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Date : 20250213

Dossier : T-2158-16

Référence : 2025 CF 282

Ottawa (Ontario), le 13 février 2025

En présence de madame la juge McDonald

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

A.B. ET JEAN-PIERRE ROBILLARD

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

Index

I. Contexte 2

A. Preuve présentée à l’appui de la présente requête 2

II. Questions en litige 2

III. Analyse 2

A. Autorisation du recours collectif 2

(1) Cause d’action valable 2

(2) Groupe identifiable 2

(3) Question commune 2

(4) Meilleur moyen de régler 2

(5) Représentants demandeurs 2

(6) Conclusion quant à l’autorisation 2

B. Approbation de l’entente de règlement définitive 2

(1) Critère juridique 2

(2) Principales modalités de l’entente de règlement définitive 2

(3) Probabilité de recouvrement ou de réussite 2

(4) Durée probable du litige 2

(5) Travail juridique entamé 2

(6) Recommandations de l’avocat du groupe 2

(7) Communications avec les membres du groupe 2

(8) Appui au règlement 2

(9) Opposition au règlement 2

(10) Négociations de bonne foi et absence de collusion 2

(11) Conclusion quant à l’approbation de l’entente de règlement définitive 2

C. Approbation des honoraires de l’avocat du groupe 2

(1) Risques, résultats et responsabilité assumés par l’avocat du groupe 2

(2) Complexité de l’instance 2

(3) Importance aux yeux des demandeurs 2

(4) Attentes du groupe et capacité du groupe à payer les honoraires 2

(5) Temps consacré par l’avocat du groupe 2

(6) Honoraires dans des affaires comparables 2

(7) Conclusion quant aux honoraires de l’avocat du groupe 2

D. Versements à titre gratuit 2

E. Nomination de l’administrateur des réclamations 2

Ordonnance dans le dossier T-2158-16 2

Avocats inscrits au dossier 2

 

motifs de l’ordonnance

[1] Dans la présente requête, les demandeurs prient la Cour d’autoriser l’instance comme recours collectif au nom des membres et des anciens membres des Forces armées canadiennes (FAC) qui ont subi de la discrimination ou du harcèlement en raison de la race durant leur service depuis le 17 avril 1985. Ils demandent en outre à la Cour d’approuver l’entente de règlement définitive conclue le 6 juin 2024.

[2] L’entente de règlement définitive prévoit que les membres du groupe pourront individuellement demander le versement, à partir du fonds de règlement de 150 millions de dollars, d’un paiement d’expérience commune de 5 000 $, et les membres du groupe qui choisissent de présenter un témoignage narratif de leur expérience pourront recevoir un paiement supplémentaire pouvant aller jusqu’à 30 000 $. L’entente de règlement définitive prévoit en outre des mesures de redressement systémiques, des processus de démarches réparatrices et des lettres d’excuses personnalisées de la part du Chef d’état-major de la défense.

[3] La présente requête a été entendue à Halifax, en Nouvelle-Écosse, les 16 et 17 juillet 2024. Les membres des FAC ont pu y assister en personne ou virtuellement. La Cour a reçu plus de 600 formulaires de participation présentés par d’éventuels membres du groupe lui faisant part de leur expérience personnelle concernant les propos racistes ainsi que le harcèlement et la discrimination en raison de la race. Ces éventuels membres du groupe ont expliqué que la discrimination dont ils ont été victimes ne se limitait pas à des incidents isolés, mais qu’elle se répétait sans cesse sur de longues périodes et qu’elle a même mené dans certains cas à des changements de carrière. Les membres qui s’opposent au règlement proposé estiment que l’indemnité est trop faible et qu’elle ne tient pas compte des effets à long terme de la discrimination. Ils notent en outre que les auteurs d’actes discriminatoires ne sont pas tenus responsables. Bon nombre d’entre eux soulignent que les FAC doivent apporter des changements structurels pour éliminer la discrimination.

[4] De telles objections ne tiennent pas compte des modalités non pécuniaires prévues par l’entente de règlement définitive, plus particulièrement les mesures de redressement systémiques et les processus de démarches réparatrices. Ces modalités sont conçues précisément pour mettre en œuvre dans les FAC les changements structurels voulus pour contrer la nature systémique de la discrimination raciale et du harcèlement racial.

[5] Le défendeur consent à la requête visant à autoriser la présente instance comme recours collectif et à approuver l’entente de règlement définitive.

[6] Pour accueillir une requête visant à autoriser une instance comme recours collectif et à approuver l’entente de règlement définitive, la Cour doit être convaincue que : 1) il y a lieu d’autoriser l’instance comme recours collectif; et 2) le règlement proposé est juste et raisonnable. La Cour ne peut modifier le règlement proposé : elle peut soit l’approuver soit le rejeter.

[7] J’expose ci-après les motifs pour lesquels j’autorise la présente instance comme recours collectif et approuve l’entente de règlement définitive, selon les modalités convenues. Je suis convaincue que l’entente de règlement définitive est juste et raisonnable et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe en général. J’approuve également les versements à titre gratuit et le paiement des honoraires de l’avocat du groupe.

I. Contexte

[8] La déclaration, en l’espèce, a été déposée le 14 décembre 2016, à titre de recours collectif envisagé contre la discrimination et le harcèlement raciaux systémiques dans les FAC. Elle a été modifiée depuis, mais les revendications principales demeurent les mêmes.

[9] En réponse à la déclaration, le défendeur a déposé, en décembre 2017, une requête en radiation de la déclaration pour divers motifs : notamment l’absence de cause d’action pour négligence du fait que les FAC n’ont aucune obligation de diligence envers leurs membres; l’existence de mécanismes internes de règlement des différends; l’application de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif interdit l’action; et l’application de l’article 92 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes empêche tout droit à une pension ou à une indemnité.

[10] Le défendeur s’est désisté de sa requête en février 2018 après que les parties ont convenu de discuter de la résolution éventuelle de l’affaire.

[11] En août 2019, les parties sont parvenues à une entente de principe en vue de la résolution de l’affaire et ont commencé à déterminer les modalités de l’entente de règlement définitive. Pour ce faire, elles ont retenu les services d’experts indépendants chargés de les conseiller sur des points liés au règlement, notamment le régime d’évaluation du paiement, les mesures de redressement systémiques, les services de soutien à la santé mentale des membres du groupe et l’élaboration d’une approche au processus de réclamation qui est culturellement adaptée et qui tient compte des traumatismes.

[12] Les parties ont informé la Cour qu’elles étaient parvenues à une entente de règlement et ont présenté une requête pour obtenir l’approbation du plan de notification des membres du groupe. J’ai approuvé le plan de notification (2024 CF 505) le 2 avril 2024.

[13] Les parties ont ensuite commencé à envoyer par divers moyens un avis aux éventuels membres du groupe au sein des FAC et aux prestataires d’Anciens combattants Canada. L’avis a été diffusé dans les réseaux sociaux, par intranet, dans les associations d’anciens combattants et dans les publications des anciens combattants. L’avocat du groupe représentant les demandeurs a aussi affiché les avis (détaillés et abrégés) sur son site Web.

[14] L’avis faisait état des dates d’audition de la requête visant à autoriser la présente instance comme recours collectif et à approuver l’entente de règlement définitive. Les membres du groupe ont été invités à remplir le formulaire de participation pour préciser s’ils approuvaient le règlement proposé ou s’ils s’y opposaient. À l’audition de la requête, les formulaires de participation remplis et reçus par l’avocat du groupe ont été mis à la disposition de la Cour.

A. Preuve présentée à l’appui de la présente requête

[15] À l’appui de la requête en autorisation et en approbation, les parties ont présenté les éléments de preuve suivants :

l’affidavit du représentant demandeur A.B., souscrit le 17 juin 2024;

l’affidavit du représentant demandeur Jean-Pierre Robillard, souscrit le 18 juin 2024;

l’affidavit de Lydia S. Bugden, c.r., souscrit le 19 juin 2024. Mme Bugden est chef de la direction et associée directrice du cabinet de Stewart McKelvey, avocat du groupe;

l’affidavit d’Étienne Vincent, souscrit le 12 juin 2024. M. Vincent était scientifique de la Défense auprès du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) (DGRAPM). M. Vincent résume les données passées en revue et la méthodologie employée par le DGRAPM pour évaluer le nombre de membres actifs des FAC, ou de leurs survivants, qui ont servi depuis le 17 avril 1985 et qui s’étaient déclarés comme Autochtones ou membres d’une minorité visible avant le 31 décembre 2020;

l’affidavit de Genevieve Svab, souscrit le 5 juillet 2024. Mme Svab est une adjointe juridique auprès de l’avocat du groupe qui a pris personnellement part à la rédaction, à la collecte et à l’examen des formulaires de participation remplis par les membres éventuels du groupe.

II. Questions en litige

[16] Les questions sont les suivantes :

  • A.Autorisation du collectif

  • B.Approbation de l’entente de règlement définitive

  • C.Approbation des honoraires de l’avocat du groupe

  • D.Approbation des versements à titre gratuit

  • E.Nomination de l’administrateur des réclamations

III. Analyse

A. Autorisation du recours collectif

[17] L’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106 (Règles), précise les conditions et les facteurs à prendre en considération pour autoriser un recours collectif. Cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation étendue, libérale et téléologique si l’on veut réaliser ses objectifs de politique fondamentale d’accès à la justice, d’économie judiciaire, et de modification des comportements (Merlo c Canada, 2017 CF 51 au para 8 [Merlo]).

[18] À l’étape de l’autorisation, l’analyse « ne vise pas à déterminer le bien-fondé des allégations, mais à savoir s’il convient de présenter les allégations en tant que recours collectif » (Heyder c Canada (Procureur général), 2019 CF 1477 au para 25 [Heyder]).

[19] S’il y a règlement négocié du recours collectif et requête en autorisation du recours collectif et en approbation du règlement sur consentement, comme c’est le cas en l’espèce, « le critère d’autorisation est peu exigeant et la Cour peut adopter une démarche moins rigoureuse » (Heyder au para 24).

[20] Forte de ces critères, je passe à l’examen des conditions individuelles pertinentes prévues à l’article 334.16 des Règles.

(1) Cause d’action valable

[21] Pour déterminer s’il y a une cause d’action valable, la Cour tient pour acquis que les faits énoncés dans la déclaration sont véridiques (Merlo au para 12).

[22] En l’espèce, les représentants demandeurs A.B. et Jean-Pierre Robillard font tous les deux état, dans la déclaration modifiée, de leur expérience de la discrimination raciale et du harcèlement racial dans les FAC. Ils exposent en détail les effets personnels, professionnels, physiques et psychologiques du traitement qu’ils ont subi. Ils invoquent la responsabilité du fait d’autrui pour négligence systémique et la violation du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[23] Les demandeurs prétendent que les FAC sont responsables du fait d’autrui pour négligence systémique et ont manqué à leur obligation de diligence :

  • a)pour avoir formulé des propos méprisants concernant la race des demandeurs et des membres du groupe laissant croire que les demandeurs et les membres du groupe sont moins méritants et moins compétents en raison de leur race;

  • b)pour avoir harcelé les demandeurs et les membres du groupe en raison de leur race, de leur origine nationale ou ethnique et de leur couleur;

  • c)pour avoir omis d’intervenir lorsque des préposés de l’État ont formulé des propos méprisants motivés par la race ou se sont livrés à du harcèlement motivé par la race et pour avoir omis de les en tenir responsables;

  • d)pour avoir perpétué en milieu de travail une culture où le racisme est considéré comme acceptable;

  • e)pour avoir omis de mettre en place des politiques, des procédures et des directives pour productivement ou adéquatement répondre aux plaintes de discrimination raciale, enquêter sur celles-ci et y remédier;

  • f)pour avoir omis d’enquêter adéquatement sur les plaintes de discrimination raciale de façon approfondie, rapide, impartiale et efficace;

  • g)pour avoir privé les demandeurs et les membres du groupe de possibilités de carrière au sein des FAC en raison de leur race;

  • h)pour avoir fait fi des rapports de l’ombudsman qui faisaient état du problème systémique de la discrimination raciale dans les FAC ou de l’absence de politiques, de procédure ou de directives adéquates pour y remédier; ou avoir indument fait entrave à ces rapports;

  • i)pour s’être immiscées dans les plaintes sans y être autorisées;

  • j)pour avoir dans les faits puni les demandeurs et les membres du groupe d’avoir porté plainte, les isolant ainsi davantage de leurs pairs dans les FAC.

[24] Notre Cour a établi que les allégations de négligence systémique étayent une cause d’action valable dans les affaires BW c Canada (Procureur général), 2024 CF 77 au para 87, et Thomas c Canada (Procureur général), 2024 CF 655 au para 79.

[25] Les demandeurs soutiennent en outre que les FAC ont violé les droits que leur garantit l’article 15 de la Charte de vivre libres de toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur du fait qu’elles ont :

  • a)permis ou omis de prévenir une différence préjudiciable de traitement à l’égard des demandeurs et des membres du groupe en raison de leur race;

  • b)perpétué des stéréotypes raciaux.

[26] Il y a prima facie violation du paragraphe 15(1) lorsque l’acte : a) crée, à première vue ou par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; et b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 au para 27).

[27] Notre Cour a établi que les allégations fondées sur le paragraphe 15(1) étayaient une cause d’action valable dans les affaires Merlo et Heyder.

[28] Ayant accepté pour véritables les faits invoqués dans la déclaration, je suis convaincue que les demandeurs ont établi une cause d’action valable au sens de l’alinéa 334.16(1)a) des Règles.

(2) Groupe identifiable

[29] Pour ce qui est des quatre autres conditions à l’autorisation, à savoir le groupe identifiable, les points de droit et de fait communs, le meilleur moyen de régler et la qualité des représentants demandeurs, il incombe aux demandeurs de fournir une preuve montrant l’existence d’un « certain fondement factuel » prouvant que ces conditions sont remplies (Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 au para 94).

[30] L’objectif de la description du groupe est d’avoir une définition claire de ceux qui peuvent avoir droit à la réparation étant donné leur appartenance au groupe et de fournir des critères objectifs pour identifier les éventuels membres du groupe (Merlo au para 15).

[31] En l’espèce, la définition proposée du groupe est la suivante :

Toute personne qui est enrôlée dans les Forces armées canadiennes depuis le 17 avril 1985 ou qui l’a été à partir de cette date, et qui a été au service des Forces armées canadiennes pendant toute période allant jusqu’à la date d’approbation, inclusivement, et qui affirme avoir fait l’objet de discrimination raciale ou de harcèlement racial, ou des deux.

[32] La définition proposée du groupe est claire en l’occurrence et il est possible de déterminer aisément si les membres du groupe tombent le sous le coup de cette définition. Je note qu’il pourrait y avoir un grand nombre d’éventuels membres du groupe. L’avocat du groupe a indiqué que plus d’un millier d’éventuels membres du groupe ont communiqué avec lui pour lui faire part d’affaires non résolues de discrimination raciale ou de harcèlement racial dans les FAC. En outre, Étienne Vincent, scientifique de la Défense attaché au DGRAPM, a déclaré que le nombre d’éventuels membres du groupe pourrait s’élever à 45 842 (affidavit de M. Vincent, au para 21).

[33] Compte tenu de ces faits, je suis convaincue que les demandeurs ont fourni un certain fondement factuel pour étayer la définition proposée du groupe. La définition permet d’identifier clairement le groupe et répond aux critères de l’alinéa 334.16(1)b) des Règles.

(3) Question commune

[34] La question commune proposée est en l’espèce : Le défendeur est-il responsable envers les membres du groupe?

[35] La question de la « responsabilité » du défendeur, telle que définie, est le point commun proposé qui s’applique à chacun des membres du groupe qui prétend avoir subi de la discrimination raciale ou du harcèlement racial alors qu’il était membre des FAC.

[36] Le seuil requis pour conclure à la présence de questions communes est peu élevé (Vivendi Canada Inc c Dell’Aniello, 2014 CSC 1 au para 72). La Cour doit aborder le sujet des points communs en fonction de l’objet (Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 au para 108). Il doit toutefois y avoir un fondement probatoire ou un « certain fondement factuel » montrant que des points communs existent, au-delà de la simple prétention dans les actes de procédure (Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 au para 25).

[37] La question commune est un « élément important » des prétentions de chaque membre du groupe, qui permet à l’instance de se poursuivre en tant que recours collectif et évite la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique (Merlo au para 21). En l’espèce, même si certains aspects de la responsabilité et des dommages devront être évalués individuellement, au-delà du paiement d’expérience commune, la question de la responsabilité du défendeur envers chacun des membres du groupe demeure une question commune à chacun des membres du groupe (Merlo au para 25, renvoyant à Cloud v Canada (Attorney General), 2004 CanLII 45444 (ON CA), [2004] OJ no 4924 aux para 64–66).

[38] Vu le seuil peu élevé pour satisfaire aux critères de la question commune et puisque les parties ont négocié un règlement, je suis convaincue que la question commune énoncée satisfait aux objectifs de l’alinéa 334.16(1)c) des Règles.

(4) Meilleur moyen de régler

[39] La question à se poser, en ce qui concerne cette condition, est de savoir si le recours collectif est le meilleur moyen de régler. Comme le dit la Cour dans Heyder au para 37, le recours collectif est le meilleur moyen de régler lorsque :

[l]es procédures liées aux questions comme celles soulevées dans les présentes instances sont complexes et onéreuses. Il est possible que la répartition des frais de justice entre les groupes soit la seule façon pour les membres des groupes d’accéder à la justice. Un recours collectif permet également de faire des économies de ressources judiciaires, d’éviter de tirer des conclusions contradictoires sur des questions communes et de favoriser la modification des comportements. Ces facteurs militent fortement en faveur de l’autorisation.

[40] Il y a en l’occurrence un certain nombre de facteurs en faveur du recours collectif, notamment : la nature systémique des revendications, la taille potentielle du groupe, la crainte de représailles contre les membres des FAC; et la possibilité de répartir les coûts du litige à l’ensemble des membres du groupe.

[41] Dans les circonstances, je suis convaincue que le recours collectif est le meilleur moyen de poursuivre l’instance.

(5) Représentants demandeurs

[42] Selon l’alinéa 334.16(1)e) des Règles, la Cour doit déterminer si les représentants demandeurs :

(i) représenteraient de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) ont élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’ont pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communiquent un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre eux et l’avocat inscrit au dossier.

[43] À l’ouverture de l’audition de la présente requête, l’un des représentants demandeurs, Wallace Fowler, a demandé à se retirer de la présente instance pour poursuivre sa propre action. La demande a été accueillie, et la déclaration a été modifiée pour tenir compte de ce changement. Jusqu’alors, M. Fowler avait toutefois participé activement à la présente instance.

[44] Dans leur affidavit respectif, les deux représentants demandeurs qui restent, A.B. et M. Robillard, relatent la discrimination raciale et le harcèlement racial qu’ils ont personnellement vécus pendant leurs années de service dans les FAC. Ils expliquent leur participation à la présente instance et au processus de règlement sur un certain nombre d’années. Ils exposent en détail leur participation à des réunions, à des téléconférences et à des échanges de courriels avec des avocats tant avant les négociations qui ont mené au règlement et que pendant les négociations elles-mêmes. Ils ont participé activement à la présente instance et ont donné des directives à l’avocat du groupe. Les représentants demandeurs, A.B., Wallace Fowler et Jean-Pierre Robillard, ont été contre-interrogés sur affidavit en vue de la requête en radiation.

[45] En novembre 2016, les représentants demandeurs ont conclu des conventions d’honoraires conditionnels (jointes à leurs affidavits) avec l’avocat du groupe. Ils ont également conclu un plan de l’instance avec l’avocat du groupe et signé un plan de notification détaillé. Ils ont confirmé n’avoir connaissance d’aucun conflit d’intérêts avec les autres membres du groupe, et aucun conflit d’intérêts n’a été signalé.

[46] Dans l’ensemble, je suis convaincue que les représentants demandeurs, qui sont pleinement engagés dans la présente instance depuis des années, représentent et continueront de représenter de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe.

(6) Conclusion quant à l’autorisation

[47] La requête sur consentement visant à autoriser la présente instance comme recours collectif est accueillie.

B. Approbation de l’entente de règlement définitive

(1) Critère juridique

[48] Pour approuver l’entente de règlement définitive, la Cour doit déterminer si le règlement proposé est [traduction] « juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe en général ». La Cour ne peut modifier l’entente de règlement définitive : elle ne peut que la rejeter ou l’approuver selon la norme du caractère raisonnable et non de la perfection (Merlo c Canada, 2017 CF 533 aux para 16–18 [Règlement Merlo]).

[49] La Cour doit faire preuve de retenue face au processus qui a donné lieu au règlement négocié. En outre, lorsque le règlement est négocié d’égal à égal et recommandé par des avocats d’expérience, il existe une présomption d’équité (Heyder aux para 61 et 64).

[50] La jurisprudence fait état des facteurs à prendre en considération pour approuver ou non un règlement. Ces facteurs sont examinés ci-dessous.

(2) Principales modalités de l’entente de règlement définitive

[51] Pour évaluer le caractère raisonnable du règlement proposé, j’expose les principales modalités de l’entente de règlement définitive.

[52] Le 6 juin 2024, les parties ont conclu l’entente de règlement définitive, dont le préambule est le suivant :

Les demandeurs et le défendeur (collectivement, les « parties ») reconnaissent que la discrimination raciale et le harcèlement racial n’ont pas leur place dans les FAC, et reconnaissent également le préjudice subi par les membres du groupe qui ont été victimes de discrimination raciale et de harcèlement racial dans les FAC.

Les parties reconnaissent en outre que le fait d’être victime de harcèlement racial et/ou de discrimination raciale mine la camaraderie nécessaire à l’efficacité et à la cohésion d’une force militaire et a des conséquences particulières compte tenu du contexte militaire et des sentiments de trahison éprouvés par les membres racisés des FAC qui sont souvent appelés à vivre et à travailler jour et nuit avec les auteurs de harcèlement racial ou de discrimination raciale, par exemple dans l’instruction de base, dans les bases des FAC, lors des déploiements ou à bord des navires.

[53] La définition proposée du groupe est la suivante :

Toute personne qui est enrôlée dans les Forces armées canadiennes depuis le 17 avril 1985 ou qui l’a été à partir de cette date, et qui a été au service des Forces armées canadiennes pendant toute période allant jusqu’à la date d’approbation, inclusivement, et qui affirme avoir fait l’objet de discrimination raciale ou de harcèlement racial, ou des deux.

[54] La discrimination raciale est définie ainsi :

Tout traitement injuste, toute différenciation défavorable ou tout préjugé se produisant dans le cadre du service militaire et faisant intervenir des militaires (au sein des FAC ou étrangers), des employés du MDN, des employés du Fonds non public ou des entrepreneurs des FAC/MDN, et qui est fondé sur la race, l’ethnie, la couleur ou l’appartenance à un groupe autochtone d’une personne.

[55] Le harcèlement racial est défini ainsi :

Tout comportement fondé sur la race, l’ethnie, la couleur ou l’appartenance à un groupe autochtone d’une autre personne, dont on sait ou dont on devrait raisonnablement savoir qu’il est offensant ou préjudiciable, y compris tout acte, commentaire ou geste répréhensible qui rabaisse, dénigre, humilie ou ridiculise une personne, et tout acte d’intimidation ou de menace, qui se produit dans le cadre du service militaire et fait intervenir des militaires (au sein des FAC ou étrangers), des employés du MDN, des employés du Fonds non public ou des entrepreneurs des FAC/MDN.

[56] Le terme « compensation » a été délibérément évité dans le régime d’évaluation du paiement, car il sous-entend que l’argent peut effacer les torts causés.

[57] Selon le régime d’évaluation du paiement de l’entente de règlement définitive, les membres du groupe ont droit à un paiement d’expérience commune de 5 000 $ et peuvent individuellement réclamer un paiement supplémentaire s’ils fournissent un témoignage narratif de leur expérience de discrimination raciale ou de harcèlement racial. Des experts indépendants évalueront les témoignages narratifs et détermineront s’il y a lieu de verser un paiement supplémentaire selon la durée et la gravité de la discrimination en fonction d’une grille d’évaluation : niveau A, 10 000 $; niveau B, 20 000 $; et niveau C, 30 000 $.

[58] Les paiements versés aux membres du groupe selon le régime d’évaluation du paiement varieront de 5 000 $ à 35 000 $ et pourront être rajustés à la hausse ou à la baisse, selon le nombre de membres du groupe qui présentent une réclamation. Le régime repose sur le fait que la somme totale disponible au règlement de toutes les réclamations est limitée à 150 millions de dollars. L’entente de règlement définitive prévoit la formule qui sera utilisée et l’avis aux membres du groupe expliquait ainsi la hausse ou la baisse possible :

Les paiements individuels versés aux membres du groupe, tels que déterminés par les évaluateurs indépendants, pourraient devoir être réduits au prorata afin que le montant total pour les membres du groupe ne dépasse pas 150 millions de dollars.

Si le montant total des paiements individuels versés aux membres du groupe est inférieur à 100 millions de dollars, les paiements individuels pourront être augmentés de 20 % au maximum.

[59] La hausse ou la baisse possible des paiements versés aux membres du groupe s’appliquera également à tous, selon le nombre total de membres du groupe.

[60] Les paiements versés selon le régime d’évaluation du paiement seront déterminés suivant une méthode d’évaluation qui tient compte des traumatismes et « par l’entremise de laquelle on admet que les personnes racisées au sein des FAC ont subi du racisme et on se livre à un processus de guérison plutôt qu’à une enquête exigeante ».

[61] Les FAC ont aussi convenu de fournir une lettre d’excuses adressée personnellement à tous les membres qui en font la demande à condition que cette lettre ne soit pas admissible en preuve dans le cadre d’une instance civile ou pénale, d’une instance administrative ou d’un arbitrage pour établir la faute ou la responsabilité.

[62] Outre le versement de paiements individuels, l’entente de règlement définitive prévoit un financement pour mettre en place des mesures de redressement systémiques visant à améliorer les systèmes et la culture organisationnels des FAC dans le but d’éliminer la discrimination raciale et le harcèlement racial. Les mesures de redressement systémiques sont conçues expressément pour :

[é]liminer la discrimination raciale et le harcèlement racial en s’attaquant aux obstacles systémiques qui empêchent la création d’un lieu de travail caractérisé par la confiance, exempt de discrimination raciale et de harcèlement racial, et où chaque personne est traitée avec dignité et respect.

[63] Les mesures de redressement systémiques s’appuient sur les constatations et visent à mettre en œuvre les recommandations : 1) du rapport publié au printemps 2022 par le Groupe consultatif du ministère de la Défense nationale sur le racisme systémique et la discrimination, notamment sur le racisme anti-Autochtones et anti-Noirs, les préjugés envers les communautés 2ELGBTQIA+, la discrimination sexuelle et la suprématie blanche; et 2) des excuses rendues le 9 juillet 2022 par le premier ministre et le ministre de la Défense nationale aux descendants du 2e Bataillon de construction, afin de reconnaître l’héritage du racisme et de la discrimination systémiques qui a privé les hommes de ce bataillon entièrement noir d’un rôle de combat, de soutien et de soins, ainsi que d’une reconnaissance et d’une commémoration ultérieures. Ces excuses étaient accompagnées d’un rapport du Comité consultatif national sur la présentation d’excuses au 2e Bataillon de construction.

[64] Les mesures de redressement systémiques doivent être instaurées dans les quatre ans suivant la mise en œuvre de l’entente définitive de règlement, qui seront jalonnés de consultations et de rapports de progression. Ce sont les FAC qui assument les coûts liés à ce programme.

[65] Les mesures de redressement systémiques donneront la possibilité de participer à des démarches réparatrices aux membres du groupe qui souhaitent parler de la discrimination raciale ou du harcèlement racial qu’ils ont vécus aux dirigeants des FAC, avec l’aide de praticiens qualifiés et formés en démarches réparatrices.

[66] Les parties ont retenu les services d’experts chargés de les conseiller sur toutes les modalités de l’entente de règlement définitive, y compris le régime d’évaluation du paiement et les mesures de redressement systémiques, pour s’assurer d’offrir un soutien en matière de santé mentale aux membres du groupe et de donner au processus de réclamation un ton qui tient compte des traumatismes et qui est pertinent sur le plan culturel.

[67] L’entente de règlement définitive prévoit le versement à titre gratuit d’une somme de 30 000 $ aux trois représentants demandeurs. En outre, elle prévoit que, si les honoraires de l’avocat du groupe sont approuvés, ce dernier versera un montant supplémentaire de 20 000 $ à chacun des représentants demandeurs et de 30 000 $ à Rubin Coward.

[68] Quant aux honoraires juridiques, l’entente de règlement définitive prévoit que les FAC verseront à l’avocat du groupe la somme de 5 millions de dollars, taxes en sus, dans les 60 jours suivant la mise en œuvre. Aucuns honoraires juridiques ne seront déduits des paiements versés aux membres du groupe. Le défendeur devra en outre payer à l’avocat du groupe les débours engagés, sur présentation d’un tableau détaillé des factures et reçus à l’appui, jusqu’à la date d’approbation dans les 60 jours suivant la mise en œuvre. Ces factures et reçus devront être fournis au défendeur au moins 15 jours avant l’audition de la requête en approbation. L’avocat du groupe convient par ailleurs de fournir aux membres du groupe une assistance raisonnable tout au long de la procédure de réclamation, sans frais supplémentaires.

[69] Les dispositions de l’entente de règlement définitive qui traient des versements à titre gratuit (article 14.01) et des honoraires (article 17.02) sont dissociables de l’entente de règlement définitive, de sorte que, si la Cour devait ne pas approuver ces paiements, les autres modalités de l’entente de règlement définitive demeurent pleinement en vigueur.

[70] Le processus de réclamation est conçu pour tenir compte des traumatismes : il limite la nécessité pour les membres du groupe de faire part de leurs traumatismes passés et n’impose aucune obligation de fournir une preuve corroborante. Les membres du groupe auront accès sans frais à une aide juridique et des services de soutien tenant compte des traumatismes. Le règlement proposé repose en grande partie sur un examen non contradictoire des dossiers papier qui est rationalisé et conçu pour éviter d’infliger d’autres traumatismes.

[71] Le défendeur a également convenu de renoncer à la restriction habituelle de la double indemnisation. Les membres du groupe pourront ainsi réclamer un paiement même s’ils ont reçu une indemnité pécuniaire ou des dommages-intérêts dans le cadre d’une autre procédure. Par ailleurs, les membres du groupe pourront ainsi réclamer un paiement même s’ils ont reçu, reçoivent ou sont admissibles à recevoir des prestations d’Anciens combattants Canada.

[72] À mon avis, les modalités non pécuniaires de l’entente de règlement remplissent l’« objectif politique central des recours collectifs, à savoir la modification du comportement » (Heyder au para 115).

(3) Probabilité de recouvrement ou de réussite

[73] Le caractère raisonnable du règlement proposé dépend de la probabilité d’indemnisation ou de gain de cause si l’instance se poursuit. Cette probabilité se mesure en fonction de la nature des réclamations présentées et des défenses dont dispose éventuellement le défendeur. Le présent recours collectif se poursuit depuis 2016, année où la déclaration a été déposée. En 2017, les demandeurs ont présenté leur requête en autorisation et, en réponse, le défendeur a déposé sa requête en radiation de la déclaration en décembre 2017.

[74] Dans sa requête en radiation, le défendeur a invoqué divers moyens de défense, notamment : l’absence de cause d’action pour négligence du fait que les FAC n’ont aucune obligation de diligence envers leurs membres; l’existence de mécanismes internes de règlement des différends; l’article 9 de la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif, qui aurait pour effet d’interdire l’action; et l’article 92 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, qui empêcherait tout droit à une pension ou à une indemnité.

[75] Si la Cour n’approuve pas le règlement proposé, il y a peu de chances que les parties retournent à la table de négociation. En fait, le défendeur pourrait très bien choisir de poursuivre l’instance et de se défendre vivement. Il pourrait alors invoquer avec succès certaines de ses défenses, voire toutes ses défenses. Le cas échéant, certains membres du groupe, et peut-être tous les membres du groupe, pourraient ne pas avoir droit à l’indemnisation. Par exemple, vu l’aspect historique de bon nombre des réclamations, le défendeur pourrait sans doute faire valoir avec succès une défense de prescription, en l’absence d’un règlement négocié.

[76] La présente instance est une action complexe, qui s’échelonne sur de nombreuses années et qui implique des milliers d’éventuels membres du groupe de tous les échelons dans les FAC. Comme l’a mentionné l’avocat du groupe, même si l’instance est autorisée comme recours collectif, le gain de cause, au fond, n’est pas garanti et l’instruction des questions communes pourrait durer des années.

[77] S’il n’y a pas de recours collectif, des actions individuelles devront être intentées où chaque demandeur devra absorber ses frais juridiques, se battre contre de multiples obstacles à l’indemnisation, notamment le délai de prescription et les arguments quant à la compétence, et prouver le bien-fondé de sa réclamation en revivant son expérience personnelle traumatisante.

[78] Tous ces facteurs militent grandement en faveur du caractère raisonnable du règlement négocié.

(4) Durée probable du litige

[79] Les demandeurs reconnaissent que la présente instance se serait probablement poursuivie sur de nombreuses années s’il n’y avait pas eu règlement négocié. Par exemple, s’il y avait eu opposition à la requête en autorisation, l’audience aurait pu durer plusieurs jours, il aurait fallu déposer des éléments de preuve additionnels qui auraient possiblement engendré des contre-interrogatoires. L’instruction des questions communes aurait sans doute duré des années. Faute d’autorisation, de nombreuses actions individuelles pourraient s’ensuivre, sans oublier les inévitables appels.

[80] Vu la nature historique de bon nombre de réclamations, les tribunaux reconnaissent les avantages particuliers de régler en temps opportun les événements qui datent (Gallant v The Roman Catholic Episcopal Corporation of Halifax, 2022 NSSC 347 au para 19).

(5) Travail juridique entamé

[81] Pour ce qui est de ce critère, la question est de savoir si l’avocat du groupe a « acquis une compréhension complète des faits sous-jacents et circonstances entourant les demandes » (Règlement Merlo au para 23). En l’espèce, l’avocat du groupe représente les demandeurs depuis 2016, depuis le dépôt de la déclaration. Il a préparé les documents et pièces accompagnant la requête en autorisation et était prêt à répondre à la requête en radiation du défendeur. Par la suite, les parties ont discuté pendant des années en vue du règlement et sont assurément parvenues à saisir la complexité du travail pour faire valoir les causes, les obstacles éventuels au recouvrement et les risques à courir.

[82] Comme le mentionne Mme Budgen, c.r., dans son affidavit, l’avocat du groupe a mené de vastes travaux, notamment : déposer la déclaration en décembre 2016; préparer les documents et pièces accompagnant la requête en autorisation; préparer la réplique à la réponse du défendeur à la requête en autorisation; préparer la réponse à la requête du défendeur en radiation; préparer les demandeurs au contre-interrogatoire sur les affidavits ayant trait à l’autorisation, en janvier 2018; négocier l’entente de principe; élaborer, de concert avec le défendeur et les experts en la matière, le régime d’évaluation du paiement et des mesures de redressement systémiques; négocier et rédiger l’entente de règlement définitive; préparer les documents et pièces en vue de l’audition de la requête en autorisation du recours collectif et de la requête en approbation du règlement et assister à l’audience; mettre en œuvre le plan de notification qui en découle; préparer les documents et pièces à l’appui de la requête pour modifier la déclaration et permettre à A.B. d’utiliser dorénavant ce pseudonyme; faire avancer l’affaire en vue de l’audition de la requête en autorisation comme recours collectif et en approbation du règlement.

[83] Je suis convaincue que l’avocat du groupe a acquis une compréhension complète des circonstances et des faits sous-jacents des revendications.

(6) Recommandations de l’avocat du groupe

[84] Après avoir représenté les demandeurs depuis 2016 et avoir passé les six dernières années à négocier, l’avocat du groupe recommande le règlement.

(7) Communications avec les membres du groupe

[85] L’avocat du groupe a exposé dans les grandes lignes ses communications avec les représentants demandeurs et M. Coward. Les représentants demandeurs ont également eu de nombreuses communications avec les membres éventuels du groupe.

[86] La période de notification a commencé le 1er mai 2024, lorsque les membres éventuels du groupe ont été informés des modalités du règlement proposé et invités à remplir le formulaire de participation pour y indiquer s’ils appuyaient les modalités du règlement proposé ainsi que les frais juridiques et honoraires de l’avocat du groupe ou s’ils s’y opposaient. En date de la présente requête, plus d’un millier d’éventuels membres du groupe ont communiqué avec l’avocat du groupe et plus de 600 formulaires de participation ont été reçus.

[87] Je suis persuadée que l’avocat du groupe a mis en œuvre le plan de notification et que les éventuels membres du groupe ont été avisés de façon adéquate et ont été mis au courant de l’évolution de la présente instance.

(8) Appui au règlement

[88] Les deux représentants demandeurs, A.B. et M. Robillard, ont dit être en faveur du règlement proposé dans leur affidavit respectif. Puisque les raisons qu’ils invoquent sont similaires, je reprends ci-dessous les passages pertinents de l’affidavit d’A.B. :

[traduction]

60. J’ai passé méticuleusement en revue l’entente de règlement définitive, et j’en ai discuté avec mes avocats. Je suis d’avis que l’entente de règlement définitive est juste et raisonnable et qu’elle est dans l’intérêt des membres du groupe.

61. J’en arrive à cette conclusion pour les raisons qui suivent.

62. Premièrement, le règlement est le fruit de vastes négociations qui se sont déroulées sur environ 6 ans. Durant ces négociations, les parties ont retenu les services de plusieurs experts indépendants qui ont donné leurs conseils sur le régime d’évaluation du paiement et les mesures de redressement systémiques.

63. Deuxièmement, les membres du groupe ont la possibilité d’obtenir une lettre d’excuses personnalisée de la part du Chef d’état-major de la défense. Quant à moi, cette modalité est une composante essentielle du règlement.

64. Troisièmement, le défendeur s’est engagé à adopter de vastes mesures de redressement systémiques et de changements institutionnels. Cet engagement a été pour moi un objectif prioritaire essentiel tout au long des négociations. La mise en œuvre de ces mesures, je l’espère, contribuera grandement à l’élimination du racisme au sein des Forces armées canadiennes et mènera à un environnement plus riche et plus fort pour les générations à venir.

65. Quatrièmement, les membres du groupe ont la possibilité de participer à des processus de démarches réparatrices, qui visent à guérir et à leur permettre de tourner la page. Ces processus permettront en outre aux membres du groupe de partager leur expérience avec les haut placés des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale.

66. Cinquièmement, les parties (et leurs avocats) se sont engagées à intégrer une approche qui tient compte des traumatismes au processus de règlement. Ainsi, dans le processus de réclamation, les membres du groupe :

a) pourront avoir droit à un paiement d’expérience commune, sans avoir à divulguer les détails de leurs expériences ou traumatismes passés;

b) pourront fournir un témoignage narratif au sujet du racisme dont ils ont été victimes dans les Forces armées canadiennes, s’ils souhaitent que leur réclamation soit évaluée en vue d’un paiement supplémentaire selon le régime d’évaluation du paiement. Le cas échéant, ils ne seront pas tenus de produire d’éléments de preuve corroborants ou de diagnostics médicaux pour étayer leur réclamation;

c) auront accès sans frais, auprès de l’administrateur des réclamations, à un soutien, qui tient compte du traumatisme, tout au long du processus de réclamation;

d) auront accès sans frais à un soutien juridique auprès de l’avocat du groupe tout au long du processus de réclamation.

67. Sixièmement, le défendeur a convenu d’étendre la période visée par le recours collectif rétroactivement à avril 1985. Selon ce qu’en disent mes avocats, bon nombre des membres du groupe auront ainsi droit à un paiement individuel malgré les délais de prescription.

68. Septièmement, mes avocats m’ont expliqué que le défendeur a aussi convenu de renoncer à la restriction habituelle de la double indemnisation. J’en déduis donc que les membres du groupe pourront réclamer un paiement même s’ils ont reçu une indemnité pécuniaire ou des dommages-intérêts dans le cadre d’un autre processus de règlement, d’une décision judiciaire ou d’une plainte en matière de droits de la personne, ou de toute autre forme de procédure judiciaire ou administrative.

69. Enfin, la dernière raison pour laquelle j’appuie l’entente de règlement définitive : mes avocats m’ont informé des risques et des délais qu’entraîneraient la contestation de la requête en autorisation et l’instruction des questions communes. Je comprends que, même si le défendeur devait être débouté au terme de l’instruction des questions communes, il est possible que des questions individuelles doivent être tranchées et que le tribunal saisi ne puisse ordonner que des mesures de réparation limitées contre le défendeur. Je comprends, par exemple, qu’il est peu probable que le tribunal ordonne ou puisse ordonner au défendeur de :

a) présenter des excuses;

b) adopter des mesures de redressement systémiques;

c) mettre en place des processus de démarches réparatrices.

[89] L’avocat du groupe a fourni à la Cour copie des 690 formulaires de participation que les membres du groupe (dont les renseignements personnels ont été caviardés) lui ont envoyés en pièce jointe à l’affidavit de Genevieve Svab. Comme l’indique Mme Svab, dans 630 des 690 formulaires, les membres du groupe ont dit être en faveur du règlement proposé. Ci-dessous les raisons qui ressortent parmi toutes celles invoquées par les membres du groupe dans les formulaires de participation pour justifier l’appui au règlement proposé :

· la résolution rapide;

  • le règlement donnera lieu à une résolution plus harmonieuse et plus impartiale que les litiges qui s’éterniseront;

  • l’issue garantie selon les modalités proposées;

  • l’issue proportionnée à l’expérience individuelle;

  • le règlement permettra au moins, je l’espère, de conscientiser les gens au problème.

(9) Opposition au règlement

[90] Wallace Fowler était représentant demandeur dans la présente action, mais il a décidé d’intenter sa propre action à part. Il s’oppose au règlement en raison du montant de l’indemnité et soutient qu’il y a eu collusion entre les avocats et les autorités militaires. J’accepte que M. Fowler n’appuie pas le règlement proposé, mais il n’a fourni aucune preuve de la « collusion » alléguée. Je suis d’avis que cette allégation tire son origine du fait qu’il estime que le règlement est inadéquat et non du fait qu’il y a eu une conduite inappropriée.

[91] Dans leur formulaire de participation, certains membres du groupe ont dit s’opposer au règlement proposé. À l’audition de la présente requête, plusieurs ont aussi formulé leur opposition. Ceux et celles qui se sont exprimés ont fait le récit troublant des actes de discrimination dont ils ont été victimes, et l’effet à long terme de ces actes était palpable.

[92] La Cour a entendu à maintes reprises que le racisme n’est pas la survenance d’un fait isolé et que bon nombre ont subi le racisme de façon constante. Les questions abordées communément incluaient : (i) le montant de l’indemnité est trop faible; (ii) les changements structurels qui doivent être apportés au sein des FAC; (iii) l’absence de toute responsabilité imputée aux auteurs des actes de racisme; et (iv) la communication inadéquate avec les membres francophones du groupe. J’examine ces questions ci-dessous.

(i) Le montant de l’indemnité est trop faible : Certains qualifient le règlement proposé de gifle au visage ou estiment qu’il est nettement insuffisant. Selon d’autres, le montant de l’indemnité équivaut à un permis de discriminer. D’autres encore ont expliqué que, selon leurs années de services, l’indemnité correspond à quelques cents par jour. Enfin, bon nombre ont répété qu’aucune somme d’argent ne peut compenser la discrimination dont ils ont été victimes tandis que d’autres ont mentionné avoir perdu des revenus ou des possibilités d’avancement de carrière.

[93] Je comprends cette opposition. Cependant, tout règlement négocié est par sa nature un compromis. Il est possible que des demandeurs reçoivent une indemnité plus élevée au terme d’un procès, mais il est tout aussi possible que certains obtiennent une indemnité moindre ou n’obtiennent aucune indemnité si les défenses que le défendeur fait valoir sont accueillies en tout ou en partie. Par ailleurs, si le règlement proposé n’est pas approuvé, l’instruction de l’affaire pourrait durer des années. Enfin, les éventuels membres du groupe qui s’opposent au règlement proposé peuvent toujours s’exclure de la présente instance et intenter leur propre action à leurs propres frais.

(ii) Nécessité d’apporter des changements structurels au sein des FAC : Les FAC ont été décrites comme une institution créée pour les Blancs qui nécessite des changements culturels dans toute la chaîne de commandement. Certains prétendent que le racisme trouve son fondement dans la chaîne de commandement. D’autres affirment que les membres des minorités raciales doivent se préparer au pire lorsqu’ils se joignent aux FAC. Les Noires membres des FAC ont dit être deux fois plus victimisées en raison de leur race et de leur genre. Bon nombre prétendent que les membres de la chaîne de commandement qui ont été témoins du racisme n’en ont fait aucun cas.

[94] En réponse à ces récriminations, je dirais qu’il est évident que ceux et celles qui les ont formulées n’ont pas compris ou considéré pleinement les modalités de l’entente de règlement définitive qui visent précisément à redresser les systèmes et la culture organisationnels des FAC dans le but d’éliminer la discrimination raciale et le harcèlement racial. L’entente de règlement définitive prévoit que des fonds seront affectés et des efforts déployés pour mettre en place des mesures de redressement systémiques. Ces mesures s’appuient sur les constatations et visent à mettre en œuvre les recommandations tirées du rapport publié au printemps 2022 par le Groupe consultatif du ministère de la Défense nationale sur le racisme systémique et la discrimination; et des excuses rendues le 9 juillet 2022 par le premier ministre et le ministre de la Défense nationale qui étaient accompagnées du rapport du Comité consultatif national sur la présentation d’excuses au 2e Bataillon de construction.

(iii) Absence de responsabilité imputée aux auteurs des actes de racisme dans les FAC : Plusieurs s’opposent au règlement du fait qu’il n’y a aucun mécanisme prévu pour tenir pour responsables les auteurs d’actes de harcèlement racial ou de discrimination raciale. L’absence de conséquence et de sanction a été un thème récurrent, qui n’est pas sans lien avec les affirmations courantes selon lesquelles personne ne croyait les victimes du racisme lorsque celles-ci portaient plainte.

[95] D’abord, il est vrai que l’entente de règlement définitive ne prévoit aucune disposition du genre. Ensuite, aucune mesure de réparation en ce sens n’est demandée dans la déclaration et c’est une réparation qui échappe à la compétence de la Cour. Enfin, les mesures de redressement systémiques, même si elles ne visent pas à punir les responsables, aideront à créer au sein des FAC un environnement où la discrimination raciale et le harcèlement racial ne seront plus tolérés.

(iv) Communication inadéquate avec les membres francophones du groupe : Certains membres francophones du groupe ont dit être vexés que la version française intégrale de l’entente de règlement définitive n’ait été jointe au plan de notification que quelques jours avant la date où ils devaient remplir leur formulaire de participation. Ils estiment qu’ils ont eu trop peu de temps pour présenter des observations valables.

[96] Il s’agit en soi plus d’une critique du processus de notification que d’une opposition au règlement. Cela dit, la Cour a accommodé toutes les personnes qui voulaient faire connaître leurs observations sur le règlement en personne et virtuellement même si elles n’avaient pas rempli le formulaire de participation dans le délai imparti.

[97] Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincue que ces objections « peu[ven]t faire en sorte que le règlement ne respecte plus le critère de la fourchette d’issues jugées raisonnables » (Heyder au para 94). En outre, toute opposition au montant des indemnités doit être prise en considération au regard des risques qu’entraîneront le long litige et les contestations qui en découleront. Enfin, les membres qui n’approuvent pas le règlement peuvent s’exclure du recours collectif suivant l’article 3.05 de l’entente de règlement définitive.

(10) Négociations de bonne foi et absence de collusion

[98] Lorsque le règlement est négocié d’égal à égal et recommandé par des avocats d’expérience, il existe une présomption d’équité (Heyder au para 64). À ce sujet, je dirais qu’en l’espèce, la participation de conseillers experts ajoute à la présomption de « bonne foi » qui a marqué les négociations. Il n’y a aucune preuve de collusion. Les longues négociations ont été menées de bonne foi, en vue d’en arriver à un règlement.

(11) Conclusion quant à l’approbation de l’entente de règlement définitive

[99] Après avoir énoncé et pris en considération les facteurs susmentionnés, je conclus que l’entente de règlement définitive est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe en général. La Cour approuve par conséquent l’entente de règlement définitive.

C. Approbation des honoraires de l’avocat du groupe

[100] L’entente de règlement définitive prévoit que le défendeur doit verser une somme de 5 millions de dollars, taxes en sus, pour couvrir les honoraires de l’avocat du groupe. Un facteur important à prendre en considération dans l’approbation des honoraires de l’avocat du groupe est que les honoraires en question ne sont pas déduits de la somme réservée aux paiements à verser aux membres du groupe.

[101] Pour approuver les honoraires versés à l’avocat du groupe, la Cour doit déterminer s’ils sont justes et raisonnables en toutes circonstances, compte tenu des facteurs suivants : les risques assumés, les résultats obtenus, la complexité des questions en litige, les qualités et compétences des avocats, les attentes des membres du groupe, la capacité du groupe à payer, le temps consacré à l’affaire et les honoraires versés dans des affaires semblables (Heyder au para 108).

(1) Risques, résultats et responsabilité assumés par l’avocat du groupe

[102] Il ne fait aucun doute que l’avocat du groupe a assumé un risque important en intentant le recours collectif. L’issue de l’affaire était loin d’être assurée, et la viabilité de certaines revendications posait de réels risques. Établir le préjudice systémique a été un défi pour ce qui est de la preuve. Comme la Cour l’a souligné dans Règlement Merlo, et c’est aussi le cas en l’espèce, le fait qu’aucun autre cabinet d’avocats n’a intenté d’action parallèle indique que cette affaire était considérée comme étant extrêmement complexe et ayant peu de chances de succès. Je constate en outre que l’avocat du groupe a assumé seul le risque de la présente instance et qu’aucun autre cabinet d’avocats ne s’est joint à lui pour absorber le risque (Règlement Merlo au para 84).

[103] Les modalités de l’entente de règlement définitive sont très favorables si l’on tient compte du fait que les membres du groupe pourront présenter leur réclamation pour les actes discriminatoires remontant au 17 avril 1985. De telles réclamations seraient normalement prescrites. Par ailleurs, tous les membres du groupe pourront toucher le paiement d’expérience commune de 5 000 $ sans même avoir à raconter leur vécu et, s’ils fournissent un témoignage narratif, auront droit à un paiement supplémentaire pouvant aller jusqu’à 30 000 $. Comme je le mentionne plus haut, l’entente de règlement définitive prévoit en outre des mesures non pécuniaires intéressantes.

[104] L’affidavit de Mme Bugden, c.r., fait état de l’expérience de l’avocat du groupe et de l’expertise de son cabinet dans les recours collectifs. En outre, M. Campbell a à maintes reprises au cours des 18 dernières années agi comme avocat inscrit au dossier dans de nombreux recours collectifs.

(2) Complexité de l’instance

[105] La présente action soulève des questions nouvelles et complexes du fait qu’elle repose en partie sur la responsabilité du fait d’autrui pour négligence systémique et la violation du paragraphe 15(1) de la Charte. De telles allégations mettent en jeu de complexes questions de droit et de preuve étant donné la difficulté d’établir l’inconduite systémique et la discrimination raciale en violation de la Charte (affidavit d’A.B. aux para 33-42; affidavit de M. Robillard aux para 29-32). En outre, le défendeur disposait de nombreuses défenses viables, comme en fait foi sa requête en radiation.

(3) Importance aux yeux des demandeurs

[106] Comme l’explique A.B., au paragraphe 64 de son affidavit, les mesures de redressement systémiques qui visent à encourager le changement institutionnel sont l’un des éléments essentiels du règlement. Ces mesures font ressortir toute l’importance de la présente instance aux yeux des demandeurs dont la santé mentale, la dignité et l’estime de soi ont été minées par le racisme qu’ils ont subi dans les FAC. Pour les demandeurs, la présente instance n’est pas seulement un moyen d’obtenir une indemnité, c’est aussi un moyen d’apporter des changements significatifs pour réparer le préjudice qu’ils ont subi et prévenir toute future discrimination.

(4) Attentes du groupe et capacité du groupe à payer les honoraires

[107] Les représentants demandeurs et l’avocat du groupe ont conclu une convention d’honoraires conditionnels qui stipulait que, si les demandeurs sont déboutés, l’avocat du groupe ne pourrait recouvrer les honoraires, les dépens et les débours. En revanche, s’ils avaient gain de cause, l’avocat du groupe recouvrerait des honoraires variant de 27 à 33 pour cent.

[108] Selon les modalités de l’entente de règlement définitive, les honoraires de l’avocat du groupe sont de 5 millions de dollars, une somme d’argent qui représente 3,33 % de la valeur totale du règlement, comparativement à la somme à laquelle l’avocat aurait eu droit selon la convention d’honoraires conditionnels.

[109] Les représentants demandeurs ont mentionné qu’ils n’auraient pas pu faire avancer leur cause si l’avocat du groupe n’avait pas accepté d’agir sur une base conditionnelle.

(5) Temps consacré par l’avocat du groupe

[110] Dans son affidavit, Mme Bugden fait état des travaux juridiques entrepris depuis le dépôt de la déclaration, notamment : préparation des actes de procédure ainsi que des documents et pièces accompagnant la requête en autorisation; la préparation de la réponse à la requête du défendeur en radiation; la préparation des contre-interrogatoires sur les affidavits ayant trait à l’autorisation; la négociation des modalités de l’entente de principe; la collaboration avec les experts-conseils pour déterminer les modalités du régime d’évaluation du paiement, des mesures de redressement systémiques et de l’entente de règlement définitive; les communications avec les représentants demandeurs; la préparation des documents et pièces accompagnant la requête en autorisation et en approbation du règlement; la préparation de la requête pour modifier la déclaration.

[111] La Cour peut tenir compte des factures ou du tarif horaire de l’avocat du groupe pour s’assurer que les honoraires sont raisonnables (Heyder au para 120). L’avocat du groupe a indiqué avoir comptabilisé 4 656 heures équivalant à des honoraires d’environ 1,7 million de dollars. Il avancera 500 000 dollars de plus en services juridiques aux membres du groupe.

(6) Honoraires dans des affaires comparables

[112] La somme proposée de 5 millions de dollars pour couvrir les honoraires représente 3,33 % de la valeur totale du règlement prévu par l’entente de règlement définitive. Les affaires suivantes sont comparables :

  • ·Heyder au para 123 – 2,95 % de la valeur du règlement (honoraires payés par le Canada);

  • ·Manuge c Canada, 2013 CF 341, au para 51 – 8 % de la valeur du règlement (honoraires payés par le groupe);

  • ·Manuge c Canada, 2024 CF 68, au para 96 – 15,24 % de la valeur du règlement (honoraires payés par le groupe);

  • ·McLean c Canada, 2019 CF 1077, au para 47 [McLean]– 3 % de la valeur du règlement (honoraires payés par le Canada)

  • ·Règlement Merlo, au para 75 – 15 % de la valeur du règlement (honoraires payés par le groupe).

[113] Les honoraires de l’avocat du groupe, qui s’élèvent à 3,33 % de la valeur totale du règlement, se comparent favorablement aux honoraires accordés dans les affaires similaires. Ils ne sont pas prélevés sur le fonds du règlement : ils sont payés directement par le défendeur. Enfin, ces honoraires sont significativement moindres que ceux qu’il aurait fallu payer en vertu de la convention d’honoraires conditionnels. Les honoraires de l’avocat du groupe sont donc raisonnables.

(7) Conclusion quant aux honoraires de l’avocat du groupe

[114] Les honoraires et débours de l’avocat du groupe sont approuvés conformément à l’article 15 de l’entente de règlement définitive.

D. Versements à titre gratuit

[115] L’entente de règlement définitive prévoit des versements à titre gratuit aux représentants demandeurs désignés et à Rubin Coward. L’article 14.01 de l’entente de règlement définitive dispose que :

Dans les soixante jours suivant la date de mise en œuvre, le défendeur versera à l’avocat du groupe, dans un compte en fiducie, la somme de trente mille dollars (30 000 $) comme versement à titre gratuit, en parts égales pour chacun des trois demandeurs de la présente instance.

À partir du montant des honoraires de l’avocat du groupe, tel qu’il est indiqué à l’article 15.01, sous réserve de l’approbation de la Cour et conformément à cette approbation, l’avocat du groupe demandera l’approbation de la Cour pour fournir : a) un montant supplémentaire de 20 000 $ pour chacun des trois demandeurs de la présente instance; et b) un montant de 30 000 $ pour Rubin Coward.

[116] Il est entendu que, s’ils sont approuvés, les versements à titre gratuit payés à chacun des trois représentants demandeurs et à Rubin Coward s’élèveront à 30 000 $ en reconnaissance des efforts qu’ils ont déployés au nom du groupe. Puisque les versements à titre gratuit ne sont pas prélevés sur le fonds de règlement, les membres du groupe disposeront de l’ensemble du fonds de règlement.

[117] Il ressort de la décision Règlement Merlo, que les facteurs suivants doivent être pris en considération pour déterminer s’il y a lieu d’approuver les versements à titre gratuit :

a) participer activement au lancement de l’instance et au choix d’un avocat;

b) faire face à un risque réel de frais;

c) avoir connu des difficultés ou des inconvénients personnels importants liés à la poursuite de l’instance;

d) temps consacré au déroulement de l’instance et activités entreprises;

e) communications et interactions avec les autres membres du groupe;

f) participation aux diverses étapes de l’instance, y compris aux interrogatoires préalables, aux négociations en vue de règlement et au procès.

(Règlement Merlo au para 72)

[118] Les versements à titre gratuit payés aux représentants demandeurs doivent être accordés avec parcimonie, car ces derniers ne doivent pas bénéficier du recours collectif plus que les autres membres du groupe (McLean au para 57). Toutefois, les facteurs pertinents mentionnés ci‑dessus doivent être en considération pour déterminer s’il y a lieu de payer les versements en question.

[119] En l’espèce, les représentants demandeurs ont déployé des efforts intenses pour faire avancer leur cause tout en composant avec les difficultés personnelles et en revivant les traumatismes passés. Les tâches des représentants demandeurs sont si lourdes qu’ils ont dû parfois se distancier du litige pour préserver leur santé mentale.

[120] Les versements à titre gratuit visent à reconnaître les efforts intenses des représentants demandeurs, qui ont dû revivre constamment des épisodes passés douloureux pour faire progresser l’instance au bénéfice des autres membres du groupe. Les représentants demandeurs ont pris pleinement part en tout temps au présent litige et ont été en communication constante avec l’avocat du groupe tout au long de la présente instance.

[121] M. Coward, même s’il n’est pas un représentant demandeur désigné, a contribué de façon déterminante à la présente instance, depuis les tous débuts jusqu’à la requête en approbation, en mars 2024. Il a assisté aux réunions avec l’avocat du groupe pour s’assurer que les négociations en vue du règlement se poursuivent même lorsque les représentants demandeurs ont dû prendre un recul pour se concentrer sur leur santé et leur bien-être personnels.

[122] La question des versements à titre gratuit payés à un membre du groupe qui n’est pas un représentant demandeur, s’agissant en l’espèce de M. Coward, a été examinée dans McLean au para 58 :

La jurisprudence citée devant la Cour ne portait que sur l’octroi d’honoraires aux représentants des demandeurs, c’est-à-dire que ces derniers avaient été confirmés étant les représentants des demandeurs dans l’ordonnance de certification. Cependant, il s’agit d’une affaire unique dans laquelle tous les demandeurs nommés ont déployé des efforts supplémentaires pour faire avancer la réclamation et ont essentiellement assumé le rôle de représentants des demandeurs dans leurs instructions à l’avocat et leurs communications avec les membres du groupe.

[123] Dans les circonstances, je suis persuadée que les représentants demandeurs et M. Coward ont vécu des difficultés personnelles en lien avec la poursuite de l’action, qu’ils ont consacré du temps, qu’ils ont pris des mesures concrètes pour faire progresser l’action et qu’ils ont participé à diverses étapes, notamment les négociations qui ont mené au règlement et les communications avec les membres du groupe. J’approuve donc les versements à titre gratuit.

E. Nomination de l’administrateur des réclamations

[124] Deloitte s.r.l. S.E.N.C.R.L. a été retenu pour administrer les réclamations pour son engagement envers l’approche tenant compte des traumatismes et son expérience dans d’autres recours collectifs de grande envergure (affidavit de Mme Bugden au para 38(kk)). Le processus de réclamation est énoncé aux articles 8 et 9 de l’entente de règlement définitive.

[125] J’approuve la nomination de Deloitte s.r.l. S.E.N.C.R.L. à titre d’administrateur des réclamations.

Ordonnance dans le dossier T-2158-16

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en autorisation de l’instance comme recours collectif est accueillie.

  2. Le groupe est défini ainsi : [traduction] « Toute personne qui fait partie des Forces armées canadiennes (FAC) ou y était enrôlée pendant toute période entre le 17 avril 1985 et la date de l’autorisation et qui soutient avoir subi de la discrimination ou du harcèlement en raison de la race ».

  3. L’accord de règlement final du 6 juin 2024 est juste et raisonnable et sert l’intérêt des membres du groupe. Il est approuvé en vertu de l’article 334.29 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, et doit être exécuté conformément à ses modalités.

  4. Deloitte s.r.l. S.E.N.C.R.L. est nommée à titre d’administratrice des réclamations.

  5. Le paiement des honoraires prévus à l’article 14 de l’accord de règlement final est approuvé.

  6. Les frais de justice et les débours des avocats représentant le groupe sont approuvés et seront payés conformément à l’article 15 de l’accord de règlement final.

  7. Il n’y a pas d’ordonnance quant aux dépens afférents à la requête.

 

« Ann Marie McDonald »

 

Juge


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

 

Dossier :

T-2158-16

 

intitulé :

A.B. ET JEAN-PIERRE ROBILLARD c SA MAJESTÉ LE ROI

lieu de l’audience :

halifax (nouvelle-écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

les 16 et 17 juillet 2024

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

la juge mcdonald

DATE des motifs :

le 13 fÉvrier 2025

COMPARUTIONS :

Scott R. Campbell

Christopher W. Madill

POUR LES DEMANDEURS

Lori Ward

Angela Green

Erin Kennedy

Victor Ryan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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