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Date : 20250402


Dossier : IMM-12079-23

Référence : 2025 CF 614

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2025

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MICHAEL MOSHOOD OGUNWOLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Michael Moshood Ogunwola [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 août 2023 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La question déterminante dans la décision de la SAR était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] valable à Abuja.

[2] La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision est déraisonnable au regard de l’analyse faite du premier volet du critère relatif à la PRI.

II. Contexte

[3] Le demandeur, un citoyen nigérian âgé de 53 ans, a fait des études universitaires en génie informatique et en génie électrique. De foi chrétienne, il craint d’être persécuté par la société Ogboni qui, selon lui, le poursuit afin qu’il honore l’engagement qu’avait pris son père de faire de son fils aîné (le demandeur) un membre de la secte. Le demandeur a refusé de se joindre à la secte parce que ce serait contraire à sa foi chrétienne.

[4] Le demandeur a travaillé comme ingénieur en télécommunications dans le nord et l’ouest du Nigéria durant 14 ans. En octobre 2013, un homme igbo nommé Ifany, de l’est du Nigéria, l’a embauché pour effectuer des travaux. Sur le chantier, en raison de perturbations liées à l’équipement, le demandeur a entendu quelqu’un dire que des personnes étaient à sa recherche. Il est parti dès qu’il a pu le faire.

[5] Le demandeur affirme qu’Ifany est membre de la société Ogboni et que lui seul était au courant de ses allées et venues sur ce chantier en particulier. Ifany est originaire d’Aba, qui se trouve à trente minutes de Port Harcourt et à une heure d’Abuja.

[6] Lorsqu’il est revenu chez lui après avoir effectué ces travaux, le demandeur a tenté de trouver un médecin pour son père malade. En raison de ses convictions religieuses, il ne pouvait pas aider son père en appliquant les méthodes de guérison traditionnelles demandées. Le père du demandeur a plutôt fait appel à la demi-sœur de celui-ci pour accomplir le rituel traditionnel de guérison. Elle est tombée malade quelques jours plus tard et est décédée à l’hôpital.

[7] La société Ogboni a sommé le père du demandeur d’honorer son engagement de faire de son fils premier-né un membre de la secte. Le demandeur est retourné chez lui dans l’ouest du pays et il a fait profil bas en sortant très peu de sa maison.

[8] Pendant qu’il se trouvait chez lui, le demandeur a été agressé à deux reprises en l’espace de trois mois. Lors de la dernière agression, le demandeur a été poignardé. Il a quitté le pays pour se rendre aux États-Unis. La mère des enfants du demandeur a mis fin à toute communication avec celui-ci après avoir appris ce qui s’était passé.

[9] Le demandeur prétend qu’il a reçu une dizaine d’appels téléphoniques menaçants de la part de la société Ogboni sur son téléphone nigérian après qu’il eut quitté le pays. Il a détruit la carte SIM de ce téléphone environ un an après s’être enfui aux États-Unis.

[10] Pendant qu’il se trouvait aux États-Unis, le demandeur s’est marié en décembre 2015. L’épouse du demandeur a entamé une procédure de parrainage qui n’a finalement pas abouti en raison de l’échec du mariage. Le demandeur est ensuite venu au Canada et il a demandé l’asile.

[11] La demande d’asile du demandeur a été rejetée le 17 mars 2022 au motif qu’il disposait d’une PRI valable. En appel, la SAR n’a toutefois pas pu évaluer la crédibilité du demandeur ni le caractère valable de la PRI, car la SPR n’avait pas enregistré l’audience. Le 12 octobre 2022, la SAR a renvoyé la demande d’asile à la SPR pour qu’une nouvelle audience soit tenue.

[12] La nouvelle audience devant la SPR a eu lieu le 5 avril 2023. Le 14 avril 2023, la demande d’asile du demandeur a de nouveau été rejetée. La SPR a estimé que la demande d’asile du demandeur soulevait certains doutes quant à la crédibilité, mais elle a accepté l’allégation du demandeur selon laquelle il craignait la société Ogboni en raison de l’engagement pris par son père de faire de son fils un membre de la secte. En fin de compte, la SPR a rejeté la demande d’asile. La question déterminante était l’existence d’une PRI valable. Le demandeur a de nouveau interjeté appel de cette décision devant la SAR.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[13] Le 29 août 2023, la SAR a rejeté l’appel. Elle a examiné le critère à deux volets appliqué par la SPR pour déterminer que le demandeur disposait d’une PRI valable et elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[35] Le critère à deux volets relatif à la PRI est bien établi. Le tribunal doit être convaincu de ce qui suit :

1) il n’existe pas de risque sérieux que le demandeur d’asile soit persécuté dans le lieu proposé comme PRI, ou le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités dans le lieu proposé comme PRI, selon la prépondérance des probabilités;

2) la situation dans la partie du pays proposée comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui lui sont propres, d’y chercher refuge.

[14] En ce qui concerne le premier volet, se fondant sur l’ensemble de la preuve documentaire, y compris le cartable national de documentation [CND] pour le Nigéria, la SAR a déterminé que la société Ogboni ne disposait pas des moyens, des ressources et de l’influence nécessaires pour retrouver le demandeur à Abuja. La SAR a jugé que la section 7.3.3 du point 1.4 du CND établissait la disponibilité de la protection de l’État pour les personnes se trouvant dans la situation du demandeur.

[15] En ce qui concerne la motivation, la SAR a estimé que le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve crédibles pour établir que la société Ogboni l’avait poursuivi après son départ du Nigéria.

[16] Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur a déclaré qu’il avait reçu une dizaine d’appels téléphoniques de membres de la société Ogboni sur une période de près d’un an après qu’il eut quitté le Nigéria. Cependant, il a indiqué qu’il avait fini par détruire la carte SIM de son téléphone portable nigérian. Le tribunal de la SPR n’a pas accepté la raison donnée par le demandeur pour expliquer pourquoi ce renseignement avait été omis dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile. De plus, le demandeur ne disposait pas d’éléments de preuve matériels ni de détails à présenter au tribunal. La SAR a souscrit à cette évaluation de la SPR et a déterminé que le demandeur n’avait pas démontré que la société Ogboni avait la motivation nécessaire pour continuer à le poursuivre.

[17] Le fardeau de la preuve incombant au demandeur, la SAR a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne démontrait que la société Ogboni recherchait le demandeur depuis 2014. Elle a aussi conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que la société Ogboni disposait des moyens et de la motivation nécessaires pour retrouver le demandeur dans la ville proposée comme PRI. La SAR a déterminé que les arguments du demandeur ne suffisaient pas à démontrer que la SPR avait commis une erreur dans sa conclusion. Elle a donc jugé que le premier volet du critère n’était pas satisfait.

[18] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la SAR a jugé que la SPR avait correctement conclu qu’Abuja constituait une PRI valable. Selon la décision, le demandeur ne s’était pas acquitté du lourd fardeau de prouver qu’il serait déraisonnable pour lui, compte tenu de toutes les circonstances, de déménager dans la ville proposée comme PRI. La SAR a renvoyé à la preuve objective qui montrait qu’Abuja était un grand centre urbain où le demandeur pourrait avoir accès à tous les services et traitements. Elle a aussi renvoyé à la preuve sur la situation personnelle du demandeur, qui indiquait ce qui suit : « [...] ce dernier parle couramment l’anglais et le yorouba, est âgé de 52 ans, possède un diplôme universitaire en génie électrique et informatique, a de l’expérience de travail au Nigéria et aux États-Unis et travaille au Canada comme technicien en électromécanique depuis 2019, est chrétien et pourrait pratiquer sa religion [...] ».

[19] En ce qui concerne le fait qu’il lui serait difficile de trouver un emploi en raison de son âge, la SAR a noté que le demandeur n’avait invoqué aucun élément de preuve précis pour appuyer cette allégation. En outre, la SAR a noté que la SPR avait correctement examiné la preuve objective et mis en balance ces difficultés et le taux d’emploi accru chez les travailleurs qualifiés ayant une expérience professionnelle. Le demandeur n’ayant présenté aucun autre élément de preuve, la SAR a estimé que rien n’appuyait les arguments concernant la discrimination fondée sur l’âge formulés en appel. Elle a donc jugé que le deuxième volet du critère n’était pas satisfait.

IV. Question en litige et norme de contrôle applicable

[20] La seule question à trancher est celle de savoir si la SAR a commis une erreur dans l’application du critère relatif à la PRI.

[21] Les parties font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17; Mason). Je suis du même avis. La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer à la décision est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne fait entrer en jeu aucune des exceptions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Par conséquent, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée (Vavilov, aux para 16-17).

[22] Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige de la Cour qu’elle s’attarde au résultat de la décision et au raisonnement sous‑jacent pour établir si la décision, dans son ensemble, possède les trois caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, aux para 15, 99).

[23] Une décision sera jugée déraisonnable si elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Par exemple, une décision pourrait témoigner d’un manque de logique interne du raisonnement ou être indéfendable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov, au para 101). Ce peut être le cas si un décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou s’il n’en a pas tenu compte (Vavilov, au para 126).

[24] Lorsque les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85-86). C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

(1) Position du demandeur

[25] La SAR a déraisonnablement déterminé que le demandeur disposait d’une PRI valable à Abuja et qu’il pourrait déménager dans cette ville sans courir le risque d’être persécuté et sans subir de difficultés déraisonnables ou excessives.

[26] Pour évaluer la relation entre la société Ogboni et la police, la SAR s’est fiée exclusivement à la section 7.3.2 du point 1.4 du CND, un rapport intitulé « EASO Country of Origin Information Report: Nigeria. Country Focus. (2017) ». Cependant, la preuve contradictoire présentée par le demandeur en appel n’a pas été prise en compte. Le point 13.13 du CND intitulé « Nigéria : information sur la société Ogboni (Ogboni Society), y compris sa structure, ses rituels, ses cérémonies, son statut actuel, ses membres et les conséquences que subissent les personnes qui refusent d’adhérer à l’organisation ou qui tentent de la quitter [...] (2021) », un point consacré exclusivement à la société Ogboni, démontre que les forces de l’ordre font preuve de prudence dans la manière dont elles traitent les membres de la société Society.

[27] La conclusion de la SAR selon laquelle l’influence de la société Ogboni était en déclin était aussi déraisonnable compte tenu de la preuve contraire figurant au point 13.13 du CND. Ces renseignements précis sur la société Ogboni démontrent que celle-ci est une [traduction] « importante et puissante institution traditionnelle » au sein de laquelle le [traduction] « plus haut poste » est occupé par la [traduction]« personne la plus "respectée" » ou par [traduction] « l’homme le plus vieux et le plus puissant ». Aussi selon le point 13.13 du CND, la société Ogboni est [traduction] « encore active » aujourd’hui, [traduction] « surtout parmi la génération plus âgée ».

[28] On ne devrait pas attendre du demandeur qu’il rassemble plus d’éléments de preuve qu’il ne l’a fait concernant les moyens et la motivation de la société Ogboni, d’autant plus que le point 13.13 du CND précise qu’il y a [traduction] « très peu d’information ou de preuves concrètes au sujet de la société Ogboni »; que les renseignements disponibles sont [traduction] « hypothétiques »; que les membres de la société Ogboni ne dévoilent pas les [traduction] « secrets » du groupe aux non-membres; ou que les membres sont [traduction] « tenus au secret ».

[29] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur dans son analyse des deux volets du critère relatif à la PRI. Cependant, ce critère est cumulatif. Une erreur relevée dans l’analyse de n’importe quel volet du critère rend la décision déraisonnable dans son ensemble et exige qu’elle soit annulée (Akinola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1308 [Akinola] au para 38).

[30] En ce qui concerne le premier volet, la SAR n’a pas correctement examiné la motivation et l’influence de la société Ogboni. Selon la preuve objective qui figure au point 13.13 du CND, [traduction] « le fait de quitter le groupe engendre des sanctions, surtout [pour] les personnes qui sont nées au sein de familles pour lesquelles ces pratiques sont religion », et la nature de ces sanctions [traduction] « n’est pas vraiment du domaine public », mais les personnes « susceptibles de quitter le groupe peuvent » être « assassinées ». Cette preuve démontre objectivement la motivation dont peut faire preuve la société Ogboni à l’égard d’une personne se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur.

[31] La SAR a pris acte du fait que le demandeur craignait la société Ogboni en raison de l’engagement pris par son père. Compte tenu de ce fait et du point 13.13 du CND, la preuve suffit à démontrer les moyens et la motivation de retrouver le demandeur à Abuja.

[32] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de la situation personnelle du demandeur et des conditions dans le pays. Il n’est pas raisonnable de penser que le demandeur puisse déménager à Abuja sans subir de difficultés déraisonnables et excessives. Cette affirmation est fondée à la fois sur les conditions dans la ville proposée comme PRI et sur la situation personnelle du demandeur, y compris les facteurs liés au transport et au déplacement, à la langue, à l’éducation et à l’emploi, au logement, à la religion, au statut autochtone et à l’accès aux soins médicaux et de santé mentale.

[33] La section 5.3 du point 12.6 du CND montre que la concurrence est forte sur le marché de l’emploi à Abuja, que les chiffres sur l’emploi sont exagérés et que les loyers sont notoirement élevés. Les allochtones doivent composer avec un coût de la vie très élevé, y compris des dépenses alimentaires prohibitives, ce qui ajoute aux difficultés que vivrait le demandeur s’il devait déménager.

[34] La SAR n’a pas effectué sa propre analyse concernant l’emploi; elle s’est plutôt fondée sur la conclusion de la SPR selon laquelle il serait objectivement raisonnable pour le demandeur de déménager étant donné qu’il est qualifié et qu’il a de l’expérience. Elle a agi de façon déraisonnable, surtout si l’on tient compte de l’augmentation du taux de chômage dans la ville proposée comme PRI.

[35] En ce qui concerne le logement et les infrastructures, la SAR n’a pas fait mention de ces facteurs dans son raisonnement. Le point 5.9 du CND montre que les besoins en matière de logements augmentent d’environ 20 % par année à Abuja; il est donc très coûteux de s’installer dans cette ville. Ces facteurs déterminants satisfont au critère des difficultés déraisonnables et excessives.

[36] Enfin, les allochtones d’Abuja ont de la difficulté à accéder aux services gouvernementaux tels que l’éducation et les soins de santé. Le point 13.1 du CND fait état de cette difficulté à accéder aux services gouvernementaux, « [...] y compris la protection de la police dans les cas de violence fondée sur l’origine ethnique ».

[37] Ensemble, le fait que la SAR n’ait pas pris en compte les conditions à Abuja et le fait qu’elle n’ait pas adapté son analyse à la situation particulière du demandeur font en sorte que son analyse du critère relatif à la PRI est erronée et que sa décision est déraisonnable.

(2) Position du défendeur

[38] La preuve objective invoquée n’indique ni l’influence du groupe ni sa capacité à retrouver le demandeur dans la ville proposée comme PRI. Elle confirme plutôt que le demandeur aurait accès à la protection de l’État. L’analyse de la SAR ne comporte aucune erreur.

[39] La SAR a réalisé son propre examen et sa propre évaluation de la preuve au dossier, et elle a fourni des motifs valables pour appuyer ses conclusions. Ses motifs suivent une logique interne qui est cohérente avec le droit et les faits dont elle était saisie. Le demandeur n’a pas démontré l’existence de failles décisives ou de lacunes graves dans la décision de la SAR.

[40] Le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisante, comme il lui incombait de le faire, pour démontrer que la société Ogboni avait les moyens de le retrouver n’importe où au Nigéria et qu’elle était motivée à le poursuivre dans la ville proposée comme PRI et à le persécuter (Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 [Leon] au para 13). La décision de la SAR était intelligible et justifiée au regard du dossier :

  • a)le demandeur n’a pas apporté la preuve que la société Ogboni avait continué à s’intéresser à lui après qu’il eut quitté le Nigéria en 2014;

  • b)la preuve ne suffisait pas à démontrer que la société Ogboni avait les moyens ou la motivation de le retrouver à l’extérieur d’Abeokuta, dans l’État d’Ogun;

  • c)la preuve objective indiquait que l’influence de la société Ogboni avait diminué;

d) la preuve objective indiquait aussi que les personnes se trouvant dans la situation du demandeur pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Nigéria.

[41] Il était raisonnable pour la SAR de déduire que les agents de persécution n’avaient pas d’intérêt continu étant donné l’absence de preuve montrant qu’ils avaient poursuivi le demandeur après son départ du Nigéria en 2014 (Leon, aux para 16, 18, 23). En outre, les arguments du demandeur sur ce point doivent être rejetés, car il s’agit des mêmes arguments que ceux formulés devant la SAR et qu’ils visent à amener la Cour à apprécier à nouveau la preuve.

[42] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la SAR a correctement énoncé et appliqué le critère juridique, notant qu’il incombait au demandeur de s’acquitter du lourd fardeau de démontrer que la ville proposée comme PRI était déraisonnable compte tenu de sa situation. La SAR a pris en compte la disponibilité des services, de même que les capacités linguistiques du demandeur, son éducation, ses compétences professionnelles et sa capacité à pratiquer le christianisme dans la ville proposée comme PRI. La conclusion de la SAR selon laquelle ces facteurs font de la ville proposée comme PRI un choix raisonnable est à la fois intelligible et justifiée.

[43] La SAR a examiné les arguments du demandeur concernant l’âge et elle a notamment conclu ce qui suit :

a) le demandeur n’a avancé aucune source confirmant l’absence de protection contre la discrimination fondée sur l’âge au Nigéria;

b) même en l’absence de protection contre la discrimination fondée sur l’âge, rien ne prouve que l’âge du demandeur l’exposerait à une discrimination telle que la ville proposée comme PRI ne serait pas valable;

c) le demandeur n’a pas démontré que son âge lui occasionnerait des difficultés à trouver un emploi telles qu’elles rendaient la ville proposée comme PRI déraisonnable;

d) la preuve objective indiquait que, même si la recherche d’emploi pouvait être difficile, les personnes qualifiées ayant une vaste expérience professionnelle, comme le demandeur, avaient plus de chances de trouver un emploi.

[44] Même si un demandeur peut être exposé à des difficultés en raison de la perte de son emploi ou d’une qualité de vie ou d’aspirations réduites, ces facteurs ne rendent pas déraisonnable une ville proposée comme PRI (Adebayo c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 330 au para 51, citant Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, 2000 CanLII 16789 (CAF)). La SAR a examiné la situation personnelle du demandeur et a déterminé que la ville proposée comme PRI était valable.

[45] Il incombait au demandeur d’apporter une preuve réelle et concrète établissant que les conditions dans la ville proposée comme PRI, soit Abuja, mettraient sa vie et sa sécurité en péril. Il ne l’a tout simplement pas fait.

[46] Aucun des arguments formulés par le demandeur concernant le logement, les services sociaux, les perspectives d’emploi (à l’exception de l’argument relatif à la discrimination fondée sur l’âge) et le coût de la vie n’a été soumis à l’examen de la SAR; ils ne peuvent donc pas être avancés pour contester la décision de la SAR (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 23-26; Firsov c Canada (Procureur général), 2022 CAF 191 au para 49; Gonzalez Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 69 aux para 40-42).

[47] Le demandeur n’a démontré l’existence d’aucune faille décisive ou lacune grave dans le raisonnement de la SAR. Ses arguments reviennent donc à inviter la Cour à apprécier à nouveau la preuve et à trancher en sa faveur. Ce n’est toutefois pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire.

(3) Conclusion

[48] La décision est déraisonnable en ce qui concerne l’analyse du premier volet du critère relatif à la PRI. Une erreur relevée dans l’analyse de l’un ou l’autre des volets du critère rend la décision déraisonnable dans son ensemble (Akinola, au para 38), puisque les deux volets doivent être satisfaits pour qu’un décideur puisse raisonnablement déterminer qu’une PRI est valable (Miranda Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 416 au para 18).

[49] La SAR n’a pas effectué une évaluation raisonnable des moyens et de la motivation de la société Ogboni de retrouver le demandeur. Bien qu’elle se soit vu présenter une preuve objective de la présence de la société Ogboni, de son influence et de sa capacité à retrouver une cible, la SAR a déclaré que la preuve montrait que l’influence de la société Ogboni était en déclin et que la protection de l’État était accessible.

[50] La SAR n’a pas démontré dans ses motifs qu’elle avait pris en considération la preuve objective selon laquelle la société Ogboni avait une présence établie dans les villes proposées comme PRI. Elle n’a pas non plus accordé de poids à la preuve objective indiquant que la société Ogboni était une organisation importante et puissante, qu’elle comptait de nombreux membres actifs occupant des postes de pouvoir dans les milieux institutionnel, politique et judiciaire, et que les relations entre la police et elle étaient difficiles dans les régions rurales.

[51] Dans l’examen relatif à la PRI, plutôt que de se pencher sur la possible existence de sections secrètes, la SAR s’est concentrée sur la section 7.3.2 du point 1.4 du CND pour déterminer que l’influence de la société Ogboni était en déclin et elle a déclaré que rien n’indiquait qu’une personne dans la situation du demandeur n’aurait pas accès à la protection de l’État. Ce faisant, elle n’a pas tenu compte de la preuve objective qui indiquait le contraire, comme il est mentionné au point 13.13 du CND. La décision est donc déraisonnable.

[52] Comme je conclus que le premier volet du critère n’a pas été satisfait, il n’est pas nécessaire de me prononcer sur le deuxième volet du critère.

VI. Conclusion

[53] La décision démontre une absence de raisonnement logique et cohérent concernant les moyens et la motivation de la société Ogboni de retrouver le demandeur, en particulier compte tenu de la preuve contraire. La décision est donc déraisonnable dans ces circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12079-23

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12079-23

 

INTITULÉ :

MICHAEL MOSHOOD OGUNWOLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 septembre 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 avril 2025

 

COMPARUTIONS :

Ariel Hollander

Pour le demandeur

 

Diane Gyimah

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEWIS & ASSOCIATES

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le demandeur

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le défendeur

 

 

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