnance et l’audience relative à la demande qui a eu lieu le 24 avril 2024, le représentant n’a déposé aucune requête en autorisation d’intervenir, et aucune autre communication n’a été reçue du représentant.

[4] Les allégations relatives à l’incompétence d’un conseil portent sur le droit du demandeur de présenter l’intégralité de sa cause, ce qui constitue une question d’équité procédurale [voir Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1046 au para 9, renvoyant à Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 27; Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1360 aux para 24-26].

[5] Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle qui s’applique à la question de la représentation compétente s’apparente à celle de la décision correcte. Les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif sont considérés comme étant assujettis à la norme de la décision correcte ou à un « exercice de révision […] [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte. La cour qui apprécie une question relative à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 77; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), précité, au para 54].

[6] Pour établir qu’il y a un manquement à l’équité procédurale découlant de l’incompétence de son représentant, la demanderesse doit satisfaire aux exigences du critère tripartite suivant : a) que les actes ou omissions allégués du représentant relèvent de l’incompétence; b) qu’il y a eu déni de justice dans le sens où, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente; c) que le représentant doit être avisé et doit bénéficier d’une occasion raisonnable de répondre [voir Ram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 795 [Ram] au para 12, citant Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189 au para 16]. Le critère de l’assistance non effective de l’avocat est très exigeant, et l’incompétence de l’avocat ne constitue un manquement aux principes de justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires » [voir Ram, précitée, au para 12; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305 au para 56].

[7] Pour satisfaire au premier volet du critère, il incombe à la demanderesse d’établir que la conduite de son représentant ne se rangeait pas dans l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il existe une « forte présomption que la conduite de l’ancien conseil se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable » [voir Aluthge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1225 [Aluthge] au para 36, citant R c GDB, 2000 CSC 22 au para 27].

[8] Pour satisfaire au second volet du critère, la demanderesse doit démontrer que, n’eût été la conduite alléguée de son représentant, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent [voir Aluthge, précitée, au para 39].

[9] Pour ce qui est de l’affirmation de la demanderesse selon laquelle son représentant lui a erronément dit qu’elle était admissible à un permis de travail ouvert pour conjoints, la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve relatifs aux critères d’admissibilité au permis de travail ouvert pour conjoints ni d’éléments de preuve quant à la raison pour laquelle elle ne satisfait pas à ces critères afin d’établir que la conduite du représentant ne se rangeait pas dans l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. De plus, selon un examen des notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, l’agent a fondé sa décision sur le caractère suffisant des éléments de preuve fournis pour démontrer que la demanderesse et son fiancé étaient des conjoints de fait, et sur une conclusion précise quant aux critères d’inadmissibilité. La demanderesse a l’obligation de fournir à la Cour des éléments de preuve clairs qui témoignent de l’incompétence de son représentant, et la Cour n’a pas le rôle de passer en revue le dossier pour trouver des éléments de preuve qui pourraient soutenir l’allégation de la demanderesse.

[10] En ce qui concerne l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le représentant a omis de divulguer dans sa demande ses refus antérieurs, la demanderesse se réfère à des saisies d’écran de conversations sur WhatsApp entre sa sœur et le représentant, dans lesquelles sa sœur a informé à deux reprises le représentant des trois refus antérieurs. Toutefois, le représentant prétend dans sa lettre que le fiancé de la demanderesse s’est rendu à son domicile pour remplir un questionnaire d’admissibilité (dont une question portait sur les refus antérieurs) et a examiné de manière exhaustive toute la demande avant que le représentant ne la présente.

[11] Même si je reconnais que le représentant n’a pas présenté comme preuve un affidavit à l’appui de son observation, ni la demanderesse ni son fiancé n’ont fourni des éléments de preuve qui contrediraient l’observation du représentant, malgré le fait qu’ils ont eu la possibilité de le faire. À l’audience relative à la demande, l’avocat de la demanderesse a en fait confirmé que le fiancé a bel et bien examiné une version de la demande avant qu’elle ne soit parachevée.

[12] Il ne s’agit pas d’une affaire où un représentant a informé erronément un demandeur qu’il n’avait pas à divulguer un refus antérieur, comme dans l’affaire Aluthge. En fait, la demanderesse allègue en l’espèce que le représentant avait connaissance des refus antérieurs, mais qu’il a omis de les inclure dans la demande. Je n’ai reçu aucun élément de preuve de la demanderesse indiquant qu’elle a cherché à examiner sa demande avant qu’elle ne soit présentée. En effet, il semblerait qu’elle ait délégué la transmission de l’information clé fournie au représentant à son fiancé et à sa sœur et délégué l’examen de la demande à son fiancé, et que ni l’un ni l’autre n’ont fourni d’affidavits dans le cadre de la présente demande. Compte tenu des circonstances, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a fourni suffisamment d’éléments de preuve clairs lui permettant de démontrer que son représentant a fait preuve d’incompétence à l’égard de cette question.

[13] D’ailleurs, fait plus important encore, il faut rappeler qu’un demandeur qui présente une demande de permis de travail a une obligation de franchise. La demanderesse a décidé de s’en remettre à son représentant pour fournir les renseignements nécessaires sans les vérifier elle-même. Je conclus qu’il serait contraire à l’obligation de franchise imposée aux demandeurs de permettre à la demanderesse de demander l’annulation de la décision de l’agent en faisant valoir que son représentant aurait omis de divulguer les refus antérieurs, alors qu’elle n’a pas elle-même examiné sa demande pour s’assurer que celle-ci était véridique et complète [voir Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425 aux para 41-42]. Dans de telles circonstances, il serait illogique de permettre qu’une allégation d’incompétence l’emporte sur l’incompétence dont la demanderesse a fait preuve la dans l’exécution de cette obligation.

[14] Pour ce qui est de l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le représentant a faussement déclaré qu’il était avocat, je ne suis pas convaincue qu’il s’agit d’un motif d’incompétence distinct dont la Cour doit tenir compte.

[15] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a satisfait au premier volet du critère tripartite relatif à la représentation incompétente, ce qui est un motif suffisant pour conclure que la demanderesse n’a pas démontré qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale découlant de l’incompétence d’un représentant. La demande sera donc rejetée.

[16] Les parties ne proposent aucune question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12366-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12366-22

INTITULÉ :

RITU ANTTAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 AVRIL 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AyLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2024

COMPARUTIONS :

Amanat Sandhu

POUR LA DEMANDERESSE

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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