Date : 20250512
Dossiers : T-1094-23
T-1095-23
Référence : 2025 CF 754
[TRADUCTION FRANÇAISE NON RÉVISÉE PAR LA JUGE]
Ottawa (Ontario), le 12 mai 2025
En présence de madame la juge Furlanetto
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ENTRE : |
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ALEXION PHARMACEUTICALS, INC. ET ALEXION PHARMA INTERNATIONAL OPERATIONS LIMITED |
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demanderesses |
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AMGEN CANADA INC. |
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défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS
(Identiques au jugement et aux motifs confidentiels rendus
le 28 avril 2025)
I. Aperçu
[1] Le présent jugement découle de deux actions en contrefaçon de brevet intentées en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133. Le brevet en cause est le brevet canadien no 2,645,810 [le brevet 810]. Le médicament innovant lié à l’action est SOLIRISMD (éculizumab), un médicament biologique administré par voie intraveineuse pour traiter les patients atteints d’hémoglobinurie paroxystique nocturne [HPN], un trouble sanguin rare qui provoque la destruction des globules rouges.
[2] La demanderesse Alexion Pharmaceuticals, Inc. [API] est la propriétaire inscrite du brevet 810, et la demanderesse Alexion Pharma International Operations Limited [APIOL], la propriétaire bénéficiaire de ce brevet. Les parties conviennent que les demanderesses [collectivement appelées Alexion] ont compétence pour intenter l’action en tant que propriétaires du brevet.
[3] La défenderesse, Amgen Canada Inc. [Amgen], cherche à commercialiser au Canada un produit à base d’éculizumab, BEKEMV [le produit d’Amgen], et a signifié deux avis d’allégation relativement au dépôt de ses présentations de drogue nouvelle. Le premier avis d’allégation visait la présentation de drogue nouvelle d’Amgen no 263132 et a mené à l’action dans le dossier T‑1094-23. Le deuxième avis d’allégation concernait la présentation de drogue nouvelle no 273714 et a mené à l’action dans le dossier T‑1095-23.
[4] Alexion soutient que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du produit d’Amgen contrefera directement ou indirectement les revendications 1 et 2 du brevet 810 [les revendications invoquées].
[5] Pour les besoins de la présente instance, Amgen admet qu’il y aura contrefaçon des revendications invoquées et fait valoir en défense que les revendications en question sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence. Les parties s’entendent pour dire que les différences entre les dossiers T-1094-23 et T-1095-23, et les présentations de drogue nouvelle d’Amgen no 263132 et 273714, qui sont importantes pour la question de la contrefaçon, ne sont pas pertinentes pour la question de la validité.
[6] Pour les motifs qui suivent, et me fondant sur la preuve dont je dispose, je conclus qu’Amgen ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir que les revendications invoquées sont antériorisées ou évidentes. Par conséquent, la Cour accueille l’action, déclare qu’il y a contrefaçon, accorde une injonction et ordonne la remise des produits, le tout avec dépens.
II. Contexte
[7] Le brevet 810 est inscrit au Registre des brevets en lien avec le médicament éculizumab. L’éculizumab est le principe actif du produit SOLIRISMD d’Alexion, commercialisé au Canada depuis 2009. C’est le seul médicament approuvé pour traiter l’hémoglobinurie paroxystique nocturne au Canada.
[8] L’hémoglobinurie paroxystique nocturne est une maladie rare causée par une mutation génétique acquise qui fait en sorte que les globules rouges d’une personne sont détruits prématurément en raison d’un processus appelé hémolyse. La surface des globules rouges produits chez les patients atteints d’HPN ne possède pas certaines protéines qui inhibent l’effet du système du complément (un réseau complexe de protéines activées dans le sang par une série de réactions biochimiques en cascade lors de la réponse immunitaire du corps qui vise à éliminer les agents pathogènes).
[9] Le système du complément est activé par trois voies qui convergent toutes et entraînent le clivage de la protéine C3 du complément en protéines C3a et C3b, puis le clivage de la protéine C5 du complément en protéines C5a et C5b. Ces dernières étapes mènent à l’activation de la voie terminale du complément (C5b à C9), responsable de l’activation et de la destruction des cellules cibles.
[10] Chez un patient atteint d’HPN, les protéines activées par le système du complément attaquent les globules rouges du patient, ce qui les rend sujets à une destruction prématurée et entraîne une hausse de la libération d’hémoglobine dans le sang.
[11] L’éculizumab est un anticorps monoclonal humanisé recombinant dirigé contre la protéine C5 du complément. L’éculizumab se lie à la protéine C5 du complément, ce qui empêche son clivage, et, par conséquent, empêche la voie terminale du complément d’attaquer les globules rouges anormaux. Ces derniers sont ainsi protégés de la lyse, ce qui stabilise les taux d’hémoglobine.
[12] Le brevet 810 est le deuxième de trois brevets appartenant à Alexion se rapportant à des travaux sur l’éculizumab. Le premier brevet, le brevet canadien no 2,189,015 [le brevet 015] a expiré le 1er mai 2015. Le troisième brevet, le brevet canadien no 3,022,097 [le brevet 097], figure aussi au registre des brevets et Alexion l’invoquait initialement dans la présente instance. Toutefois, le 8 février 2024, Alexion a modifié sa déclaration pour retirer ses allégations se rapportant au brevet 097, et la Cour n’est donc saisie d’aucune question relativement à ce brevet.
III. Le brevet 810
[13] Le brevet 810 est intitulé « Traitement de patients souffrant d’hémoglobinurie paroxystique nocturne par un inhibiteur de complément ». La demande présentée à cet égard constitue l’entrée en phase nationale d’une demande déposée le 15 mars 2007 en vertu du Traité de coopération en matière de brevets [PCT]. Le brevet 810, publié le 20 septembre 2007, a été délivré le 11 décembre 2018 et expirera le 15 mars 2027. La demande de brevet revendiquait une date de priorité fondée sur la demande de brevet américain no 60/783,070 déposée le 25 mars 2006, mais Alexion n’invoque pas cette date de priorité, et toutes les parties conviennent que le 15 mars 2007 est la date pertinente pour l’examen des questions de l’antériorité et de l’évidence.
[14] Dans la section Contexte du brevet 810, on traite de l’HPN, qui est décrite comme étant une maladie hématologique qui entraîne une hémolyse intravasculaire. Il est indiqué qu’il n’existe [traduction] « aucune thérapie permettant de réduire efficacement l’hémolyse intravasculaire et d’atténuer les affections cliniques associées à l’HPN »
(brevet 810, P‑1, 1:23‑25). L’éculizumab est, toujours selon cette section, un [traduction] « anticorps monoclonal humanisé dirigé contre la protéine C5 des composants terminaux du complément »,
anticorps qui a été utilisé dans une étude clinique préliminaire pour traiter des patients atteints d’HPN (brevet 810, P-1, 1:26-30).
[15] Dans la section Sommaire du brevet, on fait référence à l’étude de phase III appelée TRIUMPH, au cours de laquelle l’éculizumab a été utilisé pour traiter des patients atteints d’HPN et où sa capacité à stabiliser les taux d’hémoglobine a été évaluée (brevet 810, P‑1, 2:1‑6). Le brevet concerne un traitement à l’éculizumab qui réduit la quantité de lyse et limite la libération d’hémoglobine dans le sang, améliorant ainsi la qualité de vie du patient (brevet 810, P‑1, 2:22‑26). La section Description du brevet fournit des détails supplémentaires sur l’étude TRIUMPH, notamment sur la sélection des patients, la conception de l’étude, les résultats cliniques et pharmacologiques, et l’innocuité. Cette section fait également référence à une autre étude de phase III en cours sur l’innocuité, appelée SHEPHERD (brevet 810, P‑1, 40:14‑16).
[16] Le brevet 810 résume divers aspects de l’invention, y compris les méthodes qui permettent d’améliorer la qualité de vie des patients atteints d’HPN. Il y est expliqué, pour certains aspects de l’invention, que l’application du brevet fournit [traduction] « une composition pharmaceutique comprenant un anticorps qui se lie à la protéine C5 ou à un fragment actif de celui-ci »
, et précisé que, dans certaines réalisations, l’anticorps est l’éculizumab et la composition pharmaceutique est administrée aux patients atteints d’HPN (brevet 810, P‑1, 3:18‑23). Le brevet indique que, dans certaines réalisations, l’anticorps qui se lie à la protéine C5 possède une chaîne lourde constituée de la SEQ ID NO:2 et une chaîne légère constituée de la SEQ ID NO:4 (brevet 810, P‑1, 5:30-33). On y trouve la séquence complète d’acides aminés pour les séquences SEQ ID NO:2 et SEQ ID NO:4, entre autres (brevet 810, P‑1, 44), identifiées dans la liste des séquences comme étant les séquences de l’éculizumab.
[17] Dans la section Description détaillée du brevet 810, on décrit le système du complément, dont les facteurs protéiques C3, C3a, C3b, C5 et C5a. On y souligne que l’effet bénéfique des anticorps monoclonaux anti‑C5 avait déjà été constaté dans le cadre de modèles expérimentaux et d’essais cliniques portant sur d’autres maladies (brevet 810, P‑1, 11:18-22).
[18] Le brevet 810 mentionne des anticorps anti‑C5 adaptés que connaîtraient les personnes versées dans l’art et fait référence aux enseignements du brevet américain no 6,355,245 [le brevet américain 245] (lié au brevet 015 en raison d’une demande de priorité fondée sur ce brevet américain) au sujet d’un anticorps qui se lie à la protéine C5 et inhibe le clivage de C5 en C5a et en C5b, réduisant ainsi la formation des composants du complément en aval (brevet 810, P‑1, 14:23-28). Selon le brevet, une [traduction] « méthode privilégiée pour inhiber l’activité du complément consiste à utiliser un anticorps monoclonal qui se lie à la protéine C5 du complément et inhibe le clivage »
tout en permettant la [traduction] « formation de C3a et de C3b, qui sont bénéfiques pour le patient »
(brevet 810, P-1, 16:19-22). Il est mentionné que le brevet américain 245 révèle des anticorps spécifiques au système du complément humain et que les anticorps divulgués dans le brevet américain 245 comprennent l’anticorps de prédilection, maintenant appelé éculizumab (brevet 810, P‑1, 16:23‑24).
[19] Le brevet 810 compte 16 revendications, qui, à l’exception des revendications 1 et 2, revendiquent toutes l’utilisation d’une composition pharmaceutique. Au procès, les parties ont restreint les revendications en litige aux revendications 1 et 2.
IV. Questions en litige
[20] Les questions suivantes sont en litige :
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Les revendications invoquées sont-elles antériorisées par la publication de la demande no 2003/023972 de brevet américain [la demande de brevet américain 972], contrairement au paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4?
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Les revendications invoquées seraient-elles évidentes pour une personne versée dans l’art, contrairement à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets?
[21] Avant d’examiner les questions de l’antériorité et de l’évidence, la Cour doit nécessairement interpréter les revendications invoquées. Par conséquent, l’interprétation des revendications est une question préliminaire que la Cour doit aussi traiter.
V. Témoins
[22] Cinq témoins experts ont témoigné au procès. Trois d’entre eux ont été cités par Amgen (M. François Bertelli, Ph. D., Dr Farid Boulad et M. Devendra Kalonia, Ph. D.) et deux, par Alexion (M. Arturo Casadevall, Ph. D., et M. Peter Tessier, Ph. D.). Les parties s’entendent sur les énoncés de l’expertise de toutes ces personnes.
A. Experts d’Amgen
[23] François Bertelli : M. Bertelli, Ph. D., est chef de la recherche sur les anticorps pour 272Bio Limited à Reading, au Royaume-Uni, où il dirige la recherche sur les anticorps, y compris la découverte d’anticorps à des fins thérapeutiques. Depuis 1998, il a occupé le poste de scientifique principal et des postes connexes au sein d’entreprises pharmaceutiques au Royaume‑Uni, dont Pfizer Global Research and Development et Spirogen, une filiale d’AstraZeneca. Il détient plus de 25 années d’expérience dans le domaine de la découverte de médicaments et le développement de produits biomédicaux, y compris en oncologie, en immunologie, en découverte d’anticorps, en ingénierie et en modélisation. La Cour a admis son expertise en conception et développement d’anticorps monoclonaux humanisés, y compris en ce qui concerne les stratégies visant à atténuer l’immunogénicité et les fonctions effectrices.
[24] M. Bertelli a présenté un unique rapport d’expert dans lequel il donne son opinion, en tant que spécialiste en ingénierie des anticorps, sur l’interprétation à donner aux revendications et les questions d’antériorité et d’évidence en ce qui concerne la revendication 1 du brevet 810.
[25] Dans l’ensemble, j’ai trouvé que M. Bertelli était un témoin franc et impartial, et la preuve qu’il a présentée a été utile. Toutefois, j’ai trouvé qu’il adoptait parfois une approche axée sur les résultats en ce qui concerne l’art antérieur, ce qui m’a poussée à favoriser l’interprétation de l’art antérieur de M. Tessier, exposée ci-après.
[26] Dr Farid Boulad : Le Dr Boulad, médecin, a obtenu un doctorat en médecine de l’Université libre de Bruxelles, en Belgique, en 1982. Depuis 2023, il occupe le poste de directeur scientifique chez Enfants Cancers Santé, un organisme français de collecte de fonds pour la recherche sur le cancer pédiatrique. Pendant plus de trois décennies, le Dr Boulad a traité des patients adultes et pédiatriques comme médecin spécialisé en oncologie hématologique et en troubles de l’insuffisance médullaire. De 1991 à 2022, il a occupé divers postes au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, notamment celui de directeur du Centre des troubles hématologiques non malins. Il a traité une vingtaine de patients atteints d’HPN au moyen de divers traitements, dont SOLIRISMD. La Cour a admis l’expertise du Dr Boulad en ce qui concerne le système du complément humain ainsi que le diagnostic, le traitement et la prise en charge de patients souffrant de troubles qui impliquent une médiation par le complément, dont l’HPN.
[27] Dans son court rapport d’expert, le Dr Boulad traite de la personne versée dans l’art, des connaissances générales courates qu’elle possède, de l’interprétation des revendications et de l’art antérieur pertinent au regard du brevet 810, du point de vue d’un clinicien. Il n’a pas donné d’opinion sur les questions de l’antériorité et de l’évidence ni sur les revendications invoquées.
[28] Le Dr Boulad était un témoin bien informé, mais la preuve qu’il a présentée était à mon avis d’une utilité relativement limitée puisqu’il n’a donné son opinion ni sur les revendications ni sur les questions en litige.
[29] Devendra Kalonia : M. Kalonia, Ph. D., a obtenu un doctorat en pharmacie de l’Université du Connecticut en 1985. Depuis 2017, il est professeur émérite à l’Université du Connecticut, institution où il a travaillé comme chercheur et professeur pendant plus de 30 ans. M. Kalonia possède plus de 40 années d’expérience universitaire et professionnelle dans le domaine des formulations pharmaceutiques. Ses recherches scientifiques se sont concentrées sur la formulation de produits pharmaceutiques peptidiques et protéiques, et particulièrement sur la caractérisation et la formulation d’anticorps. La Cour a reconnu l’expertise de M. Kalonia dans la mise au point de formulations d’anticorps stables, y compris l’identification et le choix de la forme posologique, de la concentration, de la dose et des excipients.
[30] M. Kalonia a présenté un seul rapport d’expert dans lequel il a exprimé son opinion, en tant que formulateur d’anticorps, sur l’interprétation des revendications et sur l’évidence de la revendication 2 du brevet 810.
[31] M. Kalonia était selon moi un témoin bien informé, mais comme mes conclusions sur la revendication 1 tranchent le litige au sujet de la revendication 2, je ne renverrai pas de façon détaillée à la preuve qu’il a présentée dans les présents motifs.
B. Experts d’Alexion
[32] Arturo Casadevall : M. Casadevall, Ph. D., est professeur de microbiologie moléculaire, d’immunologie et de maladies infectieuses à l’École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg. Il a obtenu un doctorat en biochimie en 1984 et une maîtrise en 1985, tous deux de l’Université de New York, et est certifié par l’American Board of Internal Medicine en médecine interne et en maladies infectieuses. M. Casadevall possède plus de 30 années d’expérience dans la conception d’anticorps thérapeutiques. Pendant plus de 15 ans, il a étudié l’effet des régions constantes des anticorps sur la liaison et la spécificité des anticorps. Il a participé directement à la mise au point de deux anticorps monoclonaux à des fins thérapeutiques et à plusieurs essais cliniques sur des traitements par anticorps. La Cour a admis l’expertise de M. Casadevall en conception, ingénierie, caractérisation, développement, évaluation, mise à l’essai (y compris l’analyse biologique et physiologique), formulation et administration d’anticorps monoclonaux à des fins de traitement clinique chez les humains.
[33] M. Casadevall a présenté un unique rapport d’expert, dans lequel il donne son opinion sur l’interprétation des revendications, les questions de l’antériorité et l’évidence au regard des revendications invoquées, du point de vue d’un spécialiste en ingénierie des anticorps. Il a aussi répondu à M. Bertelli sur ces questions.
[34] Il ne fait aucun doute que M. Casadevall connaît très bien son domaine; toutefois, j’ai trouvé qu’il pouvait parfois être un témoin difficile, qui ne répondait pas directement aux questions et ne donnait que des réponses vagues. En raison de ces difficultés, j’ai privilégié les témoignages de MM. Tessier et Bertelli.
[35] Peter Tessier : M. Tessier, Ph. D., est professeur aux départements des sciences pharmaceutiques, de génie chimique et de génie biomédical de l’Université du Michigan. Depuis 2007, il a occupé de nombreux postes dans le corps professoral d’universités américaines. Actuellement, ses recherches portent sur le développement de technologies pour la conception, la caractérisation, la formulation et l’administration d’anticorps thérapeutiques. Plus particulièrement, il s’intéresse au développement technologique de l’ingénierie et à l’évolution dirigée des protéines (y compris les anticorps), au criblage biomoléculaire et à la caractérisation à haut débit des protéines (y compris les anticorps), ainsi qu’à l’apprentissage automatique et aux prévisions informatiques. La Cour a admis l’expertise de M. Tessier dans les domaines suivants : i) la conception, l’ingénierie et la caractérisation des anticorps, y compris les anticorps monoclonaux thérapeutiques; ii) la formulation et l’administration d’anticorps monoclonaux thérapeutiques à des fins de traitement clinique chez les humains.
[36] M. Tessier a présenté trois rapports d’expert. Ses deux premiers rapports, qui sont identiques (un pour chacun des dossiers, T-1094-23 et T-1095-23), portent sur la personne versée dans l’art, ses connaissances générales courantes et l’interprétation des revendications. Dans son troisième rapport, il donne son opinion sur les questions de l’évidence et de l’antériorité au regard des revendications invoquées, du point de vue d’un spécialiste en ingénierie des anticorps et d’un formulateur d’anticorps, tout en répondant aux opinions données par MM. Bertelli et Kalonia.
[37] À mon avis, M. Tessier était un témoin impartial et honnête, attentif et réfléchi lors de son témoignage, qui cherchait à aider la Cour en expliquant, au besoin, ses opinions.
C. Témoins des faits
[38] Les demanderesses ont cité un unique témoin des faits, le Dr Leonard Bell, qui est l’un des inventeurs du brevet 810. Le Dr Bell a fondé Alexion, dont il a été le directeur principal de 1992 (débuts de l’entreprise) à 2015 (année où il a pris sa retraite). Il a aussi occupé le poste de président et d’autres postes de direction à divers moments au cours de sa carrière chez Alexion. Le Dr Bell a témoigné de façon générale sur les travaux qui ont mené à la mise au point de l’éculizumab (SOLIRIS®) et son rôle dans l’obtention de l’approbation réglementaire du médicament aux États-Unis. Il a aussi été interrogé sur certaines publications (qui faisaient partie de l’art antérieur) portant sur les travaux de mise au point de l’éculizumab, où Alexion figurait comme auteure, ainsi que sur le brevet 015 et le brevet américain 245.
VI. Interprétation des revendications
A. Les principes juridiques
[39] La première tâche de la Cour dans une action en contrefaçon de brevet consiste à interpréter les revendications en cause. L’interprétation des revendications n’est pas un exercice axé sur les résultats. Au contraire, les revendications doivent recevoir une seule et même interprétation à toutes les fins (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool] au para 49, al b)).
[40] Le cœur de l’interprétation des revendications se trouve dans la teneur de ces revendications (Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust] au para 39). Le mémoire descriptif décrit l’invention pour que la personne versée dans l’art puisse comprendre la nature de l’invention et, à l’expiration du brevet, la mettre en pratique, mais ce sont les revendications qui circonscrivent le droit de propriété conféré par le brevet (Free World Trust, au para 33; Merck & Co, Inc c Pharmascience Inc, 2010 CF 510 au para 44).
[41] Pour effectuer une interprétation téléologique, la Cour doit chercher à comprendre l’intention objective de l’inventeur et les mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constitue les éléments essentiels de son invention (Whirlpool, au para 45; Free World Trust, au para 31, al e); Biogen Canada Inc c Pharmascience Inc, 2022 CAF 143 [Biogen] au para 74).
[42] Même si les revendications doivent être interprétées du point de vue de la personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes de cette dernière (Free World Trust, aux para 44‑45; Tearlab c I-Med, 2019 CAF 179 au para 32), il appartient à la Cour et à elle seule d’interpréter les revendications comme une question de droit (Biogen, au para 73; Whirlpool, au para 61). Le rôle des experts consiste à informer le juge pour qu’il soit le mieux placé pour faire cette interprétation de façon éclairée (Biogen, au para 73; Whirlpool, au para 57).
[43] Je définis donc ci‑après la personne versée dans l’art du brevet 810 et ses connaissances générales courantes, et j’interprète par la suite les revendications.
B. La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes
(1) La personne versée dans l’art
[44] La personne versée dans l’art est une personne fictive à laquelle s’adresse le brevet. Elle est censée être dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, posséder néanmoins un degré moyen de compétence et de connaissances accessoires au domaine dont relève le brevet et faire preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans ce domaine (AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CF 638 au para 51, conf par 2015 CAF 158, inf pour d’autres motifs dans 2017 CSC 36). Elle a un esprit désireux de comprendre le mémoire descriptif qui lui est présenté et elle va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec (Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1332 au para 43, conf par 2007 CAF 153, citant Free World Trust au para 44). Il peut s’agir, selon la nature de l’invention, d’un seul individu ou d’une équipe dont les membres ont une expertise dans différentes disciplines.
[45] Cette personne est l’individu ou l’équipe qui exploiterait en pratique le brevet (Takeda Canada Inc v Apotex Inc, 2024 FC 106 [Takeda] au para 76; Alcon Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2014 CF 462 au para 37, conf par 2015 CAF 191, 2015 CAF 192).
[46] Lorsque la personne versée dans l’art représente une équipe, chaque membre de celle‑ci apporte sa propre expertise au problème, et ce, collectivement. Les membres de l’équipe sont censés collaborer de façon à ce que chacun puisse combler les lacunes de l’autre (Westaim c Monnaie royale canadienne, 2002 CFPI 1217 (CanLII) aux para 36‑39, citant Mobil Oil c Hercules (1994), 57 CPR (3d) 488 à la p 494, 1994 CanLII 19630 (CF), et Fox, Harold G., The Canadian Patent Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd, Toronto, Carswell, 1969, aux pp 185‑186).
[47] Tous les experts ont convenu que la personne versée dans l’art consistait en une équipe qui inclurait un spécialiste en ingénierie des anticorps, un formulateur ayant de l’expérience en formulation de compositions d’anticorps et un clinicien ayant de l’expérience dans le traitement de patients atteints d’HPN (Boulad, P‑12, aux para 69-70; Bertelli, P‑19, au para 89; Kalonia, P‑15, aux para 49‑50; Casadevall, P‑24, au para 41; Tessier, P‑27 et P‑28, au para 37; Tessier, P‑29, au para 48). Le spécialiste en ingénierie des anticorps s’intéresserait particulièrement à la revendication 1, et le formulateur, à la revendication 2.
[48] Les parties ne se sont pas entièrement entendues sur le niveau d’éducation et d’expérience que la personne versée dans l’art devrait avoir dans chacune de ces disciplines, mais elles ont finalement convenu que les différences qu’elles voyaient étaient sans conséquence. À mon avis, la preuve établit que chacun des membres de l’équipe versée dans l’art aurait un diplôme d’études supérieures (M. Sc. ou Ph. D.) ou, dans le cas d’un clinicien, un doctorat en médecine (M.D.), ainsi que plusieurs années d’expérience.
(2) Connaissances générales courantes
[49] Pour me préparer adéquatement à l’exercice d’interprétation des revendications, je dois également m’instruire des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Ces connaissances sont celles qu’aurait cette personne à la date pertinente; toutefois, elles n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] au para 37; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 aux para 64-65). Comme l’ont convenu les parties, les connaissances générales courantes en septembre 2007 (moment pertinent pour l’interprétation) ne diffèrent pas de celles en date du 15 mars 2007 (date pertinente pour les allégations d’invalidité).
[50] Il ressort de la preuve des experts que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art aux dates pertinentes incluent la connaissance du système du complément, de la cause et des effets de l’HPN – expliqués ci‑dessus – ainsi que ce qui suit :
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a)Les anticorps sont des protéines tridimensionnelles complexes, en forme de Y, qui comptent deux chaînes lourdes (HC) et deux chaînes légères (LC) identiques, chacune avec une région variable (VL et VH) à l’extrémité de chaque bras du Y, et une région constante (CL et CH) [Tessier, P‑27 et P‑28, para 24‑25; Casadevall, P‑24, para 45‑46, 50; Bertelli, P‑19, para 27‑29).
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b)La séquence d’un anticorps a une incidence importante sur sa structure tridimensionnelle et sa fonction (Casadevall, P‑24, para 48, 388; Bertelli CI, TT, 473:20‑474:8; Tessier, P‑29, para 57).
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c)La séquence de la région constante de l’anticorps varie selon la classe de l’anticorps. La classe d’anticorps la plus courante chez l’humain est celle des IgG (Tessier, P‑29, para 53; Casadevall, P‑24, para 48‑49; Bertelli, P‑19, para 30).
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d)La région variable de l’IgG se compose de trois régions déterminant la complémentarité (CDR1, CDR2, CDR3) et de régions charpentes entourant les CDR. La région constante de chacune des chaînes lourdes de l’IgG comprend les trois domaines CH1, CH2 et CH3 et une région charnière qui relie les bras du Y à la base. Les régions CH2 et CH3 des chaînes lourdes forment la région Fc (fragment cristallisable), tandis que la chaîne légère, la région variable et le domaine CH1 de la chaîne lourde forment ensemble la région Fab (fragmentantigen binding) (Bertelli, P-19, para 33‑36; Tessier, P‑27 et P‑28, para 25‑26; Casadevall, P‑24, para 47, 50‑51). La structure de base d’un anticorps IgG est illustrée dans la figure ci-dessous, laquelle est tirée du rapport d’expert de M. Casadevall (P‑24, para 49). Une version de l’image se trouve également dans les rapports d’experts de M. Tessier (P‑27 et P‑28, para 27) et de M. Bertelli (P‑19, para 29) :
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e)Les régions variables des anticorps renferment les sites de liaison antigénique. La spécificité vis-à-vis de l’antigène est déterminée par les CDR, la région CDR3 étant souvent la plus importante pour la liaison (Tessier, P‑27 et P‑28, para 25; Tessier CI, TT 1027:913, 1048:20‑23; Bertelli, P‑19, para 33; Bertelli IP, TT 399:7‑16; Casadevall, P‑24, para 47; Casadevall CI, TT 673:18‑674:3, 676:1‑10).
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f)La région Fc de la région constante de l’anticorps agit comme médiateur des fonctions effectrices, comme l’activation du complément et l’interaction avec les récepteurs Fc qui se trouvent sur divers types de cellules (Tessier, P‑29, para 54; Bertelli, P‑19, para 35; Casadevall, P‑24, para 51; Bertelli IP, TT 396:7‑20).
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g)La classe des IgG se divise en quatre sous‑classes d’anticorps (IgG1, IgG2, IgG3 et IgG4), qui ont une spécificité de liaison différente en fonction de leurs séquences d’acides aminés (Tessier, P‑29, para 53; Bertelli, P‑19, para 38; Casadevall, P‑24, para 60, 171) et différentes capacités d’activer les fonctions effectrices. La sous‑classe IgG4 n’exerce pas d’activité associée au complément, tandis que les sous‑classes IgG2 et IgG4 ont une activité de fonction effectrice réduite par rapport aux sous‑types IgG1 et IgG3 (Bertelli, P‑19, para 38‑42; Bertelli IP, TT 397:22‑398:19; King 1998, P‑29, CF236, à la p 8 (tableau 1.1); Bertelli CI, TT, 472:3‑473:19; Casadevall, P‑24, para 60; Tessier CI, TT 938:7‑16).
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h)Des bases de données informatisées contenaient les séquences d’acides aminés de protéines connues, y compris les anticorps naturels et leurs régions constantes (Bertelli, P‑19, para 76; Bertelli IP, 395:11‑17; Bertelli CI, TT 593:4‑23; Casadevall CI, TT 797:23‑798:13; Tessier, P‑29, para 205). Un chercheur pouvait accéder à ces bases de données pour déterminer si une séquence inconnue comportait des homologies avec d’autres séquences connues dans la base de données (Bertelli, P‑19, para 76; Casadevall CI, TT 698:5-14, 798:4‑13; Tessier, P‑29, para 205).
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i)Des techniques de laboratoire permettaient de produire, d’isoler et de caractériser des anticorps monoclonaux (habituellement chez la souris) pour un antigène particulier avec une séquence unique d’acides aminés dans les régions variables et constantes (Casadevall, P‑24, para 53‑54, 167; Tessier, P‑29, para 55; Bertelli, P‑19, para 46‑48).
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j)Les anticorps monoclonaux destinés à un usage thérapeutique chez l’humain (c.‑à‑d. les anticorps chimériques, les anticorps humanisés) pouvaient être conçus ou fabriqués à partir de séquences dérivées d’anticorps humains et animaux au moyen de techniques de clonage connues. Les anticorps chimériques combinent les régions variables d’un anticorps animal aux régions constantes d’anticorps humains, tandis que les anticorps humanisés combinent les CDR d’animaux à la structure des régions variables d’un anticorps humain (Tessier, P‑29, para 56‑57; Casadevall, P‑24, para 54 et 169; Bertelli, P‑19, para 45‑47 et 56; Bertelli IP, TT 401:6‑402:1).
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k)Les fragments d’anticorps comme les fragments Fab et les fragments variables à chaîne unique (scFv) pourraient, en tant que constructions autonomes, servir d’outils de recherche et de produits thérapeutiques (Tessier, P‑29, para 60; Casadevall, P‑24, para 56‑57; Bertelli, P‑19, para 36).
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l)Les anticorps monoclonaux ne peuvent pas être administrés directement aux patients; ils doivent plutôt être administrés au moyen d’une formulation ou composition pharmaceutique, habituellement sous forme aqueuse ou lyophilisée. La composition pharmaceutique d’un anticorps devrait être formée de l’anticorps monoclonal et d’autres ingrédients inactifs, souvent appelés excipients (Tessier, P‑29, para 242‑243; Tessier IP, TT 956:9‑957:4; Kalonia, P‑15, para 28‑30, 33; Kalonia IP, TT 266:15‑21).
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m)Une formulation d’anticorps utilisée comme composition pharmaceutique doit avoir une stabilité à la fois chimique et physique. Plusieurs formulations d’anticorps existaient et étaient approuvées comme médicaments au Canada et aux États‑Unis aux dates pertinentes (Kalonia, P‑15, para 27 et 29; Kalonia IP, TT 267:1‑268:2, CI, TT 302:18‑303:8; Casadevall IP, TT 621:22‑622:5; brevet 810, P‑1, 22:21‑25, 24:7‑9, 17‑19).
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n)Alexion détenait un médicament appelé éculizumab qui ciblait la protéine C5 et qui était utilisé dans des études cliniques préliminaires pour traiter les patients atteints d’HPN. Ce médicament avait donné des résultats prometteurs (Boulad, P‑12, para 47‑53, 264; Bertelli, P‑19, para 93‑94; Casadevall CI, TP 743:7‑16; voir aussi TP, 1225:11‑13, où les parties conviennent que Hillmen 2004 [défini ci‑dessous] faisait partie des connaissances générales courantes).
C. Interprétation des revendications invoquées
[51] Le brevet 810 comprend 16 revendications, dont seulement deux sont en litige dans la présente instance (revendications 1 et 2).
[52] Les revendications 1 et 2 du brevet 810 sont rédigées de la façon suivante :
[traduction]
1. Un anticorps qui se lie à la protéine C5 comprenant une chaîne lourde constituée de la SEQ ID NO:2 et d’une chaîne légère constituée de la SEQ ID NO:4.
2. Une composition pharmaceutique comprenant l’anticorps mentionné à la revendication 1 et un vecteur.
[53] La revendication 1 porte sur un anticorps de pleine longueur qui se lie à C5 et dont la séquence d’acides aminés de la chaîne lourde est la SEQ ID NO:2, et la séquence d’acides aminés de la chaîne légère, SEQ ID NO:4. La SEQ ID NO:2 et la SEQ ID NO:4 sont identifiées dans le brevet 810 comme étant respectivement les séquences de chaîne lourde et de chaîne légère de l’éculizumab. Elles sont définies de la façon suivante :
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ANGLAIS |
FRANÇAIS |
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SEQ ID NO: 2 – Eculizumab Heavy chain |
SEQ ID NO: 2 – chaîne lourde de l’éculizumab |
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SEQ ID NO: 2 – Eculizumab Light chain |
SEQ ID NO: 2 – chaîne légère de l’éculizumab |
[54] Il ne fait aucun doute que tous les éléments de la revendication 1 sont essentiels à l’invention revendiquée. Amgen soutient qu’Alexion n’avait pas à revendiquer la capacité de liaison de l’anticorps à C5, puisqu’il s’agit d’une propriété inhérente d’un anticorps composé de la séquence alléguée; toutefois, cet argument concerne davantage le caractère redondant de l’information que le caractère essentiel. En effet, l’expert d’Amgen lui-même, M. Bertelli, a fait référence au caractère essentiel de tous les éléments de la revendication 1 (Bertelli, P‑19, para 96).
[55] Le seul désaccord entre les experts sur l’interprétation des revendications porte sur la question de savoir si la personne versée dans l’art comprendrait que les mots [traduction] « se lie à la protéine C5 »
veulent dire qu’il y a une liaison sélective des protéines C5 du complément et d’aucun autre facteur du complément, y compris C3, car cela n’est pas précisé dans la revendication. Comme l’a expliqué M. Casadevall, la personne versée dans l’art comprendrait, compte tenu de ses connaissances générales courantes, que la spécificité de l’anticorps est importante, si l’anticorps devait servir d’agent thérapeutique chez les humains (Casadevall, P‑24, para 85). En effet, le brevet 810 établit que [TRADUCTION] « [l]es anticorps spécifiques capables d’inhiber le complément, comme un anticorps qui se lie à C5, sont relativement spécifiques et ne bloquent pas les fonctions des composants initiaux du complément. En particulier, ces agents spécifiques ne nuiront pas sensiblement aux fonctions d’opsonisation associées au composant C3b du complément, lesquelles permettent d’éliminer les particules et substances étrangères du corps »
(brevet 810, P‑1, 15:22‑26; Tessier, P‑29, para 73). À mon avis, selon une interprétation téléologique de la revendication 1, la personne versée dans l’art comprendrait que l’anticorps qui fait l’objet de la revendication se lie à C5 avec une telle sélectivité.
[56] En ce qui a trait à la revendication 2, les experts ont généralement convenu que le terme [TRADUCTION] « composition pharmaceutique »
désigne l’anticorps revendiqué combiné à un « vecteur »
, qui, ensemble, sont destinés à être administrés à des fins thérapeutiques (Kalonia, P‑15, para 54; Tessier, P‑29, para 75; Casadevall, P‑24, para 90). Les experts ont convenu que le « vecteur »
fait référence aux ingrédients non médicinaux contenus dans la composition pharmaceutique qui rendent possible l’administration de la composition pharmaceutique au patient. Dans le contexte d’une composition d’anticorps, les experts ont convenu que le « vecteur »
rendrait possible l’administration de l’anticorps au patient sous forme de solution (Kalonia, P‑15, para 57; Kalonia IP, TT 273:3‑11; Casadevall, P‑24, para 91; Tessier, P‑29, para 75; Tessier CI, TT 956:9‑22; brevet 810, P‑1, 2:22‑25).
VII. Antériorité
[57] L’invention proposée qui est revendiquée dans un brevet doit être nouvelle pour pouvoir être brevetable. L’article 28.2 de la Loi sur les brevets énonce l’exigence de la nouveauté de l’invention brevetée. Les alinéas 28.2(1)a) et b) sont reproduits ci‑dessous, puisqu’ils sont pertinents en l’espèce :
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[58] Amgen affirme que les revendications 1 et 2 du brevet 810 sont antériorisées par la demande de brevet américain 972, publiée le 18 décembre 2003, où sont désignées API, dans l’adresse de correspondance, et Katherine Bowdish, une employée d’Alexion, parmi les inventeurs.
[59] Les parties conviennent que la demande de brevet américain 972 constitue une antériorité pouvant être invoquée au titre tant de l’alinéa 28.2(1)a) que de l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, car la date de sa publication répond aux exigences de ces deux dispositions.
[60] Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada énonce deux conditions pour qu’un tribunal puisse conclure à l’antériorité : la divulgation antérieure et le caractère réalisable. Pour qu’il soit satisfait à l’exigence de la divulgation antérieure, les indications de celle‑ci doivent être d’une clarté telle que la personne versée dans l’art arrivera infailliblement à l’invention revendiquée; un poteau indicateur ne suffit pas (Free World Trust, au para 26; Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M-I LLC, 2021 CAF 24 [Western Oilfield] au para 82). Il n’est pas nécessaire que l’« invention exacte »
ait été rendue publique, mais l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet (Sanofi, aux para 23, 25). Pour qu’il soit satisfait à l’exigence du caractère réalisable, la personne versée dans l’art doit être capable de réaliser l’invention à la date pertinente (Sanofi, au para 26). À ce stade de l’analyse, on ne doit pas chercher à savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation antérieure, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention en procédant uniquement par essais successifs (Sanofi, au para 27).
[61] Les questions de la divulgation antérieure et du caractère réalisable sont toutes deux en litige, mais le débat des parties est axé sur la question de savoir si l’invention avait fait l’objet d’une divulgation antérieure. À l’étape où la personne versée dans l’art examine la divulgation, « les essais successifs sont exclus. [Cette] personne […] se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur »
(Sanofi, au para 25). En cas de doute au sujet de ce qu’un document de l’art antérieur divulgue, ce document ne peut constituer une antériorité opposable (Gilead c Canada, 2013 CF 1270 au para 30; Bristol-Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Limited, 2016 CF 580 [BMS] au para 243, conf par 2017 CAF 76; Sanofi au para 21, citant General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 à la p 486; Takeda, au para 152; Boehringer Ingelheim v JAMP, 2024 FC 1198 au para 152).
[62] Comme il est précisé au paragraphe 153 de la décision Takeda, la divulgation peut être exécutée sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe (voir Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359 au para 75 [Abbott], conf par 2009 CAF 94). Si la personne en question réalise sans le savoir l’invention en se servant des enseignements du document de l’art antérieur, l’ignorance de cette dernière quant à ce qu’elle a réalisé – l’objet de l’invention – est dénuée de pertinence au plan du droit (Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153 aux para 18-22). Cependant, lorsque l’antériorité laisse un choix à la personne versée dans l’art, choix pouvant mener à d’autres façons de réaliser l’antériorité sans contrefaire le brevet, il n’y a pas antériorité (BMS, au para 232; Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 52 [Shire] au para 50).
[63] La demande de brevet américain 972 s’intitule «
Rationally Designed Antibodies
»
et porte de façon générale sur l’utilisation d’anticorps ou de fragments d’anticorps comme charpente pour des peptides mimétiques afin d’améliorer la stabilité des peptides (Tessier, P‑29, para 112; Bertelli, P‑19, para 119‑121).
[64] Dans l’exemple 4 de la demande de brevet américain 972, un peptide mimétique (c.-à-d. l’hormone, la thrombopoïétine [TPO]) est greffé à l’emplacement CDR3 de la chaîne lourde de la charpente d’anticorps « 5G1.1 »)
[Tessier, P‑29, para 113; Casadevall, P‑24, para 116; Bertelli, P‑19, para 121).
[65] Dans son rapport d’expert et dans son témoignage, M. Bertelli a axé son analyse de l’antériorité sur le premier paragraphe (le paragraphe [0191]) de l’exemple 4 de la demande de brevet américain 972, reproduit ci‑dessous :
[TRADUCTION]
Exemple 4
[0191] Le peptide mimétique de la TPO greffé sur le clone Fab X4b a été transplanté à l’emplacement CDR3 de la chaîne lourde d’une autre charpente d’anticorps, 5G1.1. La construction de la charpente 5G1.1 est décrite dans la demande américaine no 08/487,283, incorporée par renvoi à la présente. La séquence a été clonée dans 5G1.1 de manière à remplacer la séquence CDR3 native par 5’ttg cca ATT GAA GGG CCG ACG CTG CGG CAA TGG CTG GCG GCG CGC GCG cct gtt 3’ (SEQ. ID. NO: 65). Le peptide greffé traduit en acides aminés est Leu Pro Ile Glu Gly Pro Thr Leu Arg Gln Trp Leu Ala Ala Arg Ala Pro Val (SEQ. ID. NO: 66). Le composé 5G1 + peptide a été produit sous forme d’anticorps IgG entier (voir les figures 13A et 13B).
[66] Le paragraphe [0191] divulgue la préparation d’un anticorps (5G1[.1] + peptide) avec un peptide mimétique de la TPO transplanté à la place de la séquence CDR3 native dans la chaîne lourde de l’échafaudage 5G1.1. La séquence de 5G1[.1] + peptide, produit sous forme d’anticorps IgG entier, est fournie dans les figures 13A et 13B de la demande de brevet américain 972; cette séquence comprend la séquence d’acides aminés de la chaîne lourde SEQ ID NO:67 et la séquence d’acides aminés de la chaîne légère SEQ ID NO:69. La demande de brevet américain 972 ne fournit pas la séquence de la région CDR3 ou de la charpente 5G1.1 d’origine.
[67] Il ne fait aucun doute que la séquence SEQ ID NO:69 correspond à la séquence de la chaîne légère de l’éculizumab (SEQ ID NO:4 du brevet 810) (Bertelli, P‑19, para 146; Bertelli IP, TT 417:11‑15; Tessier, P‑29, para 190, Casadevall CI, TT 694:21‑695:1) et que la SEQ ID NO:67 représente une chaîne lourde correspondant à celle de l’éculizumab (SEQ ID NO:2 du brevet 810), exception faite de l’inclusion du peptide mimétique de la TPO à l’emplacement CDR3 de la chaîne lourde (Bertelli, P‑19, para 143; Tessier, P‑29, para 190; Casadevall CI, TT 692:1‑8).
[68] Les experts s’entendent sur le fait que le composé 5G1[.1] + peptide présenté dans les figures 13A et 13B est un anticorps humanisé (Tessier CI, TT 1021:7‑14, 1023:12‑19, 1025:20‑24; Bertelli, P‑19, para 126; Bertelli IP, TT 421:13‑422:9; Casadevall CI, 696:4‑12, 700:13‑16). Amgen affirme qu’on peut donc déduire que la charpente d’anticorps 5G1.1 d’origine a été humanisée. De ce fait, Amgen soutient que la personne versée dans l’art n’aurait qu’à consulter le brevet américain 245 (dont les parties conviennent qu’il a le même contenu que la demande initiale, la demande de brevet américain no 08/487,283), relativement à ses constructions humanisées, afin de trouver la séquence de la région CDR3 de la chaîne lourde. En réinsérant celle‑ci dans la charpente 5G1[.1] + peptide, la personne versée dans l’art obtiendrait la séquence de l’éculizumab.
[69] À titre préliminaire, Alexion conteste le recours au brevet américain 245 par Amgen, qui considère qu’il fait partie de l’enseignement de la demande de brevet américain 972. Elle affirme qu’il n’y a antériorité que si une unique publication antérieure fournit à la personne versée dans l’art tous les renseignements nécessaires à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Comme la demande de brevet américain 972 ne divulgue pas elle‑même la séquence entière de l’éculizumab (ce que ne conteste pas Amgen), Alexion fait valoir que ce document n’antériorise pas les revendications invoquées du brevet 810.
[70] Alexion soutient par ailleurs que même si l’on tient compte de la demande de brevet américain 972 ainsi que du brevet américain 245 et, on ne pourrait s’appuyer sur ce brevet que pour ce qu’il nous enseigne sur la source de la charpente d’anticorps 5G1.1 initiale, qui n’est pas l’éculizumab. Selon Alexion, la demande de brevet américain 972 n’explique pas comment construire l’éculizumab à partir du 5G1[.1] + peptide, et l’éculizumab n’est pas nécessairement produit lors de la préparation de l’anticorps 5G1[.1] + peptide.
A. Incorporation par renvoi
[71] Comme l’a souligné Amgen, le libellé de la disposition pertinente de la Loi sur les brevets concernant l’antériorité a changé au fil du temps. Avant octobre 1989, le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets indiquait qu’il fallait, pour qu’il y ait antériorité, un brevet antérieur ou une publication imprimée antérieure, et non une divulgation antérieure comme l’indique l’article 28.2 actuel de la Loi sur les brevets (voir Abbott, au para 59). Amgen affirme qu’il s’agit d’un changement important qui visait à faire en sorte que l’analyse de l’antériorité soit axée sur une divulgation antérieure unique, et non qu’elle soit limitée à un unique document.
[72] Quant à Alexion, elle est d’avis que cette distinction n’existe pas et soutient qu’il ne faut pas confondre l’antériorité et l’évidence, renvoyant au paragraphe 57 de la décision Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2021 CF 42 [Hospira], où le juge Phelan rappelle qu’on doit éviter de joindre différents documents pour établir l’antériorité :
[57] En outre, l’argument avancé par Pfizer suivant lequel il y aurait divulgation antérieure exige que l’antériorité (Kennedy 1994) soit lue conjointement avec la deuxième antériorité (Elliott) citée dans la première. Cette approche est erronée, car elle confond « antériorité » et « évidence ».
[73] À l’appui de ses affirmations, le juge Phelan renvoie à l’arrêt Free World Trust, où la Cour suprême cite les enseignements fondamentaux du juge Hugessen énoncés dans l’arrêt Beloit Canada Ltée c Valmet OY, [1986] ACF no 87 (CAF) [Beloit] :
[58] Au sujet de l’antériorité, la Cour suprême a repris, dans l’arrêt Free World Trust, l’énoncé classique tiré du paragraphe 29 de l’arrêt Beloit :
Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.
(Non souligné dans l’original)
[59] Comme l’arrêt Beloit parle d’une seule publication, l’approche consistant à recourir à une deuxième ou à plusieurs publications contrevient à cet enseignement. Si on pousse cette approche à son extrême, la mosaïque formée de plusieurs publications regroupées au sein d’un seul document constituerait une antériorité.
[74] Amgen soutient qu’il convient de faire une distinction entre les antériorités qui renvoient, dans des notes de bas de page, à d’autres documents cités en appui, et les antériorités qui sont citées de manière à ce que la personne versée dans l’art comprenne qu’elles sont incorporées par renvoi pour compléter la divulgation. Amgen souligne que la Cour n’indique nulle part, dans la décision Hospira, que la référence dans l’antériorité constituait une incorporation par renvoi aux fins de divulgation, comme en l’espèce.
[75] Amgen mentionne le contre-interrogatoire de M. Tessier qui, lorsqu’on l’a questionné au sujet des renvois à d’autres documents qu’il a lui‑même faits dans ses brevets, a reconnu l’existence d’une distinction entre les renvois généraux et les renvois visant à communiquer des renseignements précis et importants pour la compréhension de la divulgation du brevet (Tessier CI, TT 987:15-988:22, 990:24‑992:10).
[76] Comme le souligne Amgen, l’incorporation par renvoi constitue une pratique courante de rédaction de brevet aux États‑Unis (Evan Bender et coll., « The Ins and Outs of Incorporation by Reference » (2023) 35:10 IP & Tech LJ 1 à la p 2). Il s’agit de l’une des exceptions limitées mentionnées dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets [le RPBB] où une divulgation antérieure pourrait comprendre des enseignements tirés de plus d’un document. Selon l’article 18.01.05 du RPBB, cette situation peut se présenter lorsqu’« une source principale d’information fait explicitement référence à des enseignements précis d’une source secondaire, indiquant ainsi au lecteur averti que les enseignements de la source secondaire doivent être pris en considération pour comprendre ou compléter la divulgation de l’invention de la source principale ».
[77] Si cet énoncé tiré du RPBB n’est pas contraignant, il est néanmoins utile et, à mon avis, conforme aux principes présentés dans les arrêts Free World Trust et Beloit.
[78] Le facteur crucial est la question de savoir si l’antériorité fournit des indications d’une clarté telle que la personne versée dans l’art arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. En cas d’incorporation par renvoi, la réponse à cette question dépendra de la façon dont sont utilisées les indications qui sont données dans la source principale.
[79] Comme il ressort de l’extrait du RPBB, des indications claires peuvent être données lorsque la source principale « fait explicitement référence à des enseignements précis d’une source secondaire »
, ce qui fournit à la personne versée dans l’art des indications précises quant aux renseignements qui doivent faire partie de la divulgation. À mon avis, le renvoi ne sert pas dans un tel cas à ajouter de nouveaux enseignements au document principal par la création d’un effet cumulatif, à savoir une situation où la personne versée dans l’art devrait elle‑même consulter diverses sources pour déterminer quels renseignements doivent être adjoints. La source principale doit plutôt mener directement le lecteur aux renseignements qui complètent la divulgation.
[80] Par conséquent, je suis d’avis que le seul fait que l’exemple 4 de la demande de brevet américain 972 incorpore par renvoi des renseignements n’est pas en soi suffisant pour que la Cour tire une conclusion quant à l’antériorité. La question cruciale est celle de savoir quels renseignements sont divulgués à la personne versée dans l’art qui lit l’exemple 4 de la demande de brevet américain 972 et le renvoi au paragraphe [0191] de la demande de brevet américain no 08/487,283 (ci‑après appelé le brevet américain 245).
B. Le brevet américain 245, que la demande de brevet américain 972 incorpore par renvoi, constitue‑t‑il conjointement avec cette dernière demande une divulgation unique?
[81] Tout d’abord, il convient de répéter que, comme le brevet en litige, une antériorité doit recevoir une interprétation téléologique conforme à ce qu’aurait compris la personne versée dans l’art (Shire Biochem Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538 au para 65; Whirlpool, au para 49(c); Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 455 au para 252, conf par 2008 CAF 44).
[82] Comme on l’a vu plus haut, la demande de brevet américain 972 porte sur l’utilisation d’anticorps ou de fragments d’anticorps comme charpente pour stabiliser les peptides mimétiques. Dans l’exemple 4, « 5G1.1 »
est employé comme charpente d’anticorps pour la production de l’anticorps recombinant « 5G1[.1] + peptide »
. Il est écrit au paragraphe [0191] que [traduction] « [l]a construction de la charpente 5G1.1 »
est décrite dans le brevet américain 245, lequel est incorporé par renvoi, mais ce paragraphe ne renvoie pas la personne versée dans l’art à un paragraphe en particulier du brevet américain 245 pour la guider. Le brevet américain 245 divulgue l’anticorps monoclonal murin « 5G1.1 »
(et sa préparation) et 26 autres fragments et molécules d’anticorps anti-C5 préparés à partir de la charpente 5G1.1, y compris des fragments humanisés (P-7, CF51, exemples 7 et 11; Tessier IP, TT:903:4-18; Casadevall, P‑24, para 127).
[83] Selon M. Tessier, la personne versée dans l’art aurait compris que le terme « 5G1.1 »
utilisé dans la première phrase du paragraphe [0191] (reproduit plus haut, au paragraphe 65 des présents motifs) renvoie à l’anticorps murin décrit dans le brevet américain 245 (et non à l’éculizumab) et, dans le contexte de la deuxième phrase, que le brevet américain 245 était mentionné uniquement dans le but de divulguer la source de l’hybridome qui a produit le 5G1.1 (Tessier CI, TT 921:16‑20; Tessier, P‑29, para 195). La personne versée dans l’art n’aurait pas compris que la totalité du brevet était intégrée dans la demande de brevet américain 972, d’autant plus que le brevet américain 245 ne faisait référence qu’à la [traduction] « construction de la charpente 5G1.1 »
et qu’on ne mentionnait pas dans la demande de brevet américain 972 que le brevet 245 était intégré dans son intégralité, comme cette demande l’avait fait pour d’autres documents (Tessier, P‑29, para 194 et 216).
[84] M. Bertelli reconnaît que le brevet 245 a utilisé la nomenclature « 5G1.1 »
pour faire référence à l’anticorps murin et a divulgué les détails de l’hybridome qui a produit l’anticorps murin 5G1.1 ainsi que son dépôt auprès de l’American Type Culture Collection (Bertelli CI, TT 525:5‑526:18; 584:12‑15). Cependant, comme le composé final 5G1[.1] + peptide dont il est question au paragraphe [0191] de la demande de brevet américain 972 est un anticorps humanisé, il s’est dit d’avis que, pour produire le 5G1[.1] + peptide, la personne versée dans l’art emploierait d’abord une charpente humanisée, et que la référence au 5G1.1 dans la première phrase du paragraphe [0191] de la demande de brevet américain 972 doit par conséquent faire référence à une charpente d’anticorps humanisée (Bertelli, P‑19, para 140; Bertelli IP, TT 423:22‑424:8).
[85] Tout en reconnaissant que le brevet américain 245 ne divulguait aucun anticorps de pleine longueur humanisé (Bertelli CI, TT 526:25‑527:7, 581:25-582:2, 588:9‑12), M. Bertelli a cherché la séquence des acides aminés de la région CDR3 de la chaîne lourde, puis a travaillé à rebours à partir de la SEQ ID NO: 67 pour obtenir la séquence pleine longueur de la chaîne lourde 5G1.1 humanisée (Bertelli IP, TT 430:16‑431:1). Il est d’avis que le renvoi au brevet américain 245 dans la demande de brevet américain 972 oriente la personne versée dans l’art vers la séquence CDR3 du brevet américain 245, et que la personne versée dans l’art aurait été dirigée précisément vers les fragments humanisés du brevet américain 245, car la demande de brevet américain 972 portait sur des anticorps destinés à l’usage thérapeutique chez l’humain (Bertelli, P‑19, para 130, 136, 138‑140; Bertelli IP, TT 424:4‑15).
[86] L’exercice proposé par M. Bertelli consiste donc à user de « rétro‑ingénierie »
pour obtenir un anticorps 5G1.1 que M. Bertelli suppose être la construction originale 5G1.1. Sa méthode consiste à utiliser le brevet américain 245 pour identifier la région CDR3 qui a été retirée de 5G1.1, au lieu d’utiliser le brevet américain 245 pour identifier la charpente d’anticorps 5G1.1. À mon avis, cette approche outrepasse les enseignements et l’exposé de la demande de brevet américain 972.
[87] Premièrement, comme l’a souligné M. Tessier, la demande de brevet américain 972 ne suggère pas à la personne versée dans l’art d’utiliser la charpente 5G1[.1] + peptide de l’exemple 4 comme échafaudage pour recréer les anticorps 5G1.1 (Tessier, P‑29, para 194; voir aussi Casadevall, P‑24, para 137). La demande de brevet américain 972 ne traite d’aucun type d’activité de clonage inversé. Elle n’indique pas non plus à la personne versée dans l’art de se reporter au brevet américain 245 à cette fin (Tessier, P‑29, para 215; Tessier IP, TT 921:21‑24).
[88] Deuxièmement, comme le brevet américain 245 ne révèle que des fragments humanisés, et non des anticorps humanisés de pleine longueur, l’exercice proposé par M. Bertelli mènerait à la production d’un anticorps 5G1.1 qui n’a pas été spécifiquement divulgué ou fabriqué dans le brevet américain 245, ou qui serait différent de la construction originale (c.‑à‑d. une charpente d’anticorps qui est un anticorps entier et non une charpente à laquelle les régions constantes sont ajoutées après la greffe du peptide mimétique de la TPO pour produire un [traduction] « anticorps IgG entier »
, comme l’indique la dernière phrase du paragraphe [0191] de l’exemple 4).
[89] De plus, l’approche adoptée par M. Bertelli équivaut à utiliser l’incorporation par renvoi d’une mosaïque de renseignements du brevet américain 245 avec les enseignements de la demande de brevet américain 972. Plutôt que le lecteur soit dirigé par la demande de brevet américain 972 vers de l’information précise sur la charpente d’anticorps 5G1.1 d’origine dans le brevet 245, M. Bertelli propose que la personne versée dans l’art utilise le brevet 245 pour chercher, trouver et comparer tous les différents fragments humanisés avec des séquences de chaînes lourdes (12 au total), afin d’identifier la séquence CDR3 manquante qu’elle pourrait ensuite utiliser pour fabriquer un anticorps humanisé avec la chaîne lourde de l’éculizumab (Bertelli, P‑19, para 140 et 142; Bertelli IP, TT 422:25‑424:15). Il évoque également une étape de confirmation où la personne versée dans l’art comparerait les SEQ ID NO:67 et SEQ ID NO:69 de la demande de brevet américain 972 avec les séquences de régions variables fournies dans le brevet 245 pour déceler les alignements de séquences (Bertelli, P‑19, para 141).
[90] M. Bertelli affirme que chacune de ces étapes était simple à exécuter et n’aurait pris que peu de temps à la personne versée dans l’art, mais ces étapes nécessitaient que cette personne choisisse différents éléments du brevet américain 245 et les adjoigne à d’autres renseignements provenant de la demande de brevet américain 972. Cet exercice constitue plus qu’un simple renvoi dans la demande de brevet américain 972 à un renseignement précis du brevet américain 245.
[91] À mon avis, le fait qu’Amgen s’appuie sur le brevet américain 245 n’est pas compatible avec une unique divulgation constituée de la demande de brevet américain 972 et de ce brevet. Même si cette conclusion est suffisante pour que la Cour conclue que la demande de brevet américain 972 ne satisfait pas à l’exigence relative à la divulgation aux fins d’antériorité, je vais quand même examiner la question de savoir si une incorporation par renvoi plus étendue du brevet américain 245 pourrait équivaloir à la divulgation de tous les éléments des revendications invoquées du brevet 810, et en particulier de la SEQ ID NO:2.
C. La demande de brevet américain 972, où le brevet américain 245 est intégralement incorporé par renvoi, antériorise-t-elle les revendications invoquées?
[92] Même si j’acceptais que le brevet américain 245 pourrait être utilisé de la manière proposée par Amgen et était incorporé par renvoi de façon plus étendue, je serais quand même d’avis que la demande de brevet américain 972 n’antériorise pas les revendications 1 et 2 du brevet 810. Je ne peux souscrire à l’opinion selon laquelle l’exemple 4 mènerait à la préparation de l’éculizumab ou que la personne versée dans l’art conclurait inévitablement que l’éculizumab est la charpente d’anticorps 5G1.1 d’origine dans l’exemple 4.
[93] Comme je le mentionne plus haut, pour qu’il y ait antériorité, le document de l’art antérieur doit nécessairement mener à l’invention revendiquée. En cas d’ambiguïté, ou si la personne versée dans l’art pourrait interpréter le document de l’art antérieur ou réaliser les enseignements de multiples façons, et que toutes ne mèneraient pas à l’invention revendiquée, on ne peut tirer de conclusion d’antériorité.
[94] En l’espèce, je ne souscris pas à l’opinion selon laquelle la preuve établit que la personne versée dans l’art parviendrait inévitablement à l’éculizumab (et à sa séquence) en suivant l’exemple 4 de la demande de brevet américain 972.
[95] M. Tessier a reconnu qu’une approche qui pourrait permettre de fabriquer le produit de l’exemple 4 consisterait à partir d’un 5G1.1 humanisé, qui comporterait une région constante hybride IgG2/IgG4. Toutefois, il était convaincu que cette approche ne serait envisagée qu’après coup et que la personne versée dans l’art n’aurait pas interprété le paragraphe [0191] de cette façon (Tessier CI, TT 1027:17‑1028:3, 1030:21‑1031:4).
[96] M. Tessier a plutôt déclaré qu’une lecture plus raisonnable du paragraphe [0191] indique à la personne versée dans l’art de partir de l’anticorps murin 5G1.1, car cette façon de faire correspond aux instructions qui se trouvent dans l’exemple et à la terminologie utilisée dans le brevet 245, qui désigne le 5G1.1 comme un anticorps murin naturel (Tessier CI, 1019:6‑25, 1023:20-1024:9, voir aussi Casadevall IP, 646:24‑647:12, CI, TT 704:19-22; Bertelli CI, TT 584:12‑15). L’anticorps murin 5G1.1 était le seul anticorps de pleine longueur divulgué spécifiquement dans le brevet 245, comme l’ont reconnu tous les experts (Bertelli CI, 526:25‑527:7, 581:25‑582:2, 588:9-12; Casadevall, P-24, para 127, 232; Tessier, P‑29, para 161, 173).
[97] La personne versée dans l’art grefferait le peptide mimétique de la TPO à la place de la région CDR3 sur la chaîne lourde de la charpente d’anticorps murin 5G1.1, confirmerait que la construction peptidique résultante se lie au récepteur cible, humaniserait la région variable, puis ajouterait la région constante IgG2/IgG4 humaine (Tessier CI, TT 1019:12‑25, 1030:3‑8, 1043:5‑19, Tessier, P‑29, para 173). Cette même interprétation, soit qu’il faut amorcer le processus avec l’anticorps murin puis procéder à la greffe, a été exprimée par M. Casadevall (Casadevall CI, TT 698:24‑699:13, 700:17‑23).
[98] Amgen affirme que partir d’un anticorps murin n’est pas conforme aux enseignements et usages prévus plus largement dans la demande de brevet américain 972. Amgen attire l’attention sur la description de cette demande de brevet, qui exprime une préférence pour l’utilisation d’un anticorps humain ou d’un fragment humanisé comme séquence d’échafaudage, de sorte que le produit ultime puisse être utilisé à des fins thérapeutiques chez l’humain (demande de brevet américain 972, P‑19, CF281, para 19, 66; Bertelli, P‑19, para 140) :
[traduction]
[0019] Toute molécule d’immunoglobuline (anticorps) ou tout fragment de celle-ci pourrait potentiellement fournir la charpente et faire l’objet d’un remplacement de CDR par un peptide selon la présente divulgation. En vue d’une utilisation thérapeutique ou diagnostique in vivo, il est préférable que l’anticorps soit d’origine humaine ou humanisé […]
[…]
[0066] Tout anticorps peut servir de séquence d’échafaudage, mais les anticorps humains sont généralement choisis, dans l’objectif de parvenir à des produits thérapeutiques destinés aux humains. Les anticorps humains ou humanisés sont moins susceptibles de provoquer une réaction immunitaire indésirable chez un patient humain.
[99] Cependant, j’accepte l’explication de M. Tessier selon laquelle un anticorps humanisé répondrait néanmoins aux objectifs d’utilisation thérapeutique chez les humains, même s’il était fabriqué à partir d’un anticorps non humain, humanisé par la suite seulement (Tessier CI, TT 1030:9‑20).
[100] De plus, même avec un échafaudage humanisé, il serait également conforme au paragraphe [0191] et aux passages ci-dessus que la personne versée dans l’art produise le 5G1[.1] + peptide à partir d’un fragment 5G1.1 humanisé, fabriqué à partir de l’anticorps murin 5G1.1 (comme cela a été fait pour le brevet 245), greffe le peptide mimétique de la TPO à la place de la région CDR3 sur la chaîne lourde, puis ajoute les régions constantes humaines hybrides IgG2/IgG4 pour produire l’anticorps complet. En effet, M. Bertelli a reconnu que la personne versée dans l’art partirait d’un fragment humanisé plutôt que d’un anticorps humanisé de pleine longueur, et que le peptide mimétique a été greffé à la place de la région CDR3 dans ce fragment (Bertelli CI, TT 583:18‑584:11, 587:20‑588:12).
[101] Cette interprétation est également conforme au brevet américain 245, qui ne propose que sommairement, comme étape secondaire, que des [traduction] « paires appariées de régions variables (p. ex. une région VL et une région VH) des molécules d’anticorps, fragments Fd et chaînes légères »
que décrit le brevet 245 soient combinées avec les domaines des régions constantes d’IgG sans modification ou l’association des domaines constants de différents sous‑types d’IgG, à l’aide d’ADN recombinant ou d’autres méthodes connues dans l’art, pour former des anticorps de pleine longueur (P‑7, CF51, col 45:24‑33). Cependant, aucun anticorps de pleine longueur n’a été spécifiquement divulgué ou fabriqué.
[102] Dans ce scénario, de même que le précédent décrit par M. Tessier, l’éculizumab ne serait pas produit une fois le 5G1[. 1] + peptide obtenu, car les domaines des régions constantes ne seraient ajoutés qu’après la greffe du peptide.
[103] Amgen soutient que ces options ne sont pas appuyées par les paragraphes [0192] et [0193] de la demande de brevet américain 972 (reproduits ci-dessous), qui décrivent des expériences visant à vérifier la liaison du peptide de l’anticorps 5G1.1 + peptide à son récepteur. Elle affirme que le contrôle négatif 5G1.1 d’origine mentionné dans ces expériences, appelé [traduction] « 5G1.1 d’origine sans peptide mimétique de la TPO »
au paragraphe [0192] et [traduction] « 5G1.1 d’origine qui ne contenait pas le peptide »
au paragraphe [0193], confirme que l’échafaudage d’anticorps de départ 5G1.1 dont il est question au paragraphe [0191] est un anticorps de pleine longueur humanisé (l’éculizumab) :
[TRADUCTION]
[0192] Les anticorps purifiés 5G1.1 + peptide ainsi que l’anticorps d’origine 5G1.1 ont été analysés pour déterminer leur capacité à se lier au récepteur cMpl à l’aide d’une analyse par FACS. La liaison à des cellules 293 exprimant des récepteurs et n’exprimant pas de récepteurs a été comparée. Voir la figure 14. La coloration FACS a été effectuée essentiellement de la manière décrite précédemment, sauf que la détection a été effectuée au moyen d’un fragment F(ab’)2 d’anticorps de chèvre anti-IgG humaine (H+L) conjugué à la PE. Les contrôles négatifs correspondant à 3° seulement, aux fragments Fab anti-anatoxine tétanique non pertinents et aux fragments Fab X1a qui se lient faiblement au récepteur cMpl ont tous montré très peu de coloration. Cependant, les Fab X1c et X4b à liaison élevée ont produit une forte coloration, tout comme le peptide 5G1.1+. Aucun de ces clones ne s’est lié avec les cellules n’exprimant pas le récepteur, ce qui indique que la coloration des cellules se produit par reconnaissance spécifique du récepteur cMpl. Le 5G1.1 d’origine sans peptide mimétique de la TPO ne présentait aucune coloration pour l’ensemble des cellules testées.
[0193] La capacité de l’IgG complet 5G1.1 + peptide à activer le récepteur cMpl à l’aide de l’essai sur le rapporteur de la luciférase a été déterminée (voir la figure 15). Les résultats présentés ici indiquent que la configuration d’un IgG entier entraîne des limitations stériques dans sa capacité à rapprocher de manière productive les deux récepteurs cMpl en vue de leur activation. L’activité de l’IgG complet 5G1.1 contenant le peptide mimétique de la TPO aux positions CDR3 de la chaîne lourde était faible, et des concentrations molaires d’environ 100 à 200 fois supérieures à celles de TPO étaient requises pour provoquer une activité équivalente. Comme on l’a déjà observé lors des expériences de liaison, l’activation par le 5G1.1 contenant le peptide n’a été observée que lorsque le cMpl-R était exprimé à la surface de la cellule. Aucune liaison ou activité propre au récepteur n’a été observée pour le 5G1.1 d’origine qui ne contenait pas le peptide. Ces résultats montrent que la liaison et l’activité du peptide mimétique de la TPO et des séquences flanquantes d’acides aminés sélectionnées ne sont pas limitées ou spécifiques à la charpente d’anticorps contre l’anatoxine tétanique, mais peuvent être appliquées à d’autres charpentes d’anticorps. Ainsi, les séquences flanquantes d’acides aminés qui ont été sélectionnées pendant le criblage sont spécifiques à la présentation du peptide mimétique de la TPO dans une position donnée de CDR, mais pas pour la séquence d’acides aminés de la charpente d’anticorps.
[104] Toutefois, je ne peux souscrire à cet argument pour deux raisons.
[105] Premièrement, on ne m’a pas présenté de preuve directe concernant la façon dont les paragraphes [0192] et [0193] seraient interprétés. En effet, M. Bertelli n’a pas, dans son rapport d’expert et dans son témoignage, traité de ces paragraphes, et il ne les a pas non plus invoqués à l’appui de son opinion. Il est vrai que le paragraphe [0192] n’a été invoqué pour la première fois que lors du contre-interrogatoire des experts d’Alexion, et que le paragraphe [0193] n’a été mentionné par aucun des experts. Par ailleurs, ni M. Tessier ni M. Casadevall n’a présenté de preuve concernant la proposition avancée par Amgen.
[106] Selon M. Tessier, même si ce que l’on appelle le [TRADUCTION] « meilleur contrôle [négatif] »
pour l’essai décrit au paragraphe [0192] était composé d’un anticorps où la seule différence entre le contrôle négatif 5G1.1 d’origine et l’anticorps à détecter (5G1.1 + peptide) serait la présence du peptide mimétique de la TPO dans l’anticorps à détecter, la partie la plus importante du contrôle consiste à éviter la liaison non spécifique du réactif secondaire qui, dans cet essai, était un anticorps de chèvre anti-IgG humaine. Il faudrait pour cela que les anticorps aient des régions constantes complémentaires (Tessier CI, TT 1033:15‑1034:14). Il a donc conclu que le contrôle 5G1.1 d’origine utilisé dans l’essai auquel le paragraphe [0192] fait référence n’était probablement pas un anticorps humanisé, mais plutôt un anticorps chimérique contenant des régions variables murines et des régions constantes IgG2/IgG4 humaines (Tessier CI, TT 1035:4‑1036:6).
[107] Comme M. Tessier, M. Casadevall a reconnu que le meilleur contrôle négatif serait un anticorps dans lequel la seule différence serait la présence du peptide mimétique de la TPO dans l’anticorps d’essai (Casadevall CI, TT 709 : 11‑16). Cependant, M. Casadevall n’était pas d’accord pour dire que l’utilisation d’un réactif secondaire anti‑IgG humaine signifiait que le réactif ne se lierait qu’aux IgG humaines. Il a plutôt fait remarquer que les anticorps réagissent parfois pour plusieurs espèces. Par conséquent, il n’était pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle le paragraphe [0192] établissait que le contrôle 5G1.1 d’origine pour l’essai devait être un anticorps humain (Casadevall CI, TT 715:10‑716:9).
[108] Bien qu’Amgen formule certaines critiques à l’égard de cet élément de preuve, sans preuve directe du contraire, ces critiques ne suffisent pas pour ce que j’adopte la conclusion d’Amgen, d’autant plus que la conclusion demandée entre en conflit avec l’opinion de M. Bertelli citée plus haut au sujet du paragraphe [0191], relativement à la greffe du peptide mimétique de la TPO sur un fragment humanisé 5G1.1, avec l’ajout de régions constantes pour produire l’anticorps de pleine longueur après la greffe seulement.
[109] Deuxièmement, aucune preuve n’étayait l’affirmation faite par Amgen dans son argumentation écrite selon laquelle la personne versée dans l’art [traduction] « aurait su que pour obtenir l’anticorps “5G1.1 d’origine” utilisé au paragraphe [0192] [qui était] nécessaire pour reproduire l’exemple 4, il faudrait rétablir l’élément HCDR-3 à la place du peptide mimétique de la TPO greffé dans la “charpente d’anticorps” “5G1.1”, ce qui entraînerait nécessairement la production d’éculizumab »
[non souligné dans l’original]. Il n’est pas question, dans la demande de brevet américain 972, d’utiliser une approche de clonage inversé pour obtenir le « 5G1.1 d’origine »
aux essais des paragraphes [0192] et [0193].
[110] À mon avis, cet argument de dernière minute fondé sur les paragraphes [0192] et [0193] de la demande de brevet américain 972 est insuffisant sans preuve à l’appui pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demande de brevet américain 972 (conjointement avec le brevet américain 245 qui y est incorporé) satisfait à l’exigence relative à la divulgation aux fins d’antériorité.
[111] Pour tous ces motifs, je ne puis conclure que la revendication 1 est antériorisée par la demande de brevet américain 972.
[112] Comme elle dépend de la revendication 1 et repose sur les séquences revendiquées dans celle‑ci, la revendication 2 n’est pas non plus antériorisée par la demande de brevet américain 972.
VIII. Évidence
[113] Selon l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, l’objet de la revendication d’une demande de brevet déposée au Canada ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour la personne versée dans l’art au Canada. Il est difficile de satisfaire au critère de l’évidence, car il faut démontrer que la personne versée dans l’art serait parvenue directement et sans difficulté à l’invention, sans l’avantage de l’analyse rétrospective (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 [Bridgeview] au para 50).
[114] Au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada énonce la démarche à quatre volets, reproduite ci‑dessous, qui doit être suivie dans l’analyse de l’évidence :
[traduction]
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?
[115] Elle ajoute que, dans les domaines d’activités où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours au critère de l’« essai allant de soi »
pourrait être indiqué à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. La question cruciale sur laquelle le tribunal doit se pencher est celle de savoir s’il « allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention »
, compte tenu des éléments non exhaustifs suivants, mais « [l]a seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas »
(Sanofi aux para 66, 68-69) :
1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
3. L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?
[116] Toutefois, le critère de l’essai allant de soi commande la prudence, car ce n’est que l’un des nombreux éléments que le tribunal doit considérer pour statuer sur l’évidence (Bristol-Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76 [Atazanavir] au para 38; Sanofi, au para 64). La Cour favorise « [u]ne démarche large et flexible englobant [
TRADUCTION
] “toute considération accessoire pouvant se révéler éclairante” »
(Sanofi, au para 63; Atazanavir, aux para 61-62).
[117] L’analyse globale doit s’inscrire dans une démarche large et flexible fondée sur les faits et le contexte (Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2019 CAF 16 au para 39; Amgen Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CAF 188 au para 5; Western Oilfield, au para 109; Biogen, au para 143). Par cette analyse, le tribunal cherche à vérifier si la personne versée dans l’art peut rapprocher deux points dans le perfectionnement de la technique (l’état de la technique et l’idée originale), sans faire preuve d’esprit inventif, en se fondant uniquement sur ses connaissances générales courantes (Atazanavir, au para 65; Merck Sharp & Dohme Corp c Pharmascience Inc, 2022 CF 417 [Pharmascience] au para 156; Packers Plus Energy Services Inc c Essential Energy Services Ltd, 2019 CAF 96 au para 32; Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c SNF Inc, 2017 CAF 225 [Ciba] au para 62).
A. La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes
[118] J’ai traité de la personne versée dans l’art et de ses connaissances générales courantes aux paragraphes 44 à 50 des présents motifs. J’adopte, pour mon analyse de l’évidence, les mêmes conclusions sur ces questions.
B. Idée originale
[119] Selon la jurisprudence, l’« idée originale »
ne diffère pas sensiblement de la « solution enseignée par le brevet »
(Atazanavir, au para 75; Shire, au para 76). La définition de l’idée originale découle de l’interprétation des revendications et s’en inspire, bien qu’il s’agisse d’exercices distincts ayant des objectifs distincts (Shire, au para 75). L’interprétation des revendications a lieu avant l’évaluation de leur validité; par cet exercice, le tribunal cherche à comprendre et à déterminer la portée des revendications et la protection que confère le brevet. La définition de l’idée originale a lieu lors de l’évaluation de la validité des revendications. Le but de cet exercice est que le tribunal détermine ce qui, le cas échéant, rend les revendications, ainsi interprétées, inventives (Shire, aux para 75-76; Pharmascience, au para 168; Takeda, au para 187).
[120] Les parties se sont entendues de façon générale sur l’idée originale des revendications du brevet 810. Tous les experts étaient d’avis que l’idée originale de la revendication 1 était un anticorps qui se lie à la protéine C5 et comprend une chaîne lourde constituée de la SEQ ID NO:2 et d’une chaîne légère constituée de la SEQ ID NO:4, même si les experts d’Alexion, M. Tessier et M. Casadevall, étaient d’avis que la liaison à C5 était sélective (Bertelli, P‑19, para 161; Tessier, P‑29, para 74; Tessier IP, TT 890:6-15; Casadevall, P-24, para 147‑149).
[121] Comme j’ai conclu que les mots [traduction] « se lie à la protéine C5 »
figurant à la revendication 1 veulent dire qu’il y a une liaison sélective, je dois retenir la même interprétation en ce qui concerne l’idée originale. Les parties conviennent cependant que cette distinction n’a aucune importance en l’espèce.
[122] Bien que tous les éléments essentiels doivent être examinés dans l’analyse de l’évidence (Pharmascience Inc c Bristol-Myers Squibb Canada Co, 2022 CAF 142 au para 59), comme Amgen, je suis d’avis que, comme l’anticorps mentionné à la revendication 1 avait été identifié dans le brevet 810 comme étant l’éculizumab et qu’on savait à la date de la revendication – s’agissant de connaissances générales courantes – que l’éculizumab se lie sélectivement à la protéine C5 (Casadevall CI, TT 743:7-24; Casadevall, P‑24, para 85), l’idée originale de la revendication 1 peut aussi être considérée comme l’identification des séquences de chaîne lourde et de chaîne légère de l’éculizumab, SEQ ID NO:2 et SEQ ID NO:4, respectivement.
[123] Comme on l’a vu plus haut, la revendication 2 vise une composition pharmaceutique comprenant l’anticorps mentionné à la revendication 1 (l’éculizumab) et un vecteur. L’idée originale de cette revendication est par conséquent la formulation de l’anticorps de la revendication 1 en une composition pharmaceutique qui rende possible son administration au patient et produise l’effet thérapeutique voulu (Tessier, P‑29, para 76).
C. État de la technique
[124] Pour cerner l’« état de la technique »
, qui doit être comparé à l’idée originale – troisième étape du critère énoncé dans l’arrêt Sanofi –, la Cour doit examiner tous les éléments de l’art antérieur relevant du domaine public sur lesquels se fondent les parties (Ciba, aux para 56‑60), par opposition à l’état de la technique en général (Ciba, au para 60). C’est la partie qui allègue l’évidence qui choisit l’art antérieur qui se rapproche le plus, selon elle, de l’invention revendiquée, mais l’état de la technique peut inclure d’autres antériorités qu’une partie considère comme pertinentes au regard de l’invention revendiquée, les motivations de la personne versée dans l’art ou encore des antériorités qui pointent dans une direction différente de celle de l’invention (Apotex Inc c Janssen Inc, 2021 CAF 45 au para 25; Pharmascience, au para 160; Takeda, au para 199). À cette étape de l’analyse, il n’est pas important que le tribunal cherche à savoir si la personne versée dans l’art aurait trouvé une antériorité au terme d’une recherche raisonnablement diligente, même si cette question pourrait être pertinente à l’étape 4 de l’analyse de l’évidence, lorsque le tribunal doit déterminer si cette personne, qui est dénuée d’inventivité, aurait lu conjointement cette antériorité avec d’autres antériorités pour réaliser l’invention revendiquée (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 au para 86).
[125] Amgen affirme que si on réunit la demande de brevet américain 972 et le brevet américain 245, ou le brevet américain 245 et la publication WO 97/11971 [la publication WO971], la revendication 1 devient évidente, mais les parties ont invoqué un art antérieur plus vaste, résumé ci‑dessous.
(1) Premières publications sur le travail d’ingénierie des anticorps concernant 5G1.1 et h5G1.1
[126] Les premières publications portant sur le travail d’ingénierie des anticorps d’API comprennent l’article de Thomas TC et coll., « Inhibition of complement activity by humanized antibody that binds C5 and single-chain Fv » (1996) 33 Mol Immunol 1389-401 [Thomas 1996] (Thomas, P-9, CF88) et le brevet américain 245.
[127] Le brevet américain 245 (P-7, CF51), dont il a été question plus haut, a été déposé avant Thomas 1996, mais a été publié plus tard. Il révèle la préparation de l’anticorps monoclonal murin appelé « 5G1.1 »
et d’autres fragments et molécules d’anticorps anti-C5 préparés à partir de 5G1.1, y compris des fragments humanisés. Il fournit les séquences pour les régions VL et VH de l’anticorps murin 5G1.1 et divers fragments scFv humanisés de 5G1.1, un fragment scFv murin 5G1.1, des séquences de chaînes légères chimériques et humanisées ainsi que des « Fd »
chimériques et humanisés contenant la chaîne lourde variable et la séquence CH1 d’un fragment Fab (Tessier, P‑29, para 108). Il ne divulgue aucun anticorps humanisé de pleine longueur ni aucune séquence partielle d’anticorps humanisés de pleine longueur (Casadevall, P‑24, para 235). Le brevet américain 245 indique de façon générale que les paires de régions variables des [traduction] « molécules d’anticorps, fragments Fd et chaînes légères […] peuvent être combinées avec des domaines de régions constantes par ADN recombinant ou d’autres méthodes connues dans le domaine pour former des anticorps de pleine longueur »
et que [traduction] « [l]es régions de préférence à cette fin [sont] les régions constantes d’IgG, qui peuvent ne pas être modifiées, ou être constituées d’une association de domaines constants d’IgG de divers sous‑types, p. ex. IgG1 et IgG4 »
(col 45:25-33). Il s’agit des régions CH1 des fragments Fd, qui semblent correspondre aux séquences CHI IgG1 (Casadevall, P‑24, para 234).
[128] Dans un communiqué de presse publié en 2002, Alexion mentionne que le brevet américain 245 couvre [traduction] « la composition et l’utilisation des principaux médicaments candidats d’Alexion, l’éculizumab (anciennement connu sous le nom de 5G1.1) et le pexelizumab, ainsi que d’autres anticorps qui se lient à la protéine C5 et inhibent efficacement son activité inflammatoire »
(Alexion 2002, P‑5, CF115).
[129] Thomas 1996 porte sur l’humanisation par API de l’anticorps murin 5G1.1 par la greffe des CDR variables de l’anticorps murin 5G1.1 dans les régions de la charpente humaine. La publication révèle que toutes les constructions humanisées h5G1.1 (fragments Fab et scFv humanisés) se lient à la protéine C5 et bloquent son clivage, en plus de divulguer les séquences d’acides aminés des régions variables du 5G1.1 murin et des fragments humanisés, y compris leurs CDR. Elle révèle la construction d’un anticorps h5G1.1 de pleine longueur fabriqué à partir de l’un des fragments humanisés comprenant une région constante IgG4 qui se lie également à la protéine C5 avec une avidité similaire à celle des anticorps murins, et bloque le clivage de C5 (pages 1396 et 1399). L’isotype humain IgG4 a été choisi en partie parce qu’il n’active pas le complément humain (page 1399). Les auteurs concluent que [traduction] « [p]eu d’informations [sont] disponibles sur l’immunogénicité des anticorps avec greffe de CDR chez les humains »
, mais font remarquer que [traduction] « l’introduction d’acides aminés murins dans les régions charpentes n’est pas essentielle pour maintenir une forte affinité de liaison avec C5 »
et que l’anticorps h5G1.1 est donc [traduction] « probablement faiblement immunogène chez les patients »
(page 1399).
(2) Enregistrement au Chemical Abstract Service (CAS)
[130] En 1999, API a déposé ce qu’elle croyait être la bonne séquence d’acides aminés pour l’éculizumab auprès du CAS sans obligation de confidentialité (P‑31, onglets 1A et 1C; Exposé conjoint des faits [ECF] : 289, 290). Bien que la séquence comportait des erreurs importantes, elle comprenait également des parties reconnaissables dans la région constante CH1 et la région charnière, qui étaient caractéristiques de l’IgG2, ainsi que dans les régions constantes CH3 et CH4, qui étaient caractéristiques de l’IgG4 (Tessier CI, TT (5B) 16:10‑17:13, 17:22‑18:6). La séquence a d’abord été classée sous « 5G1.1 »
, mais le nom « éculizumab »
a été attribué à l’enregistrement au CAS avant le 15 mars 2007 (ECF : 37-38, 42, 291).
(3) Études cliniques antérieures
[131] Dès 2002, des publications font explicitement référence à l’éculizumab et aux études cliniques d’API sur l’éculizumab (voir par exemple Kaplan M, « Eculizumab Alexion » (2002) 3:7 Current Opinion in Investigational Drugs 1017-1023 [Kaplan 2002] (Kaplan, P‑12, CF319)).
[132] Selon Kaplan 2002, l’éculizumab (5G1.1) est un anticorps monoclonal humanisé inhibiteur de C5 [traduction] « en cours de développement par Alexion Pharmaceuticals Inc. »
qui « empêche le clivage de la protéine C5 du complément humain en ses composants pro-inflammatoires »
(page 1017). La publication cite Thomas 1996 dans l’analyse de la synthèse des molécules 5G1.1 humanisées, Fab et scFv (pages 1018, 1022), et indique que le brevet 245 traite de la composition de l’éculizumab, ainsi que du pexelizumab et d’autres anticorps anti‑inflammatoires se liant à C5 (page 1020). Dans Kaplan 2002, il est indiqué que l’éculizumab fait l’objet d’essais cliniques de phase II pour une [traduction] « variété de maladies inflammatoires chroniques »
, et l’éculizumab est présenté comme un traitement potentiel contre la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux systémique (maladie auto-immune) et la néphrite (page 1018).
[133] En 2004, la publication d’Hillmen P et coll., « Effect of Eculizumab on Hemolysis and Transfusion Requirements in Patients with Paroxysmal Nocturnal Hemoglobinuria » (2004) 350:6 N Engl J Med 552-559 [Hillmen 2004] (Hillmen, P‑10, CF64), rend compte d’une étude pilote à petite échelle, d’une durée de 12 semaines, dans laquelle 11 patients atteints d’HPN ont été traités avec l’éculizumab. Les auteurs concluent que l’éculizumab est [traduction] « sécuritaire et bien toléré chez les patients atteints d’HPN »
et qu’il réduit « l’hémolyse intravasculaire, l’hémoglobinurie et la nécessité de transfusions, avec une amélioration connexe de la qualité de vie »
(page 552). L’éculizumab y est décrit comme [traduction] « un anticorps monoclonal humanisé recombinant qui a été conçu pour bloquer l’activation des composants terminaux du complément »,
d’après Thomas 1996 et un document antérieur (pages 553 et 559).
[134] Hillmen 2004 a été décrit comme un document marquant, qui a été reçu avec [traduction] « enthousiasme »
dans le domaine de l’hématologique au moment de sa publication (Boulad, P‑12, para 105; Tessier IP, TT 892:15‑23) et qui en est venu à faire partie des connaissances générales courantes (Boulad, P‑12, para 105; Tessier, P‑29, para 127; Casadevall CI, TT 733:5‑15).
[135] L’étude pilote rapportée dans Hillmen 2004 a été suivie d’une étude de prolongation (Hill A, et coll., « Sustained Response and Long-term Safety of Eculizumab in Paroxysmal Nocturnal Hemoglobinuria » (2005) 106:7 Blood 2559‑2566 [Hill I 2005]) (Hill, P‑12, CF312) sur l’innocuité et l’efficacité à long terme de l’éculizumab chez les 11 patients étudiés par Hillmen. Selon Hill I 2005, l’éculizumab est demeuré sûr et bien toléré, et il a entraîné des réductions soutenues de l’hémolyse et des transfusions sanguines ainsi qu’une amélioration continue de la qualité de vie.
[136] Plus tard la même année, une entrevue avec Mme Hill a été publiée dans Clinical Advances in Hematology & Oncology [Hill II 2005] (Hill, P‑12, CF313). Au cours de l’entrevue, Mme Hill a indiqué que l’éculizumab était [traduction] « un anticorps monoclonal qui bloque le système du complément à la protéine C5 »
, qu’il « devrait être efficace pour prévenir l’hémolyse »
, et qu’elle avait « peu de doute »
qu’il serait efficace pour traiter l’HPN. Elle a également indiqué que deux essais de phase III (TRIUMPH et SHEPHERD) étaient en cours et que les chercheurs [traduction] « attend[aient] les résultats avec impatience »
(Hill II 2005, à la page 850; Boulad, P‑12, para 145‑147).
[137] Les résultats prometteurs de l’éculizumab ont également fait l’objet d’une discussion dans la publication de l’American Society of Hematology, Rosse W. F. « Immune-Mediated Hemolytic Anemia » (2004) Hematology 48-62 [Rosse 2004]) (Rosse, P‑12, CF324), qui comprenait un rapport de M. Hillmen sur ses constatations au sujet de l’HPN et son travail avec [traduction] « un anticorps monoclonal humanisé contre C5 »
qui avait entraîné une [traduction] « maîtrise remarquable des manifestations de la maladie »
(page 48). Dans la section sur le travail de M. Hillmen, l’éculizumab est décrit comme [traduction] « un anticorps chimérique humanisé contre C5 doté d’un domaine Fc complètement non fonctionnel »
(page 53).
[138] La demande de brevet américain no 2005/0191298, présentée par API et intitulée « Method of treating hemolytic disease » (la demande de brevet américain 298, P‑19, CF280), a également été publiée en 2005 et révèle une méthode de traitement de l’HPN qui consiste en [traduction] « l’administration d’un composé qui se lie à l’un ou plusieurs des composants du complément, ou en bloque autrement la génération ou l’activation »
(para [0003]). La demande de brevet américain 298 présente à titre de réalisation [traduction] « un anticorps anti-C5 sélectionné dans le groupe constitué de h5G1.1‑
mAb (éculizumab), de h5G1.1‑scFv (pexelizumab) et d’autres fragments fonctionnels de h5G1.1 »
(para [0012]). Selon la demande de brevet, les anticorps anti-C5 particulièrement utiles sont h5G1.1-mAb, h5G1.1‑scFv et les autres fragments fonctionnels de h5G1.1. La demande de brevet fait référence aux méthodes de préparation de ces anticorps décrites dans le brevet 245 et Thomas 1996, tout en notant que l’anticorps [traduction] « h5G1.1-mAb fait […] l’objet d’essais cliniques sous le nom commercial éculizumab »
(para [0052]). Dans les exemples, on décrit une étude pilote réalisée avec l’éculizumab chez 11 patients atteints d’HPN et une étude de prolongation auprès de ces patients, ce qui correspond aux études rapportées dans Hillmen 2004 et Hill I 2005 (Tessier, P-29, para 120; Casadevall, P-24, para 212; Boulad, P-12, para 166).
(4) Autres documents antérieurs d’API mentionnant l’« éculizumab »
, « 5G1.1 »
ou « h5G1.1 »
[139] Peu après Thomas 1996, en 1997, un groupe de recherche d’API qui comprenait certains scientifiques nommés dans Thomas 1996 a rendu compte de travaux distincts sur l’humanisation d’anticorps monoclonaux spécifiques aux molécules d’adhésion [VCAM] (vascular cell adhesion molecule) de porc aux fins de xénogreffe (la greffe d’organes non humains à des sujets humains) (Mueller JP et coll., « Humanized Porcine VCAM-specific monoclonal antibodies with chimeric IgG2/IgG4 constant regions block human leukocyte binding to porcine endothelial cells » [1997] 34:6 Mol Immunol 441-452) [Mueller 1997] (P-19, CF292) et la publication WO 97/11971, intitulée « Protéines d’interaction des cellules porcines » [la publication WO971] (P‑19, CF291). Mueller 1997 et la publication WO971 ont décrit des anticorps anti‑VCAM de porc avec des régions constantes d’IgG4 et d’IgG2/G4 hybrides.
[140] Dans Mueller 1997, les auteurs décrivent la région constante hybride IgG2/G4 comme une alternative à la modification des résidus spécifiques connus pour leur rôle dans la fixation du complément et la liaison au récepteur Fc (page 446). Ils indiquent que les anticorps humains de l’isotype IgG4 sont dépourvus d’activité à l’égard du complément et que ceux de l’isotype IgG2 n’activent pas le complément ou ne se lient pas aux récepteurs Fc (page 446; Tessier, P‑29, para 99). Selon Mueller 1997 et la publication WO971, l’hybride IgG2/G4 comprend le domaine de la région constante CH1 et la région charnière de l’isotype IgG2 liés aux domaines des régions constantes CH2 et CH3 de l’isotype IgG4. Deux anticorps h5G1.1 avec des régions constantes de chaîne lourde d’IgG4 et d’IgG2/G4 correspondantes sont utilisés comme anticorps de contrôle négatif dans les expériences.
[141] Mueller 1997 révèle que les anticorps spécifiques aux VCAM comprenant la région constante de la chaîne lourde IgG4 se lient aux récepteurs Fc (FcγR1, FcγRII et FcγRIII) alors que ceux dotés de la région constante de la chaîne lourde hybride IgG2/G4 ne se lient pas aux récepteurs Fc (pages 447-448; Bertelli, P-19, para 221). On y affirme que la conception des anticorps hybrides IgG2/G4 [traduction] « devrait se révéler utile pour l’humanisation d’autres anticorps destinés à un usage humain dans les cas où l’élimination de la liaison avec les récepteurs Fc et l’activation [du complément] serait souhaitable »
(page 451).
[142] La publication WO971 inclut les séquences complètes d’acides aminés pour la chaîne lourde des anticorps VCAM avec une région constante de la chaîne lourde hybride IgG2/G4 et, dans une figure séparée, les séquences des régions variables. À la lumière de ces éléments, M. Bertelli a déclaré que la personne versée dans l’art aurait été en mesure de déterminer la séquence d’acides aminés de la région constante de la chaîne lourde hybride IgG2/G4 (Bertelli, P‑19, para 118).
[143] Dans la demande de brevet américain 972 dont il a été question plus haut, Katherine Bowdish, scientifique d’API, a déposé une demande de brevet révélant la construction d’anticorps pour le transport de peptides biologiquement actifs. L’exemple 4 décrit la préparation d’une construction d’anticorps dans laquelle un peptide mimétique de la TPO est substitué à l’emplacement CDR3 de la chaîne lourde d’un échafaudage d’anticorps 5G1.1. La demande de brevet américain 972 fait référence au brevet 245 pour la construction de la charpente d’anticorps 5G1.1. La séquence de la chaîne légère et de la chaîne lourde du produit final 5G1[.1] + peptide est divulguée et inclut une région constante lourde IgG2/G4.
[144] API a demandé une protection pour un anticorps comprenant une région constante IgG2/G4 dans deux demandes de brevet déposées en 2004 : WO 2005/007809 [la publication WO809] (P-19, CF297) et WO 2004/108158 [la publication WO158] (P‑19, CF295). Toutefois, aucune de ces demandes ne se rapporte à une inhibition du complément ou à une activité anti‑C5 (Tessier, P‑29, para 142, 143, 146; Casadevall, P‑24, para 328, 331).
[145] En 2005, un article conjoint avec des scientifiques d’API (Tacken PJ et coll, « Effective Induction of Naïve and Recall T‑cell Responses by Targeting Antigen to Human Dendritic Cells via a Humanized anti‑DC‑SIGN Antibody » (2005) 106(4) Blood 1278‑1285 [Tacken 2005] (Tacken, P‑19, CF298)) traite de l’humanisation d’un anticorps anti‑DC‑SIGN doté d’une région constante IgG2/G4. Selon Tacken 2005, l’anticorps a des [traduction] « régions légères variables et lourdes variables humanisées »
qui ont été « fusionnées génétiquement à un domaine constant d’IgG2/IgG4 hybride humain et à un domaine constant de la chaîne kappa humaine »
, citant Mueller 1997 par rapport au domaine constant hybride IgG2/G4 humain (page 1279).
[146] L’article fait référence à [traduction] « [u]n anticorps de contrôle d’isotype h5G1.1‑mAb (5G1.1, éculizamab; Alexion Pharmaceuticals) contenant la même région constante IgG2/IgG4 [comme dans Mueller 1997] [qui est] spécifique pour la protéine terminale C5 du complément »
, et cite Thomas 1996 (pages 1279 et 1285). Dans la discussion, Tacken 2005 fait référence à Mueller 1997 comme ayant précédemment montré que [traduction] « la région constante hybride humaine IgG2/IgG4 empêche les anticorps de se lier aux récepteurs Fc »
(page 1280).
[147] Même si Tacken 2005 désigne l’anticorps de contrôle sous le nom d’« eculizamab »
[mise en évidence ajoutée], je suis d’accord avec M. Bertelli pour dire que la personne versée dans l’art aurait considéré qu’il s’agissait d’une coquille et aurait reconnu la molécule évoquée comme étant l’éculizumab (Bertelli IP, TT 458:16-459:1). Comme l’a confirmé le Dr Bell, aucun produit de développement thérapeutique nommé « eculizamab »
n’existait chez Alexion (Bell CI, TT 168:23‑169:6).
D. Différences entre l’état de la technique et l’idée originale
[148] Étant donné l’état de la technique, la personne versée dans l’art aurait su qu’API avait un médicament appelé éculizumab, lequel était associé à l’anticorps monoclonal 5G1.1 murin et à son humanisation; que l’éculizumab était sélectif vis-à-vis de C5; et qu’il était utilisé pour traiter les patients atteints d’HPN avec des résultats prometteurs. Cependant, aucune des antériorités ne divulguait les séquences des chaînes lourdes et des chaînes légères de l’éculizumab. Il n’y avait pas eu non plus de divulgation d’anticorps anti‑C5 comportant à la fois une chaîne légère dont la séquence d’acides aminés était la même que la SEQ ID NO:4 et une chaîne lourde dont la séquence d’acides aminés était la même que la SEQ ID NO:2.
[149] Même si des séquences d’acides aminés pour les régions variables de fragments humanisés de 5G1.1 avaient été décrites dans le brevet américain 245 et Thomas 1996, les séquences d’acides aminés des régions constantes de la chaîne lourde des sous-types d’IgG étaient connues et disponibles dans les bases de données informatiques. De plus, les séquences d’acides aminés des régions constantes des chaînes lourdes hybrides avaient été dévoilées dans les antériorités générales, et il n’y avait pas de lien direct entre ces séquences et l’éculizumab.
[150] Même si Amgen affirme qu’il n’y a pas de différences entre l’état de la technique et l’idée originale, car la réunion du brevet américain 245 et de la demande de brevet américain 972, ou encore du brevet américain 245 et de la publication WO917, aurait mené la personne versée dans l’art aux séquences revendiquées, ces adjonctions exigent une évaluation à l’étape 4 du critère énoncé à l’arrêt Sanofi. La Cour doit donc examiner si la personne versée dans l’art aurait lu conjointement ces documents et, dans l’affirmative, si elle serait arrivée aux séquences revendiquées sans faire preuve d’inventivité.
E. Les écarts auraient-ils pu être comblés sans inventivité?
[151] Les parties n’ont pas la même façon d’aborder la quatrième étape de l’analyse exposée dans l’arrêt Sanofi et la motivation qu’aurait pu avoir la personne versée dans l’art compte tenu de l’état de la technique.
[152] Alexion soutient que la Cour doit chercher à savoir si la personne versée dans l’art cherchant à créer un anticorps qui se lie à la protéine C5, sélectivement ou non, serait arrivée aux séquences revendiquées. Subsidiairement, Alexion soutient que la Cour doit déterminer si la personne versée dans l’art cherchant plus particulièrement à obtenir la séquence de l’éculizumab serait arrivée aux séquences revendiquées. Selon Amgen, c’est la deuxième question qui est la bonne, et je suis d’accord avec elle.
[153] Je remarque que la preuve présentée par les experts d’Alexion n’était pas cohérente sur cette question. Ils ont donné leur avis sur la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art de concevoir un nouvel anticorps anti‑C5 ayant les séquences mentionnées à la revendication 1, mais ils ont aussi reconnu l’importance de Hillmen 2004 et admis, compte tenu de ce document, que la personne versée dans l’art se serait particulièrement intéressée à l’anticorps qui y est mentionné, l’éculizumab (Casadevall, P‑24, para 201), et aurait voulu trouver sa séquence (Tessier, P‑29, para 183, 160).
[154] En effet, la personne versée dans l’art aurait su, par les antériorités et le clinicien qualifié de l’équipe, qu’API avait déjà effectué un important travail de développement, que l’entreprise avait déjà créé un anticorps humanisé et l’avait formulé en un médicament appelé éculizumab, qui faisait déjà l’objet d’essais cliniques pour le traitement des patients atteints d’HPN, et que les études cliniques préliminaires avaient révélé des résultats prometteurs (Bertelli, P‑19, para 159). Parce qu’API avait déjà cette longueur d’avance, la personne versée dans l’art n’aurait pas cherché, à mon avis, à créer un nouvel anticorps anti‑C5 distinct, mais aurait plutôt cherché à réduire autant que possible les difficultés et les pièges associés à la conception de l’anticorps (Casadevall, P‑24, para 170‑177, 181) en recherchant la séquence de l’éculizumab.
[155] Se fondant sur le témoignage de MM. Tessier et Casadevall, Alexion affirme que même si la personne versée dans l’art avait commencé par cette question, elle aurait été dirigée vers Thomas 1996 pour la séquence de l’éculizumab, et qu’elle se serait arrêtée là puisqu’elle aurait cru que l’éculizumab était constitué de la séquence CDR variable divulguée dans Thomas 1996, construite avec une région constante IgG4 (Tessier, P‑29, para 163‑166; Casadevall, P‑24, para 360). Alexion insiste beaucoup sur la référence à Thomas 1996 faite dans Hillmen 2004, qui décrivait l’éculizumab comme étant [traduction] « un anticorps monoclonal humanisé recombinant qui a été conçu pour bloquer l’activation des composants terminaux du complément »
, et sur des références similaires à Thomas 1996 qui ont été faites dans Kaplan 2002, Hill I 2005 et la demande de brevet américain 298, entre autres (Casadevall, P‑24, para 204, 362‑366; Tessier, P‑29, para 46a), 163, 164).
[156] En contre-interrogatoire, le Dr Bell a déclaré que la référence à Thomas 1996 dans Hillmen 2004 ne visait pas à fournir des renseignements sur la séquence de l’éculizumab, et que la séquence complète de l’éculizumab n’avait pas été divulguée dans Thomas 1996 (Bell CI, TT 163:19‑24). Il a plutôt déclaré que Thomas 1996 avait été cité pour démontrer le blocage de C5 par la région variable de l’anticorps humanisé 5G1.1 (Bell CI, TT 165:19‑166:4, 166:16‑168:5).
[157] Alexion est d’avis que les commentaires du Dr Bell ne sont pas pertinents, car seul le point de vue de la personne versée dans l’art est important. Cet avis se fonde sur le témoignage de MM. Tessier et Casadevall, qui estiment que la personne versée dans l’art s’appuierait sur la référence répétée à Thomas 1996, ainsi que sur la justification donnée dans Thomas 1996 au sujet d’un anticorps IgG4 qui n’active pas le complément humain et qui pouvait se lier à la protéine C5 humaine avec la même avidité que l’anticorps murin original (Tessier, P‑29, para 164‑165; Casadevall, P‑24, para 366).
[158] Alexion fait essentiellement valoir que ses propres études cliniques, par ses références à Thomas 1996, orientaient la personne versée dans l’art vers Thomas 1996 (et écartaient les autres antériorités ou pistes de recherche) pour la séquence de l’éculizumab. Je ne suis toutefois pas d’accord pour dire que les références à Thomas 1996 aiguillent le lecteur aussi loin que cela.
[159] Les références à Thomas 1996 doivent être interprétées au regard du contexte. Premièrement, les références dans Hillmen 2004, Kaplan 2002, Hill I 2005 et la demande de brevet américain 298 se trouvent dans des documents destinés au clinicien qui s’intéresse à la capacité de l’anticorps à inhiber l’activité de la protéine C5, et non à la séquence de l’anticorps. Deuxièmement, aucun des passages n’indique que Thomas 1996 divulgue la séquence de l’éculizumab. Thomas 1996 ne le dit pas non plus.
[160] Comme l’a reconnu M. Casadevall, Thomas 1996 est un document fondateur qui évoque les débuts des travaux sur l’humanisation des régions variables sur 5G1.1 et la confirmation de son activité anti‑C5 (Casadevall CI, TT 682:1‑8).
[161] Dans Thomas 1996, on a choisi de produire un anticorps 5G1.1 humanisé intact en tant qu’isotype IgG4 parce qu’il n’activerait pas le complément, mais, comme l’a expliqué M. Bertelli, la personne versée dans l’art aurait su qu’il restait encore des questions à élucider, notamment celle de savoir si l’anticorps faisait intervenir une fonction quasi effectrice par la stimulation des cellules immunitaires au moyen d’une liaison avec le récepteur Fc gamma (Bertelli IP, TT 448:24‑449:19).
[162] Toutefois, même si la personne versée dans l’art serait arrivée à cette conclusion à la lecture de Thomas 1996, cela ne peut pas dire que cette personne serait plutôt parvenue aux séquences de la revendication 1 du brevet 810 en recourant aux adjonctions de documents proposées par Amgen.
[163] En effet, bien qu’il soit possible de faire une mosaïque d’antériorités qui ne font pas partie des connaissances générales courantes, la partie qui allègue l’évidence doit établir que la personne versée dans l’art aurait pensé à réunir ces antériorités (Pharmascience Inc c Teva Canada Innovation, 2022 CAF 2 au para 33; Usinage Pro-24 Inc v Valley Blades Ltd, 2025 FCA 4 [Usinage] au para 38). La personne versée dans l’art ne peut pas simplement relier une pièce de l’art antérieur à une autre, à moins que cette mise en relation ne soit dénuée de caractère inventif (Camso Inc c Soucy International Inc, 2019 CF 255 au para 125).
[164] Amgen affirme que la personne versée dans l’art aurait été dirigée vers le brevet américain 245 étant donné qu’il s’agit d’un brevet d’API portant sur 5G1.1, mentionné à répétition dans les antériorités d’API en lien avec l’éculizumab et identifié dans Alexion 2002 comme étant la pierre angulaire pour la mise au point de l’éculizumab. Selon elle, comme il était notoire que l’éculizumab était un médicament d’API associé à 5G1.1 et à h5G1.1, la personne versée dans l’art aurait porté attention aux documents portant sur ces constructions et aux chercheurs qui ont participé aux études sur 5G1.1 et h5G1.1, y compris la demande de brevet américain 972 et la publication WO971, deux documents qui renvoient aussi au brevet américain 245. Comme elle était motivée à trouver la séquence de l’éculizumab, la personne versée dans l’art aurait consulté ces documents qui présentent les séquences d’anticorps les plus complètes, ce qui l’aurait menée à la demande de brevet américain 972 ou à la publication WO971.
[165] Alexion ne conteste pas que le brevet américain 245 est une antériorité digne d’intérêt, mais n’est pas d’avis qu’Amgen a établi que la personne versée dans l’art serait motivée à lire la demande de brevet américain 972 ou la publication WO971 conjointement avec le brevet américain 245.
[166] Bien qu’il ait contesté la pertinence de la demande de brevet américain 972 dans son rapport, M. Tessier a déclaré que la personne versée dans l’art cherchant à créer un anticorps qui se lie à la protéine C5 aurait pu emprunter quatre voies après avoir consulté les antériorités considérées dans la présente affaire. L’une de ces voies consistait à combiner la région constante IgG2/G4 de l’anticorps 5G1[.1] + peptide divulgué dans l’exemple 4 de la demande de brevet américain 972 avec la région variable d’un fragment ou une molécule scFv du brevet américain 245. Les autres options identifiées par M. Tessier étaient les suivantes : un anticorps IgG4 comprenant la région variable citée dans Thomas 1996; les fragments d’anticorps révélés dans le brevet américain 245 avec une région constante IgG4, ou l’une des molécules scFv sans région constante; ou l’anticorps de l’enregistrement au CAS (Tessier, P‑29, para 162; Tessier IP, TT 910:22‑912:15).
[167] Toutefois, M. Tessier a soutenu que la personne versée dans l’art n’aurait pas choisi de tenter de lire la demande de brevet américain 972 conjointement avec le brevet américain 245, notamment en raison de Thomas 1996 (Tessier CI, TT 1045:2‑1046:13).
[168] Comme l’a souligné M. Tessier et comme l’a concédé M. Bertelli, la demande de brevet américain 972 ne fait état d’aucune activité anti-C5, y compris pour l’anticorps produit à l’exemple 4, qui a une région constante IgG2/G4 (Tessier, P‑29, para 174; Bertelli CI, TT 556:15‑18). Il n’existe pas non plus de données antérieures sur la capacité d’un anticorps IgG2/G4 à se lier à la protéine C5 (Tessier, P‑29, para 176 et 234; Bertelli CI, TT 545:15‑25).
[169] La demande de brevet américain 972 n’indique pas si l’anticorps produit dans l’exemple 4 a des effets immunologiques (Bertelli CI, TT 556:19‑22), car il ne s’agit pas de l’objectif de la demande. En effet, la demande de brevet américain 972 porte sur la transplantation et la stabilisation de peptides mimétiques à l’emplacement CDR3 d’une charpente d’anticorps. On ne s’attendait pas à ce que les anticorps produits conservent la même activité ou les mêmes propriétés de liaison sans l’élément CDR3 (Bertelli IP, TT 413:10‑16; Tessier CI, TT 1050:2‑10); et il n’est pas indiqué que les anticorps sont produits pour leur activité anti‑C5.
[170] Par conséquent, même si j’admets que la personne versée dans l’art consulterait plusieurs publications d’API, en l’absence d’études sur l’activité anti‑C5 mentionnées dans la demande de brevet américain 972 ou de lien direct entre le produit de l’exemple 4 et l’éculizumab, je ne suis pas convaincue que la personne versée dans l’art aurait estimé que la demande de brevet américain 972 était un document d’intérêt particulier.
[171] Contrairement à ce qu’affirme Amgen, je ne suis pas convaincue que la personne versée dans l’art cherchant à connaître la séquence de l’éculizumab serait intéressée par toutes les publications qui comportaient le terme « 5G1.1 »
ou « h5G1.1 »
, d’autant plus que la nomenclature 5G1.1 et h5G1.1 était aussi associée au pexelizumab et à d’autres anticorps anti‑inflammatoires se liant à C5 d’intérêt moindre (voir, par exemple, la demande de brevet américain 298 et Kaplan 2002). D’ailleurs, s’il est vrai que M. Tessier a déclaré que l’association de la demande de brevet américain 972 et du brevet américain 245 était une voie possible, il ne l’a dit que lorsqu’il se prononçait sur les options dont disposait la personne versée dans l’art qui chercherait de façon générale à concevoir un nouvel anticorps anti‑C5 en se fondant sur les antériorités qui avaient été produites, et non du point de vue de la personne versée dans l’art qui chercherait la séquence de l’éculizumab. Au moment de la demande de brevet américain 972, API avait cessé d’utiliser le nom « 5G1.1 »
et appelait son médicament à usage clinique « éculizumab »
.
[172] Même si la personne versée dans l’art aurait compris, à partir des séquences divulguées dans les figures 13A et 13B, que le produit 5G1[.1] + peptide de l’exemple 4 était un anticorps humanisé, comme l’admet Amgen, ces séquences ne l’auraient pas intéressée sauf si elle avait perçu un lien entre le produit de l’exemple 4 et l’éculizumab.
[173] De même, si la demande de brevet américain 972 renvoie au brevet américain 245 dans l’exemple 4, le brevet américain 245 ne renvoie pas à la demande de brevet américain 972. Autrement dit, la personne versée dans l’art aurait besoin d’avoir un intérêt à consulter la demande de brevet américain 972 pour faire le lien entre ce document et le brevet américain 245.
[174] Amgem soutient que, si la personne versée dans l’art n’avait pas tenté de lire la demande de brevet américain 972 conjointement avec le brevet américain 245, cette personne serait arrivée aux séquences de la revendication 1 du brevet 810 en combinant la séquence de la région constante de la chaîne lourde hybride IgG2/G4 divulguée dans la publication WO971 et la séquence du fragment 5G1.1 humanisé de l’exemple 11(12), SEQ ID NO:20 du brevet américain 245.
[175] M. Bertelli est d’avis que la personne versée dans l’art ne se serait pas arrêtée à Thomas 1996 et aux enseignements de ce document et aurait été dirigée vers la publication WO971, qui reconnaît les avantages d’une chaîne lourde hybride IgG2/G4 qui n’active pas le complément ou ne se lie pas aux récepteurs Fc (Bertelli, P‑19, para 186, 216‑221; Bertelli IP, TT 449:8‑453:11). Il cite des antériorités additionnelles qui indiquent que l’éculizumab est doté d’une région constante de la chaîne lourde hybride IgG2/G4 (à savoir Tacken 2005 et l’enregistrement au CAS) ou que l’éculizumab est un anticorps doté d’un domaine Fc complètement non fonctionnel (à savoir Rosse 2004) (Bertelli, P‑19, para 214).
[176] Amgen soutient que l’enregistrement au CAS est pertinent et qu’on doit en tenir compte pour cinq raisons. Premièrement, il est pertinent quant à la question de savoir si l’éculizumab a une région constante de la chaîne lourde qui est un hybride IgG2/G4. Deuxièmement, cet enregistrement met en contexte les autres divulgations des antériorités d’API – en d’autres mots, si, en février 1999, Alexion croyait qu’elle avait déjà divulgué au public la séquence complète de l’éculizumab, elle aurait pensé qu’elle n’avait pas besoin de divulguer séparément la séquence, et le renvoi dans Hillmen 2004 à Thomas 1996 avait probablement un autre objectif. Troisièmement, l’enregistrement au CAS offre à la personne versée dans l’art une autre voie (Tessier, P‑29, para 162), qui n’a été compliquée qu’en raison des propres erreurs d’API, lesquelles auraient pu être corrigées si cette personne s’était renseignée auprès du CAS ou d’API. Quatrièmement, compte tenu de la possibilité que la séquence soit corrigée, l’enregistrement est pertinent pour savoir si, en droit, la bonne séquence de l’éculizumab fait réellement partie de l’art antérieur. Enfin, il est pertinent pour le marché inhérent à l’octroi du brevet et la question de savoir si API devrait conserver la protection dont elle jouit à l’égard d’une séquence qu’elle avait l’intention de divulguer au public.
[177] Toutefois, certaines de ces affirmations sont de nature conjecturale (la deuxième raison invoquée) ou soulèvent des arguments qui vont plus loin que les affirmations d’Amgen (les quatrième et cinquième raisons invoquées). Par exemple, la défense d’Amgen ne contient plus d’allégation fondée sur le paragraphe 53(1) ni d’argument fondé sur l’antériorité en ce qui concerne l’enregistrement au CAS puisque ces éléments ont été retirés par la modification de l’acte de procédure. Amgen n’a pas non plus invoqué de fondement juridique à l’appui de sa cinquième affirmation (voir aussi Rovi Guides, Inc c Videotron Ltée, 2024 CAF 125 au para 82).
[178] Je suis d’accord que la preuve indique qu’API voulait divulguer au public la séquence de l’éculizumab dès 1999 (P‑31, onglets 1A, 1C). Cependant, en déposant une séquence erronée, elle ne l’a pas fait.
[179] Même si M. Tessier a reconnu que la personne versée dans l’art aurait pu se renseigner auprès du CAS ou d’API concernant la séquence (Tessier CI, TT (5B) 18:1‑20:20), aucun des experts n’était d’avis qu’elle l’aurait fait. Au contraire, tous les experts étaient d’avis que la séquence comportait une erreur importante et qu’ils ne se seraient pas attardés à cette séquence et auraient consulté d’autres documents de l’art antérieur (Bertelli CI, TT 591‑2‑7, 596:11‑22; Tessier, P‑29, para 178, 232; Casadevall, P‑24, para 443).
[180] Chacun des experts a indiqué que certaines parties de la séquence de la région constante de la chaîne lourde (CH1 et charnière) auraient été reconnaissables en tant que parties provenant de l’isotype IgG2, tandis que d’autres parties des régions constantes de la chaîne lourde CH3 et CH4 étaient caractéristiques de l’IgG4 (Bertelli, P‑19, alinéa 214 c); Bertelli CI, TT 594:6‑19; Tessier, P‑29, para 149 et 178; Tessier CI, TT (5B) 17:1‑13, 22‑18:6). Comme l’a admis M. Tessier, cela aurait indiqué à la personne versée dans l’art que l’éculizumab pouvait avoir une chaîne lourde hybride IgG2/G4 (Tessier, P‑29, para 178; Tessier CI, TT (5B)18:1‑24), rendant ainsi, à mon avis, des références comme Tacken 2005 plus pertinentes. Toutefois, la preuve n’établit pas que la personne versée dans l’art serait parvenue aux séquences de la revendication 1 du brevet 810 en utilisant uniquement l’enregistrement au CAS.
[181] Même s’il a soutenu en contre-interrogatoire que, si les erreurs de l’enregistrement au CAS étaient supprimées, la personne versée dans l’art aurait disposé de la séquence de la région constante de la chaîne lourde de l’éculizumab, M. Bertelli a dû admettre qu’il n’avait pas identifié les erreurs précises de la séquence, ni effectué de comparaison de la séquence figurant dans l’enregistrement au CAS avec les séquences du brevet 810, ni effectué un examen de la région variable (Bertelli CI, TT 594:25‑596:22).
[182] M. Tessier, qui a effectué cette comparaison, a décrit les différences dans la chaîne lourde comme étant [traduction] « importantes »
et a noté d’autres différences avec la séquence de la chaîne légère. Il doutait que la personne versée dans l’art soit en mesure d’identifier toutes les erreurs, en particulier en raison de la structure hybride possible de la chaîne lourde. Selon lui, la personne versée dans l’art devrait créer différentes versions de l’anticorps avec diverses insertions, délétions et substitutions afin de mieux évaluer la séquence (Tessier, P‑29, para 179‑180).
[183] En fait, la preuve dont je disposais était insuffisante en ce qui concerne la quantité de travail qui aurait été nécessaire pour parvenir, à partir de l’enregistrement au CAS (contenant des erreurs), aux séquences revendiquées dans le brevet 810, et rien ne me permet de conclure que la personne versée dans l’art aurait effectué des démarches en ce qui concerne l’enregistrement au CAS pour obtenir la séquence corrigée.
[184] Comme l’a souligné Alexion, l’analyse de l’évidence vise à déterminer ce que la personne versée dans l’art aurait fait à la lumière de l’état de la technique et de ses connaissances générales courantes. L’établissement de ce qu’elle aurait pu faire ne suffit pas (Usinage, au para 33).
[185] En ce qui concerne la publication WO971, il n’y a pas de lien direct entre la région constante de chaîne lourde hybride IgG2/G4 utilisée dans les anticorps de cette étude et l’éculizumab. Cependant, comme l’a fait remarquer M. Bertelli, Tacken 2005 cite l’article connexe Mueller 1997 et indique que le contrôle éculizumab h5G1.1 utilisé dans Tacken 2005 possède la même région constante de chaîne lourde hybride IgG2/G4 que la région constante IgG2/G4 dont il était question dans Mueller 1997 (Bertelli RI, TT 604:19‑605:6).
[186] La preuve relative à Tacken 2005 était mince, mais je suis d’avis que la personne versée dans l’art aurait découvert cet article, qui fait spécifiquement référence à l’éculizumab (quoique le mot y soit mal orthographié), en faisant des recherches sur l’éculizumab. À partir de Tacken 2005 et de l’enregistrement au CAS, il aurait été raisonnable pour la personne versée dans l’art de croire que la région constante de la chaîne lourde de l’éculizumab faisait au moins l’objet d’essais en tant qu’hybride IgG2/G4.
[187] Toutefois, cette conclusion ne permet toujours pas de savoir si la personne versée dans l’art aurait été menée à la publication WO971, étant donné que Tacken 2005 cite Mueller 1997 et non la publication WO971, ni si elle aurait été menée à lire la publication WO971 conjointement avec le brevet américain 245, étant donné que Tacken 2005 cite aussi Thomas 1996 et non le brevet américain 245.
[188] De plus, Mueller 1997 et la publication WO971 font référence à un système d’anticorps différent qui ne teste pas la liaison avec C5 (Tessier CI, TT 1053:5‑19). Bien qu’un contrôle h5G1.1 comprenant une chaîne lourde IgG2/G4 ait été utilisé dans la publication WO971, il n’est pas indiqué que ce contrôle a une activité anti-C5. La publication WO971 indique uniquement que le contrôle h5G1.1 IgG4 a cette fonction (Tessier, P‑29, para 100 et 227; Tessier CI, TT 1054:10‑1055:6).
[189] Selon M. Bertelli, les antériorités d’API portant sur la région constante de la chaîne lourde hybride IgG2/G4 (à savoir Mueller, WO971, Tacken 2005, WO158, WO809) montrent que la région constante hybride n’entrave pas la fonction anticorps (Bertelli, P‑19, para 215; Bertelli IP, TT 459:16-461:11). M. Bertelli a toutefois admis que les données sur la liaison de ces publications sont muettes en ce qui concerne l’impact de la région constante de la chaîne lourde hybride sur la liaison avec C5 (Bertelli CI, TT 545:15‑25, 552:20-24, 568:11-16, 575:8-15, 576:18‑20).
[190] À son avis, la personne versée dans l’art aurait préféré produire un anticorps IgG2/G4 plutôt qu’un anticorps IgG4, parce qu’elle aurait su que cet anticorps était complètement dépourvu de fonction effectrice (Bertelli IP, TT 445:21‑446:18; voir aussi Bertelli, P‑19, para 216‑221), ce qui, comme il est indiqué dans la publication WO809, offre des avantages supplémentaires comme [traduction] « la réduction de la capacité de l’anticorps à déclencher des événements inflammatoires tels que l’activation cellulaire, la libération des cytokines et l’activation du complément »
(WO809, P‑19, CF297, p 11; Bertelli, P‑19, para 220). Cependant, encore une fois, il ne pouvait citer d’exemples d’anticorps anti‑C5 dont l’effet sur la fonction effectrice a été étudié conjointement avec l’inhibition du complément.
[191] Même si j’acceptais que la personne versée dans l’art aurait tenu compte de la séquence pour la région constante des chaînes lourdes IgG2/G4 dans la publication WO971 en plus de la région constante IgG4, Amgen doit tout de même établir que la personne versée dans l’art serait arrivée aux séquences revendiquées dans la revendication 1 du brevet 810. Pour ce faire, cette personne doit non seulement trouver la région constante de chaîne lourde IgG2/G4 à partir de la publication WO971, mais aussi combiner cette séquence avec la SEQ ID NO:20 du brevet américain 245.
[192] Sur ce dernier point, Amgen s’appuie sur la notation commune donnée à la molécule de contrôle h5G1.1 dans la publication WO971 (CO12), qui a également été utilisée pour décrire le fragment de l’exemple 11(12) et la SEQ ID NO:20 dans le brevet américain 245 (Bertelli, P‑19, para 185, 193).
[193] Selon M. Bertelli, en raison de la terminologie commune, la personne versée dans l’art aurait compris que les régions variables h5G1.1 CO12 (chaîne lourde et légère) utilisées dans la publication WO971 sont identiques aux régions variables humanisées 5G1.1 CO12 (chaîne lourde et légère) dans la SEQ ID NO:20 du brevet américain 245 (Bertelli, P‑19, para 194). La SEQ ID NO:20 aurait donc fourni à la personne versée dans l’art les séquences des régions variables des chaînes lourdes et légères de 5G1.1 scFv CO12 à combiner avec la séquence de la région constante de la chaîne lourde IgG2/G4 de la publication WO971 (Bertelli, P‑19, para 196), ce qui aurait pu être accompli au moyen de techniques de clonage courantes. (Bertelli, P‑19, para 196-199).
[194] Comme l’a admis Amgen, pour arriver à la séquence complète de la revendication 1 du brevet 810, la personne versée dans l’art doit faire un lien au moyen de la notation « CO12 »
utilisée dans la publication WO971. Cependant, je suis d’accord avec Alexion : sans plus de renseignements établissant un lien entre la notation CO12 dans la publication WO971 et le fragment de l’exemple 11(12) dans le brevet américain 245 et sa séquence, un tel lien n’aurait pas été fait.
[195] Premièrement, la notation CO12, en soi, n’aurait pas frappé la personne versée dans l’art. L’art antérieur a eu recours à de nombreuses désignations pour des anticorps et des fragments humanisés. Comme l’a fait remarquer M. Casadevall, il n’y a aucun enseignement dans la publication WO971 en ce qui a trait à la désignation « CO12 »
(Casadevall, P‑24, para 373) et aucun des experts n’a été en mesure d’expliquer de façon concluante ce qu’elle signifie (Bertelli IP, TT 439:23-440:16; Casadevall IP, TT 848:24-849:3).
[196] Deuxièmement, les personnes œuvrant dans le domaine utilisent parfois la même terminologie pour désigner des anticorps et des fragments d’anticorps très différents (Tessier, P‑29, para 228). En l’absence d’un lien précis à une séquence dans le brevet américain 245, la personne versée dans l’art aurait été incapable de déterminer si la séquence de l’anticorps dans la publication WO971 avait un lien quelconque avec les fragments décrits dans le brevet américain 245 et, en particulier, avec le fragment de SEQ ID NO:20 (Casadevall, P‑24, para 373).
[197] À mon avis, la Cour ne dispose pas de preuve claire et convaincante que la personne versée dans l’art aurait été dirigée vers la séquence SEQ ID NO:20 de l’exemple 11(12) du brevet américain 245. L’importance que M. Bertelli accorde à la notation CO12 vient après coup.
[198] De plus, Amgen ne m’a pas convaincue qu’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art de combiner une séquence particulière du brevet américain 245 avec la région constante IgG2/G4 de la publication WO971.
[199] Je suis d’accord avec Alexion : étant donné le nombre de variantes divulguées dans le brevet américain 245 et Thomas 1996, même si la personne versée dans l’art souhaitait précisément créer un anticorps comprenant une région constante IgG2/G4, de nombreuses options s’offraient à elle, et cette personne ne disposait pas d’éléments particuliers lui permettant d’avoir une idée du temps que prendraient les essais, de la difficulté qu’ils présenteraient et des résultats qu’elle pourrait s’attendre à obtenir.
[200] Comme l’a souligné M. Tessier, le brevet américain 245 n’aborde pas l’activité anti‑C5 d’anticorps humanisés de pleine longueur, et les données qu’il présente auraient été comprises comme se limitant aux anticorps non humanisés et aux fragments d’anticorps (Tessier, P‑29, para 161; P‑7, CF51, col 9:44‑64). Par conséquent, la personne versée dans l’art n’aurait reçu aucune indication précise quant à la séquence à mettre à l’essai parmi toutes celles disponibles selon la fonctionnalité ou la présence éventuelle d’une activité anti‑C5 lorsqu’elle est construite avec une région constante de chaîne lourde hybride IgG2/G4 (Tessier, P‑29, para 181, 211; Tessier IP, TT 904:11‑905:15). De plus, comme l’a expliqué M. Tessier, même si la personne versée dans l’art était capable d’identifier les régions VH et VL d’une molécule scFv pour les combiner aux régions constantes respectives, la combinaison d’une telle séquence avec une région constante de chaîne lourde hybride n’était ni courante ni simple. Par conséquent, il est difficile de dire si cette procédure aurait réussi et si l’activité souhaitée aurait été obtenue (Tessier CI, TT 1013:15‑1014:20).
[201] Il est vrai que les prétentions d’Amgen sont fondées sur un dossier écrit. Toutefois, il faut faire trop de liens à faire et combler trop de lacunes pour que la Cour puisse conclure à l’existence d’une voie claire menant à l’invention revendiquée.
[202] Compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne puis conclure qu’Amgen s’est acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que la revendication 1 du brevet 810 était évidente.
[203] Comme le litige au sujet de la revendication 2 du brevet 810 est tributaire des conclusions que j’ai tirées au sujet de la revendication 1, je suis également d’avis que la revendication 2 n’est pas évidente.
IX. Conclusion
[204] Pour tous ces motifs, Amgen n’a pas établi que les revendications 1 et 2 du brevet 810 sont invalides pour cause d’antériorité ou d’évidence.
[205] Par conséquent, l’action sera accueillie en ce qui concerne les revendications 1 et 2 du brevet 810 et les demanderesses obtiendront un jugement déclarant qu’il y a contrefaçon ainsi qu’une injonction interdisant à Amgen de fabriquer, d’exploiter et de vendre son produit au Canada avant la date d’expiration du brevet 810. Prenant acte du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale le 9 janvier 2025 dans l’affaire JAMP Pharma Corporation c Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd. (A-306-24), jugement qui modifie la décision de la Cour fédérale dans cette affaire, j’accorderai l’injonction sous réserve de toute entente à laquelle consentiraient par écrit les demanderesses.
[206] Alexion a également sollicité une ordonnance par laquelle elle obtiendrait, à son choix, la remise ou la destruction de tous les produits d’Amgen à base d’éculizumab, notamment [traduction] « tout produit intermédiaire, tout produit en vrac et tout produit fini [...] en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’Amgen »
qui pourrait aller à l’encontre de l’injonction demandée. Je souligne qu’une telle ordonnance ne peut pas viser un produit qui ne constituerait pas par ailleurs une contrefaçon aux termes de la Loi sur les brevets, comme un produit qui relèverait du paragraphe 55.2(1) de cette loi. Étant donné qu’Amgen ne s’est pas opposée à l’inclusion d’une telle mesure dans le jugement si Alexion obtenait gain de cause, et vu le paragraphe 6(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), je suis d’avis que rien ne justifie la Cour de refuser cette demande. Par conséquent, le jugement de la Cour comprendra la mesure sollicitée, laquelle est assujettie à la réserve énoncée ci‑dessus.
X. Dépens
[207] Comme Alexion a eu gain de cause, elle aura droit à ses dépens. Les parties ont informé la Cour qu’elles se sont entendues sur le montant. Par conséquent, les dépens seront adjugés conformément à cette entente.
XI. Loi sur les langues officielles
[208] Compte tenu du délai d’interdiction de 24 mois prévu à l’alinéa 7(1)d) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), la présente décision aura, au moment où elle sera rendue, une incidence sur les parties. Comme j’estime que la présente décision tombe sous le coup de l’alinéa 20(1)a.1) de la Loi sur les langues officielles, SRC 1985, c 31 (4e supp), je suis d’avis que l’alinéa 20(2)b) de cette loi s’applique et qu’il convient de rendre immédiatement la décision en anglais (la langue dans laquelle l’affaire a été plaidée et entendue) et de rendre dans les meilleurs délais la traduction française.
JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-1094-23 ET T-1095-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
-
L’action est accueillie en ce qui concerne les revendications 1 et 2 du brevet canadien no 2,645,810 [le brevet 810].
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La fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de BEKEMV (éculizumab pour injection) comme solution parentérale de 30 mL (10 mg/mL) [le produit d’Amgen] par Amgen Canada Inc. [Amgen] conformément aux présentations de drogue nouvelle nos 263132 et 273714 contreferait directement ou indirectement les revendications 1 et 2 du brevet 810.
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Sous réserve de toute entente à laquelle consentiraient par écrit les demanderesses, la Cour interdit, jusqu’au 15 mars 2027 – date de l’expiration du brevet 810 –, à Amgen, ainsi qu’à ses filiales et sociétés affiliées, dirigeants, administrateurs, employés, mandataires, licenciés, successeurs, cessionnaires et toute autre personne sur qui Amgen exerce une autorité légitime, de se livrer aux activités suivantes :
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fabriquer, construire, exploiter ou vendre le produit d’Amgen au Canada;
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mettre en vente, commercialiser ou faire commercialiser le produit d’Amgen au Canada;
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importer, exporter, distribuer ou faire distribuer le produit d’Amgen au Canada;
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autrement contrefaire ou inciter des tiers à autrement contrefaire le brevet 810.
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Il est enjoint à Amgen de remettre aux demanderesses ou de détruire sous serment, au choix de ces dernières, tous ses produits à base d’éculizumab, notamment tout produit intermédiaire, tout produit en vrac et tout produit fini à base d’éculizumab en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde ne faisant pas l’objet d’une exception à la contrefaçon visée par la Loi sur les brevets qui irait à l’encontre de l’injonction énoncée au paragraphe 3.
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Les dépens, du montant convenu par les parties, sont adjugés aux demanderesses.
« Angela Furlanetto »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIERS : |
T-1094-23 ET T-1095-23 |
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INTITULÉ : |
ALEXION PHARMACEUTICALS, INC., ET ALEXION PHARMA INTERNATIONAL OPERATIONS LIMITED c AMGEN CANADA INC. |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
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DATES DE L’AUDIENCE : |
DU 27 JANVIER 2025 AU 31 JANVIER 2025 ET LE 14 FÉVRIER 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE FURLANETTO |
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS : |
LE 28 AVRIL 2025 |
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS : |
LE 12 MAI 2025 |
COMPARUTIONS :
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Marian Wolanski Megan Pocalyuko Kelly Zhang Mimoza Gjelaj |
POUR LES DEMANDERESSES |
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Jason Markwell Dino Clarizio Rebecca Crane David Park |
POUR LES DEMANDERESSES |
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Vincent de Grandpré Emily Kettel Benjamin Reingold Jasmine Godfrey Nyrie Israelian |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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BELMORE NEIDRAUER LLP Avocats Toronto (Ontario) |
pour les demanderesses |
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MARKWELL CLARIZIO LLP Avocats Toronto (Ontario) |
pour les demanderesses |
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BENNETT JONES LLP Avocats Toronto (Ontario) |
pour la défenderesse |