Date : 20250415
Dossier : IMM-13349-23
Référence : 2025 CF 696
[traduction française]
Ottawa (Ontario), le 15 avril 2025
En présence de madame la juge Pallotta
|
ENTRE : |
|
MARJORIE NYANHEMWA |
|
demanderesse |
|
et |
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
|
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La demanderesse, Marjorie Nyanhemwa, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent a rejeté sa demande visant à faire reporter son renvoi du Canada au Zimbabwe.
[2] Mme Nyanhemwa fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable. Le défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce qu’elle est théorique.
[3] Pour les motifs exposés ci‑après, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique et je ne la trancherai pas sur le fond.
[4] Mme Nyanhemwa est arrivée au Canada en 2014 et a présenté une demande d’asile en 2017. Celle‑ci a été rejetée, tant en première instance qu’en appel, et la Cour a refusé d’autoriser le contrôle judiciaire de la décision rendue en appel. En février 2023, Mme Nyanhemwa a fait l’objet d’un examen des risques avant renvoi défavorable. En mars 2023, elle a présenté, à partir du Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[5] L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a fixé le renvoi de Mme Nyanhemwa au 2 novembre 2023. Cette dernière a présenté une demande visant à faire reporter son renvoi du Canada en attendant que sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit tranchée, et ce, en raison de sa situation personnelle qui serait impérieuse, notamment du fait de problèmes de santé physique et psychologique graves, et de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte]. Mme Nyanhemwa a déposé la présente demande de contrôle judiciaire avant d’avoir reçu la décision de l’ASFC, puisqu’elle s’attendait à ce que celle‑ci soit défavorable. Quelques jours plus tard, soit le 26 octobre 2023, un agent de l’ASFC a rejeté la demande de report de son renvoi.
[6] Mme Nyanhemwa a présenté une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, mais elle s’est désistée de la requête avant que celle‑ci ne soit instruite, car l’ASFC avait annulé son renvoi [traduction] « en raison de mesures provisoires »
prises par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (le Comité des droits de l’homme), qui cherche à savoir si le renvoi de Mme Nyanhemwa amènerait le Canada à manquer à ses obligations découlant du droit international. Aucune date n’a été fixée pour le renvoi de Mme Nyanhemwa, et rien n’indique que ce sera le cas prochainement.
[7] Mme Nyanhemwa soutient que la décision de l’agent du 26 octobre 2023 est déraisonnable. Elle affirme que ce dernier a commis de nombreuses erreurs dans l’examen de sa demande visant à faire reporter son renvoi du Canada, notamment en procédant à tort à une analyse en vue de déterminer si elle avait qualité de réfugié aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et en ne tenant pas compte de ses arguments fondés sur la Charte.
[8] Le défendeur fait valoir que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique et que la Cour ne devrait pas l’instruire.
[9] Dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], la Cour suprême du Canada a établi un critère à deux étapes pour déterminer s’il y a lieu de refuser d’instruire une demande en raison de son caractère théorique. La première étape consiste à déterminer s’il y a absence de litige actuel entre les parties. Dans l’affirmative, la Cour doit ensuite déterminer si elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’affaire.
[10] Mme Nyanhemwa soutient qu’il existe un litige actuel parce qu’elle a demandé le report de son renvoi en attendant que sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit tranchée, et qu’aucune décision n’a encore été rendue à cet égard. Comme dans l’affaire Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron], le litige entre les parties n’est pas résolu : Baron, au para 38.
[11] Le défendeur fait valoir que la décision de l’agent de refuser de reporter le renvoi de Mme Nyanhemwa n’est plus applicable et que plus rien ne justifie que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire, étant donné que le renvoi a été annulé dans une décision du 1er novembre 2023. Selon le défendeur, l’affaire Baron peut être distinguée de l’espèce, car, dans cette affaire, le ministre avait l’intention de faire exécuter la mesure de renvoi, mais la Cour a ordonné un sursis le lui interdisant. Dans le cas de Mme Nyanhemwa, aucun sursis à l’exécution de la mesure de renvoi n’a été accordé, et les circonstances de l’espèce sont comparables à celles de l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Allen, 2019 CF 932, où l’arrestation ultérieure du demandeur avait rendu inapplicable une ordonnance visant sa mise en liberté.
[12] L’existence d’un litige actuel est une question à trancher au cas par cas. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties. La décision de l’agent était fondée sur les circonstances de l’affaire en 2023, qui ne sont plus les mêmes aujourd’hui en raison d’événements ultérieurs. L’affaire Baron peut être distinguée de l’espèce. Rien n’interdit au ministre de faire exécuter la mesure de renvoi contre Mme Nyanhemwa, mais il n’a effectué aucune démarche en ce sens depuis que l’exécution de la mesure de renvoi prévue en novembre 2023 a été annulée en raison des mesures provisoires prises par le Comité des droits de l’homme. Rien n’indique que le ministre a pris des mesures pour relancer le processus de renvoi, et Mme Nyanhemwa n’a présenté aucune nouvelle requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.
[13] Si le ministre cherche à relancer le processus de renvoi, et si Mme Nyanhemwa demande le report de la nouvelle date fixée pour son renvoi, la décision d’accueillir ou de rejeter sa demande sera rendue en fonction de sa situation à ce moment‑là. Entre‑temps, l’issue de sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire pourrait être connue. Il est peu probable qu’un contrôle judiciaire confirmant ou annulant la décision de l’agent de refuser de reporter le renvoi de Mme Nyanhemwa prévu en novembre 2023 ait une incidence sur la décision d’accueillir ou de rejeter une prochaine demande de report.
[14] Pour les motifs qui précèdent, la première étape du critère établi dans l’arrêt Borowski est remplie.
[15] Pour déterminer si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire une demande théorique, la Cour se penche sur les facteurs suivants : i) l’existence d’un débat contradictoire entre les parties; ii) l’économie des ressources judiciaires; et iii) la fonction juridictionnelle de la Cour et la question de savoir si l’instruction de la demande empiéterait sur la fonction législative : Borowski, aux p 358, 360, 362.
[16] Mme Nyanhemwa affirme qu’elle sollicite le report de son renvoi du Canada jusqu’à ce que sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit tranchée. Si l’issue de la procédure qu’elle a engagée devant le Comité des droits de l’homme est défavorable, elle recevra probablement l’ordre de se présenter pour l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle. Selon elle, un débat contradictoire existera jusqu’à ce que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire fasse l’objet d’une décision.
[17] Je ne suis pas convaincue que la Cour, à la deuxième étape du critère établi dans l’arrêt Borowski, doive exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire l’affaire. Le débat contradictoire n’existe plus, car le défendeur ne cherche pas à renvoyer Mme Nyanhemwa du Canada, et la Cour ne dispose d’aucune information sur l’issue probable de la procédure engagée devant le Comité des droits de l’homme ni sur le moment où celui‑ci rendra sa décision. Je ne vois aucune fin pratique qui justifierait l’utilisation de ressources judiciaires dans la présente affaire, surtout lorsqu’on ne sait pas si les motifs de la Cour seraient utiles à un agent chargé de statuer sur une future demande de report du renvoi. Comme le fait remarquer le défendeur, le renvoi de Mme Nyanhemwa du Canada fait déjà l’objet d’un report et cette dernière ne risque pas d’être renvoyée de manière imminente.
[18] Pour des motifs comparables, la Cour outrepasserait sa fonction véritable si elle tranchait la présente demande de contrôle judiciaire. Comme le fait observer le défendeur, Mme Nyanhemwa, dans son avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (l’avis), cherche à obtenir une ordonnance de la Cour enjoignant à l’agent de rendre une décision sur la demande qu’elle a présentée en 2023 en vue de faire reporter son renvoi, ce qui n’est manifestement pas nécessaire, et, à titre subsidiaire, une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Il n’y a cependant rien à réexaminer. Si une nouvelle décision devait être rendue concernant le report du renvoi de Mme Nyanhemwa, elle serait fondée sur une nouvelle demande de report et, fort probablement, sur des considérations différentes. Dans son avis, Mme Nyanhemwa ne sollicite pas une ordonnance interdisant son renvoi en attendant l’issue de sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et une telle mesure ne serait pas accordée.
[19] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-13349-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucune question n’est certifiée.
« Christine M. Pallotta »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
DOSSIER : |
IMM-13349-23 |
|
INTITULÉ : |
MARJORIE NYANHEMWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON |
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 5 NOVEMBRE 2024 |
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE PALLOTTA |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 15 AVRIL 2025 |
COMPARUTIONS :
|
Sumeya Mulla |
POUR LA DEMANDERESSE |
|
Stephen Jarvis |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
Waldman & Associates Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
|
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |