Date : 20250417
Dossier : IMM-6531-24
Référence : 2025 CF 707
Ottawa (Ontario), le 17 avril 2025
En présence de l'honorable madame la juge Azmudeh
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ENTRE : |
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JEAN FRANTZ PIERRE |
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Partie demanderesse |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Jean Frantz Pierre [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision [Décision] de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 22 mars 2024, rejetant sa demande d’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] en concluant que le demandeur n’est pas crédible en raison de contradictions et d’omissions soulevées en lien avec son implication politique, son agent persécuteur et les incidents les plus importants de son récit.
[2] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la SAR est contrevenue au principe d’équité procédurale et que sa décision est déraisonnable. Lors de l’audience, le demandeur a abandonné l’allégation de manquement à l’équité procédurale et a convenu que la seule question en suspens était de savoir si la décision était raisonnable.
[3] La partie défenderesse soutient que le demandeur ne démontre pas d’erreur dans la décision de la SAR et que, conséquemment, sa demande d’autorisation doit être rejetée.
[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II. Faits pertinents et contexte
[5] Le demandeur est un citoyen d’Haïti. Il sollicite la protection du Canada en alléguant entretenir une crainte d’être tué par des bandits à la solde de camarade de classe qui lui reprochent son refus de participer à des manifestations antigouvernementales en raison de sa foi chrétienne. De plus, les camarades de classe du demandeur seraient jaloux de lui, car il aurait obtenu un visa pour le Canada.
[6] Par conséquent, le demandeur aurait été kidnappé puis libéré après quatre jours de détention après le paiement d’une rançon. Le 29 septembre 2021, le demandeur aurait quitté son pays et déposé une demande d’asile au Canada.
[7] Par la suite, le demandeur allègue que sa mère aurait reçu des menaces de la part des personnes qui l’auraient kidnappé. Le 16 août 2023, des bandits seraient allés cambrioler la maison de la mère du demandeur et ils l’auraient frappée.
[8] La SPR a rejeté l’affaire pour manque de crédibilité. La SAR a procédé à sa propre évaluation indépendante de l’affaire et a conclu que la question déterminante était celle du risque prospectif. Conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Alazar, 2021 CF 637 et dans le cadre de son devoir d’équité procédurale, la SAR a informé le demandeur de cette nouvelle question et lui a demandé de présenter ses observations. Après avoir procédé à une évaluation indépendante de l’ensemble du dossier, y compris les nouveaux arguments du demandeur, la SAR a conclu que le demandeur ne courait pas de risque prospectif de persécution au sens de l’article 96 ni de risque personnel de préjudice au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.
[9] En arrivant à sa conclusion et en évaluant les preuves de manière indépendante, la SAR a souscrit à certaines conclusions de la SPR, mais pas à toutes. Par exemple, contrairement à la SPR qui avait rejeté un lien entre les ravisseurs du demandeur et les étudiants, la SAR a vu un lien, mais a conclu que les preuves ne confirmaient pas un intérêt continu suffisant pour établir un risque prospectif. La SAR était en accord avec la SPR que les preuves des menaces continues envers la mère n’étaient pas crédibles et n’établissaient pas un intérêt continu. La SAR a conclu que le cambriolage du domicile de la mère était cohérent avec le risque généralisé de violence endémique en Haïti.
[10] De plus, alors que la SPR a limité son analyse au paragraphe 97(1) de la LIPR, la SAR a analysé la preuve en vertu des articles 96 et 97(1).
III. Questions en litige
[11] La question en litige est la suivante:
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La SAR a-t-elle rendu une décision déraisonnable ?
IV. Norme de contrôle
[12] Pour éviter l’intervention de la Cour lors d’un contrôle judiciaire, une décision doit faire preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l’objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).
[13] En l’occurrence, les parties ne contestent pas que la norme de révision applicable soit celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 16-17, 25). Je suis d’accord qu’il s’agit de la norme de contrôle appropriée.
V. Analyse: Raisonnabilité de la Décision
[14] La SAR a clairement indiqué qu’elle avait évalué les éléments de preuve en vertu des articles 96 et 97(1) de la LIPR, les raisons pour lesquelles le risque prospectif était important et la manière dont cela permettait au demandeur de présenter des observations sur cette question déterminante. Elle a ensuite évalué les observations dans le contexte de l’ensemble du dossier.
[15] La SAR a rendu des conclusions claires sur la crédibilité des faits importants et a expliqué clairement sur quels points elle était d’accord ou en désaccord avec l’évaluation des faits par la SPR. Elle a rendu des conclusions claires sur les faits et a appliqué à ces faits le critère juridique du risque prospectif en vertu des articles 96 et 97(1) de la LIPR. L’analyse de la SAR est intrinsèquement cohérente et rationnelle.
[16] Par exemple, la SAR n’était pas d’accord avec la conclusion de la SPR sur le lien entre les kidnappeurs et les étudiants. Elle a plutôt conclu qu’il y avait un lien, mais a cependant expliqué pourquoi ce lien était insuffisant pour établir un risque prospectif de persécution en vertu de l’article 96 ou un risque personnel de préjudice en vertu de l’article 97(1) de la LIPR. Pour parvenir à cette conclusion, la SAR s’est concentrée sur les omissions et les contradictions importantes dans le récit du demandeur concernant l’existence d’une menace continue, y compris les contradictions sur les menaces contre la mère.
[17] Le demandeur a témoigné que sa mère a reçu un nombre important d’appels, qu’elle lui aurait envoyé une lettre mentionnant avoir reçu ces appels et qu’il n’en connaissait pas les dates. Par la suite, le demandeur a témoigné que les appels auraient commencé quatre jours après son départ d’Haïti et qu’il pensait que le dernier appel datait de janvier 2023. Ce témoignage contredit le témoignage écrit de la mère du demandeur, déposé par celui-ci, qui indique n’avoir reçu que deux appels.
[18] Cette contradiction entre les preuves présentées et le témoignage du demandeur concernant un élément important a affecté la crédibilité de ce dernier sur une question importante, à savoir s’il existait un intérêt continu pour le demandeur par l’agent persécuteur après son départ du pays.
[19] Par conséquent, vu l’absence de preuve démontrant que la mère aurait reçu des appels de menaces après le départ du demandeur, il y a absence de crainte prospective en l’espèce. La SAR a clairement établi les faits et les a appliqués au critère juridique qu’elle avait communiqué au demandeur de façon claire, à savoir le risque prospectif, de manière transparente, justifiable et intelligible.
[20] La SAR a également adéquatement établi l’absence de lien entre l’enlèvement du demandeur et le cambriolage du domicile de la mère. La SAR a expliqué pourquoi la preuve établissait que le cambriolage était un acte criminel, qu’il impliquait le vol d’objets de valeur et qu’il s’inscrivait dans un contexte de criminalité endémique, et que le seul lien avec le demandeur était que les voleurs avaient déclaré son nom. La SAR a expliqué pourquoi cela était insuffisant pour établir le risque prospectif. Là encore, la chaîne de raisonnement était claire dans la décision de la SAR.
[21] La SAR a démontré une bonne compréhension des conditions dans le pays en Haïti et a expliqué pourquoi, bien qu’elle soutienne la conclusion d’un risque généralisé de violence contre tous les Haïtiens, y compris le demandeur à son retour, elles étaient insuffisantes pour établir un risque prospectif en vertu des articles 96 et 97(1) de la LIPR. Encore une fois, il s’agissait d’une conclusion raisonnable et le raisonnement de la SAR était clairement expliqué.
[22] Pour toutes ces raisons, je considère que les motifs de la SAR étaient raisonnables. En effet, les arguments du demandeur revenaient à contester la manière dont la SAR a évalué les éléments de preuves, ce à quoi la Cour ne s’interférera pas. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[23] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-6531-24
LA COUR STATUE que :
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
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Il n’y a pas de question à certifier.
« Negar Azmudeh »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-6531-24 |
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INTITULÉ : |
JEAN FRANTZ PIERRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 31 MARS 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE AZMUDEH |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 17 AVRIL 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Me Laurent Gryner |
Pour lA PARTIE demandeRESSE |
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Me Michèle Plamondon |
Pour lA PARTIE défendeRESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Avocat Montréal (Québec) |
Pour lA PARTIE demandeRESSE |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour lA PARTIE défendeRESSE |