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Date : 20250403

Dossier : IMM-14951-23

Référence : 2025 CF 620

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 avril 2025

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

EKEMUDEMEABASI JAMES AKPAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un délégué du ministre le 8 novembre 2023. Le délégué a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada et a pris une mesure d’exclusion contre elle.

[2] La demanderesse, une citoyenne du Nigéria, étudie au Canada. Elle est entrée au pays en août 2018 en tant que résidente temporaire titulaire d’un permis d’études.

[3] En février 2022, la demanderesse a demandé le renouvellement de son passeport nigérian, lequel venait à échéance le 7 mai 2022. La délivrance du nouveau passeport a été retardée, un retard que la demanderesse explique par un problème avec l’un de ses passeports antérieurs ayant causé une anomalie dans le système nigérian. Elle a reçu son nouveau passeport le 25 août 2022.

[4] Le permis d’études de la demanderesse a expiré le 7 mai 2022, et le délai de 90 jours prévu pour rétablir son statut a également pris fin avant la réception du nouveau passeport. La demanderesse est demeurée au Canada.

[5] Le 2 février 2023, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Dans ce rapport, il conclut que la demanderesse est une étrangère ayant été autorisée à entrer au Canada et qu’elle est interdite de territoire en application de l’article 41 de la LIPR en raison d’un manquement aux conditions auxquelles elle était assujettie au titre du paragraphe 29(2) de la LIPR. La demanderesse a été déclarée interdite de territoire parce qu’elle n’a pas quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée par son permis d’études.

[6] Le rapport d’interdiction de territoire établi par l’agent de l’ASFC a été transmis à un délégué du défendeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

[7] En novembre 2023, à la suite d’un entretien avec la demanderesse, le délégué du ministre a conclu que celle-ci était interdite de territoire au Canada au titre de l’article 41 et du paragraphe 29(2) de la LIPR. Lors de l’entretien, la demanderesse n’a pas contesté l’exactitude des allégations contenues dans le rapport d’interdiction de territoire. Elle a informé le délégué de ses efforts pour obtenir un nouveau passeport nigérian, puis pour régulariser son statut.

[8] Le 8 novembre 2023, le délégué a pris une mesure d’exclusion contre la demanderesse en vertu du sous-alinéa 228(1)c)(iv) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

[9] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse demande à la Cour d’annuler la mesure d’exclusion prise contre elle parce qu’elle est déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[10] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être rejetée.

I. Norme de contrôle applicable

[11] La norme de contrôle qui s’applique à la décision du délégué du ministre est celle de la décision raisonnable, comme l’indique l’arrêt Vavilov : Marogi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 418 au para 18; Shah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 234 au para 10.

[12] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste en une appréciation empreinte de retenue et de rigueur, qui vise à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12-13 et 15; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux para 8, 63. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont le décideur disposait, constituent le point de départ du contrôle. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 91-97, 103, 105-106 et 194; Mason, aux para 8, 59-61, 66.

[13] Les exigences du régime législatif applicable et de la jurisprudence contraignante constituent des contraintes qui ont une influence sur la décision : Vavilov, aux para 106, 108, 111-113. Comme il est indiqué dans l’arrêt Vavilov, « [t]out précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables ». Ainsi, il serait généralement déraisonnable que le décideur interprète ou applique une disposition législative sans égard à un précédent contraignant : Vavilov, au para 112.

[14] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable en convainquant la Cour qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, aux para 75, 100.

II. Décision du délégué du ministre et dossier

[15] Le 8 novembre 2023, le délégué du ministre a pris une mesure d’exclusion contre la demanderesse en vertu de l’article 228 du RIPR. Il était convaincu que la demanderesse était une étrangère visée par l’article 41 de la LIPR qui devait être interdite de territoire pour avoir manqué à la LIPR en raison d’un acte ou d’une omission, commis directement ou indirectement, en contravention avec une disposition de la LIPR, plus précisément le paragraphe 29(2) prescrivant au résident temporaire de respecter les conditions imposées par le RIPR et la LIPR.

[16] Le dossier certifié du tribunal contenait deux pages de notes rédigées par le délégué du ministre, des images des documents fournis par la demanderesse ainsi que le rapport et les notes dactylographiées de l’agent de l’ASFC.

[17] Dans ses notes, le délégué précise la démarche qui a été suivie lors de l’entretien du 8 novembre 2023 avec la demanderesse. Cette démarche a consisté notamment en un examen du rapport de l’agent et des circonstances à l’origine de l’interdiction de territoire envisagée.

[18] Le délégué confirme dans ses notes que, lors de l’entretien, la demanderesse n’a pas contesté les circonstances à l’origine de son interdiction de territoire fondée sur l’article 41; elle ne l’a pas fait non plus devant la Cour. Selon ces notes, lorsque le délégué a demandé à la demanderesse si elle avait quelque chose à dire sur les allégations à l’origine de son interdiction de territoire, elle a répondu ce qui suit :

  • elle a voulu renouveler son passeport, mais ce n’était pas possible [traduction] « à cause des empreintes digitales »;

  • elle a demandé un nouveau passeport en mars 2022;

  • en août 2022, elle a présenté une nouvelle demande de permis d’études;

  • en février 2023, elle a demandé un permis de séjour temporaire.

[19] Dans ses notes, le délégué confirme que, au vu de la preuve, il était convaincu que les allégations s’avéraient fondées et que la demanderesse était une personne visée par le paragraphe 41 de la LIPR. Il y confirme également que, à l’issue de l’entretien, il a pris une mesure d’exclusion contre la demanderesse et lui a remis une copie du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) ainsi qu’un avis au sujet du contrôle judiciaire.

[20] Le dossier certifié du tribunal contenait également les documents suivants :

  • des images du passeport nigérian de la demanderesse, lequel était valide du 8 mai 2017 au 7 mai 2022;

  • un permis d’études délivré par le Canada, valide du 25 juillet 2017 au 31 juillet 2021;

  • un second permis d’études délivré par le Canada, valide du 18 octobre 2021 au 7 mai 2022. Sous la rubrique « Conditions », le second permis d’études porte la mention [traduction] « DOIT QUITTER LE CANADA AU PLUS TARD LE 2022/05/07 ». Sous la rubrique « Observations », il est indiqué ceci : [traduction] « STATUT DE RÉSIDENT TEMPORAIRE RÉTABLI AU TITRE DE L’ARTICLE 182 » et « DOCUMENT DÉLIVRÉ POUR LA DURÉE DU PASSEPORT. DOIT ÊTRE RENOUVELÉ POUR D’AUTRES PROLONGATIONS ».

[21] Le rapport et les notes de l’agent de l’ASFC figuraient également dans le dossier présenté au délégué. Les notes au dossier indiquent que la demanderesse [traduction] « affirme qu’[elle] étudiait à Ryerson jusqu’au 7 mai 2022. Elle a demandé une prolongation, mais n’a pas pu obtenir les documents requis à temps ». Elle a également [traduction] « affirmé que son passeport expirait à peu près au moment où on l’avait informé qu’elle devait quitter le Canada le 7 mai 2022 ». De plus :

[traduction]

La cliente a affirmé qu’elle savait qu’elle aurait dû quitter le Canada après la fin de sa période de séjour autorisée. Elle a indiqué que, au moment où elle devait quitter le Canada, son passeport avait expiré. Elle a déclaré qu’elle avait communiqué avec un représentant du haut-conseil [sic] du Nigéria au sujet du renouvellement de son passeport. Elle n’a pas obtenu de renouvellement ni de réponse avant le mois d’août de la même année.

[22] Dans les notes au dossier, l’agent de l’ASFC confirme que la demanderesse a demandé une prolongation de son permis d’études le 6 janvier 2023.

III. Dispositions législatives et jurisprudence applicables

A. Dispositions législatives applicables

[23] Les paragraphes 44(1) et (2) de la LIPR sont ainsi rédigés :

Rapport d’interdiction de territoire

 

Preparation of report

 

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien-fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

44 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Referral or removal order

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

[24] Le paragraphe 29(2) et l’article 41 de la LIPR disposent :

Obligation du résident temporaire

Obligation – temporary resident

29 (2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

[...]

Manquement à la loi

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

29(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

[...]

Non-compliance with Act

41 A person is inadmissible for failing to comply with this Act
(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act;

[25] Le sous-alinéa 228(1)c)(iv) du RIPR est ainsi rédigé :


Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

Subsection 44(2) of the Act foreign nationals

228 (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci-après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

[...]

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

[...]

(iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion,

228 (1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

[...]

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

[...]

(iv) failing to leave Canada by the end of the period authorized for their stay as required by subsection 29(2) of the Act, an exclusion order,

B. Rôle du ministre (et de son délégué) pour l’application du paragraphe 44(2)

[26] Pour situer la présente affaire, il est utile de commencer par examiner l’article 44 de la LIPR et son interprétation dans la jurisprudence.

[27] Il existe toute une variété de situations factuelles et de dispositions de la LIPR qui peuvent mener à l’application de l’article 44, en particulier au rapport prévu au paragraphe 44(1) et à la décision visée au paragraphe 44(2). Qui plus est, le paragraphe 44(2) comprend deux occurrences du mot-clé « peut » (« peut déférer l’affaire » et « peut alors prendre une mesure de renvoi »).

[28] La Cour d’appel fédérale et notre Cour se sont penchées à maintes reprises sur le sens et la portée du verbe « peut » utilisé au paragraphe 44(2), y compris sur l’existence, la nature et la portée du « pouvoir discrétionnaire » que confère cette disposition : voir, par exemple, Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CAF), 2006 CAF 126, [2007] 1 RCF 409 aux para 18-22, 38; Obazughanmwen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CAF 151 au para 40. Dans l’arrêt Cha, la Cour d’appel fédérale a donné les explications suivantes :

[21] Le paragraphe 44(2) de la Loi s’applique à tous les motifs d’interdiction de territoire. Ces motifs se rattachent à des domaines aussi divers que la sécurité, les atteintes aux droits humains ou au droit international, la grande criminalité, la criminalité, les activités de criminalité organisée, l’état de santé, la situation financière, les fausses déclarations et les violations de la [LIPR]. La complexité des faits en cause varie selon le motif concerné. Certains motifs comportent des aspects juridiques et d’autres pas. Le paragraphe 44(2) s’applique tant aux résidents permanents qu’aux étrangers, lesquels ne font habituellement pas l’objet d’un traitement identique dans la Loi. Il vise tant le pouvoir du représentant du ministre de déférer l’affaire à la Section de l’immigration que celui de prendre lui-même la mesure de renvoi.

[22] Il se peut donc que, en fin de compte, la portée du pouvoir discrétionnaire varie selon les motifs allégués, selon que l’intéressé est un résident permanent ou un étranger ou selon que l’affaire est ou non renvoyée à la Section de l’immigration. Dans certains cas mais pas dans d’autres, il peut y avoir une marge d’appréciation. C’est pour cette raison qu’il a été sage de la part du législateur d’utiliser le terme « peut ».

[29] La Cour d’appel fédérale a confirmé que le pouvoir discrétionnaire conféré au délégué du ministre pour l’application du paragraphe 44(2) existe, mais qu’il est « très limité » : Obazughanmwen, aux para 27, 29. Cette conclusion est conforme aux observations formulées par la juge Côté dans l’arrêt Tran (une affaire de grande criminalité) selon lesquelles « […] même s’il estime le rapport bien‑fondé, le ministre conserve un certain pouvoir discrétionnaire de ne pas déférer l’affaire à la Section de l’immigration » : Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 RCS 289 aux para 6 (citation), 54.

[30] Pour l’application du paragraphe 44(2), le délégué du ministre joue un rôle administratif, et non juridictionnel, qui sert une fonction de présélection. Il doit s’en tenir à l’examen des faits facilement et objectivement vérifiables concernant la recevabilité, et non statuer sur des questions controversées et complexes de droit et de preuve : Obazughanmwen, aux para 27, 30, 33-37; Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CAF 81 au para 4; Cha, aux para 38, 44, 47; Sidhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CF 1681 aux para 55, 60-61, 78; Shah, aux para 22-23. Par conséquent, il appartient à la Section de l’immigration, et non au délégué du ministre, de trancher pareilles questions : Obazughanmwen, au para 49; Lin, au para 4.

[31] Dans les cas visés à l’article 44 qui comportent de la criminalité au sens des articles 36 et 37, la « situation particulière de l’intéressé, l’infraction, la déclaration de culpabilité et la peine échappent à [l’]examen [des décideurs administratifs] », étant donné le rôle global et la mission de recherche des faits qui incombent au délégué du ministre et à l’agent au titre du paragraphe 44(1) : Obazughanmwen, aux para 31, 39 (citant Cha, au para 35), 45.

[32] Sur la foi du raisonnement exposé dans l’arrêt Obazughanmwen, notre Cour a conclu que les décideurs n’avaient pas le mandat de prendre en compte les circonstances particulières, dont les considérations d’ordre humanitaire, pour l’application du paragraphe 44(2) : Sidhu, aux para 60 (no 2), 62; Marogi, aux para 28-29. Elle a également statué qu’un délégué du ministre peut prendre en compte des considérations d’ordre humanitaire pour l’application du paragraphe 44(2), sans toutefois être obligé de le faire : Matharu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 902 au para 15; Dass c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 624 aux para 40-41; Lawrence c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CF 1637 au para 10. Comme l’a récemment affirmé le juge Diner, [traduction] « [e]n pratique, cela signifie que le délégué du ministre n’est pas tenu d’examiner toutes les circonstances d’une affaire au-delà des facteurs directement liés à l’interdiction de territoire » : Matharu, au para 15; voir l’arrêt Obazughanmwen, au para 55. Si le délégué examine les considérations d’ordre humanitaire, il n’a pas à en faire un long examen, et celui-ci sera susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Akkari c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 1811 au para 7; Matharu, aux para 15-16, citant Dass, aux para 41-42 et Marogi, au para 31.

C. Interdiction de territoire fondée sur le paragraphe 29(2) et l’article 41 de la LIPR menant à la mesure d’exclusion prévue au sous-alinéa 228(1)c)(iv) du RIPR

[33] La présente affaire concerne une étrangère qui a dépassé la durée de séjour autorisée par son visa d’étudiant, c’est-à-dire qu’elle est restée au Canada après l’expiration de son permis d’études. Elle n’a pas demandé – ou n’a pas pu demander en raison de circonstances atténuantes – la prolongation de son visa d’étudiant ou le rétablissement de son statut au Canada parce qu’elle n’avait pas de passeport nigérian valide. Le délégué du ministre l’a déclarée interdite de territoire au Canada et a pris une mesure de renvoi contre elle.

[34] Je commence par analyser l’interaction entre les dispositions applicables de la Loi et du Règlement.

[35] Une personne enfreint la LIPR lorsqu’elle omet de quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée comme l’exige le paragraphe 29(2) de la LIPR et comme le précise l’alinéa 183(1)a) du RIPR (et, dans certains cas, l’alinéa 185a)).

[36] L’étranger qui, directement ou indirectement, contrevient au paragraphe 29(2) est interdit de territoire en application de l’article 41 de la LIPR. Dans pareille situation, l’agent d’immigration peut, en vertu du paragraphe 44(1), établir un rapport et le transmettre au ministre.

[37] Au titre du paragraphe 44(2), s’il estime que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) est bien fondé, le ministre (ou son délégué) peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration, sauf dans deux situations. La première exception s’applique lorsqu’un résident permanent est interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR. La deuxième exception s’applique lorsqu’un étranger se trouve dans les circonstances décrites au paragraphe 228(1) du RIPR.

[38] Le paragraphe 44(2) prévoit que le ministre « peut alors » – c’est-à-dire si l’une de ces deux exceptions s’applique – « prendre une mesure de renvoi ». Aux termes de l’article 223 du RIPR, les « mesures de renvoi » sont de trois types : l’interdiction de séjour, l’exclusion et l’expulsion. Les conséquences associées à chaque type de mesure sont exposées respectivement aux articles 224, 225 et 226 du RIPR. Aux termes de l’article 225, la mesure d’exclusion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada dans l’année suivant l’exécution de la mesure : voir aussi la LIPR, art 52.

[39] Conformément au sous-alinéa 228(1)c)(iv) du RIPR, lorsqu’un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) à l’égard d’un étranger ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que le fait de ne pas avoir quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée comme l’exige le paragraphe 29(2) de la LIPR, et que l’étranger est interdit de territoire en application de l’article 41, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration. En outre, la mesure de renvoi qui est prise dans ces circonstances est l’exclusion.

[40] En résumé, lorsqu’une personne est interdite de territoire parce qu’elle n’a pas quitté le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée, une mesure d’exclusion est prise contre elle. Cette mesure d’exclusion a notamment pour conséquence d’obliger la personne à obtenir une autorisation écrite si elle souhaite revenir au Canada dans l’année suivant l’exécution de la mesure.

[41] En l’espèce, la demanderesse est une étrangère qui a été déclarée interdite de territoire au titre du paragraphe 29(2) et de l’article 41 de la LIPR parce qu’elle se trouvait au Canada sans statut pendant la période visée par le rapport établi par l’agent de l’ASFC en vertu du paragraphe 44(1), rapport en fonction duquel le délégué du ministre a pris les décisions contestées. Par conséquent, la deuxième exception prévue au paragraphe 44(2) s’applique à l’espèce, et le ministre « peut » prendre une mesure de renvoi.

[42] Trois points ressortent des décisions de la Cour sur la question. En premier lieu, la Cour a statué que l’agent est tenu d’agir en prenant une mesure de renvoi lorsque les faits indiquent que l’interdiction de territoire s’applique : Pompey c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 862 aux para 40-43; Rosenberry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 882 aux para 10, 36-37; Lasin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356 aux para 4, 7, 18 (décision à laquelle la Cour d’appel fédérale a renvoyé dans Cha, au para 37), 19. Voir aussi la décision Diakité c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1268 aux para 1, 3-4, 13 (une affaire portant sur l’application du sous-alinéa 228(1)c)(iii)).

[43] Dans la décision Mbaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1037, le juge Leblanc explique ce qui suit :

[12] Il est bien établi que le mandat confié aux agents d’immigration et aux délégués du Ministre aux termes de l’article 44 de la Loi est de rechercher les faits pouvant donner lieu à une interdiction de territoire et d’y donner suite, le cas échéant. Lorsque la recherche des faits révèle qu’un étranger a séjourné au Canada au-delà de la période de séjour autorisée, ils ont comme obligation respective d’établir un rapport et d’y donner suite. Leur marge discrétionnaire est, ici, limitée, sinon inexistante, et les conclusions de faits ayant mené à l’établissement du rapport et au suivi qui en a été fait, sont, lorsque contestées devant cette Cour, assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[44] Cette approche est conforme aux observations formulées dans l’arrêt Cha (aux para 34-36) ainsi qu’à l’analyse qui a été faite de la réparation appropriée dans cette affaire (au para 67). Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans cet arrêt, et rappelé dans l’arrêt Obazughanmwen, l’intention du législateur était d’autoriser le délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2) à prendre une mesure de renvoi dans les cas précisés, « clairs et ne prêtant pas à controverse, et lorsque les faits rendent tout simplement incontournable la prise de cette mesure » : Cha, au para 38 (cité dans l’arrêt Obazughanmwen, au para 40).

[45] En deuxième lieu, la Cour a statué que le délégué n’est pas tenu de prendre en compte la situation personnelle du demandeur ni les considérations d’ordre humanitaire : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1006 aux para 15-17; Niare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 511 au para 13 (renvoyant à la décision Laissi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 393 aux para 17-19). Ces décisions suivent, en fait, les enseignements des arrêts de la Cour d’appel fédérale, en particulier l’arrêt Cha (bien qu’aucune d’entre elles ne renvoie à l’arrêt Obazughanmwen).

[46] En troisième lieu, dans la décision Ouedraogo, la Cour a fait observer que le pouvoir discrétionnaire de l’agent est très limité lorsqu’il s’agit d’examiner si le demandeur qui a dépassé la période de séjour autorisée dans son permis d’études a déposé une demande de rétablissement, ou si l’on peut supposer qu’il aurait présenté une demande dans la période de 90 jours prévue au RIPR : Ouedraogo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 810 aux para 2, 4‑5, 24, 39-40; RIPR, art 182(1). La Cour a également fait remarquer que le délégué ne bénéficie pas du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 44(2) si le demandeur qui a dépassé sa période de séjour autorisée ne se trouve pas dans la période de rétablissement de 90 jours : Ouedraogo, au para 44.

[47] Dans la décision Li, la juge McDonald n’a pas remis en cause l’analyse qui avait été faite dans la décision Ouedraogo. Elle a donné les explications suivantes :

[20] Les circonstances dans la décision Ouedraogo sont très différentes de celles de l’espèce. En l’espèce, le demandeur n’a pas demandé le rétablissement de son statut dans les 90 jours et, est, en fait, resté au Canada sans statut pendant plus de 20 ans. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre, celui-ci a été décrit comme étant « limit[é], sinon inexistan[t] » dans le contexte de la prise d’une mesure d’exclusion (Diakité c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1268 au para 13).

IV. Application des principes juridiques

A. Positions des parties dans le cadre du contrôle judiciaire

[48] La demanderesse a fait valoir que, en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, le délégué du ministre avait le « pouvoir discrétionnaire » de prendre en compte les circonstances atténuantes uniques et particulières qui lui étaient propres et de décider de ne pas prendre de mesure d’exclusion contre elle. Ces circonstances étaient qu’elle avait demandé un nouveau passeport deux mois avant l’expiration de son passeport existant, laquelle coïncidait avec l’expiration de son permis d’études. Cependant, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté relevant du gouvernement nigérian, la demanderesse n’a reçu son nouveau passeport qu’en août 2022. À ce moment, son permis d’études avait déjà expiré, de même que la période de 90 jours prévue pour demander le rétablissement de son statut.

[49] À l’audience devant la Cour, la demanderesse a soutenu que le délégué avait commis une erreur susceptible de contrôle en faisant abstraction des circonstances atténuantes et en omettant de prendre en compte tous les efforts qu’elle avait déployés pour conserver son statut au Canada. À son avis, la mesure d’exclusion a pour but de punir les personnes qui violent délibérément les conditions qui les autorisent à rester légalement au Canada en omettant de prendre les mesures qui s’imposent pour régulariser leur statut. La demanderesse a avancé que, en l’espèce, une mesure d’interdiction de séjour serait plus indiquée, car elle pourrait alors quitter le Canada et régulariser son statut sans avoir à se conformer à la période d’un an prévue au paragraphe 225(1) du RIPR qui s’applique dans le cas de la mesure d’exclusion.

[50] La demanderesse a fait référence aux notes du délégué de novembre 2023 et aux notes dactylographiées de l’agent de février 2023, lesquelles font mention de ses demandes de prolongation de permis d’études et de visa de résident temporaire en vue de régulariser son statut. Elle a également soutenu que, lorsqu’elle avait perdu son statut au Canada à l’expiration de son permis d’études en mai 2022, elle ne pouvait pas quitter le pays, puisqu’elle n’avait pas encore de passeport valide. Elle n’a reçu son nouveau passeport nigérian que le 25 août 2022, soit après la fin de la période de 90 jours pendant laquelle elle aurait pu rétablir son permis d’études.

[51] Enfin, la demanderesse a avancé que, aux fins du contrôle judiciaire, la décision du délégué n’était pas dûment justifiée, car rien n’indiquait qu’il avait tenu compte des circonstances atténuantes. Elle a ajouté que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué s’appliquait à sa demande, et que rien ne donnait à penser que le délégué avait tenu compte de sa situation.

[52] De son côté, le défendeur a fait valoir que la [traduction] « conséquence prévue par la loi » en cas de manquement à la LIPR comme celui de la demanderesse était la prise d’une mesure d’exclusion en vertu du sous-alinéa 228(1)c)(iv), puisque la demanderesse était restée au Canada sans statut après l’expiration de son permis d’études. Par conséquent, a soutenu le défendeur, la décision par laquelle le délégué avait déclaré la demanderesse interdite de territoire en vertu de l’article 41 de la LIPR et pris une mesure d’exclusion contre elle reposait sur un fondement raisonnable. Même si, comme le défendeur l’a reconnu, le délégué disposait d’un [traduction] « pouvoir discrétionnaire limité », la loi ne l’obligeait pas à tenir compte de la situation de la demanderesse. La décision de prendre une mesure d’exclusion était raisonnable au regard du régime législatif applicable.

[53] À l’audience, invoquant la décision Pompey, le défendeur a fait valoir que le délégué n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas prendre de mesure de renvoi et qu’il ne pouvait que vérifier l’exactitude des faits indiqués dans le rapport de l’agent. Il s’est appuyé sur les décisions Ouedraogo et Li pour affirmer que le pouvoir discrétionnaire du délégué se limitait à déterminer si la demanderesse avait demandé le rétablissement de son statut durant la période de 90 jours prévue au RIPR. Le délégué a rendu sa décision en novembre 2023, bien plus d’un an après la fin de la période de 90 jours. Le défendeur s’est appuyé sur l’article 183 du RIPR.

[54] Le défendeur a réaffirmé que le délégué avait décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre en considération les circonstances atténuantes propres à la demanderesse. Selon le défendeur, lue à la lumière des deux pages de notes dactylographiées et des précisions manuscrites ajoutées pendant l’entretien avec la demanderesse, la décision du délégué ne révèle aucune mention de demande de dispense (outre une demande implicite de ne pas prendre de mesure d’exclusion en raison de circonstances atténuantes), aucune prise en compte explicite des circonstances atténuantes de la demanderesse ni aucune conclusion à leur sujet. Le défendeur a soutenu que cela était conforme au rôle du délégué et à son pouvoir discrétionnaire limité établi par la jurisprudence. Il n’y a pas eu de demande de report pour permettre à la demanderesse de régulariser son statut, comme ça avait été le cas dans l’affaire Akkari.

B. Examen de la décision du délégué

[55] À mon avis, suivant l’application des principes de contrôle judiciaire applicables issus de l’arrêt Vavilov, la décision du délégué du ministre était raisonnable.

[56] Je ne partage pas l’avis du défendeur lorsqu’il affirme que la LIPR limite le pouvoir du délégué en ne lui accordant aucun pouvoir discrétionnaire et en exigeant qu’il s’en tienne à un examen du bien-fondé du rapport de l’agent établi en vertu du paragraphe 44(1). Bien que le pouvoir discrétionnaire de l’agent en vertu du paragraphe 44(2) soit très limité, la loi elle-même (« […] peut alors prendre une mesure de renvoi ») et la jurisprudence reconnaissent qu’il existe un certain pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a lieu ou non de prendre une mesure de renvoi.

[57] Il n’est ni nécessaire ni judicieux de tenter de décrire plus avant l’étendue du pouvoir discrétionnaire d’un délégué en droit. Néanmoins, deux questions liées aux contraintes juridiques sont pertinentes pour l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

[58] En premier lieu, l’existence d’une période de 90 jours pour le rétablissement du statut prévue au paragraphe 182(1) du RIPR a une incidence sur le pouvoir discrétionnaire du délégué. Selon cette disposition, en tant que résidente temporaire titulaire d’un permis d’études, la demanderesse pouvait demander le rétablissement de son statut temporaire au Canada dans les 90 jours suivant la perte de ce statut : voir le RIPR, art 183(1)a) et 185a). Ainsi, le RIPR établit déjà un mécanisme par lequel l’étranger dispose d’une période limitée pour rétablir son statut au Canada après qu’il l’a perdu et une fois qu’il est présumé devoir quitter le pays. Le régime législatif prévoit que certaines personnes puissent invoquer des circonstances atténuantes et avoir besoin d’un délai supplémentaire après l’expiration de leur permis de séjour temporaire pour régulariser leur statut au Canada. Voir la décision Ouedraogo, dans laquelle la Cour devait déterminer si le demandeur avait demandé le rétablissement de son statut et a conclu que le pouvoir discrétionnaire n’était pas le même avant et après l’expiration de la période de 90 jours : Ouedraogo, aux para 39-47. Voir aussi la décision Sui c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 1314, [2017] 3 RCF 218 aux para 50-59.

[59] En second lieu, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que, si le délégué décidait de prendre une mesure de renvoi dans les circonstances de l’espèce, la LIPR et le RIPR l’obligeraient à prendre une mesure d’exclusion. Une lecture du paragraphe 44(2) de la LIPR ainsi que du sous-alinéa 228(1)c)(iv) du RIPR révèle que le seul type de mesure de renvoi que le délégué pouvait prendre à l’égard de la demanderesse, après avoir conclu au bien-fondé du rapport d’interdiction de territoire, était l’exclusion. Plus précisément, le régime législatif détermine le type de mesure d’exclusion à prendre; il s’agit de l’effet combiné des circonstances visées au paragraphe 44(2) et énoncées au sous-alinéa 228(1)c)(iv), de la formulation impérative utilisée dans la version anglaise (« shall ») du préambule du paragraphe 228(1) et de la mention expresse de l’exclusion au sous-alinéa (iv). (En français, la formulation du préambule du paragraphe 228(1) est déclarative : « […] l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration […] ».)

[60] Compte tenu de ces contraintes législatives et de la jurisprudence applicable, je ne suis pas convaincu que la décision du délégué de prendre une mesure d’exclusion était déraisonnable en l’espèce.

[61] Le statut temporaire de la demanderesse au Canada a expiré le 7 mai 2022, conformément aux conditions de son permis d’études et au RIPR. La demanderesse elle-même, tout comme le rapport et les notes de l’agent de l’ASFC, confirme qu’elle n’a pas contesté les faits ayant mené à son interdiction de territoire au titre de l’article 41 et du paragraphe 29(2). Ces mêmes sources confirment que la demanderesse n’a pas présenté de demande de rétablissement de statut au cours de la période de 90 jours prévue au RIPR. Dans ces circonstances, la LIPR et le RIPR prévoient que le délégué du ministre est tenu d’agir en fonction des faits incontestés liés à l’interdiction de territoire : Cha, au para 35 (cité dans l’arrêt Obazughanmwen, au para 31); Mbaye, au para 12; Rosenberry, au para 36; Lasin, aux para 18-19.

[62] La décision de prendre une mesure de renvoi sous la forme d’une mesure d’exclusion était une décision que le délégué était autorisé à prendre, et elle reposait sur des motifs fondés sur les dispositions pertinentes de la LIPR et du RIPR. Le délégué a agi comme le commandaient les faits incontestés relatifs à l’interdiction de territoire de même que le régime établi par le paragraphe 44(2) de la LIPR et le sous-alinéa 228(1)c)(iv) du RIPR.

[63] L’interprétation de la décision à la lumière du dossier présenté au délégué confirme que les conditions énoncées sur le permis d’études de la demanderesse délivré en novembre 2021 étaient claires (elle devait quitter le Canada au plus tard le 7 mai 2022), que les observations confirmaient que le permis expirait en même temps que le passeport de la demanderesse et qu’un nouveau passeport était nécessaire pour la prolongation du permis. Le dossier ne comportait aucune explication de la part de la demanderesse relativement aux raisons pour lesquelles elle n’avait pas demandé de nouveau passeport avant février 2022 ni au délai généralement applicable pour le renouvellement d’un passeport nigérian.

[64] La demanderesse n’a invoqué aucune disposition de la LIPR ou du RIPR ni jurisprudence contraignante qui aurait obligé le délégué à prendre en considération les circonstances [traduction] « atténuantes » qui lui étaient propres. Les renseignements qu’elle avait fournis informaient le délégué de ses efforts pour régulariser son statut après l’expiration de la période de rétablissement de 90 jours prévue au RIPR. Toutefois, la demanderesse ne s’est appuyée sur aucune affirmation claire ou mesure non équivoque du délégué qui aurait signifié qu’il acceptait de prendre en considération les circonstances [traduction] « atténuantes ». Le délégué n’a pas non plus expressément pris en compte ces circonstances dans ses motifs ni confirmé qu’il les avaient examinées, pas plus qu’il n’a accepté de donner à la demanderesse la possibilité de présenter ultérieurement des observations écrites sur le sujet (voir la décision Akkari, quoiqu’elle porte sur l’opportunité de déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour la tenue d’une enquête).

[65] Je n’exclus pas la possibilité qu’il puisse y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une personne parviendrait à démontrer, par exemple, qu’il lui était impossible de demander la prolongation ou le rétablissement de son statut de résident temporaire au Canada. Toutefois, la demanderesse n’a pas fait valoir que c’était le cas en l’espèce.

V. Conclusion

[66] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[67] Les parties ont convenu lors de l’audience que le défendeur devait être le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. L’intitulé sera modifié en conséquence.

[68] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-14951-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné à titre de défendeur.

  3. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-14951-23

 

INTITULÉ :

EKEMUDEMEABASI JAMES AKPAN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) (VIDÉOCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A. D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 AVRIL 2025

COMPARUTIONS :

Ayoola Odeyemi

POUR LA DEMANDERESSE

 

Joseph Granton

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odeyemi Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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