Dossier : ITA-2367-23
Référence : 2025 CF 96
Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2025
En présence de monsieur le juge McHaffie
Dans l’affaire de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp)
et
Dans l’affaire d’une cotisation ou des cotisations établies par la ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu;
Contre :
DISTRIBUTION CARFLEX INC.
débitrice judiciaire
et
YVAN DRAPEAU
mis en cause
ORDONNANCE ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Distribution Carflex Inc [Carflex] et son âme dirigeante, Yvan Drapeau, sont accusés d’outrage au tribunal. Sa Majesté le Roi du chef du Canada [Sa Majesté] allègue que Carflex et M. Drapeau ne se sont pas conformés à l’ordonnance de cette Cour datée du 2 février 2024 [Ordonnance du 2 février 2024], émise dans le cadre de la présente procédure engagée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) [LIR]. L’Ordonnance du 2 février 2024 enjoint à M. Drapeau, à titre de dirigeant de Carflex, de subir un interrogatoire oral au sujet des biens de Carflex au plus tard le 23 février 2024. Elle enjoint également à Carflex, par l’entremise de M. Drapeau, de produire à Sa Majesté au plus tard le 13 février 2024 une série de documents.
[2] M. Drapeau ne s’est pas présenté pour son interrogatoire le 23 février 2024 et Carflex n’a produit aucun des documents énumérés avant le 13 février 2024. Sa Majesté prétend que l’Ordonnance du 2 février 2024 est claire, que M. Drapeau et donc Carflex ont eu connaissance de cette Ordonnance, et que M. Drapeau et Carflex ont intentionnellement omis de commettre les actes exigés par l’Ordonnance. Il demande donc que M. Drapeau et Carflex soient condamnés pour outrage au tribunal.
[3] Pour les motifs suivants, je déclare Carflex et M. Drapeau non coupables d’outrage au tribunal. Dans les circonstances particulières du dossier et à la lumière de la preuve devant moi au sujet de la signification de l’Ordonnance du 2 février 2024 et de l’état de santé mentale de M. Drapeau, j’ai un doute raisonnable que ce dernier était réellement au courant de ladite ordonnance. Puisque j’ai un doute raisonnable au sujet de l’un des éléments nécessaires pour démontrer l’outrage au tribunal, je dois prononcer l’acquittement.
II. Outrage civil : les principes et les questions en litige
[4] Selon la règle 466b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, quiconque désobéit à une ordonnance de la Cour est coupable d’outrage au tribunal. Dans l’arrêt Carey, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’outrage civil comporte trois éléments : Carey c Laiken, 2015 CSC 17 aux para 32–35. Le premier veut que l’ordonnance dont on allègue la violation formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait. Le deuxième veut que la partie à qui l’on reproche d’avoir violé l’ordonnance doive avoir été réellement au courant de son existence. Le troisième veut que la personne qui aurait commis la violation doive avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte exigé par l’ordonnance.
[5] Cette analyse s’applique à l’outrage au tribunal selon la règle 466b) devant cette Cour : Canadian Pacific Railway Company v Teamsters Canada Rail Conference, 2024 FCA 136 [actuellement disponible seulement en anglais] aux para 8, 11, 22; Bell Canada c Red Rhino Entertainment Inc, 2019 CF 1460 [Red Rhino] au para 14.
[6] Chacun de ces éléments doit être établi hors de tout doute raisonnable et la personne accusée bénéficie de la présomption d’innocence : Carey au para 32; Règles des Cours fédérales, règle 469; Canadian Pacific au para 22; Association canadienne de normalisation c PS Knight Co Ltd, 2021 CF 770 au para 23. Cette norme de preuve rigoureuse constitue une partie importante de l’analyse d’outrage puisqu’elle s’assure que les conséquences pénales qu’entraînent une conclusion d’outrage soient imposées seulement dans les cas appropriés : Carey au para 32.
[7] Dans l’arrêt Red Rhino, une affaire d’outrage civil, le juge Norris a expliqué de manière claire la nature de la norme de la preuve « hors de tout doute raisonnable »
:
Exceptionnellement pour une procédure civile, les demanderesses doivent établir les éléments de l’outrage au tribunal hors de tout doute raisonnable avant que [les défendeurs] ne puissent être déclarés coupables […]. Comme cela est bien connu en matière de procédure pénale, il s’agit d’une norme de preuve exigeante. Afin de s’acquitter de leur fardeau, les demanderesses ne sont pas tenues d’établir les éléments de l’outrage selon une certitude absolue ou hors de tout doute. Toutefois, elles doivent les établir hors de tout doute raisonnable. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou futile ni une possibilité hypothétique. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par la procédure. Il s’agit plutôt d’un doute qui est fondé sur la raison et le bon sens. Il s’agit d’un doute qui a un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve. Une preuve hors de tout doute raisonnable est plus exigeante qu’une preuve selon la prépondérance des probabilités. En fait, si elle est placée sur une échelle des normes de preuve, la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche beaucoup plus de la certitude absolue que de la culpabilité probable. Il ne me suffit donc pas de conclure simplement que [les défendeurs] sont probablement coupables ou vraisemblablement coupables. Si c’est ce qu’établit la preuve, il faut les déclarer non coupables. Je peux conclure que [les défendeurs] sont coupables d’outrage au tribunal uniquement s’il ne subsiste aucun doute raisonnable et que je suis donc sûr qu’ils sont coupables.
[Je souligne; Red Rhino au para 15.]
[8] La Cour d’appel fédérale a récemment souligné, comme l’a fait la Cour suprême, que le pouvoir de la Cour en matière d’outrage est discrétionnaire, et que la Cour retient donc la discrétion de ne pas condamner un défendeur même lorsque les trois éléments sont établis : Canadian Pacific aux para 44, 68–70, citant Carey aux para 36–37. La Cour d’appel souligne également que le pouvoir de la Cour en matière d’outrage ne doit être exercé qu’en dernier recours : Canadian Pacific aux para 22, 70, citant Carey au para 36.
[9] Les seules questions en litige sont donc les suivantes :
Sa Majesté a-t-il prouvé, hors de tout doute raisonnable, les trois éléments de l’outrage au tribunal quant à la débitrice judiciaire Carflex et/ou au mis en cause Yvan Drapeau?
Si oui, la Cour devrait-elle exercer sa discrétion de ne pas ordonner une condamnation malgré la présence des trois éléments?
III. Analyse
A. Sa Majesté n’a pas prouvé les trois éléments de l’outrage au tribunal
(1) Le contexte et l’Ordonnance du 2 février 2024
[10] Cette affaire survient dans le contexte des efforts de recouvrement d’une dette fiscale de Carflex estimée à environ $5 millions en vertu des dispositions de la LIR. Un survol de ces efforts présente le contexte de la demande actuelle en outrage.
[11] Le 19 avril 2023, dans le cadre du présent dossier, cette Cour enregistre un certificat en vertu de l’article 223 de la LIR, certifiant le montant payable par Carflex et prononce une ordonnance provisoire de constitution de charge. Cette ordonnance lève le voile corporatif de Carflex, rendant ainsi M. Drapeau personnellement responsable de la dette fiscale de la corporation, et ordonne qu’une charge provisoire soit constituée sur un immeuble à Montréal lié à M. Drapeau. Le même jour, cette Cour prononce aussi une ordonnance dans le dossier T-808-23 autorisant la ministre du Revenu national à exécuter immédiatement des mesures de recouvrement énumérées aux alinéas 225.1(1)a) à g) de la LIR.
[12] Sa Majesté rencontre des difficultés dans la signification de l’ordonnance provisoire de constitution de charge à M. Drapeau, ce dernier n’ayant pas d’adresse connue au Québec. Sa Majesté dépose donc en avril 2023 une requête écrite ex parte en vertu de la règle 139 des Règles des Cours fédérales afin d’obtenir une ordonnance permettant la signification des documents à M. Drapeau par courriel. Sa Majesté propose de signifier les documents par courriel à trois adresses électroniques : (i) l’adresse électronique « info@carflex.ca »
, qui a été utilisée par Carflex et qui se trouve dans le système de l’Agence du revenu du Canada [ARC]; (ii) l’adresse électronique « yvandrapeau@gmail.com »
, dite s’être trouvée dans le système de l’ARC; et (iii) l’adresse électronique de l’avocat de M. Drapeau, Me Vanna Vong. Le 1er mai 2023, la Cour émet une ordonnance tel que demandé par Sa Majesté, permettant la signification des documents à M. Drapeau par courriel à ces trois adresses électroniques.
[13] J’ouvre une parenthèse afin de noter que l’adresse électronique « yvandrapeau@gmail.com »
qui fait partie de la demande de Sa Majesté et l’ordonnance du 1er mai 2023 n’est pas conforme avec l’adresse « gmail »
qui semble s’être trouvée dans le système de l’ARC auquel Sa Majesté a fait référence (voir dossier de Sa Majesté, p 484). Je note ce fait entre parenthèses parce que cet aspect du dossier de Sa Majesté était devant la Cour, mais n’a pas été soumis en preuve pour les fins de l’audience en outrage. En effet, comme discuté ci-dessous, aucune preuve n’a été déposée pour les fins de cette demande en outrage pour établir que l’adresse électronique « yvandrapeau@gmail.com »
est une adresse électronique valide ou connue par M. Drapeau. Au contraire, la preuve indique que son adresse électronique personnelle est différente (pièce P-18; pièce P-23 à la p 187, question 1109). Je retournerai à cette question plus tard.
[14] Le 5 mai 2023, Me Vong écrit à la procureure de Sa Majesté, Me Kloé Sévigny, au sujet d’une demande d’interroger M. Drapeau à titre de dirigeant de Carflex. Entre autres, Me Vong propose que l’interrogatoire soit fait par écrit étant donné l’âge et les problèmes de santé de M. Drapeau.
[15] Le 9 mai 2023, Sa Majesté signifie par courriel aux trois adresses électroniques répertoriées dans l’ordonnance du 1er mai 2023 une assignation à comparaître destinée à M. Drapeau, à titre de dirigeant de Carflex. L’assignation l’enjoint de se présenter le 26 mai 2023 pour être interrogé à l’appui de l’exécution des mesures de recouvrement et de fournir des documents à cet égard. L’assignation spécifie en détail les documents à produire, soit les documents corporatifs, financiers, fiscaux, contractuels et transactionnels de Carflex, ainsi que les documents au sujet des biens de M. Drapeau.
[16] Au cours du mois de mai 2023, Me Vong écrit à Me Sévigny indiquant que son client n’est pas apte à subir un interrogatoire en raison de problèmes médicaux. Il suggère à nouveau de tenir l’interrogatoire par écrit ou de le remettre à une autre date selon l’évolution de la condition médicale de M. Drapeau. Il présente un « Certificat médical d’incapacité de travail »
, attestant l’incapacité de M. Drapeau de travailler entre le 15 mai et le 25 juin 2023. L’interrogatoire du 26 mai 2023 est ainsi reporté.
[17] Le 20 juillet 2023, Sa Majesté signifie par courriel à M. Drapeau une nouvelle assignation à comparaître, lui tenant de se présenter le 28 juillet 2023 et de fournir les mêmes documents énumérés dans l’assignation à comparaître originale. M. Drapeau ne se présente pas à l’interrogatoire le 28 juillet 2023 et ne fournit aucun des documents énumérés à l’assignation à comparaître. Par courriel envoyé en après-midi du 28 juillet, Me Vong indique qu’il est en vacances depuis la semaine précédente et que ni lui ni M. Drapeau n’étaient informés de l’interrogatoire.
[18] Le 6 décembre 2023, cette Cour émet une ordonnance permettant la signification à Carflex par courriel à l’une des adresses électroniques trouvées dans l’ordonnance du 1er mai 2023, soit « info@carflex.ca »
.
[19] Le 13 décembre 2023, Sa Majesté dépose une requête écrite visant à constater le défaut de M. Drapeau de comparaître et à lui ordonner de comparaître, de subir un interrogatoire et de fournir les mêmes documents énumérés dans l’assignation à comparaître originale. Carflex et M. Drapeau répondent à cette requête. Dans un affidavit, M. Drapeau indique qu’il a eu et a toujours de graves problèmes de santé, y compris des problèmes cardiaques au mois de novembre 2022, et qu’il prend des médicaments pour une dépression sévère depuis le printemps 2023. Il atteste également qu’il n’est pas en mesure de subir un interrogatoire oral en personne de quatre heures. Il joint à son affidavit une « Attestation d’arrêt de travail / école »
d’une clinique médicale qui donne un diagnostic de sa condition de santé mentale et qui atteste que M. Drapeau « sera en arrêt de travail / école »
pour la période du 13 décembre 2023 au 24 janvier 2024. M. Drapeau propose d’être interrogé pour une courte durée par visioconférence.
[20] Dans l’Ordonnance du 2 février 2024, la juge Tsimberis de cette Cour accorde la requête de Sa Majesté. Elle note dans sa décision que M. Drapeau est la seule personne physique capable d’être interrogée au nom de Carflex et qu’il doit le faire. Elle note également que la preuve apportée concernant l’état de santé de M. Drapeau est insuffisante pour conclure qu’il est dans l’incapacité médicale de se faire interroger. Elle ordonne alors que M. Drapeau subisse un interrogatoire dans les 20 jours suivant l’ordonnance à la Cour fédérale à Montréal et qu’il produise les documents requis au plus tard dans les 10 jours de la date de l’ordonnance ou à tout autre moment convenu entre lui et Sa Majesté. La juge Tsimberis confirme dans son ordonnance qu’à défaut de se conformer à l’ordonnance, Carflex et M. Drapeau pourront être reconnus coupables d’outrage au tribunal. L’Ordonnance du 2 février 2024 n’a pas fait l’objet d’un appel.
[21] Après avoir reçu l’Ordonnance du 2 février 2024, la procureure de Sa Majesté envoie à Me Vong un courriel le même jour confirmant que l’interrogatoire aura lieu le 23 février 2024 et que les documents listés dans l’ordonnance doivent être acheminés au plus tard le 13 février 2024. Le 5 février 2024, Sa Majesté signifie l’Ordonnance du 2 février 2024 à Carflex par courriel à l’adresse électronique « info@carflex.ca » et à M. Drapeau par courriel aux trois adresses électroniques identifiées dans l’ordonnance du 1er mai 2023.
[22] Le 23 février 2024, Me Vong se présente à la Cour fédérale à Montréal, où il dit que M. Drapeau l’a contacté le soir du 22 février 2024 pour lui dire qu’il était dans l’impossibilité de se présenter pour des raisons médicales. Il n’est pas contesté que M. Drapeau et Carflex n’ont fourni aucun document avant le 13 février 2024 ni que M. Drapeau ne s’est pas présenté pour un interrogatoire avant le 23 février 2024, comme l’exige l’Ordonnance du 2 février 2024.
(2) Procédures menant à la présente décision
[23] Le 30 mai 2024, Sa Majesté dépose une requête ex parte pour une ordonnance de citation à comparaître pour outrage au tribunal en vertu de la règle 467 des Règles des Cours fédérales, fondée sur le non-respect de l’Ordonnance du 2 février 2024. Cette requête est accordée le 12 juin 2024 par la juge Azmudeh de cette Cour, concluant que la preuve démontre que Carflex et M. Drapeau ont, prima facie, contrevenu à l’Ordonnance du 2 février 2024. La juge Azmudeh ordonne que Carflex et M. Drapeau comparaissent en personne devant un juge de cette Cour à Montréal le 11 juillet 2024.
[24] Le 28 juin 2024, Sa Majesté signifie à Carflex et M. Drapeau par courriel l’ordonnance de la juge Azmudeh ainsi que d’autres documents pertinents à l’audience, y compris le dossier de requête déposé devant la juge Azmudeh et de la divulgation supplémentaire de preuve. Le 3 juillet 2024, Sa Majesté dépose à la Cour ces documents et la preuve de leur signification.
[25] L’après-midi du 10 juillet 2024, le jour précédent l’audience, Me Vong écrit à la Cour indiquant qu’il n’a pris connaissance de l’ordonnance de la juge Azmudeh que le 4 juillet 2024 et qu’il a un conflit d’horaire avec une autre audience devant une autre Cour. Me Vong, au nom de ses clients, demande la remise de l’audience.
[26] Le 11 juillet 2024, M. Drapeau se présente à la Cour avec Me Vong. La demande de remise est reprise oralement au début de l’audience. Pour les motifs exprimés dans mon ordonnance de ce jour, l’audience est reportée au 22 août 2024 à condition que Carflex, par l’entremise de son dirigeant M. Drapeau, produise les documents énumérés dans l’Ordonnance du 2 février 2024 avant le 22 juillet 2024 et que M. Drapeau subisse un interrogatoire oral le 25 juillet 2024.
[27] L’interrogatoire de M. Drapeau a finalement lieu le 25 juillet 2024. Le 15 août 2024, Sa Majesté dépose une deuxième divulgation supplémentaire de preuve, qui comprend la transcription de l’interrogatoire et une mise à jour de la dette de Carflex (à la date du 12 août 2024, il s’agit d’un total d’environ $2,28 millions après l’application de certains fonds saisis). Le 21 août 2024, M. Drapeau dépose un affidavit joignant certains documents médicaux.
[28] L’audience de la requête en outrage commence le 22 août 2024. Me Samy Ziada représente Carflex et M. Drapeau en remplacement de son collègue Me Vong. Sa Majesté présente comme témoin Patrick Savage, Personne-ressource/Agent de cas complexes avec l’ARC impliqué dans le cas de Carflex. M. Drapeau présente également son témoignage. J’accorde la demande de Carflex et de M. Drapeau de continuer l’audience le 23 août 2024 pour permettre le témoignage de Dre Danielle Serra. Les parties présentent leurs plaidoiries finales le 26 août 2024 par vidéoconférence.
(3) Les éléments de l’outrage au tribunal
[29] Sa Majesté allègue que M. Drapeau est coupable d’outrage au tribunal parce qu’il a contrevenu au paragraphe 1 de l’Ordonnance du 2 février 2024, qui l’ordonne de subir un interrogatoire oral à titre de dirigeant de Carflex dans les 20 jours de l’ordonnance. Sa Majesté allègue que Carflex est coupable d’outrage au tribunal parce qu’elle a contrevenu au paragraphe 2 de l’Ordonnance du 2 février 2024, qui l’ordonne de transmettre certains documents dans les 10 jours de l’ordonnance.
a) Ordonnance claire et non équivoque
[30] Sa Majesté a établi hors de tout doute raisonnable que l’ordonnance dont la violation est alléguée formule de manière claire et non équivoque ce qui doit être fait : Carey au para 33. Carflex et M. Drapeau ne prétendent pas le contraire. Le paragraphe 1 de l’Ordonnance du 2 février 2024 spécifie clairement la nature de l’interrogatoire, sa durée, son endroit et ses modalités. Le paragraphe 2 spécifie de façon détaillée les documents à produire. Ce que M. Drapeau et Carflex sont ordonnés de faire est tout à fait clair et ne peut pas être mal compris.
b) Connaissance réelle de l’existence de l’ordonnance
[31] Le deuxième élément constitutif de l’outrage civil veut que l’accusé doit avoir été réellement au courant de l’existence de l’ordonnance en question. Comme le confirme la Cour suprême, il est possible de conclure à la connaissance de l’ordonnance ou d’imputer la responsabilité à la personne en se fondant sur le principe de l’aveuglement volontaire : Carey au para 34, citant Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1990 CanLII 120 (CSC) à la p 226 et College of Optometrists of Ontario v SHS Optical Ltd, 2008 ONCA 685 [seulement disponible en anglais] au para 71.
[32] Comme je l’ai indiqué, Sa Majesté a signifié l’Ordonnance du 2 février 2024 à Carflex par courriel à l’adresse électronique « info@carflex.ca »
, et à M. Drapeau par courriel aux trois adresses électroniques identifiées dans l’ordonnance du 1er mai 2023, soit « info@carflex.ca »
, « yvandrapeau@gmail.com »
et l’adresse électronique de Me Vong. Me Vong a confirmé sa réception et sa connaissance de l’Ordonnance du 2 février 2024. Il a également, lors de la séance brève du 23 février 2023 à la Cour fédérale à Montréal, confirmé qu’il a « communiqué »
à ses clients l’Ordonnance du 2 février 2024.
[33] Sa Majesté s’appuie sur ces faits pour établir que M. Drapeau, et donc Carflex, étaient réellement au courant de l’existence de l’Ordonnance du 2 février 2024. Il prétend que la connaissance de Me Vong devrait être attribuée à ses clients, M. Drapeau et Carflex, et que, de toute façon, ces derniers ont été signifiés selon les modalités autorisées par cette Cour.
[34] Il est important de souligner à cet égard que le deuxième élément d’outrage consiste en la connaissance réelle de l’ordonnance et non simplement sa signification valide selon les règles procédurales ou une ordonnance de la Cour : Bhatnager aux pp 224–226. À cet égard, le juge Sopinka a confirmé dans l’arrêt Bhatnager que la signification valide d’une ordonnance au procureur ne crée pas une présomption de connaissance de l’ordonnance par le client : Bhatnager à la p 226. Il a même confirmé explicitement que les Règles de la Cour fédérale, alors en vigueur, définissent les modes de signification, mais « elles ne visent pas à écarter les éléments nécessaires pour établir l’outrage au tribunal »
: Bhatnager à la p 228. Au contraire, la partie qui allègue l’outrage a l’exigence stricte en common law de démontrer la connaissance réelle de la part de l’auteur de l’outrage allégué : Bhatnager à la p 226; Carey au para 34. Comme l’a indiqué la Cour suprême, la Cour peut conclure à la connaissance dans les circonstances, mais la signification valide ne prouve pas en elle-même la connaissance réelle et ne crée pas une présomption à cet égard : Carey au para 34.
[35] Comme le souligne Sa Majesté, l’affaire Bhatnager concernait la culpabilité de deux ministres de la Couronne en outrage au tribunal pour le non-respect d’une ordonnance qui a été signifiée à ses procureurs. Dans ce contexte, la question de la connaissance réelle des ministres après la signification de leurs avocats était en jeu. Cependant, les principes énoncés dans Bhatnager s’appliquent de façon générale et le fait qu’ils étaient appliqués dans un certain contexte factuel dans l’arrêt ne mine pas leur application à d’autres contextes.
[36] Dans le cas en espèce, à la lumière de la preuve qui a été présentée devant moi, y compris la preuve médicale qui n’était ni devant la juge Tsimberis ni la juge Azmudeh, j’ai un doute raisonnable quant à la connaissance réelle de M. Drapeau, et donc de Carflex, de l’Ordonnance du 2 février 2024. J’arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.
[37] En premier lieu, j’estime que je ne peux pas conclure dans les circonstances actuelles que la signification de l’Ordonnance du 2 février 2024 aux adresses électroniques « info@carflex.ca »
et « yvandrapeau@gmail.com »
ont eu comme résultat la connaissance réelle de M. Drapeau. Comme j’ai indiqué ci-dessus, il n’y a aucune preuve devant moi démontrant que l’adresse électronique « yvandrapeau@gmail.com »
est une adresse électronique valide qui appartient à M. Drapeau, même si elle comprend son nom. Sa Majesté n’a présenté aucun témoignage ou documentation établissant que l’adresse électronique appartient réellement à M. Drapeau. Au contraire, Me Vong a écrit à Me Sévigny au mois de février 2024 que « M. Drapeau réitère que l’adresse yvandrapeau@gmail.com lui est inconnu[e] » et M. Drapeau a lui-même donné une autre adresse électronique lors de son interrogatoire le 25 juillet 2024. Dans ce contexte, le fait que la Cour a ordonné la signification des documents en utilisant cette adresse électronique n’établit pas hors de tout doute raisonnable que l’adresse électronique est celle de M. Drapeau.
[38] Quant à l’adresse « info@carflex.ca »
, Sa Majesté n’a pas non plus établi que cette adresse électronique appartient à Carflex ou que M. Drapeau en avait, ou a toujours, l’accès. M. Savage n’a pas témoigné à cet égard, aucun document n’a été déposé pour établir ce fait, et Sa Majesté n’a posé aucune question à M. Drapeau pour le confirmer. Étant donné que le fardeau de preuve reste celui de Sa Majesté pour établir les éléments d’outrage au tribunal, et que la question en cause n’est pas la signification valide selon les ordonnances de la Cour mais la connaissance réelle de l’ordonnance en question, je ne peux pas conclure que Sa Majesté a établi que l’envoi de l’Ordonnance du 2 février 2024 à l’adresse électronique « info@carflex.ca »
a eu pour résultat que Carflex ou M. Drapeau en ont eu une connaissance réelle.
[39] Cela dit, je suis satisfait que malgré ces lacunes dans la preuve de Sa Majesté, l’Ordonnance du 2 février 2024 a été envoyée à M. Drapeau par courriel à au moins une adresse électronique valide, et ce, par son propre avocat. L’Ordonnance du 2 février 2024 a été envoyée par la Cour et signifiée par Sa Majesté à Me Vong. Il a confirmé la réception de l’Ordonnance à la Cour le 8 février 2024 après une absence du pays. Lors de la séance brève du 23 février 2023, Me Vong a confirmé qu’il a « communiqué »
l’Ordonnance du 2 février 2024 à M. Drapeau. La preuve devant moi suggère que cette communication a été faite par courriel. On doit présumer que son avocat avait la bonne adresse électronique de M. Drapeau, même si Sa Majesté ne l’avait pas. Je conclus donc que l’Ordonnance du 2 février 2024 a été signifiée à Me Vong et que ce dernier l’a envoyée par courriel à M. Drapeau, au moins peu après sa confirmation de réception du courriel de la Cour le 8 février 2024.
[40] Comme le souligne Sa Majesté, dans certaines circonstances, le fait que le procureur ait été informé d’une ordonnance permet d’inférer que le client en a eu connaissance, et « cette inférence est normale dans le cas ordinaire d’une partie engagée dans des litiges isolés »
: Bhatnager à la p 226. Cependant, je conclus qu’en l’espèce il ne s’agit pas d’un « cas ordinaire »
. Malgré la réception de l’Ordonnance du 2 février 2024 et sa communication à M. Drapeau par courriel—et même s’il y avait de la preuve que les adresses électroniques « info@carflex.ca »
et/ou « yvandrapeau@gmail.com »
étaient valides et accessibles à M. Drapeau—j’ai un doute raisonnable quant à sa connaissance réelle de l’Ordonnance du 2 février 2024.
[41] M. Drapeau a témoigné qu’il n’a pas reçu l’Ordonnance du 2 février 2024, et qu’il a seulement su qu’un interrogatoire était fixé pour le 23 février 2024 quand il a parlé avec Me Vong au téléphone le soir du 22 février 2024. Il a témoigné qu’au cours des mois de décembre 2023, janvier 2024 et février 2024, il était dans un état de dépression parfois violent où il craignait de s’enlever la vie. Il a dit que pendant cette période, il n’ouvrait pas ses courriels et ne répondait à aucun courriel ou appel téléphonique, même de son propre avocat. Les problèmes de santé mentale de M. Drapeau semblent avoir commencé environ au mois de mai 2023, quand la situation de Carflex aurait été médiatisée au Québec. M. Drapeau a témoigné que depuis ce temps il a vu plusieurs médecins, a reçu une recommandation de consulter un psychiatre, a subi un examen psychiatrique et a reçu des prescriptions pour des médicaments antipsychotiques.
[42] Ce témoignage de M. Drapeau au sujet de son état de santé mentale était cohérent avec celui de Dre Serra. Dre Serra travaille dans le domaine de la médecine familiale à la clinique qui traite M. Drapeau depuis le mois d’octobre 2023. Dre Serra n’est pas psychiatre, mais elle a travaillé tout au long de sa carrière avec des patients avec des conditions de santé mentale telles que la dépression. Elle a été qualifiée, sans objection de la part de Sa Majesté, comme témoin experte dans le domaine de la médecine familiale et comme l’une des médecins traitants de M. Drapeau. L’opinion de Dre Serra était fondée sur sa lecture du dossier médical de M. Drapeau, y compris des rapports psychiatriques préparés par d’autres professionnels de la santé, et sur au moins deux rencontres avec M. Drapeau.
[43] Dre Serra a préparé un bref rapport qui constate, entre autres, que M. Drapeau est suivi à la clinique depuis le 16 octobre 2023 pour des conditions de santé mentale. Sans vouloir répéter dans ce jugement trop d’informations médicales, Dre Serra décrit ses symptômes et ses deux évaluations en psychiatrie en avril et juillet 2024. Elle conclut qu’on peut affirmer que M. Drapeau était inapte à s’occuper adéquatement de ses affaires, incluant les procédures judiciaires l’impliquant, et même de ses activités personnelles en raison de ses troubles de santé mentale depuis au moins octobre 2023 jusqu’à la date du rapport en août 2024. Dre Serra a confirmé et a expliqué cette opinion lors de son témoignage. Elle a témoigné, entre autres, que des tentatives antérieures de traitement pharmaceutiques n’ont pas réussi, mais que l’état de santé mentale de M. Drapeau s’est amélioré depuis le début d’un nouveau régime de médicament au mois de juillet 2024.
[44] En termes généraux, l’opinion de Dre Serra n’a pas été matériellement minée en contre-interrogatoire. Il y avait certainement des aspects de la preuve médicale qui n’étaient pas idéales. Par exemple, les rapports psychiatriques auxquels le rapport de Dre Serra se réfère n’ont pas été soumis en preuve. Dre Serra a aussi tiré sa conclusion que M. Drapeau était toujours inapte à s’occuper de ses affaires jusqu’au mois d’août 2024 sans savoir qu’il s’était présenté pour un interrogatoire au mois de juillet 2024. Cela dit, je ne suis pas obligé de trancher la question de la capacité, au sens juridique, de M. Drapeau à subir un interrogatoire, surtout au mois de juillet et août 2024. Je dois seulement déterminer s’il y a un doute raisonnable que M. Drapeau a eu connaissance réelle de l’Ordonnance du 2 février 2024. À cet égard, le témoignage de Dre Serra fournit un contexte et une base médicale pour le témoignage de M. Drapeau selon lequel il n’ouvrait pas ses courriels et ne répondait pas au téléphone à cause de son état dépressif.
[45] Ce témoignage est aussi cohérent avec les rapports de signification de Sa Majesté, préparés par un huissier de justice. Il faut noter que le rapport relié au courriel de Me Vong indique non seulement que le courriel a été « reçu par la plateforme d’envoi »
et, deux secondes plus tard, « livré et signifié au destinataire »
, mais aussi qu’il a été « ouvert par le serveur de Google »
(Me Vong utilise une adresse électronique Gmail) et « ouvert par le serveur d’Apple »
. Le rapport n’indique pas que le courriel a été « ouvert par le destinataire »
, peut-être parce qu’il a été préparé le 5 février 2024, alors que Me Vong n’a confirmé la réception à la Cour que le 8 février 2024 après son retour au pays.
[46] Contrairement, les rapports de signification reliés aux courriels envoyés à « info@carflex.ca »
indiquent seulement qu’ils ont été « reçu par la plateforme d’envoi »
et, deux secondes plus tard, « livré et signifié au destinataire »
, sans indication qu’ils ont été ouverts. Quant au courriel envoyé à « yvandrapeau@gmail.com »
, il indique simplement que le courriel a été « livré et signifié au destinataire »
. Comme l’a confirmé M. Savage en contre-interrogatoire, ces rapports indiquent que les courriels à ces adresses électroniques ont été seulement livrés, mais pas ouverts.
[47] Évidemment, la question de ne pas ouvrir ses courriels soulève celle de l’aveuglement volontaire. Comme l’a confirmé la Cour suprême, il est possible d’imputer la responsabilité à la personne à qui l’on reproche l’outrage en se fondant sur le principe de l’aveuglement volontaire : Carey au para 34; Bhatnager à la p 226. L’aveuglement volontaire, ou l’ignorance volontaire, se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité, préférant rester dans l’ignorance : Sansregret c La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC) au para 22. Il n’y a pas question qu’en règle générale, une partie ne peut pas éviter les conséquences d’une ordonnance de la Cour, ou éviter les conséquences du non-respect d’une telle ordonnance, simplement en l’ignorant délibérément.
[48] En l’espèce, il est certain que M. Drapeau avait une certaine connaissance des procédures judiciaires devant cette Cour, ayant, entre autres, donné un affidavit au mois de janvier 2024 en opposition à la requête de Sa Majesté. Néanmoins, je conserve un doute raisonnable quant à l’aveuglement volontaire au sujet de sa connaissance de l’Ordonnance du 2 février 2024. La preuve n’établit pas que M. Drapeau n’ouvrait pas ses courriels volontairement parce qu’il ne voulait pas connaître la vérité ou qu’il préférait rester dans l’ignorance des ordonnances de la Cour. La preuve indique plutôt, ou au moins soulève un doute raisonnable, que M. Drapeau n’ouvrait pas ses courriels (tous ses courriels et non simplement ceux d’huissiers ou de son avocat) et ne répondait pas au téléphone parce qu’il n’était pas dans une condition de santé mentale qui lui permettait de s’occuper de ses affaires, y compris ses activités personnelles.
[49] Cela m’amène au fait que M. Drapeau savait, le soir du 22 février 2024, que son interrogatoire avait été cédulé pour le lendemain. Selon le témoignage de M. Drapeau, qui est cohérent avec les déclarations de Me Vong lors de la séance le 23 février 2024, il a finalement répondu aux multiples appels de Me Vong le soir du 22 février 2024. Me Vong lui a dit qu’il devait se faire interroger le lendemain matin et il a répondu que c’était impossible puisqu’il n’était pas capable de répondre à rien. Selon les déclarations de Me Vong, M. Drapeau l’a contacté le soir du 22 février pour lui dire « qu’il était dans l’impossibilité de se présenter aujourd’hui, qu’il prend douze (12) médicaments par jour, qu’il […] n’était pas dans un état mental de pouvoir se faire interroger »
.
[50] Il est donc clair que M. Drapeau savait, avant le 23 février 2024, qu’il devait se présenter pour un interrogatoire. J’accepte que la « connaissance réelle »
d’une ordonnance de la Cour puisse comprendre une connaissance de l’existence de l’ordonnance et de son contenu et ne doit pas nécessairement comprendre la réception physique ou la lecture de l’ordonnance elle-même. Cependant, la preuve soulève un doute raisonnable que M. Drapeau comprenait qu’il s’agissait d’une ordonnance de la Cour et qu’il avait donc une connaissance réelle de l’Ordonnance du 2 février 2024 ou de son contenu, soit pour l’interrogatoire, soit pour la production de documents.
[51] Les déclarations de Me Vong n’indiquent pas qu’il a expliqué lors de l’appel du 22 février 2024 qu’il était question d’une ordonnance de la Cour. Il est vrai que M. Drapeau a dit lors de son contre-interrogatoire qu’il n’a pas eu connaissance de l’Ordonnance du 2 février 2024 avant le soir du 22 février 2024, déclaration qui pourrait être comprise comme indication qu’il savait à cette date qu’il s’agit d’une ordonnance de la Cour. Cependant, son témoignage principal était simplement qu’il savait qu’il avait une convocation le 23 février 2024.
[52] Considérant la norme de preuve applicable, et ayant entendu l’ensemble du témoignage de M. Drapeau ainsi que celui de la Dre Serra, mon appréciation de la preuve me laisse avec un doute raisonnable que M. Drapeau savait avant le 23 février 2024, ou même dans les mois qui ont suivi, qu’il y avait une ordonnance l’enjoignant de se présenter pour un interrogatoire et enjoignant son entreprise de produire des documents. J’en tire la même conclusion au sujet de Carflex, étant donné que M. Drapeau est l’âme dirigeante de la corporation et les allégations de Sa Majesté au sujet de la connaissance réelle de Carflex sont également liées à la connaissance réelle de M. Drapeau.
[53] Ayant conclu qu’il existe un doute raisonnable au sujet du deuxième élément d’outrage au tribunal, l’outrage n’est pas établi par Sa Majesté selon la norme applicable et je déclare Carflex et M. Drapeau non coupables d’outrage au tribunal, sans avoir à aborder le troisième élément quant à l’omission intentionnelle d’accomplir un acte exigé.
B. Discrétion résiduelle de la Cour
[54] Considérant que je conclus que les éléments de l’outrage au tribunal ne sont pas établis hors de tout doute raisonnable, je ne suis pas tenu de trancher la question de la discrétion résiduelle de la Cour de ne pas condamner Carflex et/ou M. Drapeau même si les trois éléments avaient été établis : Canadian Pacific aux para 44, 68–70; Carey aux para 36–37. Cela dit, je note brièvement que cette affaire semble être un cas où cette discrétion aurait pu être exercée. Les circonstances particulières du dossier et la santé mentale de M. Drapeau ont évidemment eu un impact assez fort sur sa capacité de participer efficacement à ce litige, au moins pour une certaine période.
[55] On peut bien se demander pourquoi plus d’information au sujet de l’état de santé mentale de M. Drapeau n’a pas été mise devant Sa Majesté ni devant la Cour avant cette audience en outrage du tribunal. Comme l’a constaté la juge Tsimberis, la seule preuve apportée par Carflex concernant l’état de santé de M. Drapeau était une brève lettre médicale, un certificat d’incapacité de travail et une attestation d’arrêt de travail. La juge Tsimberis a conclu que ces documents étaient insuffisants pour établir l’incapacité de M. Drapeau de se faire interroger. On ne peut pas donc reprocher à Sa Majesté la façon dont elle a procédé.
[56] Cela dit, la question d’outrage au tribunal, y compris la discrétion de la Cour, doit être tranchée à la lumière de la preuve admissible présentée lors de l’audience en outrage. C’est effectivement pour cette raison que les Règles des Cours fédérales mandatent une audience et une opportunité de présenter une défense avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal. La preuve qui a été déposée devant moi comprenait plus d’information au sujet des troubles de santé mentale de M. Drapeau et leur impact. Ces facteurs auraient eu la considération sérieuse de la Cour si elle avait été appelée à exercer son pouvoir discrétionnaire en outrage du tribunal en l’espèce.
IV. Conclusion
[57] Pour ces motifs, la Cour déclare Carflex et M. Drapeau non coupables d’outrage au tribunal et rejette la requête de Sa Majesté. Dans toutes les circonstances, y compris la présentation tardive de la preuve médicale par Carflex et M. Drapeau, aucuns frais ne sont accordés.
ORDONNANCE dans le dossier ITA-2367-23
LA COUR STATUE que
La requête de Sa Majesté le Roi du chef du Canada sollicitant une ordonnance condamnant Distribution Carflex Inc et Yvan Drapeau en outrage au tribunal est rejetée, sans frais.
« Nicholas McHaffie »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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ITA-2367-23 |
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INTITULÉ :
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AGENCE DU REVENU CANADA c DISTRIBUTION CARFLEX INC ET AL |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LEs 22, 23, 26 AOÛT 2024 |
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JUGEMENT ET MOTIFS: |
LE JUGE MCHAFFIE |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 16 janvier 2025
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COMPARUTIONS :
Me Kloé Sévigny Me Arianne Gauthier |
Pour LE DEMANDEUR |
Me Samy Ziada |
Pour LA Débitrice judiciaire et le mis en cause |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour lE DEMANDEUR |
ZS Avocats Montréal (Québec) |
Pour LA Débitrice judiciaire et le mis en cause |