Dossiers : T-1198-24
Référence : 2025 CF 770
Montréal (Québec), le 29 avril 2025
En présence de madame la juge Danielle Ferron
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ENTRE : |
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LIMEI WANG |
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demanderesse |
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et |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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défendeur |
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Limei Wang, demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 22 avril 2024 par une déléguée [Déléguée] de la Ministre du revenu national [Ministre] qui refuse d’annuler l’impôt redevable par Madame Wang sur les cotisations excédentaires à son compte d’épargne libre d’impôt [CELI] pour les années d’imposition 2021 et 2022 [Décision].
[2] Madame Wang soutient essentiellement que (1) elle a agi de bonne foi en consultant son compte et en respectant les limites de cotisation; (2) elle a pris des mesures proactives pour remédier à la situation dès qu’elle a été informé de ses cotisations excédentaires; et (3) la Décision ne se fonde pas sur une évaluation correcte des faits présentés ni sur l'application adéquate des normes légales.
[3] Madame Wang demande donc à la Cour de :
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Réviser la Décision de la Déléguée concernant l'imposition de la pénalité pour contributions excessives à son CELI;
-
Reconnaître que la pénalité a été imposée à la suite d'une erreur raisonnable et qu'elle devrait être annulée;
-
Ordonner le remboursement de toute pénalité qui a été appliquée à son compte.
[4] En réponse, le défendeur soumet au contraire que compte tenu des faits au dossier, il était raisonnable pour la Déléguée de conclure que Madame Wang n’avait pas satisfait aux critères de la Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [Loi] puisqu’elle n’avait pas retiré les cotisations excédentaires à son CELI sans délai après en avoir été informée. Il soumet en effet que le moment où Madame Wang a été informée de la situation est la date à laquelle l’avis de l’Agence du revenu du Canada [ARC] lui a été communiqué dans son dossier électronique de l’ARC, soit le 26 juillet 2022, alors que le retrait des cotisations excédentaires ne s’est fait que le 13 février 2023.
[5] À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, Madame Wang dépose son propre affidavit, assermenté le 4 juillet 2024, auquel elle joint cinq pièces. Pour sa part, le défendeur dépose l’affidavit de Kayasith Yang, la Déléguée responsable du deuxième examen, assermenté le 16 août 2024 et joignant dix pièces. Les affiantes n’ont pas été contre-interrogées.
[6] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Wang est rejetée. À la suite de l’examen des motifs de la Déléguée et de la preuve au dossier, la Cour est d’avis que la Décision n’est pas déraisonnable. Au contraire, le raisonnement de la Déléguée est logique et cohérent à la lumière des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.
II. Questions préliminaires
[7] D’entrée de jeu, il y a d’abord lieu de statuer sur deux questions préliminaires soulevées par le défendeur, à savoir si: 1) le procureur général du Canada [PGC] devrait être le seul défendeur en l’instance; et 2) la Cour devrait permettre à Madame Wang de soumettre une preuve qui n’était pas devant la Déléguée.
A. Le PGC devrait être le seul défendeur en l’instance
[8] Le défendeur soumet que l’ARC a été désigné à tort en tant que partie défenderesse dans la présente demande de contrôle judiciaire et que le défendeur approprié serait le PGC, conformément à la Règle 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]. Madame Wang ne s’y oppose pas.
[9] La Cour est d’accord que le PGC est effectivement le défendeur approprié en l’instance. L’intitulé de cause sera conséquemment modifié afin de désigner le PGC comme défendeur en lieu et place de l’ARC, avec effet immédiat (Breton c Canada (Procureur général), 2024 CF 555 au para 32; Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 aux para 13-14 [Aryan]; Messenger c Canada (Procureur général), 2021 CF 95 au para 4 [Messenger]).
B. Nouveaux éléments de preuve
[10] Le défendeur soumet que la pièce II « La preuve de retrait de la partie excédentaire en février 2023 »
, produite au soutien de l’affidavit de Madame Wang, n’était pas devant la Déléguée lorsqu’elle a rendu la Décision et ne devrait ainsi pas être considérée par la Cour.
[11] De plus, lors de l’audition, Madame Wang a soulevé certains éléments factuels additionnels visant à démontrer sa bonne foi et sa proactivité à la suite de sa prise de connaissance de l’avis de cotisation et depuis, afin de mieux s’informer sur les questions fiscales découlant de la Loi. De l’aveu même de Madame Wang, ces éléments n’étaient pas devant la Déléguée lorsqu’elle a procédé au deuxième examen. Le défendeur s’oppose également à ce que ces nouveaux éléments factuels soient considérés par la Cour.
[12] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la jurisprudence est claire que la Cour ne doit généralement pas examiner les éléments de preuve qui n’étaient pas devant le décideur administratif (Gittens c Canada (Procureur général), 2019 CAF 256 aux para 13-14 citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]; Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 97 [Tsleil-Waututh]; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 13-18 [Bernard]). En effet, « le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance »
(Access Copyright au para 19 citant Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees' Union (CA), 1999 CanLII 7628 (CAF) au para 15).
[13] Il existe toutefois quelques exceptions permettant d’admettre certains documents, dont notamment lorsque ceux-ci : (i) fournissent des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions en litige; (ii) énoncent des vices de procédure ou manquements à l’équité procédurale dans la procédure administrative; ou (iii) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur (Tsleil‐Waututh aux para 97-98; Bernard aux para 19-28; Access Copyright aux para 19–20).
[14] En l’espèce, la Cour note qu’aucun dossier certifié du tribunal n’a été produit puisque Madame Wang n’a pas demandé la transmission du matériel en la possession de l’ARC conformément à la Règle 317 des Règles. La Cour ne peut donc constater le contenu exhaustif du dossier qui était devant la Déléguée lorsqu’elle a effectué le deuxième examen de la demande d’annulation d’impôt de Madame Wang (Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 aux para 13-14; Tsleil‐Waututh aux para 92-96).
[15] Néanmoins, le défendeur a joint à l’affidavit de la Déléguée les documents que Madame Wang a transmis en lien avec sa demande. Dans son affidavit, la Déléguée indique également que la pièce II jointe à l’affidavit de Madame Wang n’était pas dans le dossier devant elle au moment de son analyse. À l’audition, Madame Wang a reconnu que ce document n’a pas été transmis dans le même format à l’ARC, mais a souligné que l’information contenue dans ce document avait été autrement transmise à l’ARC. Par ailleurs, Madame Wang n’a pas contesté les autres pièces jointes à l’affidavit de la Déléguée.
[16] La Cour est d’avis que la pièce II de l’affidavit de Madame Wang ne devrait pas être admise en preuve et considérée dans le cadre de la demande de révision judiciaire puisqu’aucune exception ne s’applique. Cela dit, la Cour note que le document ne fait que confirmer le moment du retrait des cotisations excédentaires, que cette date était déjà au dossier et qu’elle n’est pas contestée par les parties. Dans ces circonstances, la Cour est d’accord avec le défendeur que ce document n’a pas de conséquence sur l’issu du dossier.
[17] Quant aux nouveaux éléments factuels soulevés par Madame Wang, ceux-ci ne répondent pas aux exceptions susmentionnées et ne peuvent être considérés par la Cour dans le cadre de cette révision judiciaire. Cela dit, la bonne foi de Madame Wang n’est pas remise en question dans le présent dossier et les éléments factuels additionnels qu’elle désirait apporter n’ont également pas de conséquence sur l’issu du dossier.
III. Contexte
A. Cotisations excédentaires à un CELI et pouvoir discrétionnaire de la Ministre
[18] Les CELI sont des régimes enregistrés régis par la partie XI.01 de la Loi. Un particulier admissible peut ouvrir un CELI et y cotiser jusqu'à concurrence de ses droits de cotisation inutilisés au CELI calculés selon la formule définie au paragraphe 207.01(1) de la Loi. Les revenus et gains en capital gagnés dans un CELI ne sont pas assujettis à l'impôt tant que le particulier n'a pas cotisé au-delà de ses droits de cotisation inutilisés au CELI. Les retraits effectués d'un CELI au cours d'une année ne seront ajoutés aux droits de cotisation du particulier au CELI qu'au début de l'année suivante.
[19] Conformément à l'article 207.02 de la Loi, le particulier qui a un excédent CELI au cours d’un mois civil est tenu de payer un impôt égal à 1% du montant le plus élevé de cet excédent pour le mois.
[20] En vertu du paragraphe 207.06(1) de la Loi, la Ministre possède un pouvoir discrétionnaire d’accorder la réparation demandée par Madame Wang dans la mesure où deux conditions cumulatives sont remplies, soit que (1) le particulier convainc la Ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable; et 2) le particulier retire sans délai le montant excédentaire de son CELI. Dans la mesure où l’une des conditions n’est pas remplies, la Ministre ne peut accorder le remède recherché (Messenger aux para 3, 14, 15 et 20; Kapil c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 1373 au para 28 [Kapil]; Ifi c Canada (Procureur général), 2020 CF 1150 au para 16 [Ifi]).
[21] Cela dit, même dans les cas où ces deux conditions sont rencontrées, la Ministre retient la discrétion de refuser d’accorder la renonciation demandée par un particulier (Ifi aux para 15-16 citant Kapil au para 28).
B. Faits
[22] Le 1er janvier 2021, le plafond de contribution de Madame Wang à son CELI était de 11°047,93$.
[23] Le 20 janvier 2021, Madame Wang contribue 29 000$ dans son CELI. Durant l’année 2021, la contribution excédentaire de Madame Wang à son CELI est donc de 17 952,07$.
[24] Au 1er janvier 2022, le droit de cotisation de Madame Wang à son CELI est de -11 952,07$.
[25] Le 26 juillet 2022, l’ARC transmet un avis de cotisation à Madame Wang lui indiquant qu’elle a cotisé en trop à son CELI pour l’année d’imposition 2021. L’avis lui demande de payer la somme de 2 271,65$, soit 2 154,25$ d’impôt pour contributions excédentaires, 107,71$ de pénalité et 9,69$ d’intérêts débiteurs.
[26] Le 13 février 2023, l’ARC reçoit une lettre de Madame Wang datée du 8 février 2023 dans laquelle elle demande de réévaluer l’avis de cotisation du 26 juillet 2022. Elle explique avoir été induite en erreur par le plafond de cotisation indiqué sur son compte en ligne Mon Dossier sur le site internet de l’ARC. Elle souligne qu’elle n’a pas reçu d’autre notification de l’avis de cotisation, soit par courriel ou par lettre. Madame Wang ajoute qu’elle a eu des enjeux de santé depuis septembre 2022 l’empêchant de bien s’occuper de ses affaires et qu’elle a seulement pris connaissance de cet avis en consultant son dossier pour effectuer une demande de prestation de maladie de l’assurance-emploi.
[27] Le jour même, soit le 13 février 2023, Madame Wang retire 5 452,07$ de son CELI, ce qui correspond au montant des cotisations excédentaires en date du 1er janvier 2023.
[28] Le 8 mai 2023, l’ARC reçoit de Madame Wang le formulaire RC243 – Déclaration compte d’épargne libre d’impôt (CELI) concernant l’année 2022. Madame Wang y indique un impôt payable de 1 434,25$ pour l’année 2022 en lien avec ses contributions excédentaires.
[29] Le 5 juin 2023, l’ARC reçoit de Madame Wang le formulaire RC4288 – Demande d’allégement pour les contribuables – Annuler des pénalités et des intérêts ou y renoncer. Dans ce formulaire, elle coche la raison « Retard ou erreur causé par l'Agence »
à l’appui de sa demande et demande d’annuler la pénalité imposée en 2022 pour les contributions excédentaires. Elle réitère qu’elle n’a jamais reçu de lettre ou d’appel au sujet de l’avis de cotisation du 26 juillet 2022 avant février 2023.
C. Décisions de l’ARC
(1) Première Décision
[30] Le 8 novembre 2023, l’ARC transmet une lettre à Madame Wang l’informant qu’elle n’a pas retiré les contributions excédentaires dans un délai raisonnable. La lettre indique qu’aucune circonstance ne justifie l’annulation de l’impôt de 2021 et 2022 sur les contributions excédentaires; la demande de Madame Wang est ainsi refusée [Première Décision].
[31] Le 1er décembre 2023, l’ARC reçoit une lettre de Madame Wang datée du 20 novembre 2023 dans laquelle elle conteste la Première Décision et demande une deuxième analyse de son dossier. Les motifs invoqués par Madame Wang dans cette deuxième lettre rédigée en anglais sont similaires à ceux présentés dans sa première lettre rédigée en français ainsi que dans le formulaire RC4288, mais certaines précisions sont ajoutées.
[32] Madame Wang précise notamment que les raisons pour lesquelles elle n’a pas rapidement pris connaissance de l’avis de cotisation de juillet 2022 sont que (1) elle avait oublié qu’elle avait changé ses préférences de communication en passant du papier aux notifications électroniques; et (2) considérant son manque d’expérience technologique, elle n’avait pas relié son adresse courriel aux notifications électroniques.
[33] Elle souligne également avoir eu des enjeux de santé à cette époque et dépose en preuve des billets médicaux datés du 27 septembre 2022, du 1er et du 29 novembre 2022 ainsi qu’un billet d’arrêt de travail pour une période de deux mois, daté du 27 janvier 2023.
[34] Madame Wang ajoute qu’elle a payé l’impôt et les pénalités de 2021 et 2022 en lien avec ses contributions excédentaires et elle joint les preuves de paiement. Elle réitère alors sa demande d’obtenir une annulation complète ou partielle de l’impôt sur ses contributions excédentaires à son CELI.
(2) Décision sur laquelle porte la demande de révision judiciaire
[35] Par lettre datée du 22 avril 2024, l’ARC informe Madame Wang que la Première Décision est maintenue et que la réparation demandée ne sera pas accordée. En somme, après avoir pris connaissance des représentations transmises par Madame Wang, la Déléguée indique être d’avis que, considérant que Madame Wang a été avisée de ses contributions excédentaires à son CELI le 26 juillet 2022 et qu’elle n’a retiré ses contributions excédentaires que le 13 février 2023, ce délai n’était pas raisonnable.
IV. Position des parties
[36] Au soutien de sa demande en contrôle judiciaire, Madame Wang réitère en français les arguments qu’elle avait soulevés à l’ARC à la suite de la Première Décision. Elle soutient que dans le cadre de la Décision, la Déléguée a ignoré de manière capricieuse les motifs réels et raisonnables qu’elle a avancés.
[37] En bref, Madame Wang soulève devant la Cour que :
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le montant de contribution excédentaire versé à son CELI découle d’une erreur raisonnable et faite de bonne foi, sur la base des informations qu’elle aurait obtenue en allant sur le site internet de Mon dossier de l’ARC;
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elle n’a reçu aucune notification écrite ni de courrier électronique à ce sujet, malgré l’avis de l’ARC datée du 26 juillet 2022;
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elle n’a eu connaissance de la situation qu’en février 2023, lorsqu’elle s’est connectée à son dossier électronique de l’ARC pour demander de l’assurance-emploi en raison des maladies qu’elle a subies;
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à la suite d’une modification de son dossier électronique de l’ARC, demandant à recevoir ses communications de façon électronique plutôt que par la poste, elle n’aurait pas reçu l’avis de l’ARC l’informant de la situation, car elle n’avait pas associé ses notifications de compte à son adresse courriel, situation qu’elle aurait corrigée depuis;
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dès qu’elle a pris connaissance de l’excédent, elle a immédiatement retiré la partie excédentaire du CELI et a par la suite payé l’impôt et les pénalités correspondants;
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le point de référence quant au délai raisonnable pour corriger la situation devrait être le moment où elle a pris connaissance de la situation;
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en tant que nouvelle immigrante ayant pris des mesures correctives après avoir découvert sa première infraction, l’ARC aurait mal exercé sa discrétion en refusant d’annuler l’impôt sur les cotisations excédentaires à son CELI pour les années d’imposition 2021 et 2022.
[38] Pour sa part, le défendeur affirme qu’après avoir examiné la deuxième demande d'annulation et toutes les circonstances présentées par Madame Wang, la Déléguée a raisonnablement conclu que l’excédent de 2021 et 2022 n’avait pas été retiré dans un délai raisonnable. Il souligne que le pouvoir discrétionnaire de la Ministre est limité par le libellé de la Loi, en ce sens que le pouvoir de renoncer à l'impôt n'existe qu'une fois que les deux exigences légales ont été remplies à la satisfaction de la Ministre. Or, comme Madame Wang ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 207.06(1) de la Loi, elle n'avait pas droit à l’allègement réclamé.
V. Analyse
A. Norme de contrôle
[39] Dans sa décision récente, Mailloux c Canada (Procureur général), 2025 CF 583 [Mailloux], le juge Gascon résume bien la norme de contrôle applicable:
[16] Il ne fait aucun doute que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions de l’ARC (Devi c Canada (Procureur Général), 2024 CF 33 au para 14 [Devi]; Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 au para 15; He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20 [He]; Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088 au para 12; Aryan aux para 15–16). Ce courant jurisprudentiel est conforme avec le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative qui a été fixé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt de principe Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas lors d’examens au mérite.
[17] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64 ; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).
[18] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60 ; Vavilov au para 84).
[19] La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, la Cour le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).
[20] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).
[40] Ceci est d’autant plus vrai dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire tel que celui de la Ministre, prévu au paragraphe 207.06(1) de la Loi (Kapil au para 19; Ifi au para 12; Weldegebriel c Canada (Procureur général), 2019 CF 1565 au para 8 [Weldegebriel]).
B. La Décision est raisonnable.
[41] Madame Wang ne soulève pas d’argument précis pour expliquer en quoi, selon elle, la Décision serait déraisonnable. Elle ne soulève aucune erreur de la part de la Ministre et indique simplement que la Décision n’est pas fondée sur une évaluation correcte des faits présentés ni sur l’application adéquate des normes légales.
[42] Ce que la Cour retient de ses représentations écrites et orales est que sa cotisation excédentaire découlerait d’une erreur de bonne foi, qu’elle n’a eu connaissance de l’avis de cotisation qu’en février 2023, encore ici en raison d’erreurs de bonne foi, qu’elle a été proactive dès qu’elle a eu connaissance de la cotisation excédentaire afin de corriger la situation. Elle plaide qu’il s’agit d’une première erreur et qu’elle a été proactive afin de s’assurer qu’une situation similaire ne se reproduise plus. Elle demande donc la clémence de la Cour.
[43] Tel que susmentionné, en vertu du paragraphe 207.06(1) de la Loi, la Ministre possède un pouvoir discrétionnaire d’accorder la réparation demandée par Madame Wang dans la mesure où les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies: 1) la Ministre est convaincue que la responsabilité découle d’une erreur raisonnable; et 2) le particulier retire sans délai le montant excédentaire.
[44] Dans son plan d’argumentation, le défendeur soumet certains arguments semblant indiquer que la première condition quant à l’erreur raisonnable ne serait pas remplie. Toutefois, il concède qu’en l’instance, la Décision n’en traite pas. Le défendeur confirme en effet que la Décision n’est fondée que sur le fait que la seconde condition n’avait pas été remplie, soit que Madame Wang n’aurait pas retiré la cotisation excédentaire « sans délai »
. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’analyser les faits entourant la première condition.
[45] Quant à la deuxième condition, la notion « sans délai »
a été définie dans plusieurs décisions comme étant une période de 30 jours suivant le moment où le particulier est informé de la cotisation excédentaire (Fang v Canada (Attorney General), 2024 FC 1399 au para 38, disponible en anglais seulement; Ossai c Canada (Procureur général), 2023 CF 313 au para 24 citant Posmyk c Canada (Procureur général), 2021 CF 393 au para 4).
[46] En l’instance, il n’est pas contesté que l’avis de cotisation a été acheminé le 26 juillet 2022. Ainsi, suivant cette définition, le retrait de la cotisation excédentaire aurait dû avoir lieu avant le 26 août 2022 pour respecter cette période de 30 jours. Toutefois, dans les faits, ce retrait n’aura lieu que le 13 février 2023.
[47] La Cour est d’accord avec le défendeur qu’il incombe au contribuable de vérifier sa correspondance et de mettre à jour l’adresse pour le joindre ou ses préférences en matière de communications. Ici, Madame Wang admet qu’elle a indiqué vouloir recevoir ses communications de façon électronique, mais qu’elle a omis d’associer son adresse courriel à son compte de l’ARC. Malgré ces faits, Madame Wang reproche à l’ARC de ne pas lui avoir autrement notifié l’avis de juillet 2022. Avec égard, la Cour est d’avis que Madame Wang ne peut reprocher à l’ARC le fait qu’elle n’a pas surveillé ses communications.
[48] En effet, lorsqu’un contribuable a sélectionné comme préférence d’être notifié de façon électronique et qu’il néglige de regarder son compte de façon régulière, il ne peut se plaindre qu’il n’a pas pris connaissance des communications qui lui ont été acheminées conformément à ses préférences (Uddin v Canada (Revenue Agency), 2024 FC 1603 au para 21, disponible en anglais seulement; Rempel c Canada (Procureur général), 2021 CF 337 aux para 12, 28; Weldegebriel au para 15).
[49] De plus, le défendeur souligne avec justesse que la Ministre n’est pas tenue de démontrer qu’un contribuable a reçu du courrier; elle n’a qu’à démontrer que ce courrier a été envoyé (Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 au para 11 citant Bowen c Ministre du Revenu national, 1991 CanLII 13528 (CAF), [1991] ACF no 1054, 1991 CarswellNat 520 au para 8; Cyr c Canada (Procureur général), 2019 CF 996 au para 46).
[50] Quant à la question des enjeux médicaux, la preuve soumise au dossier est silencieuse quant à la période de 60 jours écoulée entre le 26 juillet 2022 et le premier billet de médecin du 27 septembre 2022. Ainsi, la preuve d’enjeux médicaux concerne une période qui se situe après l’expiration du délai de 30 jours retenu par la jurisprudence pour la notion de « sans délai »
.
[51] Dans les circonstances, même si la Cour a de la sympathie pour la situation de Madame Wang, la Cour est d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour la Déléguée de conclure que la deuxième condition du paragraphe 207.06(1) de la Loi n’était pas remplie. Cela était suffisant pour refuser d’accorder la demande de Madame Wang.
[52] En outre, comme le rappel le juge Gascon dans Mailloux :
[43] …mis à part dans des circonstances exceptionnelles, une cour de révision n’a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier ni de s’immiscer dans les conclusions de fait de l’ARC pour y substituer les siennes (Vavilov au para 125; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Elle doit plutôt examiner les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53), et se contenter de se demander si les conclusions revêtent un caractère irrationnel ou arbitraire.
[53] Tel que susmentionné, ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un dossier où la Ministre possède un pouvoir discrétionnaire.
[54] Dans le présent dossier, la Cour ne décèle pas de conclusions irrationnelles ou arbitraires.
VI. Conclusion
[55] Pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de Madame Wang est rejetée. La Décision est basée sur la preuve au dossier et possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité requis en vertu de la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 99). La Décision n’est entachée d’aucune erreur ou lacune grave justifiant l’intervention de la Cour (Vavilov aux para 100–101).
Le PGC demande que des dépens lui soient octroyés. En l’instance, la Cour ne considère pas que des dépens soient justifiés. Dans l’exercice de sa discrétion, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas lieu de condamner Madame Wang, qui se représente seule, à payer des dépens (Règle 400(1) des Règles; Showers c Canada (Procureur général), 2022 CF 1183 au para. 32; Hu c Canada (Le Procureur Général), 2023 CF 1590 au para 36, conf par 2024 FCA 215; Lalonde c Canada (Agence du revenue), 2023 CF 41 au para 97).
JUGEMENT au dossier T-1198-24
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L’intitulé de la cause est modifié afin que le Procureur général du Canada soit désigné comme défendeur au lieu de l’Agence du revenu du Canada.
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
« Danielle Ferron »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
T-1198-24 |
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INTITULÉ : |
LIMEI WANG c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 17 AVRIL 2025 |
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JUGEMENT ET motifs : |
ferron j. |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 29 avril 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Limei Wang |
Pour lA demandeRESSE (POUR SON PROPRE COMPTE) |
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Jérémie Fortin-Leroux |
Pour le défendeur PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |