Date : 20250106
Dossier : IMM-9395-22
Référence : 2025 CF 28
Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2025
En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis
ENTRE :
|
FARID ZIANE |
demandeur |
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Farid Ziane [demandeur], citoyen d’Algérie, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 12 septembre 2022 [Décision], confirmant le rejet de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SAR a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], puisque le demandeur n’a pas établi une possibilité sérieuse de persécution, ni démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un risque à Alger et à Oran, ayant une possibilité de refuge intérieur [PRI] à ces endroits en Algérie.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la Décision était déraisonnable.
I. Contexte factuel
[3] Le demandeur est citoyen algérien. Il fait partie d’un groupe de musique et d’une association portant le même nom, soit Adjiyal Aissaoua. Avec son groupe de musique, ils ont donné plusieurs spectacles en Algérie qui étaient organisés et financés par l’ancien régime du président Bouteflika. Lors de la période d’élection en 2019, il a donné une prestation musicale en soutien de Bouteflika. Suite à cette prestation, le demandeur a été menacé de mort et agressé par des manifestants. En avril 2019, le demandeur a été battu par des manifestants s’opposant à la candidature de Bouteflika. En mai 2019, le demandeur aurait été agressé par un groupe de personnes s’opposant à la candidature de Boutaflika. Suite à cet événement, le demandeur s’est réfugié chez sa famille à Chlef avant de se rendre au Canada le 29 juin 2019. Le 7 juillet 2019, le demandeur signait la demande d’asile au Canada et alléguait la crainte d’être persécuté par les opposants de l’ancien régime (le mouvement Hirak) et le gouvernement en place, du fait de ses opinions politiques et de son soutien à l’ancien président Bouteflika.
[4] Dans une décision datée du 11 janvier 2022, la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Selon la SPR, le demandeur n’avait pas établi l’existence d’un risque prospectif. Le 12 septembre 2022, le demandeur a fait appel de la décision de la SPR, suite à laquelle la SAR l’invitait à présenter des observations concernant une nouvelle question, soit la possibilité d’une PRI. Par Décision datée du 12 septembre 2022, la SAR a rejeté l’appel de la décision de la SPR, ayant conclu que les questions déterminantes étaient l’existence d’un risque prospectif aux mains des autorités algériennes ainsi que l’existence de PRI.
II. Décision sous contrôle judiciaire
[5] La SAR a fait une analyse indépendante du dossier, y compris l’écoute de l’enregistrement de l’audience. En procédant à cette analyse, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’un risque prospectif aux mains de l’État algérien et que le demandeur bénéficie d’une PRI à Alger et à Oran.
[6] Premièrement, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi de possibilité sérieuse de persécution ni démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un risque selon le paragraphe 97(1) de la LIPR aux mains des autorités algériennes, et ce, advenant son retour en Algérie. La SAR a souligné que, malgré le départ du président Bouteflika, le parti au pouvoir en Algérie demeure le même, soit le Front de libération nationale [FLN]. Ce parti est celui pour lequel le demandeur et l’association artistique dans laquelle il était impliqué ont travaillé dans le passé. Ensuite, la SAR a considéré le profil du demandeur et en est arrivée aux conclusions suivantes: le demandeur n’était ni ministre ni politicien ou élite du domaine des affaires, soit des individus qui, selon la preuve documentaire, ont été arrêtés et accusés de corruption suite à l’élection du nouveau président; le demandeur n’allègue pas avoir été accusé ou menacé par les autorités algériennes depuis le départ de Bouteflika en 2019; le demandeur a pu quitter l’Algérie sans problème et de façon régulière puisqu’un timbre de sortie algérien apparait à son passeport; selon la preuve documentaire, les Algériens qui ont quitté légalement leur pays n’ont généralement pas de problèmes à leur retour en Algérie; rien dans la preuve documentaire objective ne permet de conclure que des personnes ayant un profil comme le demandeur, soit un profil politique peu important et ayant démontré un appui à Bouteflika dans le passé, seraient ciblées en Algérie par le régime en place; rien dans la preuve documentaire ne permet de conclure que les anciens proches de Bouteflika et ses supporters, comme le demandeur, seraient maintenant accusés de terrorisme; le demandeur n’allègue pas être recherché par les autorités algériennes; et rien ne permet de conclure que les autorités algériennes savent qu’il a demandé l’asile au Canada. Bien que le demandeur se soit appuyé sur un document publié en 2014, la SAR a précisé qu’un rapport préparé par le « Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides de la Belgique en 2020 »
révèle que les Algériens ayant quitté légalement l’Algérie n’auraient généralement pas de problèmes à leur retour au pays, et que ce sont plutôt les militants du Hirak qui attirent l’attention.
[7] Deuxièmement, le demandeur a le fardeau de prouver qu’il fera face à un risque sérieux de persécution à Alger ou à Oran, advenant sa relocalisation dans l’une de ces villes. Pour ce faire, la SAR a procédé au test en deux volets : le demandeur doit d’une part, démontrer une possibilité sérieuse de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, un risque au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR dans les PRI proposées, et d’une autre part, démontrer qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui de trouver refuge dans les PRI proposées. Selon la SAR, le demandeur ne s’est pas déchargé de ce fardeau.
[8] Sur le premier volet, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les manifestants en Algérie qui s’en sont pris à lui seraient encore à sa recherche et auraient la motivation de le retrouver à Alger ou à Oran. La SAR a accepté que le demandeur ait été membre d’un groupe de musique qui a participé à de grands événements nationaux; qu’en 2019, il a été menacé de mort suite à une prestation musicale en soutien à l’ancien président Bouteflika; qu’il a été agressé par un groupe de personnes en 2019; et que des personnes de son quartier d’Oued Rhiou en Algérie ont questionné des membres de sa famille pour savoir quand il rentrerait au pays.
[9] Cependant, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré que les opposants politiques de la région où il réside, soit dans la région d’Oued Rhiou, qui l’ont ciblé dans le passé, auraient l’intérêt et la motivation de le rechercher dans les PRI proposées. La SAR a considéré le fait que le demandeur a quitté l’Algérie depuis plus de trois ans; que plus d’une année s’est écoulée depuis que des gens ont demandé de ses nouvelles aux membres de sa famille; que le demandeur ne connaît pas les personnes qui l’ont agressé en 2019 et qu’il s’agissait d’incidents isolés dans un contexte électoral précis; et que Bouteflika n’est plus au pouvoir et que des élections ont été tenues.
[10] La SAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré de risque aux mains des opposants politiques ni aux mains du gouvernement dans les PRI proposées. En considérant le profil du demandeur, la SAR a estimé que le demandeur a un profil politique peu important, bien qu’il ait participé à des événements à caractère politique et qu’il ait montré son support à Bouteflika. Il n’a pas été considéré comme étant un politicien ou un fonctionnaire. En analysant la preuve documentaire objective, la SAR en était venue à la conclusion que rien dans cette preuve ne permettait de conclure que les personnes ayant un profil politique peu important, ni même celles qui auraient un profil politique important, et qui ont démontré un appui à Bouteflika, seraient ciblées par le peuple en Algérie. La preuve démontrait aussi que les manifestations en lien avec le mouvement Hirak étaient majoritairement pacifiques, que la violence a été évitée et qu’on n’y rapportait pas d’incidents où des supporters de Bouteflika auraient été agressés.
[11] Quant à la criminalité en générale, la SAR a pris en considération la preuve documentaire la plus récente qui révélait que les crimes les plus fréquents sont ceux d’opportunités tels que les vols et qu’Alger est une ville davantage sécuritaire que les plus petites villes en raison d’un important déploiement des forces de sécurité. En ce qui concerne la possibilité de travailler à Alger ou à Oran, le demandeur n’a pas démontré qu’il ne pourrait pas exercer en tant que musicien. La SAR a concédé qu’il est possible que le demandeur n’obtienne plus de contrat auprès du gouvernement en tant que musicien. Cependant, la SAR a réitéré que les incidents de 2019 s’étaient déroulés dans un contexte électoral et dans une ville en particulier, et que rien dans la preuve documentaire ne permettait de conclure que les personnes ayant appuyé Bouteflika dans le passé auraient de la difficulté à trouver du travail en Algérie.
[12] Sur le deuxième volet, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré qu’il serait déraisonnable de chercher refuge à Alger ou à Oran. La SAR a pris en compte la crainte du demandeur d’être ciblé par les opposants au régime, mais note que le demandeur n’avait pas donné d’autres raisons pour lesquelles il ne pourrait s’établir à Alger ou à Oran. Que ce soit dans la preuve documentaire objective ou testimoniale, le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de démontrer l’existence de conditions à Alger et à Oran qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité. De plus, la SAR a souligné que le demandeur n’a pas démontré qu’il ne pourrait travailler et se loger dans les PRI proposées, qu’il est de confession musulmane et que l’islam est la religion de l’État en Algérie, et qu’il parle les langues courantes du pays. Ainsi, le demandeur n’a pas démontré qu’il ne pourrait subvenir à ses besoins, se loger et pratiquer sa religion à Alger ou à Oran.
[13] Au final, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des cinq motifs de la Convention ni démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’advenant un retour en Algérie, il serait personnellement exposé à une menace à sa vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités selon le paragraphe 97(1) de la LIPR.
III. Norme de contrôle et question en litige
[14] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SAR que le demandeur n’ait pas démontré l’existence d’un risque prospectif aux mains de l’État algérien et que le demandeur ait une PRI dans les villes d’Alger et Oran est raisonnable.
[15] La norme de la décision raisonnable s’applique à la décision faisant l’objet du présent contrôle et aux conclusions sur l’existence d’un risque prospectif aux mains des autorités algériennes et sur l’existence d’une PRI viable (Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386 au para 19; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 17; Kaisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 789 au para 11).
[16] La Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’une cour procède au contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (c. à d. à un contrôle qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable (voir Vavilov au para 23).
[17] Cette norme « exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence »
envers une décision qui est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov aux para 85 et 99). Lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et se demander si la décision est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Elle doit prendre en compte tant le résultat de la décision que le raisonnement suivi lorsqu’elle évalue si la décision possède ces caractéristiques (Vavilov aux para 15, 95, 136).
[18] Un tel contrôle doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, la Cour de révision doit, pour savoir si la décision est raisonnable, adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision »
et d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse »
tout en cherchant à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). Le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et, à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. « Les cours de révision doivent également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur »
(Vavilov au para 125).
[19] La Cour qui applique la norme de la décision raisonnable ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est « une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif »
(Vavilov au para 13).
[20] Il incombe à la partie qui conteste la décision de prouver qu’elle est déraisonnable. La Cour doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves »
(Vavilov au para 100).
IV. Analyse
A. Le droit applicable
[21] Pour qu’une personne ait la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, elle doit être exposée au risque identifié en tout lieu de son pays d’origine. Si une PRI viable satisfait aux deux volets du critère relatif à la PRI, la demande d’asile présentée au titre de l’article 96 ou 97 de la LIPR sera irrecevable, indépendamment du bien‑fondé des autres aspects de la demande (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7).
[22] Le critère permettant de conclure à une PRI viable a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (CA), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam], et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu] à la p 597. Selon ce critère, le demandeur d’asile doit convaincre la Commission qu’il craint avec raison d’être persécuté dans la région du pays où il demeure et, pour conclure à l’existence d’une PRI, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, des deux choses suivantes :
a. Il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté ou qu’il soit exposé à l’un des risques énoncés à l’article 97 dans la partie du pays où elle juge qu’il existe une PRI;
b. La situation dans cette partie du pays est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui lui sont particulières, de s’y réfugier.
(Rasaratnam aux pp 709-711; Thirunavukkarasu à la p 592)
[23] Lors de l’examen d’une PRI, il est important de se rappeler que le concept de PRI est « inhérent à la définition de réfugié au sens de la Convention »
(Rasaratnam à la p 710). Il en est ainsi parce qu’une PRI n’est pas une défense légale ou une théorie juridique. Il s’agit simplement d’une « expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d’être persécutée dans une partie d’un pays, mais pas dans une autre partie du même pays »
(Thirunavukkarasu à la p 592). Il ne peut y avoir une PRI que si les demandeurs d’asile ont établi une possibilité sérieuse de persécution fondée sur un motif prévu dans la Convention (voir la LIPR, art. 96) ou si le renvoi vers leur pays les expose à un risque de torture ou à un autre risque énuméré, et que ce risque existe partout dans le pays (voir la LIPR, art 97(1)b)(ii)). S’il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution ou que le risque mentionné plus haut n’existe pas dans l’ensemble du pays, il n’y a aucune raison de procéder à une analyse de la PRI.
[24] L’on ne peut conclure à l’élément principal du premier volet du critère relatif à la PRI, à savoir une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou soit exposé à un risque, que si l’on peut démontrer que les agents de persécution ont les moyens et la motivation de le chercher dans l’endroit proposé comme PRI (Saliu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 167 au para 46, citant Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 au para 43).
[25] Le tribunal doit également être convaincu que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres au demandeur, la situation dans l’endroit proposé comme PRI est telle qu’il n’est pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 [Ranganathan] au para 15).
[26] Le deuxième volet du critère relatif à la PRI exige des demandeurs qu’ils démontrent qu’il serait objectivement déraisonnable de leur demander de chercher refuge dans l’endroit proposé comme PRI, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui leur sont particulières (Thirunavukkarasu à la p 597). À cet égard, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est objectivement déraisonnable, la barre est « très haute »
et « il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement »
dans l’endroit proposé comme PRI (Ranganathan au para 15). Ces conditions doivent être établies sur la foi d’une preuve réelle et concrète. Par contre, il ne suffit pas aux demandeurs d’asile « de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S’il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d’être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n’est pas un réfugié »
(Thirunavukkarasu à la p 598).
[27] Il incombe au demandeur de réfuter le caractère raisonnable de la PRI, en tenant compte de sa situation particulière et du pays en cause (Thirunavukkarasu à la p 597). En l’espèce, le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau.
B. La Décision portant sur l’existence d’un risque prospectif aux mains de l’État algérien n’était pas déraisonnable
[28] Selon le demandeur, la SAR a procédé à une analyse restrictive et limitative menant à des conclusions déraisonnables. Reprenant le paragraphe 25 de la Décision, le demandeur argumente que la SAR a admis le lien de causalité entre les agressions et le profil politique du demandeur, mais qu’elle a déraisonnablement conclu à l’absence de risque prospectif:
La SAR accepte que l[e demandeur] a été membre d’un groupe de musique connu en Algérie qui a participé à de grands événements nationaux, qu’en février 2019, il a été menacé de mort suite à une prestation musicale en soutien à Bouteflika et qu’il a été agressé par un groupe de personnes en mai 2019. La SAR accepte également que des personnes de son quartier d’Oued Rhiou en Algérie aient questionné des membres de sa famille pour savoir quand il rentrerait au pays.
(Décision au para 25)
[29] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur qui reprend un paragraphe de la Décision de la SAR concernant le premier volet au test pour déterminer l’existence d’une PRI, mais qui ne tient pas compte d’autres paragraphes de la Décision de la SAR. La SAR s’est basée sur la preuve au dossier et a énoncé ce qui suit aux paragraphes 11 à 16 de sa Décision :
La SPR n’a pas erré en concluant que l[e demandeur] n’a pas démontré l’existence d’un risque prospectif aux mains de l’État algérien
[…]
[11] Il importe tout d’abord de mentionner que malgré le départ du président Bouteflika, le parti au pouvoir en Algérie demeure le FLN, soit le parti pour lequel l[e demandeur] et son association artistique ont travaillé dans le passé.
[12] […] La SAR estime que rien dans la preuve documentaire objective ne permet de conclure que les personnes ayant le profil [du demandeur], soit un profil politique peu important, et qui ont démontré un appui à Bouteflika dans le passé, seraient ciblées en Algérie par le régime en place.
[13] […] En l’espèce, rien dans la preuve n’indique que [le demandeur] a quitté l’Algérie de façon illicite. Au contraire, la SAR constate qu’un timbre de sortie algérien apparait dans son passeport.
[14] La preuve mentionne également que certains rapatriés peuvent attirer l’attention des autorités, car ils peuvent être soupçonnés d’avoir des liens avec des organisations terroristes. En l’espèce, [le demandeur] n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait perçu par les autorités algériennes comme ayant un tel profil. […]
[15] […] Selon la preuve documentaire récente, ce sont plutôt les militants du Hirak, soit ceux qui se sont opposés au gouvernement algérien, qui attirent l’attention des autorités algériennes lors de leur retour au pays. Or, il ne s’agit pas du profil [du demandeur].
[16] En l’espèce, [le demandeur] n’allègue pas être recherché par les autorités algériennes. Rien dans la preuve ne permet de conclure que les autorités algériennes savent qu’il a demandé l’asile au Canada.
[Décision aux para 12-16, notes omises]
[30] À mon avis, la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas établi l’existence d’un risque prospectif aux mains des autorités algériennes et aux mains des opposants au régime. La notion de risque étant de nature prospective, elle doit être examinée dans le contexte du risque actuel ou prospectif (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au para 15; Dion John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1283 aux para 35-36). De plus, la crainte est évaluée au jour de l’audition de la demande d’asile (Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91 au para 25). Comme l’a mentionné le défendeur, le demandeur n’a pas prouvé que sa crainte de retourner en Algérie avait un fondement objectif suivant les affaires Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1995 CanLII 71 (CSC), [1995] 3 RCS 593 au para 120 et Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 345 au para 33.
[31] Le profil du demandeur a été amplement considéré et bien analysé par la SAR. Au paragraphe 32 du Mémoire supplémentaire du défendeur, le défendeur résume les raisons sur lesquelles la SAR s'est basé pour déterminer que le demandeur n'avait pas démontré l'existence d'un risque prospectif aux mains de l'État algérien :
- malgré le départ du président Bouteflika, le parti au pouvoir en Algérie demeure le même, le FLN, soit le parti pour lequel le demandeur et son association artistique ont travaillé dans le passé;
- le demandeur n'était ni ministre ni politicien ou élite du domaine des affaires, soit des individus qui selon la preuve documentaire ont été arrêtés et accusés de corruption suite à l'élection du nouveau président;
- le demandeur n'allègue pas avoir été accusé ou menacé par les autorités algériennes depuis le départ de Bouteflika;
- le demandeur n'allègue pas être recherché par les autorités algériennes et rien ne permet de conclure que les autorités algériennes savent qu'il a demandé l'asile au Canada;
- le demandeur a pu quitter l'Algérie sans problème et de façon régulière puisqu'un timbre de sortie algérien apparait à son passeport;
- selon la preuve documentaire, les Algériens qui ont quitté légalement leur pays n'ont généralement pas de problèmes à leur retour en Algérie;
- rien dans la preuve documentaire ne permet de conclure que des personnes ayant un profil comme le demandeur, soit un profil politique peu important et ayant démontré un appui à Bouteflika dans le passé, seraient ciblées en Algérie par le régime en place; et,
- rien dans la preuve documentaire ne permet de conclure que les anciens proches de Bouteflika et ses supporters, comme le demandeur, seraient maintenant accusés de terrorisme.
[32] Dans les circonstances factuelles de la cause, c’était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas démontré une possibilité sérieuse de persécution aux mains des autorités algériennes. Le demandeur n’a pas le profil de ceux qui ont été arrêtés et accusés de corruption suite à l’élection du nouveau président. Il n’a pas été menacé par les autorités algériennes, et il a pu quitter l’Algérie de façon régulière. Pour ces raisons, il était aussi raisonnable pour la SAR de conclure qu’il ne risque pas d’être ciblé lors de son retour en Algérie puisqu’il n’a pas quitté le pays de façon illicite. La SAR s’est appuyée sur un rapport de 2020, soit sur un document six ans plus récent que le document daté de 2014 sur lequel le demandeur se repose, pour venir à cette conclusion. De plus, la conclusion de la SAR que le demandeur ne sera pas ciblé par le gouvernement advenant son retour parce qu’il n’y a pas de preuve que le gouvernement est au courant qu’il a posé sa demande d’asile est raisonnable.
[33] Le demandeur s’appuie sur le document 14.4 du Cartable national de documentation et argumente que le gouvernement algérien impute à des citoyens algériens une fausse association au mouvement Hirak, qu’ils soient associés ou non à ce mouvement. Après lecture du document en question, je suis d’accord avec le défendeur qui soutient que cet article fait référence aux militants de la diaspora. Le demandeur n’a pas établi qu’il est considéré un militant ni qu’il est soupçonné d’avoir des liens avec les organisations terroristes et donc le document ne lui est pas pertinent.
C. L’analyse de la SAR concluant que le demandeur a une PRI n’était pas déraisonnable
[34] En ce qui concerne le premier volet du test, le demandeur réitère que son profil a été mal évalué par la SAR puisqu’il est connu par son implication aux activités de l’ancien régime et qu’il pourrait ainsi être reconnu à Alger ou à Oran. De plus, le demandeur avance que les preuves documentaires citées par la SAR soutiennent que la protection doit lui être accordée. Citant Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 au paragraphe 43, le demandeur soutient qu’il suffit de prouver selon la balance des probabilités qu’il aurait une possibilité sérieuse de persécution dans les PRI proposées en vertu de l’article 96 de la LIPR.
[35] Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure au premier volet que le demandeur n’avait pas démontré que les opposants politiques de son quartier, Oued Rhiou, qui l’ont ciblé dans le passé, auraient l’intérêt et la motivation de le rechercher dans les PRI proposées. Le défendeur résume bien au paragraphe 39 de son Mémoire supplémentaire, les éléments sur lesquels la SAR s’est appuyée pour venir à cette conclusion:
-le demandeur ne connaît pas les personnes qui l’ont agressé en 2019 dans son quartier;
-le demandeur a été victime d’incidents isolés dans un contexte électoral précis;
-le demandeur n’a pas été recherché par quiconque lorsqu’il a déménagé chez ses grands-parents à Chlef avant de venir au Canada;
-plus d’une année s’est écoulée depuis que des personnes ont questionné la famille du demandeur pour savoir quand il rentrerait au pays;
-le demandeur ne sait pas si les personnes qui cherchent à savoir quand il rentrera au pays sont celles qui l’ont agressé en 2019;
-le demandeur n’allègue pas que des personnes ont proféré des menaces envers lui ou sa famille restée en Algérie; et,
-le demandeur a quitté l’Algérie il y a plus de trois ans et la situation politique a changé depuis son départ;
-la preuve documentaire la plus récente concernant la criminalité en Algérie révèle que les crimes les plus fréquents sont ceux d’opportunités tels que les vols et qu’Alger est une ville davantage sécuritaire que les plus petites villes en raison d’un important déploiement des forces de sécurité;
-bien que le demandeur est connu en Algérie en tant qu’artiste et pourrait être reconnu dans les PRI proposées, il n’est pas un politicien et il a un profil politique peu important et rien dans la preuve documentaire ne permet de conclure qu’il serait ciblé par le peuple en Algérie.
[36] Concernant l’affidavit supplémentaire qui soutient que le demandeur a récemment été recherché, le demandeur admet que la Cour ne peut pas accepter de nouvelles preuves concernant des faits postérieurs à la décision de la SAR qui sont inadmissibles en l’espèce (Ngankoy Isomi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1394 (CanLII) au para 6). Effectivement, lors d'un contrôle judiciaire, la Cour peut uniquement considérer la preuve dont disposait le décideur initial.
[37] Quant au deuxième volet du test, le demandeur soutient que le refuge intérieur doit être « objectivement raisonnable »
selon la décision Thirunavukkarasu. Au soutien de cet argument, le demandeur affirme qu’il ne pourra plus exercer sa profession telle qu’il le voudrait puisque s’il reprend la musique, il s’exposera au grand public, donc à un danger à sa vie. Par ailleurs, il est une personne connue partout en Algérie et il serait plus susceptible à être exposé à la criminalité. De plus, le demandeur souligne qu’il ne sera pas en sécurité à Alger, qui est le centre du mouvement d’opposition le Hirak.
[38] Je ne suis pas d’accord. Comme le défendeur le souligne avec raison, la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas pu démontrer qu’il ne pourrait pas travailler ou se loger dans les PRI proposées et que, dans les faits, il est musulman et que l’islam est la religion de l’État en Algérie, et il parle français et arabe, soit les langues courantes du pays. Tel qu’il a déjà été mentionné, la preuve documentaire révèle que les crimes les plus fréquents en Algérie sont ceux d’opportunités tels que les vols et qu’Alger est une ville davantage sécuritaire que les plus petites villes en raison d’un important déploiement des forces de sécurités.
[39] Pour démontrer qu’une PRI est déraisonnable, le seuil est très élevé; les conditions dans les PRIs doivent être telles que la vie et la sécurité du demandeur d’asile seraient à risque (Ranganathan au para 15). Le rôle de la Cour en contrôle judiciaire n’est pas de réévaluer la preuve documentaire qui a déjà été évaluée par la SAR (Vavilov aux para 124-125). La SAR a raisonnablement déterminé que le demandeur n’a pas démontré qu’il y a un risque soit de l’État ou des opposants au régime dans les PRI proposées.
V. Conclusion
[40] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Mason au para 8; Vavilov au para 99). Je juge que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve d’une manière déraisonnable et n’a pas erré en considérant que le demandeur avait une PRI viable en Algérie.
[41] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la Cour convient que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-9395-22
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Ekaterina Tsimberis »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-9395-22 |
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INTITULÉ :
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FARID ZIANE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 24 juillet 2024 |
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JUGEMENT ET motifs : |
LA JUGE TSIMBERIS |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 6 janvier 2025
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COMPARUTIONS :
Me Miguel Mendez
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pour le demandeur |
Me Margarita Tzavelakos
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pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Meka Légal Inc
Montréal (Québec)
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pour le demandeur |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA Montréal (Québec)
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pour le défendeur |