Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20250402


Dossier : IMM-4102-24

Référence : 2025 CF 610

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

LYES HADJALI

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Monsieur Lyes Hadjali, sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR], le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 21 février 2024 par la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rejetant l’appel qu’il a interjeté à l’encontre d’une mesure d’interdiction de séjour prise contre lui par l’Agence des services frontaliers [ASFC] pour manquement à l’obligation de résidence à titre de résident permanent.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[3] Monsieur Hadjali est un citoyen de l’Algérie. Il a obtenu sa résidence permanente du Canada le 3 mars 2012 à l’âge de 32 ans. Après quelques mois au Canada, il est retourné en Algérie pour des raisons familiales.

[4] Le 21 juin 2023, après une absence de 11 ans, M. Hadjali est revenu au Canada.

[5] À son arrivée le 21 juin 2023, lors du contrôle au point d’entrée, un agent de l’ASFC était d’avis qu’il n’avait pas respecté l’obligation de résidence requérant qu’il soit présent au Canada au moins 730 jours pendant une période de cinq ans. L’agent a tenu compte de la période de cinq ans à l’examen du 21 juin 2018 au 21 juin 2023, il a émis une mesure d’interdiction de séjour contre M. Hadjali pour défaut de s’être conformé à son obligation de résidence et M. Hadjali a été déclaré interdit de territoire au titre de l’article 41 de la LIPR.

[6] Monsieur Hadjali n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’interdiction de séjour et reconnaît qu’il ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence. Cependant, il a porté en appel la mesure devant la SAI sur la question de savoir s’il y a des motifs d’ordre humanitaire [MOH] suffisants pour passer outre au manquement à l’exigence en matière de résidence pour lui permettre de conserver son statut de résident permanent.

[7] Le 21 février 2024, la SAI a rendu une décision négative. Cette décision de la SAI fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Décision assujettie au contrôle judiciaire

[8] La SAI a conclu qu’il n’y a pas suffisamment de MOH pour contrebalancer le manquement important de M. Hadjali à son obligation de résidence.

[9] La décision de la SAI repose sur son évaluation de la preuve et son appréciation du poids des facteurs pertinents. Après pondération globale des facteurs, la SAI a conclu que M. Hadjali n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a suffisamment de MOH pour contrebalancer le manquement important à son obligation de résidence et justifiant la prise de mesures spéciales lui permettant de conserver la résidence permanente.

[10] Pour l’évaluation des MOH, la SAI a examiné les facteurs suivants.

[11] La SAI a déterminé que sans aucune présence au Canada pendant la période requise de cinq ans, après 11 ans d’absence, M. Hadjali est très loin du minimum de 730 jours requis par la LIPR et que conséquemment l’étendue du manquement à l’obligation de résidence est absolue et ne justifie pas la prise des mesures spéciales.

[12] La SAI a estimé que la raison pour laquelle M. Hadjali est retourné en Algérie en mai 2012 est compréhensible; soit la volonté d’aider sa mère avec ses trois enfants, suite à l’expulsion de leur résidence familiale en raison d’un conflit avec la belle-famille. La SAI a toutefois conclu que les multiples raisons invoquées pour expliquer son séjour prolongé à l’étranger et le fait qu’il ne soit pas revenu à la première occasion ne justifient pas la prise de mesures spéciales.

[13] La SAI note que la mère de M. Hadjali et ses enfants sont retournés vivre dans la maison familiale six mois après l’arrivée de ce dernier et que le conflit avec la belle-famille a été réglé à l’amiable à la fin 2015. La SAI constate que pendant son retour en Algérie, M. Hadjali s’est marié en mai 2012 et le couple a donné naissance à une enfant le 4 juillet 2013. Par conséquent, la SAI a jugé qu’avec l’absence de M. Hadjali, de 2012 à 2015, ces événements ne peuvent pas être considérés comme des MOH, car ils sont survenus avant la période pertinente de cinq ans à l’examen; soit du 21 juin 2018 au 21 juin 2023.

[14] Quant à la prétention de M. Hadjali voulant qu’en 2015, il n’a pas été capable de revenir au Canada à cause de la santé de son frère trisomique, la SAI a conclu que la preuve documentaire déposée ainsi que le témoignage du demandeur ne justifie pas de façon satisfaisante qu’il soit demeuré en Algérie de 2015 jusqu’à 2019; soit l’année du décès de son frère. La SAI constate que M. Hadjali a été incapable d’expliquer son rôle dans l’assistance qu’il portait à son frère, mis à part le fait de travailler pour subvenir aux besoins de la famille et qu’il n’a jamais discuté avec sa mère, ses sœurs, dont l’une était adulte, et son épouse à l’époque d’un arrangement possible du partage des responsabilités liées aux soins de son frère entre les membres de la famille pour lui permettre de respecter son obligation de résidence.

[15] En ce qui concerne la prétention de M. Hadjali selon laquelle il a été incapable de revenir au Canada après 2019, parce qu’il ne pouvait pas laisser son emploi et parce que la pandémie a nui à son retour, la SAI a constaté qu’il a laissé son emploi quatre mois avant son arrivée au Canada en 2023 et qu’il n’a pas été en mesure d’expliquer en détail qu’elles étaient ses contraintes et sa situation lorsque la pandémie a frappé l’Algérie. La SAI a conclu que travailler à l’étranger est une décision personnelle de M. Hadjali qui ne constitue pas une raison pour justifier le manquement à son obligation de résidence.

[16] La SAI a ensuite jugé que l’établissement initial de M. Hadjali au Canada est minime puisqu’il n’est resté au Canada que quelque mois après l’obtention de sa résidence permanente en 2012. Elle a déterminé que son établissement actuel, soit après la prise de la mesure d’interdiction de séjour, est positif, car il un emploi permanent et il loue un logement. La SAI a accordé un poids favorable à cette période d’établissement, mais le fait qu’elle a eu lieu après l’émission de la mesure d’interdiction de séjour diminue son poids.

[17] La SAI a conclu que les liens familiaux de M. Hadjali avec le Canada ne militent pas en faveur de la prise de mesures spéciales, car ces liens sont plus forts en Algérie ou y vivent son enfant mineur avec son ex-épouse ainsi que sa mère et une sœur.

[18] Quant à l’intérêt supérieur de son enfant, la SAI a conclu qu’il ne milite pas en faveur de la prise de mesures spéciales considérant que l’enfant de M. Hadjali vit en Algérie et que lorsque ce dernier est en Algérie, il n’habite pas loin de son enfant et de son ex-épouse.

[19] Finalement, la SAI a estimé que les bouleversements et les difficultés que vivraient M. Hadjali et les membres de sa famille s’il perdait son statut de résident permanent ne militent pas en faveur de la prise de mesures spéciales, considérant que la majorité de sa famille demeure en permanence en Algérie et que lorsqu’il est en Algérie, il demeure avec sa mère et sa sœur dans la résidence familiale près de son enfant. Pour la SAI, si M. Hadjali retourne en Algérie, il pourra retourner auprès d’eux et pourra se trouver un emploi rapidement, comme démontré à son retour en Algérie en 2012, puisqu’il est diplômé en informatique.

[20] Après la considération de tous les facteurs, la SAI a conclu que les MOH sont insuffisants pour contrebalancer le manquement à l’obligation de résidence.

IV. Questions en litige

[21] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son application des critères à prendre en considération dans le cadre de son appréciation des motifs d’ordre humanitaire?

  2. La SAI a-t-elle enfreint les exigences en matière d’équité procédurale ou les principes de justice naturelle?

V. Norme de contrôle

A. La norme de contrôle pour la décision raisonnable

[22] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[23] La Cour suprême a confirmé que la norme de la décision raisonnable s’applique pour le contrôle judiciaire d’une décision administrative (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]). Aucune des situations justifiant le renversement de cette présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux para 25, 33, 53; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27). Il faut ainsi déterminer si les Décisions sont « fondée[s] sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

[24] Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant le décideur principal, si sa décision est raisonnable (Paquin c Canada (Procureur général), 2024 CF 1430 au para 3).

[25] Le Ministre a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la décision, à cet effet, il doit convaincre la Cour que la décision souffre « de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100). D’ailleurs, lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser la preuve à nouveau pour arriver à une autre décision (Vavilov au para 125).

B. La norme de contrôle pour l’équité procédurale

[26] Les allégations de manquement à l'équité procédurale sont examinées par la Cour d'une manière qui s'apparente à l'application de la norme de contrôle de la décision correcte (Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1297 au para 19).

[27] La cour de révision doit procéder à sa propre analyse pour déterminer si le processus suivi par le décideur était équitable, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, y compris celles décrites dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 21-28, Chemins de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 54.

VI. Dispositions législatives pertinentes

[28] L’article 28 de la LIPR prévoit les obligations en matière de résidence que doivent respecter les résidents permanents:

Obligation de résidence

28 (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

Application

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(i) il est effectivement présent au Canada,

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

Residency obligation

28 (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

Application

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

(i) physically present in Canada,

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent,

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

(i) if they have been a permanent resident for less than five years, that they will be able to meet the residency obligation in respect of the five-year period immediately after they became a permanent resident;

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five-year period immediately before the examination; and

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

[29] La SAI peut permettre qu’un appel soit interjeté à l’égard d’une mesure de renvoi pour des MOH, ou surseoir à cette mesure, si elle est convaincue qu’il y a « des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » (alinéa 67(1)c) et paragraphe 68(1) de la LIPR).

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Sursis

68 (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Removal order stayed

68 (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

VII. Observations des parties

A. Observations du demandeur

(1) La décision de la SAI est déraisonnable

[30] Monsieur Hadjali soutient essentiellement que l’analyse de la SAI des MOH n’est pas raisonnable parce qu’elle a mené une évaluation incomplète de la preuve, en particulier en ce qui concerne son frère handicapé. La SAI n’aurait pas tenu compte que la preuve indique que l’état de santé de son frère s’est détérioré en 2012. M. Hadjali reproche également à la SAI de ne pas avoir pris soin d’examiner les photos qu’il a soumises accordant ainsi peu d’importance à l’assistance qu’il portait à son frère handicapé décédé en 2019.

[31] Un autre argument mis de l’avant par M. Hadjali pour soutenir que la décision de la SAI n’est pas raisonnable est que bien qu’elle reconnaisse que les frontières de l’Algérie ont été fermées en raison de la pandémie, elle lui reproche de ne pas avoir accordé autant de préoccupation à son retour au Canada. Cela, parce qu’il n’a jamais arrêté de travailler quittant son emploi que quelques mois avant son arrivée au Canada en 2023, alors qu’il a indiqué qu’après la mort de son frère en 2019, il avait la préoccupation de revenir au Canada rapidement.

[32] Monsieur Hadjali soutient également que la SAI n’a pas pris en considération dans son analyse, l’intérêt supérieur de l’enfant mineur de sa sœur vivant au Canada, ce qui rend sa décision déraisonnable.

(2) La SAI a manqué à l’équité procédurale

[33] Monsieur Hadjali avance l’argument que la SAI a manqué à l’équité procédurale en omettant d’être et de paraitre impartiale. Cela, parce qu’en début d’audience et alors qu’il se représentait seul, la SAI lui a offert deux options quant à la façon de procéder relativement à l’ordre des interrogatoires. Selon l’option 1, le demandeur commence en racontant son histoire, puis le représentant du ministre lui pose des questions, alors que selon l’option 2, le représentant du ministre commence par poser des questions au demandeur, puis le demandeur suit avec son récit. Selon M. Hadjali, la SAI a mis l’emphase sur l’option 2 en indiquant que la plupart des gens qui se représentent seuls choisissent cette option. Il ajoute qu’après qu’il eut choisi l’option 2, la SAI a choisi de procéder selon l’option 1 sans attendre sa confirmation et après que le représentant du ministre eut indiqué préférer l’option 1.

[34] M. Hadjali soutient qu’il avait une attente légitime que l’option 2 découlait d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel devant la SAI en l’absence d’un conseil, surtout que le commissaire a mentionné ce qui suit : « La plupart des gens dans votre situation choisisse l’option 2. » Selon les prétentions du demandeur, lors de l’audience devant cette Cour, par ces paroles, la SAI lui a fait croire que l’option 2 était meilleure.

B. Observations du défendeur

(1) La décision de la SAI est raisonnable

[35] Le défendeur soumet que la décision de la SAI est raisonnable compte tenu de la preuve au dossier. Il souligne que le statut de résident permanent n’est pas un statut qui doit être accordé à la légère. Pour le défendeur, l’étendue du manquement à l’obligation de résidence de M. Hadjali est absolue, puisqu’un résident permanent est tenu de résider 730 jours au Canada par période de cinq ans, conformément à l’article 28 de la LIPR et que M. Hadjali n’avait aucun jour de résidence pour la période de cinq ans du 21 juin 2018 au 21 juin 2023. Le défendeur soutient que dans ces circonstances, la SAI pouvait raisonnablement conclure que d’importants MOH devaient être démontrés pour contrebalancer l’importance du manquement du demandeur.

[36] Le défendeur fait également valoir que la décision de la SAI a apprécié toutes les explications de M. Hadjali et qu’elle s’est montrée sensible à la situation de son frère trisomique. Il estime que la SAI a raisonnablement jugé que les raisons évoquées par M. Hadjali pour justifier son départ et le fait qu’il ne soit pas revenu à la première occasion ne justifient pas la prise de mesures spéciales.

[37] Pour le défendeur, la SAI a évalué le degré d’établissement du demandeur et qu’elle a accordé un poids favorable à la période d’établissement après l’obtention de sa résidence permanente en 2012, tout en notant que cette période était postérieure à l’émission de la mesure de renvoi, ce qui en diminuait son poids. Il estime que la SAI a raisonnablement conclu que les liens familiaux au Canada et l’intérêt supérieur de l’enfant de M. Hadjali ne militent pas en faveur de la prise de mesures spéciales et que le défendeur note qu’il pourrait retourner auprès de sa famille en Algérie et se trouver un emploi rapidement, étant diplômé en informatique.

[38] Le défendeur avance que dans le cadre de ce contrôle judiciaire, M. Hadjali ne fait que réitérer ses différentes explications qu’il a présentées à la SAI et que même si ses explications lui semblent raisonnables, il appartenait à la SAI de les apprécier. Il réfute l’argument de M. Hadjali voulant que la SAI n’ait pas tenu compte de toute la preuve soumise et soumette plutôt qu’un examen complet et sérieux des éléments dont elle disposait a eu lieu. Pour le défendeur, M. Hadjali recherche essentiellement une réévaluation plus favorable de la preuve, ainsi qu’une appréciation différente du poids accordé à certains des facteurs énoncés dans sa décision.

(2) Aucun manquement à l’équité procédurale n’a été démontré

[39] Le défendeur soumet que la prétention de manquement à l’équité procédurale du demandeur n’est pas fondée puisqu’il appert clairement des extraits de la transcription que le conseil du Ministre ne faisait qu’une proposition, prenant bien soin de dire : « Si ça vous convient, on va faire ça ensemble ». Pour le défendeur, si M. Hadjali n’était pas d’accord avec la proposition du conseil du Ministre quant à l’ordre des interrogatoires, il pouvait très certainement le dire, ce qu’il n’a pas fait.

[40] Le défendeur soumet que M. Hadjali n’allègue aucun préjudice subi du fait de l’ordre des interrogatoires ayant eu lieu lors de l’audience devant la SAI et que la prétention du demandeur ne saurait attirer l’attention de la Cour.

VIII. Analyse

A. La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son application des critères à prendre en considération dans le cadre de son appréciation des motifs d’ordre humanitaire?

[41] D’abord, l’article 28 de la LIPR exige du résident permanent qu’il soit effectivement présent au Canada pendant au moins 730 jours pendant une période de cinq ans. La SAI peut permettre qu’un appel soit interjeté à l’égard d’une mesure de renvoi pour des MOH, ou surseoir à cette mesure, si elle est convaincue qu’il y a « des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » (alinéa 67(1)c) et paragraphe 68(1) de la LIPR).

[42] Ensuite, l’exemption pour MOH est discrétionnaire et exceptionnelle (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177, au para 16).

[43] Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Hadjali. À mon avis, la SAI n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son application des facteurs à prendre en considération dans le cadre de son appréciation des MOH évoqués par M. Hadjali.

[44] La SAI a analysé les facteurs à prendre en considération dans le contexte d’une demande de redressement équitable relativement aux exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR qui établis dans la décision Ambat c Canada (MCI), 2011 CF 292 et ont par la suite été confirmés dans d’autres affaires, par exemple la décision Gill c Canada (MCI), 2018 CF 649. Il s’agit des facteurs suivants :

· L’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

· Les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

· Le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

· Les liens familiaux avec le Canada;

[45] En l’occurrence, la SAI a analysé l’ensemble de ces facteurs de la manière décrite plus haut. En particulier, la SAI a considéré la preuve au dossier concernant le frère handicapé de M, Hadjali. Elle n’a pas ignoré sa prétention voulant que son état de santé se soit aggravé en 2012, mais a simplement noté que selon la preuve au dossier il est handicapé depuis sa naissance, une situation dont M. Hadjali était au courant avant même son départ pour le Canada en 2012. La SAI a noté qu’en 2012, le frère de M. Hadjali a été victime de crise d’épilepsie en faisant référence en note de bas de page à la preuve au dossier datant de 2014 et que c’était une personne qui nécessitait des déplacements à l’hôpital et des hospitalisations régulières. La SAI n’a pas remis en question l’état de santé du frère de M. Hadjali, ni que sa santé ait pu s’aggraver en 2012.

[46] Quant aux photos, montrant M. Hadjali en compagnie de son frère et d’autres personnes, le fait que la SAI ne les a pas spécifiquement mentionnées ne suffit pas pour établir qu’elle a omis de les considérer. La SAI ne remet pas en cause que M. Hadjali ait été présent dans la vie de son frère.

[47] Ce qui est déterminant pour la SAI est que M. Hadjali n’a pas justifié de façon satisfaisante pourquoi il est demeuré en Algérie de 2015 à 2019, année du décès de son frère, pour lui porter assistance et que sa présence était requise durant cette période. La SAI a pris en considération que M. Hadjali s’est montré incapable d’expliquer son rôle concernant le bien-être de son frère, outre le fait qu’il devait travailler afin de subvenir aux besoins de la famille et qu’il représentait l’homme de la famille et qu’il n’a jamais discuté avec sa mère, ses sœurs dont l’une était adulte ou même son épouse à l’époque d’un arrangement possible afin que les responsabilités relatives aux soins de son frère soient partagées entre tous, ce qui aurait permis à M. Hadjali de respecter son obligation de résidence. Dans ce contexte, je trouve qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure comme elle l’a fait.

[48] La SAI n’a pas spécifiquement mentionné l’intérêt supérieur de l’enfant mineur de la sœur de M. Hadjlali qui vit au Canada. Cependant, je note que la SAI a tenu compte des liens familiaux de M. Hadjali au Canada dont la présence de sa sœur qui selon lui est arrivée au Canada le 28 octobre 2023, soit environ deux mois et demi avant son audience devant la SAI. Considérant les liens familiaux du demandeur en Algérie où vivent sa mère, sa sœur, son enfant mineur qui vit avec son ex-épouse et qui dépend de ses parents pour subvenir à ses besoins, que M. Hadjali vit près d’eux lorsqu’il se trouve en Algérie dans la résidence familiale avec sa mère et sa sœur, je suis d’avis que la SAI a raisonnablement conclu que la preuve au dossier démontre que ses liens familiaux sont plus forts en Algérie qu’au Canada et que ce facteur ne milite pas en faveur de la prise de mesures spéciales.

[49] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser la preuve à nouveau pour arriver à une autre décision (Vavilov au para 125).

[50] À mon avis, le raisonnement de la SAI, lorsqu’il est interprété de manière globale et contextuelle, fait preuve d’une cohérence intrinsèque et d’une rationalité qui permettent à la Cour de relier les points (Vavilov, aux para 85 et 97,citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11).

[51] Je conclus que la décision de la SAI possède les caractéristiques d’une décision raisonnable que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99).

B. La SAI n’a pas manqué à l’équité procédurale

[52] Quant aux reproches de M. Hadjali voulant qu’il y ait eu de la part de la SAI, manquement à l’équité procédurale du fait que la SAI aurait adopté l’ordre des interrogatoires proposé par le représentant du Ministre et qu’il avait une attente légitime quant à l’une des options proposées sur l’ordre à suivre, je juge qu’ils ne sont pas fondés.

[53] La norme décrite par la Cour suprême pour établir une attente légitime est de savoir s'il y a eu une promesse claire, non ambiguë et non qualifiée qu'une certaine procédure sera suivie (Agraira c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36 aux para 95-96).

[54] La jurisprudence de cette Cour reconnaît que les demandeurs ont le droit de s'appuyer sur les procédures établies et les politiques accessibles au public de l'organe administratif, même si elles ne sont généralement pas juridiquement contraignantes. Le fait que le décideur ne suive pas ses propres procédures ou qu'il s'écarte unilatéralement des pratiques établies sans préavis peut constituer une violation de l'équité procédurale (Tafreshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1089 au para 18; Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 FC 1096 aux para 25-27 [Kandiah]).

[55] Il est également reconnu que lorsqu'un organe administratif modifie ses procédures d'une manière qui affecte les demandeurs, l'équité procédurale peut exiger que les personnes concernées soient avisées des changements et aient la possibilité de s'adapter ou de se conformer aux nouvelles procédures, en particulier si les changements pourraient avoir des conséquences importantes ou « fatales » pour leurs demandes (Kandiah aux para 26-27; Popova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 FC 326 au para 11).

[56] En l’occurrence, les extraits de la transcription de l’audience devant les échanges à propos de l’ordre des interrogatoires se lisent comme suit :

(8 :35) (Commissaire) « Donc. Parce que vous n’êtes pas représenté, nous avons deux options, en ce qui concerne votre témoignage. Ok. L’option 1, vous débutez par nous conter votre histoire et il se peut que je vous pose des questions. Ensuite, la représentante du ministre vous posera des questions en contre-interrogatoire. L’option 2, c’est, nous débutons avec la représentante du ministre qui vous pose des questions que vous aurez ensuite la chance d’argumenter quand la représentante du ministre aurait terminé ses questions. La plupart des gens dans votre situation choisisse l’option 2. Donc on commence? »

(9 :10) (Demandeur) Oui.

(9 :12) (La représentante du ministre) Moi j’aurai suggéré l’option 1 ce matin. (Rire)

(9 :17) (Commissaire) Ah ok. D’accord

(9 :19) (La représentante du ministre) (Rire) Monsieur. Parce que je pense qu’il a quand même bien envoyé ses pièces et tout ça. Je le laisserai nous expliquer pis ce que j’aimerai faire avec vous Monsieur Hadjali c’est vous commencez puis quand j’ai une question qui survient, je vais vous la poser. Comme ça. Ça. On reste dans le. On ne revient pas en arrière. Si ça vous convient, on va faire ça ensemble.

(9 :42) (Demandeur) Ok.

(9 :43) (Représentante du ministre) Ok.

(9 :44) (Commissaire) Bon. Ben. C’est encore mieux. Parfait.

(9 :47) (Représentante du ministre) (Rire) Super.

(9 :48) (Commissaire) Donc euh.. Monsieur Hadjani. Nous sommes prêts à entendre votre témoignage.

[57] Ainsi, au début de l’audience, la SAI a énoncé deux options qu’elle a expliquées en indiquant que l’une d’entre elles est plus souvent choisie par des personnes non représentées; ce qui ne crée pas une attente légitime de suivre l’option 2. D’autant plus, que comme le souligne le défendeur, il appert clairement des extraits de la transcription que le représentant du Ministre a fait une proposition et que la SAI a pris la peine de demander à M. Hadjali si cela lui convenait, ce à quoi il a répondu : « O.K. ».

[58] Je suis d’avis que la SAI a respecté les fondements de l’équité procédurale.

IX. Conclusion

[59] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[60] Les parties ne soulèvent pas de question certifiée, et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans IMM-4102-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4102-24

INTITULÉ :

LYES HADJALI c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 2 AVRIL 2025

COMPARUTIONS :

Chakib Benhadji Serradj

Pour LE DEMANDEUR

Suzanne Létourneau

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chakib Benhadji Serradj

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.