Date : 20250417
Dossiers : T-2374-23
T-2375-23
Référence : 2025 CF 703
Ottawa (Ontario), le 17 avril 2025
En présence de l’honorable juge Régimbald
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ENTRE : |
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ALEXANDRU LAMBA et SIMONA LAMBA BARBU |
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demandeurs |
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et |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Monsieur Lamba et Madame Lamba Barbu [Demandeurs] demandent le contrôle judiciaire des décisions, datées du 3 novembre 2023 [décisions], par lesquelles l’Agence du revenu du Canada [ARC] a rejeté leurs demandes de prestations au titre de la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. Leurs dossiers étant connexes et contenant, à quelques exceptions près, la même preuve, ceux-ci ont été traités conjointement par l’ARC. Les motifs de cette décision s’appliquent donc aux deux dossiers.
[2] L’ARC a conclu que les Demandeurs n’étaient pas admissibles à la PCRE parce qu’ils ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau de prouver avoir subi une baisse de 50% de leurs revenus hebdomadaires par rapport à l’année précédente en raison de la COVID-19.
[3] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non des Demandeurs aux prestations. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant l’ARC, si ses décisions sont raisonnables.
[4] Pour les motifs exposés ci-après, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. La Cour n’est pas convaincue que les décisions « souffre[nt] de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle[s] satisf[ont] aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100 [Vavilov]). Les décisions de l’ARC selon lesquelles les Demandeurs ne sont pas admissibles à la PCRE sont raisonnables.
II. Faits
[5] Les Demandeurs opèrent une compagnie de consultation en administration de projets internationaux, notamment dans le domaine de la création de modèles et de construction d’usines de gaz naturel et de production d’électricité. Les contrats de la compagnie proviennent, entre autres, des États-Unis, de la Chine, de l’Allemagne, de l’Ukraine, de la Roumanie et de la Guinée.
[6] Les Demandeurs allèguent avoir été payés en dividendes de la compagnie et avoir eu des revenus supérieurs à 5 000 $ pour l’année 2019, et que leurs projets ont été suspendus en 2020 en raison de la COVID-19. Aussi, des questions politiques, notamment le changement de gouvernement aux États-Unis, ou au sujet de l’obtention de permis ou de licences, ont fait en sorte que des projets ont été suspendus. Par ailleurs, un autre projet aurait également été suspendu en raison de la nationalisation par l’Allemagne d’une compagnie avec laquelle les Demandeurs faisaient affaire.
[7] Pour les années d’imposition 2015 à 2018, les Demandeurs déclarent un revenu total de 1 $ chacun par année et aucun revenu en dividendes, malgré qu’ils travaillent à temps plein pour leur compagnie. Le Demandeur M. Lamba a déclaré à l’ARC lors de ses examens que la compagnie rembourse leurs frais de voyages et autres dépenses d’affaires, mais que celle-ci ne faisait pas de profit et ne leur versait pas de salaire. Il a aussi affirmé ne pas comprendre pourquoi son comptable n’a pas déclaré de dividendes depuis 2010 (le seul revenu de dividendes déclarés fut en 2019, suite à un amendement à la déclaration de revenus des Demandeurs en 2023).
[8] De plus, les Demandeurs n’ont déclaré aucun revenu d’emploi ou de travail indépendant depuis 2014, et aucun T5 au sujet d’un revenu de dividendes ne fut déposé avec leurs déclarations de revenus depuis 2008.
[9] Pour l’année d’imposition 2019, les Demandeurs ont chacun déclaré un revenu total de 28 $, mais aucun dividende. Le 26 mai 2023, M. Lamba a amendé sa déclaration de revenus pour l’année 2019, pour y déclarer un revenu de dividendes de 6 325 $ (Dossier du Défendeur (Lamba T-2374-23) aux pp 124–125, pièce L). Mme Barbu a fait exactement le même amendement à sa déclaration de revenus (Dossier du Défendeur (Barbu T-2375-23) aux pp 114–115, pièce K). En fait, toutes les déclarations de revenus des Demandeurs sont essentiellement identiques.
[10] Pour les années 2020 et 2021, les Demandeurs ont déclaré des « autres revenus »
et dans le cas de M. Lamba, des revenus de retraite notamment du Régime de pension du Canada et du Régime des rentes du Québec.
[11] À partir du 13 octobre 2020 et jusqu’au 5 juillet 2021, la Demanderesse, Mme Barbu, a demandé des prestations de PCRE pour les périodes 1 à 20, comprises entre le 27 septembre 2020 et le 3 juillet 2021. Le Demandeur, M. Lamba, a demandé des prestations de PCRE pour les périodes 1 à 19, comprises entre le 27 septembre 2020 et le 19 juin 2021.
[12] Lors du premier examen de leurs demandes par l’ARC, les Demandeurs ont présenté les documents suivants :
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Des factures pour des services rendus par LordStock Inc. à Xcell Security House pour des montants de 5 000 $;
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Les états financiers de la société 9161-9924 Québec inc. [Société] pour les années 2018, 2019 et 2020;
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Une copie d’un chèque émis par la Société en date du 24 octobre 2019 à l’ordre de Simona Lamba pour la somme de 11 000 $.
[13] Lors du deuxième examen de leurs demandes par l’ARC, les Demandeurs ont présenté les documents suivants :
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Copie d’un document de la Banque Nationale faisant état d’un dépôt d’un montant de 11 145 $ daté du 29 octobre 2019;
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Copie d’un chèque émis par le Gouvernement du Canada daté du 4 octobre 2019 à l’ordre d’Alexandru Lamba pour un montant de 145 $;
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Copie d’un chèque émis par la Société daté du 24 octobre 2019 à l’ordre de Simona Lamba pour un montant de 11 000 $;
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Copie d’une résolution des administrateurs de la Société datée du 23 octobre 2019;
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Imprimé-écran du site web de la Banque Nationale illustrant un dépôt de 11 145 $ dans un compte non identifié.
[14] Après le deuxième examen de l’ARC, le Demandeur, M. Lamba, a fourni les documents suivants (documents qui n’ont pas été déposés dans le dossier de la Demanderesse Mme Lamba Barbu) :
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Bilan de la Société pour l’année 2022;
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États financiers de la Société pour l’année 2022.
[15] Le 26 mai 2023, soit après le troisième examen, les Demandeurs ont chacun amendé leurs déclarations de revenus respectives pour l’année 2019, pour y déclarer un revenu de dividendes de 6 325 $ chacun.
[16] Dans le cadre du quatrième examen de l’ARC, les Demandeurs ont déposé les informations suivantes :
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Les revenus de leur entreprise, soit la Société, proviennent de projets relatifs à la production d’énergie en Roumanie, Guinée et Allemagne;
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Leur travail implique des visites sur place et est parfois interrompu en raison de divers facteurs comme des guerres;
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L’avancement des projets dépend notamment des licences, du financement, des garanties gouvernementales, des ressources de gaz naturel et des fournisseurs;
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d.Leur travail n’est pas constant et comporte des risques, ce qui fait en sorte qu’ils ont souvent travaillé à temps plein sans avoir aucun revenu;
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Bien que la Société ait eu des revenus durant les années antérieures à 2019, la Société ne faisait pas de profit et ne versait donc pas de dividendes;
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En 2019, la Société a réalisé des profits, ce qui leur a permis de se verser des dividendes;
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En 2020, tous les projets de la Société ont été suspendus en raison de la COVID-19, mais ils ont pu continuer à travailler à distance pour faire des suivis sur les projets;
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En 2020 et en 2021, la Société n’a gagné aucun revenu;
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En date de l’appel du 11 octobre 2023 pour le quatrième examen de l’ARC, les projets de la Société n’avaient pas repris en raison de la guerre et en ce qui concerne le projet en Allemagne, celui-ci n’a pas encore repris en raison d’un problème de destruction du pipeline de gaz.
[17] Les faits précédents et suivants sont contenus dans les rapports de révision ainsi que les notes aux dossiers internes des agents de l’ARC, et reflètent les communications des agents avec les Demandeurs (Dossier du Défendeur (Lamba T-2374-23), Pièces N et O de l’affidavit de Mme Tremblay, aux pp 138, 141–142, 145–150, 153–155; Dossier du Défendeur (Barbu T-2375-23), Pièces M et N de l’affidavit de Mme Tremblay, aux pp 130–132, 135–136, 139–141, 143–145).
[18] Les Demandeurs ont aussi affirmé que durant la pandémie, des projets en Chine et en Ukraine ont été mis sur pause puisque les Demandeurs ne pouvaient pas se déplacer, mais ils ont continué de travailler de la maison (mais de façon réduite) et fait des suivis sur leurs projets existants (notamment en Roumanie) par l’entremise de Zoom et Teams, et ont signé des contrats de manière électronique.
[19] Les Demandeurs ont aussi expliqué que leurs contrats dépendaient de plusieurs facteurs, notamment politiques. Par exemple, ils ont perdu des projets lors du changement de gouvernement aux États-Unis en 2020. Ils ont perdu un autre contrat en raison de la nationalisation par l’Allemagne d’une compagnie avec qui ils faisaient affaire. Aussi, le long processus de demandes de permis ou de licences peut résulter en l’annulation d’un contrat ou suite à un changement de gouvernement. Les Demandeurs ont donc indiqué perdre plusieurs contrats pour des raisons politiques.
[20] Les Demandeurs ont aussi affirmé que les revenus de la Société ne sont pas réguliers. La Société n’a pas fait de profits depuis 2015 en raison de ses dépenses élevées, à l’exception des années 2017 et 2018 où elle a fait des profits, mais aucun dividende n’a été versé pour compenser les pertes des années précédentes.
[21] Les Demandeurs ont aussi dit être à la retraite depuis octobre 2020, de vouloir simplement terminer un dernier projet existant en Roumanie avant de fermer l’entreprise et avoir catégoriquement refusé des nouveaux contrats potentiels depuis octobre 2020.
[22] Surtout, à une question spécifique de l’ARC à savoir s’il a perdu des revenus ou projets en raison de la COVID-19, le Demandeur, M. Lamba, a répondu que non, il a continué de travailler durant la COVID-19 sur quelques projets qui l’occupaient en 2020 en Roumanie, qui sont toujours en cours, et que des aspects politiques sont majoritairement responsables de la perte de contrats (changement de gouvernements, coup d’État, guerre, le long processus de licences, etc.) (Dossier du Défendeur (Lamba T-2374-23), Pièces N de l’affidavit de Mme Tremblay, à la p 146). Enfin, les Demandeurs ont indiqué que leur travail est toujours à risque et n’est pas constant en raison de plusieurs facteurs; et qu’ils ont souvent travaillé à temps plein sans revenu ou salaire.
[23] Après l’étude des documents soumis par les Demandeurs et des informations disponibles, notamment les communications avec les Demandeurs, l’ARC a statué que ceux-ci étaient inadmissibles à la PCRE, au motif qu’ils n’ont pas démontré avoir subi une baisse de 50% de leurs revenus hebdomadaires moyens par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19. L’ARC a conclu que le travail des Demandeurs est à risque et n’est pas constant, et que depuis 2015, ils travaillent souvent à temps plein sans rémunération (à l’exception des dividendes de 2019). Ensuite, les raisons pour lesquelles leurs projets peuvent avoir été affectés ne sont pas en lien avec la COVID-19, mais bien pour d’autres raisons ou facteurs comme le processus de licences, le financement, les questions politiques, ou encore en raison des fournisseurs. Par conséquent, plusieurs facteurs autres que la COVID-19 expliquent la baisse de revenus et les Demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau d’établir que leur diminution de revenus d’au moins 50% est due à la COVID-19.
III. Question en litige
[24] La seule question en litige est à savoir si les décisions de l’ARC concluant que les Demandeurs sont inadmissibles pour recevoir la PCRE sont raisonnables.
[25] La norme de contrôle appropriée pour une décision d’un agent de l’ARC est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 16–17; Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 aux para 18–19). Le rôle de la Cour consiste à examiner le raisonnement du décideur administratif et le résultat obtenu, afin de déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100; voir aussi Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 45 [Aryan]; Hayat c Canada (Procureur général), 2022 CF 131 au para 15; Kleiman c Canada (Procureur général), 2022 CF 762 au para 29 [Kleiman]).
IV. Analyse
[26] Le gouvernement du Canada a mis en place la PCRE dans le cadre d’une série de mesures visant à atténuer les conséquences de la pandémie de la COVID-19 (Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch 12). Afin de recevoir des prestations, un résident canadien admissible devait présenter une demande.
[27] L’une des conditions à remplir en l’instance pour être admissible aux prestations était d’avoir subi une baisse d’au moins 50% du revenu hebdomadaire en comparaison avec l’année précédente en raison de la COVID-19.
[28] Afin de recevoir des prestations, il incombait aux Demandeurs de démontrer à l’ARC qu’ils satisfaisaient, selon la prépondérance des probabilités, à tous les critères établis pour obtenir la PCRE pour chacune des périodes en cause (Ntuer c Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 au para 24). Ces critères d’admissibilité ne sont pas discrétionnaires (Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 au para 23).
[29] En l’espèce, comme les Demandeurs ont indiqué avoir continué de travailler durant les périodes, quoique leurs heures ont été fortement diminuées, le critère applicable est celui de la réduction d’au moins 50% de leurs revenus hebdomadaires pour des raisons liées à la COVID-19 (Polonyova c Canada (Procureur général), 2024 FC 54 aux para 24, 31).
[30] Il est important de noter que dans l’analyse de la raisonnabilité de la décision de l’ARC, la Cour peut considérer le rapport de révision de l’ARC ainsi que les notes au dossier interne. Ceux-ci font partie des motifs de l’ARC, comme le sont les notes du Système mondial de gestion des cas utilisés par les agents d’immigration (Aryan au para 22; Kleiman au para 9; Sedoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1431 au para 36; Ezou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 251 au para 17; McClintock’s Ski School & Pro Shop Inc c Canada (Procureur général), 2021 CF 471 aux para 26–27; Vavilov, aux para 94–98). En l’espèce, le dossier révèle que l’ARC a examiné tous les documents et les représentations orales soumis par les Demandeurs.
[31] Selon moi, les décisions de l’ARC sont raisonnables. Les conclusions de l’ARC à savoir que les Demandeurs n’ont pas été en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, avoir subi une baisse d’au moins 50% de leurs revenus hebdomadaires pour chacune des périodes demandées en raison de la COVID-19 sont raisonnables et justifiées, compte tenu de toute la preuve au dossier.
[32] En l’espèce, l’ARC a justifié sa décision en soulignant que selon les documents et les représentations orales des Demandeurs, ceux-ci n’ont pas suffisamment démontré qu’ils rencontrent le critère d’avoir subi une baisse d’au moins 50% de leurs revenus hebdomadaires en raison de la COVID-19, puisque d’autres raisons expliquent ces baisses de revenus. Par exemple, les Demandeurs ont indiqué avoir travaillé pour l’entreprise à temps plein sans salaire ou dividende pendant plusieurs années (à l’exception de l’année 2019), et que l’entreprise des Demandeurs faisait des revenus, mais pas de profit. Ensuite, les Demandeurs ont expliqué, et l’ARC a retenu à titre de conclusion, que leur travail est à risque et n’est pas constant, que leur entreprise opérait à l’international et que leurs contrats n’ont pas progressé pour plusieurs raisons (notamment les garanties des gouvernements, le financement, les fournisseurs, l’obtention de permis ou de licences). Enfin, les Demandeurs ont indiqué avoir continué de travailler durant la COVID-19 à l’aide de plateformes en ligne comme Zoom et Teams pour faire le suivi des projets.
[33] L’ARC, sur la base de ces faits, a donc tiré la conclusion que les Demandeurs ont essentiellement travaillé pour leur compagnie sans salaire ou dividende (comme ils l’ont toujours fait auparavant sauf pour l’année 2019), en raison de la nature des activités de la Société. La réduction de leurs revenus s’explique donc pour des raisons autres que la COVID-19, soit par la nature et les activités normales de la Société (et aux revenus historiquement tirés de l’entreprise), et aux contraintes normales auxquelles fait face la Société (comme le processus de licences, le financement, les questions politiques, ou encore en raison des fournisseurs). Comme l’ARC le précise dans les motifs de ses décisions, ce sont les revenus personnels des contribuables tirés de la Société qui sont pertinents en l’espèce, et non ceux de l’entreprise elle-même. Tant la baisse de revenus des Demandeurs que celle de la Société s’explique donc aussi pour des raisons autres que la COVID-19.
[34] En conséquence, en raison de la preuve présentée par les Demandeurs, tant écrites qu’orales lors des discussions avec les agents, l’ARC a jugé que selon les renseignements fournis, les Demandeurs ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau de démontrer avoir subi une baisse d’au moins 50% de leurs revenus hebdomadaires en raison de la COVID-19, durant les périodes applicables. La baisse de revenus s’explique plutôt par la nature des activités de la Société et est compatible avec l’historique des revenus des Demandeurs depuis plusieurs années, et bien avant la COVID-19.
[35] Le raisonnement de l’ARC est cohérent, fondé sur la preuve qui a été soumise et se justifie à l’égard des lois applicables. Les motifs de l’ARC illustrent une logique interne satisfaisante, compte tenu du dossier dont était saisi l’ARC et de la preuve soumise par les Demandeurs. La Cour n’est donc pas convaincue que les décisions « souffre[nt] de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle[s] satisf[ont] aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov au para 100). Par conséquent, la conclusion de l’ARC, à savoir que les Demandeurs n’étaient pas admissibles aux prestations de PCRE parce qu’ils n’ont pas prouvé avoir subi une baisse d’au moins 50% de leurs revenus hebdomadaires en raison de la COVID-19, est raisonnable. Bien que l’ARC aurait pu tirer une conclusion différente, la conclusion de faits qu’elle a tirée n’est pas déraisonnable pour autant. La conclusion de l’ARC, sur la base de la preuve présentée, est une des issues possibles et raisonnables dans les circonstances, et la Cour doit y déférer.
[36] Enfin, il est important de noter que M. Lamba, lors de sa plaidoirie orale, s’est dit en désaccord avec les faits relatés par l’ARC dans les rapports de révision ainsi que les notes aux dossiers internes, et sur lesquels l’ARC a fondé ses décisions. Selon lui, les Demandeurs n’ont jamais fait plusieurs des affirmations consignées dans les rapports de révision et notes internes, incluant avoir répondu « non »
à la question à savoir s’il avait perdu des revenus ou projets en raison de la COVID-19 et sur le fait que plusieurs autres raisons peuvent expliquer la réduction des activités de la Société, tel que discuté plus haut. Selon lui, l’ARC n’a tout simplement pas compris la situation. De plus, il affirme que les Demandeurs ont reçu la Prestation canadienne d’urgence [PCU] (en vertu de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8), et ne comprend pas comment les Demandeurs ne pourraient pas se qualifier pour la PCRE, puisque leur éligibilité repose sur la même preuve.
[37] D’abord, au sujet de la plaidoirie orale de M. Lamba et de ses allégations relatives aux commentaires et notes internes de l’ARC et à savoir que les informations consignées sont incorrectes, aucune preuve ne soutient ses affirmations. Lors de leur plaidoirie orale, les Demandeurs ont aussi présenté des explications additionnelles qui étaient incompatibles avec les faits relatés par les agents de l’ARC dans les rapports de révision et les notes aux dossiers internes. Or, les affidavits des Demandeurs ne contiennent aucune mention spécifique à l’effet que les faits consignés dans les rapports de révisions ainsi que les notes aux dossiers internes étaient faux ou erronés. Aucune allégation n’est faite quant à la justesse ou non des notes de l’ARC, ou à savoir par exemple que ces notes sont fausses ou biaisées. Faute d’une preuve concrète au sujet des éléments factuels que les Demandeurs allèguent être faux, la Cour ne peut retenir leurs nouveaux arguments et nouvelles explications, qui n’étaient pas devant l’ARC lorsqu’elle a pris les décisions sujettes au contrôle judiciaire.
[38] Pour ce qui est de l’éligibilité des Demandeurs à la PCU, il s’agit d’un nouveau motif et d’un argument présenté pour la première fois lors du contrôle judiciaire. La Cour a donc ajourné l’audience afin de permettre au Défendeur de présenter une réponse écrite, puisque la question soulevait des inquiétudes pour la Cour. Suivant la reprise de l’audience, le Défendeur a soumis que la Cour ne devrait pas accepter de considérer un motif soulevé pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 22; Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226 aux para 6–7; Canada (Procureur général) c Iris Technologies Inc, 2021 CAF 244 aux para 36, 39–42), et que l’argument n’était pas pertinent puisque les deux programmes, et leurs éligibilités, étaient distincts. Les Demandeurs ont été en mesure de répliquer dans leurs représentations orales aux arguments du Défendeur sur ces questions, après avoir eu le bénéfice de considérer au préalable les représentations écrites du Défendeur.
[39] Bien que la Cour ne puisse considérer un argument nouveau dans les circonstances puisque le nouveau motif n’a pas été formulé dans le mémoire de faits et de droit, mais fut formulé pour la première fois lors de l’audience (Canadian Frontline Nurses c Canada (Procureur général), 2024 CF 42 au para 115), il demeure que l’argument des Demandeurs ne peut être retenu. L’éligibilité à la PCU repose en effet sur un critère différent, pour des périodes différentes. Il est donc possible pour un contribuable de se qualifier pour la PCU durant les périodes applicables à ce programme, tout en ne se qualifiant pas sous le critère applicable pour la PCRE, pour d’autres périodes applicables à ce programme (Roussel c Canada (Procureur général), 2024 CF 809 au para 31; Joodaki c Canada (Procureur général), 2024 CF 260 au para 17). L’argument des Demandeurs doit donc être rejeté.
[40] Enfin, les Demandeurs soumettent que le Défendeur aurait dû leur permettre de faire un contre-interrogatoire supplémentaire, étant insatisfaits des réponses obtenues lors de leur contre-interrogatoire initial. Or, les Demandeurs ont décidé de procéder par contre-interrogatoire écrit en vertu de la Règle 99 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106). Dans la mesure où les Demandeurs étaient insatisfaits des réponses obtenues, ils pouvaient, par requête, demander l’intervention de la Cour, ce qu’ils n’ont pas fait. Leurs arguments quant à l’insuffisance des informations obtenues dans le cadre du contre-interrogatoire ne peuvent donc pas être retenus.
V. Conclusion
[41] Les décisions de l’ARC relatives à l’admissibilité des Demandeurs à la PCRE sont donc fondées sur un raisonnement cohérent et rationnel, et reposent sur la preuve documentaire et les faits mentionnés par les Demandeurs dans le cadre de leurs communications avec l’ARC lors des demandes d’examens. Dans ces circonstances, les décisions sont raisonnables. Les demandes de contrôle judiciaire sont donc rejetées, sans dépens.
JUGEMENT dans les dossiers T-2374-23 et T-2375-23
LA COUR ORDONNE que :
-
Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées, sans dépens.
« Guy Régimbald »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIERS : |
T-2374-23 et T-2375-23 |
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INTITULÉ : |
ALEXANDRU LAMBA, ET AL. c AGENCE DU REVENU DU CANADA |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 17 MARS 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS |
LE JUGE RÉGIMBALD |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 17 AvRil 2025 |
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COMPARUTIONS :
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M. Alexandru Lamba & Mme Simona Lamba Barbu |
Pour leS demandeurS (EN LEUR PROPRE NOM) |
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Yasamane Targhibi Lia Toshkova |
Pour le défendeur |
AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |