Date : 20250429
Dossier : IMM-4315-24
Référence : 2025 CF 769
Ottawa (Ontario), le 29 avril 2025
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
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ENTRE : |
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PAOLA AIDA ORE AVILA |
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Demandeur |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] La demanderesse, Paola Aida Ore Avila [demanderesse], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui a rejeté sa demande d’asile [Décision]. La demanderesse allègue qu’elle craint d’être persécutée en raison de ses opinions politiques et de son genre advenant un retour dans son pays d’origine.
[2] La SAR est d’avis que la Section de la protection des réfugiés [SPR] aurait dû fournir des motifs plus détaillés sur certaines conclusions, mais elle est d’accord avec la conclusion de la SPR voulant que la demanderesse n’ait pas établi qu’elle avait la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demanderesse n’a pas démontré que la Décision était déraisonnable.
II. Faits
[4] La demanderesse est une citoyenne du Pérou. Le 14 novembre 2020, elle a participé à une manifestation politique [Manifestation] où un policier a menacé de tirer sur elle et son amie si elles continuaient de manifester. De mai 2018 à avril 2021, la demanderesse a été victime de deux vols armés, visée par une tentative d’enlèvement et suivie par un inconnu.
[5] Le 18 août 2023, la SPR a analysé la demande d’asile au regard de l'article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR a conclu que la demanderesse n’a pas pu montrer une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, elle serait exposée à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités, ou encore de torture advenant un retour au Pérou. La SPR a refusé la demande d’asile de la demanderesse au motif que son risque allégué est généralisé à la population péruvienne et que ce risque ne remplit pas le fardeau exigé par l’article 97 de la LIPR. La SPR n’a soulevé aucune préoccupation quant à sa crédibilité.
[6] Le 3 janvier 2024, la SAR a confirmé la décision de la SPR. À la suite de son analyse de l’ensemble du dossier et après avoir considéré les Directives du président sur les considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR [Directive #4], la SAR a jugé que la SPR n’avait pas erré en déterminant que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger en raison de l’absence d’un risque prospectif personnalisé advenant son retour au Pérou. Quoique la SAR a conclu que la demanderesse était généralement crédible, la preuve n’avait pas établi un lien entre les allégations de persécution et le risque de préjudice grave au Pérou. La Décision de la SAR fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III. Question en litige
[7] La question en litige est de savoir si la Décision de la SAR est déraisonnable.
[8] La Cour doit réviser le bien-fondé de la Décision en appliquant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17, 25 [Vavilov]). Je suis d’accord avec les parties que la norme de la décision raisonnable s’applique aux motifs de la Décision.
[9] En contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse et déterminer si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125-126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).
IV. Analyse
[10] La demanderesse soulève trois arguments en contrôle judiciaire.
[11] Tout d’abord, la demanderesse soutient que la SAR a erré dans son évaluation de la possibilité de persécution pour des motifs politiques. Contrairement à la conclusion de la SAR, la demanderesse soutient posséder le profil politique qui entraine la persécution des autorités. Sa participation à la Manifestation, malgré qu'il s’agisse de sa seule participation à un rassemblement politique, était suffisante pour l’exposer à une possibilité sérieuse de persécution pour ses opinions politiques. Par le fait même, la SAR aurait dû considérer la période d’instabilité dans laquelle s’est déroulée la Manifestation et la perception qu’avait la police péruvienne à l’égard de la demanderesse par la suite de sa participation à la Manifestation.
[12] Ensuite, la demanderesse allègue que la SAR a erré dans son évaluation de la possibilité de persécution fondée sur le genre. La demanderesse soutient que la SAR n’a pas appliqué l’approche intersectionnelle prévue dans la Directive #4. À l’audience, la demanderesse a souligné que la preuve dans le cartable national de documentation est claire à savoir que la violence et la discrimination envers les femmes sont endémiques au Pérou. La demanderesse soutient que, en tant que témoin crédible, elle a démontré une possibilité sérieuse de persécution en cas de retour au Pérou.
[13] De surcroit, la demanderesse soutient que la SAR a erré en concluant que son risque de préjudice était un risque généralisé. La demanderesse soutient qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve, tels que son témoignage et les rapports de police, au soutien de son allégation qu’elle a été ciblée par un groupe criminel à plusieurs reprises. À la lumière des éléments soumis en preuve, la SAR aurait dû conclure que le risque auquel la demanderesse était assujettie est de nature personnalisée.
[14] D’autre part, le défendeur soutient que la Décision est raisonnable et que les arguments présentés dans cette demande de contrôle judiciaire doivent être rejetés. Le défendeur soutient que la demanderesse demande à la Cour de soupeser la preuve afin de parvenir à une conclusion différente de celle de la SPR et de la SAR, ce qui n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire. En identifiant les arguments spécifiques de la demanderesse, le défendeur souligne qu’il est clair que celle-ci est en désaccord avec les conclusions de la SAR, mais n’a pas identifié les erreurs spécifiques qui justifieraient l’intervention de la Cour.
[15] Je suis d’accord avec les arguments du défendeur. Je suis d’avis que les conclusions de la SAR ne sont pas déraisonnables.
[16] Un demandeur a le fardeau de preuve de faire le lien, de façon suffisante, entre ses persécutions alléguées et le profil des personnes visées aux articles 96 et 97 de la LIPR. Le juge Pamel, tel qu’il l’était, avait constaté qu’il était raisonnable de conclure qu’un demandeur n’était pas exposé à un risque de persécution si aucun lien crédible n’a été établi entre les indices factuels et la preuve documentaire (Casilimas Murcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1182 aux para 96-98 [Casilimas Murcia]).
[17] Contrairement aux prestations de la demanderesse, la SAR a considéré le fait que la demanderesse avait participé à une Manifestation, le climat politique « au cours des dernières années parce que l’ancien président a été chassé du pouvoir et destitué »
et les quatre incidents criminels qui se sont déroulés entre mai 2018 et avril 2021. Cependant, les incidents énumérés ne permettent pas de conclure que la demanderesse avait été personnellement visée en raison du fait qu’elle est une femme ni qu’elle était persécutée pour des motifs politiques. Plus particulièrement, en ce qui concerne les allégations de persécutions en raison du genre, la preuve au dossier étaye qu’au moins deux de ces incidents se sont produits alors que la demanderesse était en compagnie de son ex-petit ami. La demanderesse a aussi décrit des incidents dans le passé où des hommes ont tenté de la toucher sans son consentement. Elle mentionne aussi la statistique à l’effet que le Pérou décompte 150 féminicides par année.
[18] Je ne peux critiquer la conclusion de la SAR. Le cheminement de l’analyse de la SAR est transparent et logique. Le simple renvoi à la preuve documentaire objective sur les conditions dans le pays d’origine sans lien avec la situation personnelle d’un demandeur ne suffit pas à justifier que la protection demandée soit accordée (Hafid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1810 au para 13 citant Casilimas Murcia au para 96). En effet, la SAR a rejeté l’argument de la demanderesse soutenant qu’elle était victime de persécution parce que « toutes femmes, ou toutes les jeunes femmes sont exposées au Pérou à une possibilité sérieuse de persécution »
. La conclusion de la SAR rejetant l’argument de persécution en raison du genre découle du fait qu’il y avait une insuffisance de preuve subjective pour établir que le genre de la demanderesse était un facteur dans les quatre incidents qu’elle a présenté.
[19] La SAR a aussi analysé l’argument de la demanderesse soutenant qu’elle était personnellement visée par un groupe criminel parce que « les incidents étaient trop fréquents pour être aléatoires »
. La SAR a considéré les incidents, mais a conclu qu’il n’y avait pas de preuve permettant de lier les incidents ni les personnes impliquées entre eux. La croyance de la demanderesse à elle seule ne suffisait pas.
[20] Finalement, la demanderesse souligne que, de façon globale, la SPR et la SAR ont déterminé qu’elle était crédible. Ainsi, la demanderesse fait valoir qu’elle a établi un lien entre son récit et la situation précaire des personnes qui fuient la persécution. Dans son cas, la SAR aurait dû lui accorder le bénéfice du doute. En revanche, le défendeur soutient que l’argument du « bénéfice du doute »
n’a pas sa place en l’espèce, car la crédibilité de la demanderesse n’était pas remise en question.
[21] Avec égards, je ne peux souscrire aux arguments de la demanderesse. Une conclusion relative à sa crédibilité ne signifie pas qu’elle s’est automatiquement acquittée de son fardeau de preuve. La demanderesse devait établir un lien entre les éléments de preuve documentaire objective et la situation qui lui est propre. Elle devait démontrer, en vertu de ce lien (et le profil qui en découle), qu’elle est exposée à un risque de persécution selon la documentation objective (Faundez Vargas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1616 au para 21).
[22] En somme, il est évident à la lecture de la Décision que les faits soulevés n’étaient pas suffisants pour étayer un lien entre les événements et un profil qui exposerait la demanderesse à un risque de persécution ou de risque prospective. En l’espèce, les conclusions de la SPR et de la SAR sont basées sur l’analyse raisonnable de la preuve et les soumissions de la demanderesse. En considérant la preuve devant la SAR, il n’était pas déraisonnable de conclure que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était personnellement à risque advenant un retour au Pérou.
[23] Les arguments que la demanderesse a présentés en contrôle judiciaire ont déjà été analysés et considérés par la SAR. La demanderesse me demande de soupeser la preuve et d’arriver à une conclusion différente, ce que la Cour ne peut faire en contrôle judiciaire (Vavilov au para 125).
V. Conclusion
[24] La Décision constitue une issue raisonnable. En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[25] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans IMM-4315-24
LA COUR STATUE que :
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Il n’y a pas de questions à certifier.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-4315-24 |
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INTITULÉ : |
PAOLA AIDA ORE AVILA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 7 AVRIL 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 29 AVRIL 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Claudia Aceituno |
POUR LES DEMANDEURS |
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Zofia Przybytkowski |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Me Claudia Aceituno Avocate Montréal (Québec) |
POUR LES DEMANDEURS |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |