Dossier : IMM-12307-23
Référence : 2025 CF 618
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 2 avril 2025
En présence de monsieur le juge Ahmed
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ENTRE : |
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HUGO SERGIO LARA BLANCARTE |
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demandeur |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Hugo Sergio Lara Blancarte, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 6 septembre 2023 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La question déterminante était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) valable à Mérida.
[2] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur dans son évaluation du caractère raisonnable de l’endroit proposé comme PRI.
[3] Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Faits
[4] Le demandeur est un citoyen du Mexique qui exerce la profession de médecin.
[5] En mai 2022, le cartel de Jalisco Nouvelle Génération (le CJNG) a extorqué de l’argent au demandeur parce qu’il le considérait comme aisé.
[6] Le demandeur a tenté de signaler l’extorsion à la police. Le CJNG, qui a su que le demandeur avait tenté de signaler l’extorsion à la police, a augmenté la somme mensuelle qu’il exigeait que ce dernier lui verse.
[7] Le demandeur s’est alors enfui au Canada, où il a demandé l’asile.
[8] Le 7 juin 2023, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce que celui‑ci disposait d’une PRI valable dans la ville de Mérida. Le demandeur a fait appel de la décision de la SPR.
[9] Le 6 septembre 2023, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il serait raisonnable pour le demandeur de se réfugier à Mérida, puisque cette ville est plus sécuritaire que les autres villes mexicaines et que les compétences et l’expérience professionnelle du demandeur lui permettraient de vivre dans un quartier sûr de la ville. C’est la décision de la SAR qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III. Question en litige et norme de contrôle applicable
[10] En l’espèce, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.
[11] Les parties font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17, 23‑25). Je suis d’accord.
[12] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13, 75, 85). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif, du dossier dont disposait le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).
[13] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve qui était à la disposition du décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure »
(Vavilov, au para 100).
IV. Analyse
[14] Le demandeur fait valoir que la décision de la SAR est déraisonnable, puisque cette dernière s’est méprise sur les motifs de la SPR, a fait abstraction du risque généralisé dans son évaluation du caractère raisonnable de la ville proposée comme PRI, et a évalué le caractère sûr de cette ville de manière comparative plutôt que de manière absolue. Le demandeur soutient également que la SAR a mal interprété la preuve sur la situation dans le pays.
[15] Le défendeur fait valoir que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle. Selon le défendeur, la SAR ne s’est pas méprise sur les conclusions de la SPR et a dûment tenu compte du risque généralisé dans son évaluation du caractère raisonnable du lieu proposé comme PRI. Le défendeur soutient en outre qu’il était correct pour la SAR d’évaluer de manière comparative le caractère sûr de la ville proposée comme PRI et que la SAR n’a pas procédé à un examen sélectif de la preuve sur la situation dans le pays. D’après le défendeur, le demandeur cherche simplement à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve d’une manière qui lui est favorable, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[16] Je suis d’accord avec le défendeur.
[17] La SAR ne s’est pas méprise sur les conclusions de la SPR. Le demandeur fait valoir que la SAR [traduction] « a déplacé la conclusion du commissaire de la SPR relative à l’exclusion de la violence généralisée »
et « l’a attribuée à tort au second volet, qui porte sur le caractère raisonnable du lieu proposé comme PRI »
, du critère à deux volets établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517, [1992] 1 CF 706 (CAF) (Rasaratnam). Le demandeur s’appuie sur l’extrait suivant du paragraphe 14 de la décision de la SAR pour étayer son observation [non souligné dans l’original] :
[traduction]
[14] La SPR n’a pas mis en doute l’affirmation [du demandeur] selon laquelle il pourrait être victime d’actes d’extorsion à Mérida de la part de criminels ou de policiers. La SPR a plutôt conclu que le risque d’extorsion était généralisé et que [le demandeur], en tant que professionnel de la santé, n’était pas exposé à un risque d’extorsion excessivement plus élevé que les autres Mexicains vivant à Mérida. [Le demandeur] n’a pas contesté cette conclusion particulière, et je ne vois aucune erreur manifeste dans le raisonnement de la SPR sur ce point.
[18] À mon avis, cet extrait n’appuie pas la proposition du demandeur. La SAR y fait référence à l’évaluation réalisée par la SPR au titre du premier volet du critère relatif à l’existence d’une PRI, mais elle le fait simplement pour démontrer que [traduction] « [l]a SPR n’a pas mis en doute l’affirmation [du demandeur] selon laquelle il pourrait être victime »,
dans une certaine mesure, d’actes criminels dans la ville proposée comme PRI. Les conclusions de la SAR quant au deuxième volet du critère sont énoncées plus loin dans sa décision. Aux paragraphes 19 et 20 de celle‑ci, la SAR a fait observer ce qui suit [non souligné dans l’original] :
[traduction]
[19] Une PRI n’a pas à être totalement exempte de violence pour être valable. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités et selon la preuve à ma disposition, que [le demandeur] sera en mesure de s’installer dans un quartier de classe moyenne ou supérieure à Mérida.
[20] Par conséquent, je conclus que [le demandeur] dispose d’une PRI à Mérida […]
[19] En tenant compte du contexte de la décision dans son ensemble, je juge que la mention, par la SAR, de la violence généralisée au paragraphe 14 de sa décision était préalable à ses conclusions de fond sur le caractère raisonnable du lieu proposé comme PRI, et ne faisait pas partie des conclusions de fond elles‑mêmes. Autrement dit, il n’y a pas eu de « déplacement »
. La SAR a renvoyé à juste titre à la conclusion de violence généralisée à Mérida, tirée dans le cadre du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam, dans le seul but de démontrer qu’il n’était pas contesté que des actes criminels avaient lieu dans cette ville. Dans les paragraphes suivants de sa décision, la SAR a procédé à l’évaluation requise au titre du deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam, et a conclu qu’il était raisonnable pour le demandeur de s’installer dans le lieu proposé comme PRI parce qu’il serait à l’abri de la criminalité dans [traduction] « un quartier de classe moyenne ou supérieure »
de la ville de Mérida.
[20] Le revenu du demandeur et la classe sociale du quartier où il habiterait pourraient difficilement être pertinents sans reconnaître la criminalité qui est présente à Mérida et le risque généralisé qui en découle. Je juge que la SAR, en présentant son évaluation de cette façon, a manifestement tenu compte du risque généralisé. L’analyse de la SAR des taux de criminalité, d’homicides et de préjudices intentionnels à Mérida démontre également qu’elle a pris en compte le risque généralisé dans le cadre du deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam. L’observation du demandeur selon laquelle la SAR a fait abstraction du risque généralisé n’est pas étayée par la preuve.
[21] L’observation du demandeur sur l’évaluation comparative, plutôt qu’absolue, de la sûreté du lieu proposé comme PRI est également sans fondement. La SAR n’a pas commis d’erreur en évaluant la sûreté de ce lieu de manière comparative. Le critère relatif à l’existence d’une PRI requiert nécessairement une analyse comparative (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, 1993 CanLII 3011 (CAF) (Thirunavukkarasu) à la p 598). Comme l’a fait observer ma collègue la juge Turley au paragraphe 29 de la décision Guzman Colonel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 517, [traduction] « il ne suffit pas [pour le demandeur] de simplement affirmer que la ville de Mérida n’est pas sûre »
pour s’acquitter du « lourd fardeau de preuve »
qui lui incombe dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à l’existence d’une PRI (voir aussi Trejo Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 164 aux para 14, 36).
[22] Étant donné l’évaluation rigoureuse de la criminalité dans la décision de la SAR de rejeter l’appel du demandeur, l’observation de ce dernier selon laquelle la SAR a fait abstraction de la preuve sur la situation dans le pays ne tient pas. Je juge que la SAR a tenu compte de la preuve à cet égard, puisqu’elle a expressément reconnu que le Yucatán n’était pas [traduction] « totalement exempt de criminalité »
et que la ville de Mérida n’était pas « entièrement exempte d’activités liées aux cartels »
. La SAR a fait remarquer à juste titre que la présence de criminalité dans un lieu proposé comme PRI n’exclut pas qu’il puisse tout de même être raisonnable pour un demandeur de s’y installer « compte tenu [de ses] circonstances individuelles »
(Thirunavukkarasu, à la p 597). Étant donné l’argument du demandeur selon lequel la SAR s’est méprise sur le dossier, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il cherche en fait à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve qui était à la disposition du décideur. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).
V. Conclusion
[23] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAR est justifiée compte tenu du dossier et est conforme à la jurisprudence portant sur le caractère raisonnable d’une PRI (Vavilov, au para 105).
JUGEMENT dans le dossier IMM-12307-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucune question n’est certifiée.
« Shirzad A. »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-12307-23 |
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INTITULÉ : |
HUGO SERGIO LARA BLANCARTE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 10 MARS 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE AHMED |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 2 AVRIL 2025 |
COMPARUTIONS :
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Anthony Navaneelan |
POUR LE DEMANDEUR |
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Joseph Granton |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Refugee Law Office Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
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Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |