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Date : 20250417


Dossier : IMM-13215-23

Référence : 2025 CF 710

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2025

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MAYLEN BAHENA BARRERA

ALEJANDRO GARCIA BAHENA

SOFIA DE MANCERA GARCIA BAHENA

DIEGO DE JESUS CORTES BAHENA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs forment une famille composée de Maylen Bahena Barrera (la demanderesse principale) et de ses trois enfants, deux mineurs et un fils adulte. Les demandeurs ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignent un membre de gang en particulier, nommé « ES », et ses associés criminels au Mexique. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leurs demandes au motif que Mme Bahena et son fils adulte n’étaient pas crédibles. Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision. La Section d’appel des réfugiés (la SAR) a souscrit aux conclusions de la SPR quant à la crédibilité des demandeurs, sauf en ce qui concerne le fils adulte de Mme Bahena.

[2] La principale question en litige en l’espèce concerne les conclusions de la SAR quant à la crédibilité. Les parties conviennent, et je suis d’accord avec elles, que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je souscris à l’avis des demandeurs selon lequel les conclusions de la SAR en matière de crédibilité, tout comme celles de la SPR, reposent principalement sur des conclusions d’invraisemblance peu convaincantes et sur un examen microscopique d’incohérences et d’omissions mineures, et qu’il n’y a aucune explication quant à leur pertinence par rapport à la demande d’asile de Mme Bahena dans son ensemble. Comme la crédibilité de Mme Bahena était la question déterminante, je conclus que la décision est déraisonnable et qu’elle doit être réexaminée.

II. Contexte factuel et historique procédural

[3] Mme Bahena est une citoyenne du Mexique. Il y a plus de 25 ans, la sœur de Mme Bahena, qui était mineure à l’époque, a été agressée par un homme nommé ES. Mme Bahena et sa mère ont signalé sa disparition à la police et ES a été identifié comme suspect. La sœur de Mme Bahena est rentrée chez elle par la suite.

[4] Au cours des 17 années qui ont suivi, Mme Bahena a croisé ES à l’occasion dans la rue, qui lui adressait alors des propos menaçants. Un jour, elle l’a aperçu au bureau du procureur général, où elle travaillait comme adjointe. Au cours de cette période, Mme Bahena a appris qu’ES faisait partie d’un gang au Mexique et qu’il avait été condamné pour de nombreux crimes graves.

[5] À un certain moment en 2017, Mme Bahena a reçu un appel d’un homme qui s’est présenté comme ES et qui l’a traitée d’un nom vulgaire. En avril 2018, Mme Bahena a reçu un appel d’une personne associée à ES, qui lui a proféré des menaces et l’accusait d’être responsable de l’incarcération d’ES. Plus tard dans la même journée, au milieu de la nuit, des hommes se sont présentés à son domicile, ont secoué la porte et ont menacé de la tuer. Mme Bahena a appelé le père de ses enfants, qui a appelé la police. Les hommes étaient déjà partis lorsque la police est arrivée. Cette nuit-là, Mme Bahena et ses enfants ont trouvé refuge chez le père des enfants, où vivaient également la mère et l’oncle de celui-ci. Cette maison était située non loin de la sienne. Elle retournait aussi parfois chez elle.

[6] Environ quatre mois plus tard, en septembre 2018, Mme Bahena a été victime d’un grave accident de voiture et a été hospitalisée. Elle a reçu un appel téléphonique menaçant le soir suivant sa sortie de l’hôpital. La personne au bout du fil lui a dit que c’était ce à quoi elle devait s’attendre pour s’être [traduction] « mêlée des affaires d’ES » et a menacé de la tuer et de tuer sa fille. Cet appel a poussé Mme Bahena à emménager définitivement chez le père de ses enfants.

[7] En octobre 2018, Mme Bahena venait de garer sa voiture lorsqu’un homme s’est arrêté à côté d’elle dans sa voiture, a pointé une arme sur elle et a pris la fuite. Après cet incident, elle a quitté son emploi et a continué à vivre chez le père de ses enfants. Elle a envisagé de déménager à Cancún. Le père de ses enfants était d’avis qu’elle ferait mieux de quitter le pays et lui a dit qu’il aurait suffisamment d’argent grâce à sa prime de Noël pour payer les passeports et les billets. Mme Bahena a obtenu les passeports et les autorisations de voyage électroniques le 18 février 2019 et est arrivée au Canada le 5 mars 2019.

[8] Le fils adulte de Mme Bahena est resté au Mexique. Le mois suivant, en avril 2019, deux hommes se sont présentés à son domicile à la recherche de Mme Bahena. En juin 2019, il a été attrapé dans la rue par deux hommes, forcé à monter dans un taxi et menacé avec un pistolet à impulsion électrique. Ils lui ont dit qu’ils le tueraient si sa mère ne revenait pas au Mexique. Il a ensuite été frappé à la tête avec une arme à feu, puis relâché. Le fils adulte est arrivé au Canada en août 2019 et a également présenté une demande d’asile. Sa demande a été jointe à celle de Mme Bahena et de ses autres enfants.

[9] La SPR a d’abord rejeté les demandes d’asile des demandeurs en mars 2020 au motif qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI). La SAR a accueilli l’appel de cette décision, concluant que la SPR avait commis une erreur concernant la PRI, mais l’a renvoyée à la SPR afin qu’elle se prononce sur la crédibilité. La SPR a tenu des audiences le 5 janvier 2023 et le 17 mars 2023. Le 5 mai 2023, la SPR a rejeté les demandes d’asile, au motif que Mme Bahena et son fils adulte n’étaient pas crédibles. Dans une décision du 28 septembre 2023, la SAR a confirmé les conclusions de la SPR quant à la crédibilité de Mme Bahena et a rejeté l’appel sur ce fondement.

III. Analyse

A. Attention portée à des omissions et à des incohérences microscopiques

[10] La SAR a souscrit à l’avis de la SPR selon lequel il y avait « de nombreuses divergences, omissions et [de nombreux] changements dans le témoignage » qui ont nui à la crédibilité de Mme Bahena. La SAR ne s’est penchée que sur trois points relatifs à la preuve : i) les incohérences dans la façon dont Mme Bahena s’est rendue à l’hôpital après l’accident de voiture; ii) une omission dans le récit de la réfugiée (l’exposé circonstancié du formulaire FDA) au sujet du fait que Mme Bahena aurait vu ES sur son lieu de travail; et iii) des omissions dans la plainte déposée auprès de la police.

[11] Je conclus que la SAR, tout comme la SPR, a cherché avec un zèle excessif à trouver des contradictions dans la preuve et n’a pas déterminé en quoi ces conclusions étaient importantes relativement à l’évaluation de la demande d’asile de Mme Bahena. La Cour a conclu ce qui suit aux paragraphes 20 à 26 de la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani] :

[...] Le décideur ne doit pas effectuer une analyse trop détaillée ou trop zélée de la preuve. En d’autres mots, toutes les incohérences ou invraisemblances ne justifient pas une conclusion défavorable quant à la crédibilité; ces conclusions ne devraient pas se fonder sur un examen « microscopique » de questions sans pertinence ou périphériques eu égard à la demande d’asile.

(Lawani, au para 23; voir également Abou Loh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1084 au para 36; Alex-Alake c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 208 aux para 12-14)

[12] Je crois fortement que les incohérences dans la preuve relevées par la SAR sont accessoires à la demande et ne peuvent servir de motif raisonnable pour fonder une appréciation défavorable globale quant à la crédibilité. Je me pencherai sur chaque incohérence.

[13] En ce qui concerne la manière dont elle est arrivée à l’hôpital, Mme Bahena a expliqué que la plainte déposée auprès de la police et l’exposé circonstancié du formulaire FDA mentionnaient à tort que la police l’avait emmenée à l’hôpital. En fait, la police avait remis un document au chauffeur de taxi afin qu’il la conduise à l’hôpital depuis le lieu de l’accident. Elle a ensuite expliqué que le père de ses enfants s’était rendu sur les lieux de l’accident, mais qu’il n’avait pas pris le taxi avec elle. Il a préféré prendre son propre véhicule et l’a rejointe à l’hôpital. Mme Bahena a émis l’hypothèse qu’il y avait peut-être eu une erreur de traduction relative à la distinction entre [traduction] « assister » et « aider »; on aurait facilité son transport à l’hôpital sans pour autant l’y conduire physiquement.

[14] La SAR, tout comme la SPR, n’accepte pas cette explication. Par ailleurs, la SAR affirme que cette incohérence est importante et non mineure, car elle concerne un « grave accident de voiture qu’[ES] aurait causé ». Il y avait toutefois d’autres éléments de preuve relatifs à l’accident, notamment : le témoignage de Mme Bahena au sujet de l’accident, la nature de ses blessures et l’appel téléphonique qu’elle a reçu après l’accident. Mme Bahena a également fourni un rapport d’hôpital daté du jour de l’accident, qui décrivait les blessures qu’elle avait subies en lien avec un accident de voiture. Compte tenu de son explication selon laquelle tous les éléments de preuve présentés au cours du processus de demande d’asile ont été soit interprétés soit traduits, et que le rapport d’hôpital qui faisait état de son accident de voiture figurait parmi les éléments de preuve, je juge que l’incohérence quant à savoir si elle avait été accompagnée à l’hôpital est mineure. Je conclus que le fait que la SAR se soit concentrée sur cette seule incohérence concernant un élément accessoire constitue un exemple d’examen microscopique des éléments de preuve. Le fait que la SAR s’appuie sur cet élément pour fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité est déraisonnable (Attakora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (QL) (CAF) au para 9; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 au para 4; Lawani, au para 23).

[15] La SAR a également jugé que le fait que Mme Bahena n’avait pas mentionné dans son exposé circonstancié du formulaire FDA qu’elle avait vu ES au bureau du procureur général lorsqu’elle y travaillait comme adjointe constituait une omission importante. Lorsque la SPR lui a demandé de faire part de ses hypothèses quant aux motifs qui auraient pu pousser ES à la menacer, Mme Bahena a répondu qu’il pensait peut-être qu’elle était responsable de son incarcération, puisqu’il l’avait vue au bureau du procureur général. ES ne l’avait pas abordée à ce moment-là. Mme Bahena ne se souvient pas du moment précis où cette rencontre s’est produite, mais estime que c’était il y a entre 15 à 20 ans. La SAR a ensuite demandé à Mme Bahena comment elle avait appris qu’ES avait été condamné pour d’autres crimes graves. Celle-ci a expliqué qu’elle avait vu quelques dossiers lorsqu’elle travaillait au bureau du procureur général. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait déjà travaillé sur un dossier concernant ES, elle a répondu par l’affirmative, soit en 2005.

[16] La SAR a conclu que le fait de ne pas avoir mentionné ces détails dans son exposé circonstancié du formulaire FDA constituait une omission importante. Mme Bahena a expliqué qu’elle n’avait fait qu’émettre des hypothèses au sujet des motivations d’ES dans son témoignage et qu’elle n’avait donc pas jugé nécessaire de les mentionner dans son exposé circonstancié du formulaire FDA.

[17] La Cour a conclu à maintes reprises qu’une « omission ne devrait pas être utilisée pour mettre en doute la crédibilité [d’un] demandeur, à moins qu’elle soit importante au regard de sa demande d’asile » (Nwabueze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1577 au para 11; Aliserro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 412 au para 26; Feradov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 101 [Feradov] aux para 18-19). Comme l’a fait remarquer à juste titre le juge Barnes dans la décision Feradov : « Il est bien établi que ces documents [les formulaires de demande d’asile] sont souvent préparés par des représentants ou sur les conseils de représentants qui ont des points de vue différents au sujet de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas » (Feradov, au para 18).

[18] Ces détails concernant la rencontre avec ES au bureau du procureur général ne sont pas suffisamment importants dans le cadre de la demande d’asile de Mme Bahena pour que leur omission puisse constituer un fondement permettant de tirer une conclusion défavorable, en particulier compte tenu des nombreux détails déjà fournis au sujet de ses rencontres avec ES. La SAR les a jugé importants, car ils concernent la motivation d’ES à cibler Mme Bahena. Comme l’a expliqué Mme Bahena, on lui a demandé d’émettre des hypothèses sur les motivations d’ES. La rencontre au bureau du procureur général n’a pas été la seule fois où elle a vu ES au fil des ans. Les autres incidents, qu’elle a relatés dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA, concernaient des menaces qu’ES avait proférées contre elle.

[19] Par ailleurs, on ne sait pas clairement ce que la SAR a déduit de cette omission. La SAR estime-t-elle qu’ES est motivé à nuire à Mme Bahena parce qu’il l’a vue au bureau du procureur général? Comment ce fait est-il pris en compte dans l’analyse globale du risque encouru par la demanderesse? Ou alors, la SAR ne croit-elle pas que Mme Bahena a vu ES au bureau du procureur général? La SAR n’explique pas comment elle traite ce témoignage, qui, selon elle, révèle une omission importante; au contraire, elle se fonde sur l’omission elle-même pour mettre en cause la crédibilité générale de Mme Bahena.

[20] La SAR a également souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la plainte déposée à la police juste avant l’arrivée de Mme Bahena au Canada comportait deux omissions importantes. La première omission est celle dont il est question plus haut, à savoir le fait d’avoir vu ES au bureau du procureur général alors qu’elle y travaillait comme adjointe. Pour les raisons susmentionnées, j’estime qu’il ne s’agit pas non plus d’une omission importante dans la plainte déposée à la police. La deuxième omission concerne le fait que Mme Bahena n’a pas précisé qu’entre 2003 et 2017, elle avait parfois croisé ES dans la rue et qu’il lui avait parlé de manière menaçante. Étant donné que la plainte fait état de ses craintes liées à ES depuis que les menaces se sont intensifiées en 2017, j’estime qu’il ne s’agit pas d’une omission importante. Il s’agit d’un point mineur. De plus, comme Mme Bahena l’a expliqué dans l’addenda de son exposé circonstancié du formulaire FDA, un agent lui avait demandé de décrire les derniers événements et il y avait une file d’attente derrière elle au bureau. La SAR a reconnu que la SPR n’a pas tenu compte de cette explication, mais elle a précisé qu’elle n’avait pas à le faire parce que celle-ci « ne suffi[sai]t pas à l’emporter sur les nombreuses préoccupations relatives à la crédibilité » de Mme Bahena. En plus de fonder sa décision sur des omissions mineures dans la plainte déposée auprès de la police, la SAR n’a pas précisé pour quelle raison l’explication de Mme Bahena concernant ces omissions « ne suffi[sait] pas ». Ce processus décisionnel est également déraisonnable.

B. Départ tardif et absence de crainte subjective

[21] Dans la décision Shanmugarajah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 583 (QL), la Cour d’appel fédérale explique qu’« il est presque toujours téméraire pour une Commission, dans une affaire de réfugié où aucune question générale de crédibilité ne se pose, d’affirmer qu’il n’existe aucun élément subjectif de crainte de la part du demandeur ». Comme j’ai jugé que les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR à partir des incohérences et des omissions dans le dossier étaient déraisonnables, j’estime que les conclusions de cette dernière sur l’absence de crainte subjective de Mme Bahena doivent également être réexaminées. Je formule néanmoins des observations sur l’analyse de la crainte subjective réalisée par la SAR, qui pourraient être utiles pour la nouvelle décision.

[22] Il était loisible à la SAR de tenir compte du départ tardif, mais, selon la jurisprudence, cette question ne doit pas être déterminante (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 (CAF) (QL) au para 4). La SAR, tout comme la SPR, a rejeté l’argument de Mme Bahena selon lequel la grand-mère de ses enfants n’avait pas les moyens de l’aider à payer les passeports et les billets d’avion et, de plus, qu’elle ne pouvait pas lui demander cette aide parce qu’elle estimait que ce n’était pas à la grand-mère de ses enfants de le faire. Je souligne également que Mme Bahena a témoigné que la grand-mère de ses enfants croyait que déménager dans un autre pays présentait des risques, ce que la SAR n’a pas reconnu.

[23] La SAR était d’avis qu’une personne dans la situation de Mme Bahena ne s’abstiendrait pas de demander une aide financière à la grand-mère de ses enfants pour quitter immédiatement le pays compte tenu des menaces auxquelles elle était confrontée. De plus, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les actions de Mme Bahena [traduction] « allaient à l’encontre de la logique », car elle : i) n’a pas demandé d’argent à la grand-mère de ses enfants; ii) a séjourné occasionnellement à son propre domicile après le premier incident en avril 2017; iii) n’est déménagée qu’à 500 mètres de son propre domicile pour séjourner dans la maison du père de ses enfants; et iv) n’a pas dit à sa mère et à sa sœur qu’ES était à l’origine des menaces qu’elle recevait. La SAR a convenu avec la SPR que le comportement de Mme Bahena ne traduisait pas une crainte subjective.

[24] Les conclusions de la SAR reposent sur son jugement, fondé sur le bon sens, quant à la façon dont agirait une personne qui éprouve une crainte authentique. Il s’agit d’une conclusion d’invraisemblance. Il est loisible aux décideurs de tirer ce genre de conclusion, mais la jurisprudence, en particulier dans le contexte des réfugiés, exige qu’ils fassent preuve de prudence quand ils tirent de telles conclusions. La Cour a conclu à maintes reprises qu’en contexte de demande d’asile, on ne peut conclure à l’invraisemblance que dans « les cas les plus évidents » dans lesquels « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend » (Al Dya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 901 aux para 27- 32; Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au para 7).

[25] À mon avis, les conclusions de la SAR concernant l’absence de crainte authentique de Mme Bahena n’ont pas été tirées avec prudence. Ces conclusions ne tiennent pas compte de l’ensemble de la situation de Mme Bahena. Par exemple, dans son évaluation de l’absence de crainte subjective, la SAR n’a pas tenu compte des différentes mesures que Mme Bahena a prises en raison de sa crainte, notamment : déménager, quitter son emploi, ne pas emmener ses enfants à l’école, ne pas prendre les transports en commun ni marcher dehors, puis finalement ne plus quitter le domicile dans lequel elle s’était réfugiée.

IV. Conclusion

[26] Tout compte fait, je suis d’avis que la décision de la SAR doit être annulée parce que j’ai de sérieuses réserves quant à ses conclusions sur la crédibilité. Je juge que l’appréciation défavorable de la SAR en matière de crédibilité repose sur des incohérences microscopiques et de faibles conclusions d’invraisemblance. Aucune des parties n’a soulevé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-13215-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SAR du 28 septembre 2023 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-13215-23

 

INTITULÉ :

MAYLEN BAHENA BARRERA, ALEJANDRO GARCIA BAHENA, SOFIA DE MANCERA GARCIA BAHENA, AND DIEGO DE JESUS CORTES BAHENA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 octobre 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 avril 2025

 

COMPARUTIONS :

Terry Guerriero

 

Pour les demandeurs

 

Saudia Samad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero

Avocats

London (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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