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Date : 20250606

Dossier : T-116-23

Référence : 2025 CF 1029

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2025

En présence de madame la juge McDonald

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

JENNY FERRIS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Dans la présente requête à laquelle le Canada s’oppose, la représentante demanderesse, Jenny Ferris, demande à la Cour d’autoriser un recours collectif en vertu de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Le recours collectif envisagé est intenté au nom des étudiants de niveau postsecondaire qui ont une invalidité permanente et qui ont accumulé une « dette excessive » par l’application du Programme canadien de prêts aux étudiants (le PCPE). Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que des étudiants ayant une invalidité permanente ont contracté une dette excessive en raison de pratiques discriminatoires dans le cadre du PCPE, ce qui contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 (la Charte).

[2] Le Canada s’oppose à l’autorisation de la présente action comme recours collectif au motif qu’aucune cause d’action raisonnable n’a été divulguée à l’appui de l’allégation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Il soutient également qu’en l’espèce, les conditions de l’autorisation comme recours collectif ne peuvent être remplies.

[3] Dans le cadre d’une requête en autorisation d’un recours collectif, la Cour n’évalue pas le bien-fondé de la demande et n’évalue pas si celle-ci sera accueillie au bout du compte. Il s’agit plutôt, dans le cadre d’une requête en autorisation, de déterminer si l’action, telle que plaidée, peut être instruite sous la forme d’un recours collectif en fonction des exigences des Règles et de la jurisprudence pertinente.

[4] En l’espèce, je suis convaincue que la présente action peut aller de l’avant sous forme de recours collectif avec la représentante demanderesse proposée et la définition proposée du groupe. Je ne suis pas disposée à autoriser la question commune c) telle qu’elle est actuellement formulée relativement à la décision de la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Simpson v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 6465 [Simpson]. À ce point-ci, je ne peux conclure que Simpson lie la Cour compte tenu des faits allégués. Toutefois, j’autoriserai la présente action comme recours collectif à condition que la demanderesse modifie la question commune c) afin de supprimer la référence à la décision Simpson. Sinon, j’autorise le reste des questions communes proposées et je suis convaincue que les conditions de l’article 334.16 des Règles sont remplies.

I. Survol

A. Action

[5] Dans sa déclaration déposée le 12 janvier 2023, Mme Ferris allègue que le PCPE fait preuve de discrimination contre les étudiants de niveau postsecondaire ayant une invalidité permanente en obligeant ces derniers à contracter une « dette excessive » – un terme défini – mais pas les étudiants qui n’ont pas une invalidité permanente. Cette discrimination, soutient-elle, contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte. L’action est intentée au nom de tous les étudiants qui ont contracté des dettes d’études entre le 1er août 1995 et la date de l’autorisation, qui ont une invalidité permanente qui les a menés à prolonger leurs études et qui n’ont pas reçu suffisamment d’aide au remboursement.

[6] Au paragraphe 15 de la déclaration, Mme Ferris affirme que le PCPE fonctionne selon une [traduction] « structure du temps consacré aux études », ce qui signifie que la dette d’un étudiant augmente avec le temps qu’il lui a fallu pour terminer ou tenter de terminer son programme d’études. Selon cette structure, le montant total du prêt d’un étudiant est déterminé par le nombre de semestres nécessaires pour terminer ou tenter de terminer son programme d’études, ce qui signifie une dette plus élevée pour les étudiants qui prennent plus de temps. De plus, le taux d’emprunt augmente lorsqu’un étudiant cesse d’être considéré comme une personne à charge, ce qui se produit quatre ans après l’école secondaire ou deux ans après son entrée sur le marché du travail.

[7] Mme Ferris affirme que la « structure du temps consacré aux études » a une incidence disproportionnée sur les étudiants ayant une invalidité permanente, qui mettent souvent plus de temps à terminer leurs études en raison de leur handicap, ce qui entraîne un endettement excessif.

[8] Le terme « dette excessive » est défini dans la déclaration comme étant [TRADUCTION] « la dette d’études qu’un étudiant n’aurait pas contractée s’il n’avait pas eu une invalidité permanente qui l’a amené à prolonger ses études postsecondaires. Il est entendu que la dette excessive inclut les intérêts ou les pénalités sur les dettes contractées en raison de la prolongation des études postsecondaires ».

[9] L’« invalidité permanente » est définie dans la déclaration comme étant une [TRADUCTION] « limitation fonctionnelle causée par une déficience physique ou mentale qui restreint la capacité d’une personne à accomplir les activités quotidiennes nécessaires pour poursuivre des études au niveau postsecondaire ou à accéder au marché du travail. Cette limitation fonctionnelle devrait durer la vie entière ».

[10] En plus de l’autorisation de l’action comme recours collectif, Mme Ferris cherche à obtenir les réparations suivantes au nom du groupe :

[traduction]

b) une déclaration portant que la dette excessive est inconstitutionnelle parce qu’elle contrevient à l’article 15 de la Charte;

c) une déclaration portant que le groupe n’est pas tenu de payer toute dette excessive impayée, incluant les intérêts ou les pénalités y afférents;

d) des dommages-intérêts en vertu de l’article 24 de la Charte à hauteur de tous les paiements versés par les membres du groupe au Canada ou à l’une des provinces pour rembourser leur dette excessive;

B. Représentante demanderesse proposée

[11] La représentante demanderesse proposée, Jenny Ferris, a fourni des affidavits souscrits le 17 août 2023 et le 30 mars 2024. Elle y a joint des relevés de notes, des renseignements sur les prêts étudiants et des renseignements sur ses études supérieures. Je résume ci-dessous les passages de ses affidavits qui décrivent ses études et la façon dont elle a accumulé une dette excessive.

[12] Mme Ferris est née aveugle. Le 25 octobre 1979, elle a été adoptée en Inde et a déménagé à London, en Ontario, avec sa famille adoptive. Au début de 1981, sa famille a déménagé à Whitehorse, au Yukon, où elle a grandi et fréquenté l’école primaire et secondaire. Elle affirme avoir été la première personne aveugle à obtenir un diplôme d’une école secondaire publique au Yukon.

[13] Mme Ferris a commencé ses études de premier cycle au Collège du Yukon, en septembre 1993. Elle explique qu’en raison du manque de manuels en braille accessibles, elle a dû utiliser des audiocassettes qui sont arrivées tard au cours du semestre. Ce retard a mené à l’échec de tous les cours qu’elle a suivis durant ses deux semestres au Collège du Yukon.

[14] En janvier 1995, Mme Ferris s’est inscrite au Malaspina College, en Colombie‑Britannique, où elle n’avait toujours pas de manuels en braille et où elle devait compter sur la lecture à voix haute de ses camarades de classe en guise d’accommodement. Elle a dû, pour cette raison, réduire sa charge de cours, et prendre cinq semestres d’études pour obtenir 19,50 crédits de transfert, ce qui équivaut à environ trois semestres.

[15] Mme Ferris s’est inscrite à l’Université de Victoria en septembre 1997, où elle pouvait imprimer des versions électroniques de manuels en braille. Elle a toutefois continué de suivre une charge de cours réduite. Elle a obtenu un baccalauréat ès arts en psychologie en 2001 après 18 semestres d’études postsecondaires. La bourse d’entretien du Yukon couvrait 10 semestres, mais elle a dû contracter des prêts étudiants pour les 8 autres semestres, ce qui a entraîné une dette excessive.

[16] De 2001 à 2010, à raison d’un cours par semestre vu son invalidité, Mme Ferris a étudié en administration publique à l’Université de Victoria et a obtenu sa maîtrise. Elle a obtenu son diplôme en juin 2010, après 17 semestres d’études supérieures. Une bourse d’entretien du Yukon a couvert deux semestres, et elle a obtenu des prêts étudiants pour les autres semestres, ce qui a ajouté à la dette excessive. En outre, des pauses dues à la fatigue et à l’épuisement ont fait en sorte que les intérêts sur ses prêts étudiants se sont accumulés.

[17] Le 30 juin 2010, Mme Ferris a commencé à rembourser ses prêts étudiants totalisant 55 887,75 $. Sa demande de remise de dette a été rejetée. Elle a par la suite obtenu des modalités de remboursement prolongées et a été autorisée à ne payer que les intérêts. Mme Ferris allègue que la dette et les intérêts accumulés constituent une dette excessive due à la prolongation de ses études en raison de son invalidité permanente.

[18] Depuis 2023, Mme Ferris travaille à titre d’analyste des politiques au Conseil du Trésor du Canada.

C. Preuve

[19] Outre ses propres affidavits, la demanderesse a déposé les affidavits suivants d’éventuels membres du groupe, qui ont tous une invalidité permanente et une dette envers le PCPE :

a) L’affidavit d’Andrew Fenwick, souscrit le 17 août 2023.

b) L’affidavit de Kinnery Chaparrel, souscrit le 18 août 2023.

c) Les affidavits de Christine Roschaert, souscrits le 18 août 2023 et le 31 mars 2024.

[20] La demanderesse a également déposé des affidavits d’experts :

a) Les affidavits d’Adele Furrie, souscrits le 17 août 2023 et le 19 mars 2024. Les services de Mme Furrie ont été retenus pour fournir une opinion d’expert sur : 1) la question de savoir s’il existe une méthode crédible et plausible permettant de déterminer si le groupe (tel que défini au paragraphe 1.(c) de la déclaration) a subi des répercussions financières en raison de la conduite alléguée; 2) dans l’affirmative, si une telle méthode me permettrait vraisemblablement de quantifier de façon fiable les pertes subies par l’ensemble du groupe d’étudiants ayant une invalidité qui ont accumulé une dette excessive au cours de la période visée, soit du 1er août 1995 jusqu’à la date de l’autorisation; et 3) si les données nécessaires à la mise en œuvre de la méthodologie sont vraisemblablement disponibles.

b) Les affidavits d’Alex Usher, souscrits le 17 août 2023 et le 5 avril 2024. M. Usher est présenté comme un expert en éducation postsecondaire. Il a joint à ses affidavits un rapport dont il est coauteur intitulé The Price of Knowledge (Le prix du savoir), ainsi que de plusieurs autres rapports sur les coûts de l’éducation postsecondaire.

[21] Dans le cadre de la présente requête, le Canada a déposé les éléments de preuve suivants :

a) L’affidavit de Jonathan Wallace, souscrit le 14 février 2024. M. Wallace est directeur général du Programme canadien d’aide financière aux étudiants d’Emploi et Développement social Canada. Il a joint à son affidavit des rapports annuels sur l’application de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants; des examens statistiques supplémentaires liés aux rapports annuels qui fournissent des données détaillées sur les bourses d’entretien, les prêts, les mesures d’aide au remboursement, des copies des « ententes d’intégration » conclues avec plusieurs provinces et une entente d’intégration et d’harmonisation de la structure fédérale-provinciale conclue entre l’Ontario et le Canada.

b) L’affidavit de Dajin Li, souscrit le 14 février 2024. M. Li est gestionnaire de l’équipe d’analyse de l’aide aux étudiants au sein du Programme canadien d’aide financière aux étudiants d’Emploi et Développement social Canada. Son affidavit vise à répondre à l’affidavit de M. Usher.

c) L’affidavit de Nicholas Leclair, souscrit le 14 février 2024. M. Leclair est gestionnaire de la Division des services à la clientèle du Programme canadien d’aide financière aux étudiants d’Emploi et Développement social Canada.

II. Question en litige

[22] La question en litige dans la présente requête est de savoir si la présente action devrait être autorisée comme recours collectif. Le paragraphe 334.16(1) des Règles énonce les cinq conditions qui doivent être réunies pour qu’une action puisse être autorisée à titre de recours collectif :

  1. une cause d’action valable,

  2. un groupe identifiable,

  3. des points de droit ou de fait communs,

  4. le meilleur moyen de régler,

  5. un représentant demandeur.

[23] Lorsque ces cinq conditions sont réunies, le paragraphe 334.16(1) des Règles dispose que la Cour « autorise » l’instance à titre de « recours collectif ».

III. Analyse

A. Considérations concernant la cause d’action valable

[24] Pour déterminer si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable, la Cour n’a pas à évaluer le bien-fondé de la déclaration, mais présume que les faits qui y sont exposés sont véridiques ou susceptibles d’être prouvés. L’autorisation ne sera refusée que si la demande ne peut « manifestement » pas être accueillie (Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 au para 63 [Pro-Sys]). Une demande qui n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie ne satisfera pas à la première condition de l’article 334.16 des Règles (Canada (Procureur général) c Nasogaluak, 2023 CAF 61 au para 18 [Nasogaluak]).

[25] En l’espèce, la demanderesse allègue que le fonctionnement du PCPE est discriminatoire à l’égard des étudiants ayant une invalidité permanente, ce qui amène ces derniers à s’endetter à l’excès. La discrimination en question découle du fait que les étudiants en situation de handicap ont souvent besoin de plus de temps pour terminer leurs études en raison de divers défis liés à leur invalidité, tels que la nécessité de suivre des cours de rattrapage, des cours alternatifs ou spéciaux, et de prendre des pauses pour cause de maladie. Par conséquent, ils accumulent plus de dettes que les étudiants qui n’ont pas d’invalidité.

[26] Selon la déclaration, l’endettement excessif pousse éventuellement les étudiants à abandonner leurs études et, par ricochet, nourrit les stéréotypes sur les capacités intellectuelles, le taux d’emploi, les salaires et le patrimoine moindres. Ces effets préjudiciables exacerbent les désavantages auxquels les personnes en situation de handicap sont déjà confrontées, notamment un niveau de scolarité inférieur, des coûts d’éducation plus élevés et l’inadmissibilité aux bourses d’études. Toujours selon la déclaration, le refus d’annuler la dette excessive crée une discrimination contre les étudiants en situation de handicap, car il empêche ces derniers d’avoir accès à des mesures d’accommodement adaptées à leurs besoins. Il s’agit d’une forme de discrimination par suite d’effets préjudiciables découlant, plus précisément, de déficiences mentales et physiques, qui contrevient ainsi à l’article 15 de la Charte. Voici les arguments avancés aux paragraphes 17 à 23 de la déclaration :

[traduction]

C. Les effets préjudiciables sur les étudiants ayant une invalidité permanente

17. En moyenne, les étudiants ayant une invalidité permanente mettent plus de temps à terminer leur programme d’études. Ce ne sont pas tous les étudiants ayant une invalidité permanente qui prennent plus de temps, mais tous les membres du groupe ont pris plus de temps pour des raisons directement ou indirectement liées à leur invalidité. Ces raisons incluent notamment les suivantes :

a) Cours de rattrapage ou années préparatoires : Certains étudiants ayant une invalidité permanente doivent suivre des cours supplémentaires ou des années préparatoires en raison de leur invalidité permanente. Par exemple, un étudiant dyslexique peut avoir besoin de suivre un cours de rattrapage ou un semestre de lecture avant de commencer d’autres cours. En reportant d’autres cours, il se trouve à prolonger la durée de ses études.

b) Cours alternatifs ou spéciaux : Certains étudiants ayant une invalidité permanente suivent des cours alternatifs ou spéciaux en raison de leur invalidité permanente. Par exemple, un établissement d’enseignement postsecondaire peut offrir un programme enseigné en langue des signes américaine, mais ce programme s’étend sur plus de semestres qu’un programme comparable inaccessible. Par ailleurs, des mesures d’accommodement peuvent être offertes de temps à autre, ce qui oblige les étudiants ayant une invalidité permanente à reporter d’autres cours et à prolonger la durée de leur programme d’études.

c) Pauses pour cause de maladie ou temps de convalescence : Certains étudiants ayant une invalidité permanente peuvent être incapables d’effectuer leurs travaux universitaires pendant un certain temps. Par exemple, un étudiant atteint d’épilepsie, de schizophrénie, de psychose ou de maladie de Crohn peut devoir prendre une pause pendant un épisode ou une poussée. Un étudiant atteint du syndrome du canal carpien, d’arthrite ou de douleurs chroniques peut devoir prendre une pause après un effort physique. Un étudiant atteint du syndrome de fatigue chronique, d’une déficience intellectuelle ou d’une lésion cérébrale acquise peut devoir prendre une pause après un effort mental. Ces étudiants peuvent avoir besoin de suivre moins de cours par semestre pour avoir le temps de prendre de telles pauses, et ils prolongent ainsi la durée de leur programme d’études. Par ailleurs, un étudiant peut, en raison d’une maladie, être contraint d’abandonner sans terminer le semestre. L’échec de l’étudiant à terminer le semestre signifie qu’il doit le redoubler, ce qui prolonge la durée de son programme d’études.

d) Délai d’accès au soutien : Certains étudiants ayant une invalidité permanente peuvent avoir besoin de soutien en raison de leur invalidité, ce qui les oblige à prolonger le temps nécessaire aux travaux de cours. Par exemple, un étudiant sourd ou aveugle peut avoir besoin d’attendre pour étudier ou commencer ses devoirs jusqu’à ce que le matériel de cours lui soit fourni dans un format qu’il peut comprendre. Cette situation est exacerbée par les disponibilités limitées de l’interprète ou par le temps de préparation dont l’interprète a besoin pour comprendre le jargon technique. Ces délais peuvent obliger l’étudiant à suivre moins de cours par semestre, ce qui prolonge la durée de son programme d’études.

e) Délais administratifs dans l’obtention du soutien : Certains étudiants ayant une invalidité permanente qui ont besoin de soutien doivent obtenir ce soutien avant de commencer les cours. Les établissements qu’ils fréquentent peuvent prendre un certain temps avant d’approuver ou de mettre en œuvre ces mesures de soutien, ce qui oblige ces étudiants à repousser leurs cours et, donc, à prolonger la durée de leur programme d’études.

f) Coût du soutien : Certains étudiants ayant une invalidité permanente qui ont besoin de soutien doivent travailler à temps partiel – tout en demeurant étudiants à temps plein pour les besoins du Programme de prêts aux étudiants – pour payer ce soutien. Ils ont ainsi moins de temps à consacrer à leurs études, de sorte qu’ils ne peuvent pas suivre autant de cours par semestre, et ils prolongent ainsi la durée de leur programme d’études.

g) Conséquences de l’impossibilité d’obtenir le soutien : Certains étudiants ayant une invalidité permanente n’arrivent pas à obtenir le soutien dont ils ont besoin et, par conséquent, échouent à un cours et doivent le reprendre. Il s’ensuit que leur programme d’études durera plus longtemps.

18. Ainsi, en moyenne, les étudiants ayant une invalidité permanente se retrouvent avec une dette d’études plus élevée que les étudiants sans invalidité permanente qui se trouvent dans une situation similaire.

19. Dans certains cas, l’endettement excessif oblige les étudiants ayant une invalidité permanente à se retirer de leur programme d’études avant la fin de leurs études, ce qui simultanément accélère le calendrier de remboursement et les prive des diplômes universitaires qui leur auraient permis de gagner suffisamment pour rembourser leur dette d’études. Si ces étudiants décident de reprendre leur programme d’études, le coût des études après la pause sera probablement plus élevé en raison de l’inflation.

20. Dans certains cas, les étudiants ayant une invalidité permanente doivent suivre plus de cours qu’ils ne sont capables de le supporter physiquement, mentalement ou émotionnellement, simplement pour prolonger la période de grâce. Une telle situation peut nuire à leurs résultats universitaires ou à leur santé, et même aggraver leur invalidité.

21. Collectivement, les répercussions décrites aux paragraphes 18 à 20 ci-dessus sont les « effets préjudiciables ».

D. Les effets préjudiciables empirent les désavantages existants

22. Les personnes ayant une invalidité permanente sont confrontées à six importants désavantages existants.

a) Stéréotypes liés à l’intelligence : Les personnes ayant une invalidité permanente sont stigmatisées en raison du stéréotype selon lequel elles ne sont pas aussi intelligentes que les personnes sans invalidité permanente.

b) Faible niveau de scolarité : En moyenne, les personnes ayant une invalidité permanente ont un niveau de scolarité inférieur à celui des personnes sans invalidité permanente, et leur taux de réussite scolaire est en baisse.

c) Droits de scolarité plus élevés : En plus des coûts liés aux mesures de soutien aux personnes handicapées, certains étudiants ayant une invalidité permanente peuvent avoir besoin de fréquenter des établissements d’enseignement spécialisés pour leur propre invalidité, qui sont plus coûteux. Par exemple, les étudiants sourds ne peuvent pas obtenir le même niveau d’accommodement dans une université canadienne qu’à l’université Gallaudet, aux États-Unis, où le coût des études est plus élevé.

d) Inadmissibilité aux bourses d’études : De nombreux prix et bourses d’études ne sont offerts qu’aux étudiants qui poursuivent des études à temps plein. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, certains étudiants ayant une invalidité permanente ne peuvent pas poursuivre d’études à temps plein en raison de leur invalidité.

e) Taux d’emploi et salaires moins élevés : En raison, en partie, du niveau de scolarité plus faible, en moyenne, les personnes ayant une invalidité permanente sont moins susceptibles d’obtenir un emploi et, lorsqu’elles en obtiennent un, leur salaire est inférieur à celui des personnes sans invalidité permanente.

f) Patrimoine moindre : En raison, en partie, de leurs droits de scolarité plus élevés, de leur inadmissibilité aux bourses d’études et de leur taux d’emploi et salaire inférieurs, en moyenne, les personnes ayant une invalidité permanente accumulent un patrimoine moindre au cours de leur vie que les personnes sans invalidité permanente.

23. Les effets préjudiciables que le Programme de prêts aux étudiants cause aux étudiants renforcent ces désavantages et augmentent le vent de face que doivent affronter les personnes en situation de handicap.

a) La dette excessive amplifie les droits de scolarité plus élevés et réduit encore le patrimoine.

b) L’endettement excessif empêche certains étudiants ayant une invalidité permanente de terminer leurs études, les empêche d’utiliser les diplômes universitaires pour contrer les stéréotypes liés à l’intelligence et aggrave les taux peu élevés d’emploi et de salaire. Il réduit également la visibilité des personnes ayant une invalidité permanente dans les corps étudiants des établissements d’enseignement. À leur tour, tous ces effets accroissent les stéréotypes liés à l’intelligence.

c) Certains étudiants ayant une invalidité permanente doivent se surpasser financièrement pour éviter l’endettement excessif, ce qui entraîne une baisse de leur rendement universitaire. Ce fait accentue les stéréotypes liés à l’intelligence, limite la mesure dans laquelle ces étudiants peuvent utiliser les diplômes universitaires pour contrer ces stéréotypes, et aggrave les taux peu élevés d’emploi et de salaire.

d) Certains étudiants ayant une invalidité permanente doivent se surpasser financièrement pour éviter l’endettement excessif, ce qui occasionne des séquelles sur la santé et accroît les frais médicaux pour traiter ces séquelles. Ce fait limite encore davantage l’expansion du patrimoine.

[27] Aux paragraphes 24 à 27 de la déclaration, la demanderesse expose les conclusions auxquelles la cour est arrivée dans la décision Simpson, conclusions selon lesquelles le fonctionnement du Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario (RAFEO) portait atteinte aux droits à l’égalité que le paragraphe 15(1) de la Charte garantit à Mme Simpson. Dans Simpson, la cour a conclu que le fonctionnement du PCPE établissait une distinction fondée sur l’invalidité de la demanderesse, qui avait pour effet d’obliger cette dernière à prendre plus de temps pour terminer ses études postsecondaires et qui, en ne corrigeant pas les effets préjudiciables de cette distinction, perpétuait le désavantage auquel la demanderesse était confrontée en tant que personne en situation de handicap (Simpson, au para 337). La cour a en outre conclu que la violation des droits que le paragraphe 15(1) garantit à Mme Simpson n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte (Simpson, au para 367). La cour a refusé d’ordonner des dommages-intérêts au titre de la Charte, mais a ordonné que les dettes de Mme Simpson découlant de cette application discriminatoire soient annulées et que les sommes que Mme Simpson avait versées lui soient remboursées (Simpson, aux para 382-385).

[28] Aux paragraphes 29 à 47 de la déclaration, la demanderesse décrit en détail ses expériences postsecondaires et le processus de remboursement.

(1) La déclaration révèle-t-elle une cause d’action valable?

[29] L’essence même de la déclaration repose sur le fait que le fonctionnement du PCPE contrevient à l’article 15 de la Charte. Les avocats de la demanderesse affirment que le Canada est lié par les conclusions dans Simpson (parce qu’aucun appel n’a été interjeté) et que, par conséquent, le Canada ne peut pas soutenir en l’espèce que la demande de dommages-intérêts fondée sur la Charte sera rejetée. En réponse, le Canada fait valoir que la jurisprudence sur l’article 15 a évolué depuis la décision Simpson et que, de toute façon, cette décision ne lie pas la Cour.

[30] En fin de compte, l’importance de Simpson dans le présent recours collectif envisagé exigerait l’examen de plusieurs facteurs, y compris les similitudes ou différences factuelles et le dossier de la preuve. Ces considérations dépassent le mandat de la Cour dans le cadre d’une requête en autorisation. Dans la mesure où Simpson porte sur des faits similaires et sur des programmes identiques ou semblables, je reconnais que la décision peut effectivement avoir un caractère persuasif. Toutefois, il est prématuré à ce stade d’évaluer l’incidence ou la valeur de la décision Simpson sur le présent recours collectif. En outre, la demanderesse ne peut simplement invoquer Simpson, pour faire valoir que sa cause d’action valable a en définitive été établie en l’espèce. En fait, la déclaration, telle qu’elle est rédigée, doit en soi suffire pour remplir la condition de la cause d’action valable.

[31] Cela dit, je suis convaincue que la demanderesse a allégué suffisamment de faits substantiels pour démontrer le désavantage fondé sur une distinction et, par extension, une cause d’action valable au titre du paragraphe 15(1) de la Charte, et ce, pour les raisons qui suivent.

[32] Pour établir l’existence d’une cause d’action valable dans le cadre d’une demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte, la demanderesse doit démontrer que la loi ou la mesure de l’État contestée : (i) crée, par son effet, une distinction fondée sur l’un des motifs énumérés ou analogues, y compris les déficiences mentales ou physiques, et (ii) impose un fardeau ou nie un avantage qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage (R c Sharma, 2022 CSC 39 au para 28 [Sharma]). L’effet, au premier volet de ce critère, doit être « disproportionné », car « [t]outes les lois sont censées avoir un certain effet sur les personnes » (Sharma, au para 40).

[33] En ce qui concerne le premier volet du critère à appliquer au titre de l’article 15, la demanderesse affirme que le PCPE crée une distinction fondée sur l’invalidité parce que :

a) le PCPE utilise une « structure du temps consacré aux études », ce qui signifie que les étudiants qui mettent plus de temps à terminer leurs études s’endettent davantage;

b) les étudiants ayant une invalidité permanente mettent souvent plus de temps à terminer leurs études en raison de leur invalidité;

c) ces étudiants sont donc plus susceptibles d’accumuler une dette plus élevée (« dette excessive ») que les étudiants n’ayant aucune invalidité dans des situations similaires.

[34] Le Canada soutient que l’arrêt Sharma impose une exigence plus stricte au premier volet du critère visant le paragraphe 15(1), qui consiste à savoir si la loi ou la mesure de l’État contestée « a créé un effet disproportionné […] ou y a contribué » (Sharma, au para 45). Le Canada se concentre sur ce paragraphe de l’arrêt Sharma pour soutenir que le PCPE n’a pas créé la dette excessive des étudiants handicapés et n’y a pas contribué non plus. Le Canada soutient plutôt que l’endettement excessif est créé par les structures de financement établies par les établissements d’enseignement postsecondaire, qui exigent un paiement par cours ou par semestre, et non par programme.

[35] À la lumière de mon examen de l’arrêt Sharma, je ne peux accepter qu’il impose un fardeau de preuve plus lourd à l’égard du premier volet du critère à appliquer au titre du paragraphe 15(1). Au paragraphe 33 de l’arrêt Sharma, la Cour suprême déclare ce qui suit : « […] nous ne modifions pas le critère à deux volets applicable à l’analyse fondée sur le par. 15(1). Nous cherchons plutôt à rendre son application plus claire et prévisible […] ».

[36] Selon moi, l’arrêt Sharma exige la preuve d’un lien de causalité entre la loi ou la mesure contestée et le préjudice – en l’espèce, la « dette excessive ». Je note par ailleurs qu’au paragraphe 49 de l’arrêt Sharma, la Cour suprême déclare que, pour réaliser concrètement la promesse du paragraphe 15(1), « il ne devrait pas être indûment difficile pour le demandeur de s’acquitter de son fardeau de preuve ».

[37] À la lumière des faits plaidés, j’estime qu’il est raisonnable d’inférer un lien de causalité entre le fonctionnement du PCPE et le désavantage allégué par les étudiants en situation de handicap. La question de savoir si ce lien sera finalement établi sera tranchée sur le fond, après l’autorisation. À ce stade, la seule question est de savoir s’il est évident et manifeste qu’un tel lien n’existe pas. Tel n’est pas le cas. La demanderesse a invoqué suffisamment de faits substantiels pour étayer la distinction fondée sur l’invalidité et satisfait au premier volet de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1).

[38] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, soit la question de savoir si la distinction mène à un désavantage, la demanderesse soutient que la distinction établie par le PCPE entraîne pour les étudiants ayant une invalidité permanente des désavantages importants, notamment :

a) sur le plan économique, elle a pour effet d’empêcher certaines personnes ayant une invalidité permanente d’obtenir un diplôme d’études postsecondaires, ce qui limite leurs perspectives d’emploi;

b) elle a pour effet de réduire l’accès des personnes ayant une invalidité permanente à l’enseignement supérieur et au marché du travail;

c) elle a pour effet de renforcer les stéréotypes préjudiciables selon lesquels les personnes ayant une invalidité permanente sont moins instruites et plus susceptibles de faire partie de la population inactive.

[39] Le Canada soutient que le PCPE ne renforce pas, ne perpétue pas et n’exacerbe pas le « désavantage » parce qu’il ne prive pas les étudiants en situation de handicap d’un avantage ou n’impose pas un fardeau aux étudiants en situation de handicap par rapport aux étudiants qui n’ont pas de handicap. Selon lui, le PCPE offre plutôt des avantages spéciaux aux étudiants en situation de handicap sous forme de bourses d’entretien et de mesures d’aide au remboursement qui ne sont pas offertes aux autres étudiants. Je reconnais que les bourses d’entretien et les mesures d’aide au remboursement peuvent atténuer l’impact du PCPE sur les étudiants en situation de handicap, mais cette aide peut ne pas être suffisante pour éliminer l’endettement excessif. En outre, la Cour ne saurait examiner cette question qu’à la lumière d’un dossier de preuve complet, ce n’est donc pas son rôle dans le cadre d’une requête en autorisation.

[40] Au vu des faits exposés dans la déclaration, je suis convaincue que la demanderesse a établi une cause d’action valable en ce qui concerne la demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte.

[41] Enfin, en ce qui concerne l’exigence relative à l’existence d’une cause d’action valable, le Canada fait valoir que la demande ne peut pas être instruite parce que la demanderesse devrait poursuivre les provinces, puisque le Canada n’a pas le pouvoir d’annuler la part provinciale des prêts aux étudiants. Il note que, dans l’affaire Simpson, la demanderesse a obtenu un recouvrement contre la province de l’Ontario.

[42] Dans la déclaration, seul le Canada est désigné comme défendeur. Au paragraphe 8 de la déclaration, la demanderesse affirme ce qui suit :

[traduction]

Dans chaque province, le Programme de prêts aux étudiants est financé et administré conjointement par le Canada et la province concernée, de sorte qu’il s’agit d’un seul régime unifié dont les deux ordres de gouvernement sont entièrement responsables.

[43] Je comprends que la demanderesse s’appuie sur la nature « unifiée » du PCPE et sur la responsabilité conjointe du Canada et des provinces pour gérer la part provinciale de la dette. Si elle ne parvient pas à établir la responsabilité conjointe du Canada, le recouvrement, le cas échéant, se limitera seulement à la part du gouvernement fédéral. Je ne considère pas qu’il s’agisse d’une question liée à la viabilité de l’action contre le Canada, en ce sens qu’il faut démontrer qu’il n’y a pas de cause d’action contre le Canada, mais plutôt d’une question qui, en fin de compte, porte sur la possibilité de récupérer du Canada toute part provinciale du PCPE.

[44] Dans l’ensemble, je suis convaincue que la déclaration révèle une cause d’action valable.

B. Groupe identifiable

[45] Pour ce qui est des quatre autres conditions d’autorisation, à savoir le groupe identifiable, les points de droit et de fait communs, le meilleur moyen de régler et la qualité de représentant demandeur, il incombe à la demanderesse de fournir une preuve établissant l’existence d’un « certain fondement factuel » montrant que ces conditions sont remplies (Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 [Greenwood] au para 94). Ce fardeau de la preuve est inférieur à celui de la prépondérance des probabilités, étant donné que ce n’est pas à l’étape de la requête en autorisation qu’il convient de se prononcer sur les contradictions dans les éléments de preuve. Cette norme moins rigoureuse oblige néanmoins le demandeur à produire suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre le juge saisi de la requête en autorisation que les exigences relatives à l’autorisation sont remplies de telle sorte que l’instance devrait être autorisée à suivre son cours (Pro-Sys, aux para 102‑105).

[46] En ce qui concerne le groupe identifiable, la demanderesse doit établir un certain fondement factuel montrant qu’il existe un groupe identifiable constitué d’au moins deux personnes. Les recours collectifs nécessitent un groupe identifiable de sorte que l’on puisse déterminer les personnes qui ont droit à un avis, qui peuvent avoir droit à une réparation et qui peuvent être liées par un jugement. L’identification des membres du groupe doit être fondée sur des critères objectifs, ne doit pas dépendre de l’issue du litige et doit avoir un lien rationnel avec les questions communes (Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 au para 17). De plus, il n’est pas nécessaire que les membres du groupe se trouvent dans une situation identique entre eux, mais tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action (Pro-Sys au para 108).

[47] En l’espèce, le groupe proposé par la demanderesse est défini ainsi dans la déclaration :

c) « groupe » désigne tous les étudiants qui :

(i) ont contracté une dette d’études entre le 1er août 1995 et la date d’autorisation de la présente action à titre de recours collectif;

(ii) ont une invalidité permanente qui les a amenés à prolonger leurs études postsecondaires;

(iii) n’ont pas reçu suffisamment d’aide au remboursement pour compenser leur dette excessive.

[48] La définition ci-dessus est formulée de façon objective et indique clairement que, pour être membre du groupe, une personne doit prouver : a) qu’elle a contracté un prêt auprès du PCPE; b) qu’elle est atteinte d’une invalidité permanente; c) que l’invalidité permanente l’a amené à prolonger son programme d’études; et d) qu’elle a, par conséquent, accumulé une dette excessive. Il s’agit là de critères objectifs qui ont un lien rationnel avec les questions communes.

[49] Le Canada soutient que la définition du groupe « touche au fond du litige » et que la Cour serait tenue de déterminer individuellement si les droits que le paragraphe 15(1) garantit à chaque membre du groupe ont été violés. Autrement dit, il serait nécessaire de rendre une décision sur les revendications de chaque membre du groupe comme condition préalable à l’établissement de l’appartenance au groupe (Frohlinger c Nortel Networks Corporation, 2007 CanLII 696 (ONSC).

[50] Même si elle touche au fond du litige, comme l’allègue le Canada, la définition n’est pas inacceptable pour autant. Notre Cour a autorisé des définitions de groupes touchant au fond du litige dans les décisions Heyder c Canada (Procureur général), 2019 CF 1477 [Heyder] et Thomas c Canada (Procureur général), 2024 CF 655 [Thomas]. Dans l’affaire Heyder, la définition du groupe autorisée exigeait que les membres du groupe établissent qu’ils avaient été « victimes d’inconduite sexuelle ». Dans l’affaire Thomas, la Cour note que « la Cour a autorisé des définitions de groupe qui renvoient au fond du litige » tant que l’élément touchant au fond du litige « ne dépend pas de l’issue en tant que telle » (Thomas, au para 105). Dans la décision Tippett c Canada, 2019 CF 869, la Cour est allée encore plus loin en autorisant une définition du groupe selon laquelle les membres du groupe devaient démontrer qu’ils avaient « subi des préjudices en raison d’agressions sexuelles, de violences physiques ou de harcèlement ».

[51] Je suis convaincue que la définition du groupe est établie de façon objective. Je note que la preuve par affidavit expose en détail les expériences factuelles de quatre personnes ayant une invalidité permanente qui ont mis plus de temps à terminer leurs études postsecondaires. Ces particuliers satisfont aux exigences de la définition du groupe proposée ci-dessus. À mon avis, il existe un fondement probatoire qui étaye un certain fondement factuel en faveur d’un groupe identifiable.

[52] Le Canada soutient qu’il n’y a aucun fondement factuel à fixer la date de début au 1er août 1995, mais la demanderesse fait remarquer qu’il s’agit de la date d’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants, LC 1994, c 28, et du Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, DORS/05-329. En janvier 1995, Mme Ferris s’est inscrite à des études postsecondaires au Malaspina College, en Colombie-Britannique. Dans son affidavit du 17 août 2023, elle explique de la façon suivante comment ses études ont été retardées :

[traduction]

17. Au Malaspina College, je n’avais toujours pas accès aux manuels en braille et les audiocassettes de mes manuels ne sont arrivées qu’une fois le semestre bien entamé. Pour compenser le retard dû aux audiocassettes, certains de mes camarades de classe ont été payés pour lire à voix haute les manuels, en personne, ce qui m’a permis de prendre des notes généralement au même rythme que le cours. Cependant, cela ne m’a pas permis d’étudier de manière indépendante ou à mon propre rythme. J’ai dû m’en remettre à mes camarades et m’adapter à leurs horaires.

18. Lorsque j’ai finalement reçu les audiocassettes de mes manuels, j’ai pu étudier de manière indépendante. Toutefois, la lecture des manuels par mes camarades et les audiocassettes de manuels scolaires ne sont pas des mesures d’accommodement adéquates. Si j’avais reçu des manuels en braille, j’aurais été en mesure de parcourir les documents et de déterminer ce qui était pertinent et ce qui ne l’était pas. Au lieu de cela, j’ai dû écouter, ou me faire lire, des manuels entiers, ce qui prenait beaucoup de temps. Par conséquent, je n’ai pas eu d’autre choix que de suivre une charge de cours réduite.

19. Au total, j’ai passé cinq semestres au Malaspina College. En avril 1997, j’avais obtenu 19,50 crédits de transfert, soit l’équivalent d’environ trois semestres.

[53] Étant donné que Mme Ferris était inscrite à des études postsecondaires en 1995, je suis convaincue que son témoignage fournit un « certain fondement factuel » pour la date de début du recours collectif, soit le 1er août 1995. Elle explique comment son invalidité l’a amenée à prolonger ses études, et je reconnais que la prolongation des études est corrélée à l’accumulation de dettes d’études.

[54] Enfin, en ce qui concerne l’exigence du « groupe identifiable », le Canada fait valoir que les réclamations proposées, y compris celle de la représentante demanderesse, sont frappées par le délai de prescription de six ans prévu par la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50. Il soutient que Mme Ferris a contracté des dettes de 1997 à 2009 et que sa demande de dommages-intérêts est donc prescrite, car elle excède le délai de prescription de six ans prévu à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, qui est ainsi libellé :

Règles applicables

32 Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

Provincial laws applicable

32 Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

[55] La position du Canada sur le délai de prescription ne tient pas compte du fait que la « possibilité de découvrir » s’applique à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Comme l’a noté la Cour suprême, « le demandeur découvre les faits à l’origine de sa réclamation lorsqu’il a une connaissance, réelle ou imputée, des faits importants permettant d’inférer plausiblement la responsabilité du défendeur » (Grant Thornton LLP c Nouveau-Brunswick, 2021 CSC 31 au para 42). Par conséquent, la question du délai de prescription applicable en l’espèce n’est pas nécessairement la date à laquelle la dette a commencé à s’accumuler, mais plutôt le moment où le demandeur a une connaissance réelle ou présumée d’une réclamation. Cette analyse nécessite l’examen de circonstances individuelles et, peut-être, d’éléments de preuve qui dépassent les questions à trancher dans le cadre d’une requête en autorisation.

[56] Je suis convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que la demanderesse a présenté un certain fondement factuel permettant d’établir l’existence d’un groupe identifiable et que cette condition d’autorisation est respectée.

C. Points de droit ou de fait communs

[57] Au paragraphe 108 de l’arrêt Pro-Sys, la Cour suprême explique ainsi le critère applicable aux points de droit ou de fait communs :

1) Il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet.

2) Une question n’est « commune » que lorsque son règlement est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres du groupe.

3) Il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse.

4) Il n’est pas nécessaire que les questions communes l’emportent sur les questions non communes. Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif. Le tribunal évalue l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles.

5) Le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous. Tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action, mais pas nécessairement dans la même proportion.

[58] Au paragraphe 78 de l’arrêt Jensen c Samsung Electronics Co Ltd, 2023 CAF 89, la Cour d’appel fédérale a précisé que « le critère quant à l’existence d’“un certain fondement factuel” compte deux composantes lorsqu’il s’agit d’évaluer les questions communes. Premièrement, les membres du groupe proposé doivent avoir une réclamation ou, à tout le moins, une preuve minimale à l’appui de la réclamation. Deuxièmement, ils doivent avoir une preuve que la question commune est telle que sa résolution est nécessaire pour le règlement de la réclamation de chaque membre du groupe ».

[59] Dans sa requête, la demanderesse propose les questions communes suivantes concernant la responsabilité :

a) Le PCPE, plus particulièrement sa structure du temps consacré aux études, a-t-il pour effet de discriminer contre les membres du groupe?

b) Dans l’affirmative, le Canada a-t-il enfreint l’article 15 de la Charte?

c) Les conclusions suivantes tirées dans l’affaire Simpson v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 6465, sont-elles en tout ou en partie exécutoires à l’encontre du défendeur dans la présente instance :

i. la structure du temps consacré aux études enfreint l’article 15 de la Charte parce qu’elle ne corrige pas les effets préjudiciables qu’elle a produits, sous la forme d’un endettement excessif, au moyen d’une mesure d’accommodement destinée aux étudiants ayant une invalidité permanente, p. ex., l’annulation de toutes les dettes excessives grâce à des programmes d’aide au remboursement;

ii. cette violation ne peut être justifiée au regard de l’article premier de la Charte parce qu’il ne s’agit pas d’une atteinte minimale résultant du refus d’annuler la dette excessive;

iii. en choisissant d’utiliser la structure du temps consacré aux études, le Canada s’est-il soumis à la contrainte constitutionnelle selon laquelle il doit créer des programmes d’aide au remboursement pour annuler toute dette excessive?

[60] La demanderesse propose les questions communes suivantes concernant la réparation :

d) À quelles réparations, le cas échéant, les membres du groupe ont-ils droit?

e) Le Canada est-il responsable de la part de la dette excessive attribuable aux provinces?

f) Est-il approprié de calculer les dommages-intérêts sur une base globale conformément au paragraphe 334.28(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et le cas échéant, quel est le montant total de la dette excessive?

g) Quelle est la responsabilité du Canada à l’égard des intérêts avant jugement et après jugement, le cas échéant, selon les articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7?

h) Comment les montants calculés suivant les alinéas f) et g) devraient-ils être distribués en application du paragraphe 334.28(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106?

[61] Les questions communes a) et b) portent sur le fonctionnement du PCPE et sur la façon dont ce programme aurait entraîné une discrimination systémique à l’égard des étudiants en situation de handicap. Je n’accepte pas l’affirmation du Canada selon laquelle l’examen du fonctionnement du PCPE doit absolument passer par l’examen des faits de chacun des membres du groupe. La question proposée est de savoir si les membres du groupe ont prolongé leurs études en raison de leur invalidité et si, du fait de cette prolongation, ils ont contracté une dette excessive sous le régime du PCPE. Ces questions sont autorisées.

[62] Le Canada soutient également qu’une violation de la Charte ne peut être déterminée à l’échelle du groupe parce qu’elle dépend de faits individuels, notamment l’incidence de l’invalidité de chacun des étudiants sur son programme d’études. Il renvoie à la preuve par affidavit de la demanderesse selon laquelle M. Fenwick, Mme Ferris et Mme Chaparrel ont chacun vécu des expériences uniques : le coût de leurs programmes a été différent; ils ont reçu des prêts et bourses d’entretien de différentes provinces; la durée de leurs programmes d’études a été différente.

[63] Je comprends l’argument du Canada, mais les questions communes ont trait à la conduite discriminatoire alléguée dans l’application du PCPE et à la question de savoir si cette conduite a causé l’endettement excessif des étudiants ayant une invalidité. La réponse à ces questions s’appliquerait à tous les membres du groupe. Je reconnais que le niveau d’endettement peut varier d’un étudiant à l’autre, mais une réponse identique n’est pas nécessaire pour tous les membres du groupe, tant que la réponse à la question ne donne pas lieu à des conflits d’intérêts entre eux (Vivendi Canada Inc c Dell’Aniello, 2014 CSC 1, au paragraphe 46). Aucun conflit potentiel n’a été relevé.

[64] J’ai cependant des réserves au sujet de la référence à la décision Simpson dans la question commune c). Je tiens à souligner que les conclusions tirées dans la décision Simpson ne lient pas strictement la Cour (Bilodeau-Massé c Canada (Procureur général), 2017 CF 604 aux para 107 et 108), et qu’en autorisant la question commune c), telle qu’elle actuellement formulée, la Cour serait implicitement liée aux conclusions de la décision Simpson. En fin de compte, l’incidence de la décision Simpson sur le présent recours collectif sera déterminée à l’instruction des questions communes, sur la base d’un dossier de preuve complet. Par conséquent, j’autoriserai les questions communes sous réserve de la modification par la demanderesse de la question commune c) afin de supprimer la référence à la décision Simpson.

[65] La question commune d) s’explique d’elle-même et est autorisée.

[66] La question commune e) traite de la question de savoir si le gouvernement fédéral est responsable de la portion provinciale de la dette excessive. Conformément à l’analyse de la cause d’action valable effectuée ci-dessus, étant donné que l’action est intentée uniquement contre le Canada, le recouvrement, le cas échéant, pourrait se limiter à la portion fédérale de la dette excessive. Cette question est autorisée.

[67] La question commune f) porte sur les dommages-intérêts globaux. Dans les arrêts Greenwood, aux paragraphes 188 et 189, et dans l’arrêt Nasogaluak, aux paragraphes 114 et 115, la Cour d’appel fédérale a conclu que, pour présenter une demande de dommages-intérêts globaux, il faut fournir une méthode permettant de déterminer ces dommages-intérêts. En l’espèce, la représentante demanderesse s’appuie sur la méthode proposée dans l’affidavit d’Adele Furrie. La méthode proposée par Mme Furrie s’appuie sur celle qu’elle a mise au point dans l’affaire Simpson, qui a permis d’estimer l’écart de la dette accumulée au moment de la consolidation par les étudiants ayant une invalidité permanente et les étudiants sans invalidité permanente se trouvant dans une situation similaire, à l’aide des données administratives colligées par Emploi et Développement social Canada pour le PCPE. Mme Furrie a exposé un processus détaillé en six étapes décrivant les intrants spécifiques qui seront utilisés et les extrants qui seront générés pour calculer la dette excessive des membres du groupe sur une base globale. De plus, elle a donné son avis sur les données qui seront nécessaires à la méthodologie et a connaissance de leur existence.

[68] En réponse à ces éléments de preuve, le Canada s’appuie sur la preuve d’un « participant expert » contenue dans l’affidavit de M. Li, qui conteste la méthodologie, les éléments de preuve et les conclusions de Mme Furrie.

[69] Le différend, le cas échéant, des « experts » sur les méthodes employées pour calculer les dommages-intérêts globaux ne peut être tranché à ce stade. La seule question qui se pose à ce stade est de savoir si la question commune posée au sujet des dommages-intérêts globaux peut être autorisée comme une question commune. Je suis convaincue que la question commune f) est une question commune appropriée.

[70] Les questions communes g) et h) s’expliquent d’elles-mêmes et sont autorisées.

[71] En résumé, à l’exception de la question commune c), dont j’autorise la modification, je suis convaincue que les questions communes proposées ont un certain fondement factuel. Si la représentante demanderesse réussit à établir que le fonctionnement du PCPE était discriminatoire à l’égard des étudiants en situation de handicap, cette conclusion s’appliquerait à l’ensemble du groupe. La question de la responsabilité du défendeur et de la réparation appropriée est commune à tous les membres du groupe, du fait qu’ils ont une invalidité permanente et qu’ils ont contracté une dette excessive auprès du PCPE en raison de leur invalidité. La résolution de la plupart des questions communes est nécessaire au règlement de la réclamation de chaque membre du groupe, et chacun d’eux bénéficiera du succès de la poursuite de l’action, tout en évitant le dédoublement de l’appréciation des faits et de l’analyse juridique.

D. Meilleur moyen de régler

[72] En ce qui concerne la quatrième condition, la demanderesse doit démontrer « (1) que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et (2) qu’il serait préférable à tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe » (AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69 au para 48 [Fischer]).

[73] L’analyse du meilleur moyen de régler oblige la Cour à examiner tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, et non seulement la possibilité d’actions individuelles, mais aussi d’autres formes possibles de recours par voie judiciaire et par voie extrajudiciaire (Fischer, au para 35).

[74] Une fois que la ou les solutions de rechange au recours collectif ont été définies, la Cour doit évaluer dans quelle mesure elles éliminent les obstacles à l’accès à la justice qui existent dans les circonstances de l’affaire. La Cour doit tenir compte à la fois des aspects de fond et de forme de l’accès à la justice, en reconnaissant que les procédures judiciaires n’établissent pas nécessairement la norme d’excellence en matière de processus de règlement des différends justes et efficaces. La question qui se pose est de savoir si cette solution de rechange est susceptible de régler utilement les demandes quant au fond tout en offrant la possibilité d’exercer des droits procéduraux (Fischer, au para 37).

[75] Compte tenu de ces faits, la seule solution de rechange au recours collectif serait une action individuelle par chacun des membres éventuels du groupe. Puisque la présente action est intentée au nom des étudiants ayant une invalidité permanente, je prends note de la directive suivante donnée dans l’arrêt Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 :

[80] M. Wenham propose un recours collectif comme meilleur moyen. Un autre moyen possible est la cause type. À première vue, la cause type est un moyen intéressant et peut‑être plus simple.

[81] Toutefois, l’analyse du meilleur moyen doit également tenir compte des considérations relatives à l’accès à la justice. En l’espèce, ces considérations l’emportent sur tous les avantages possibles d’une cause type.

[82] Quelles sont les questions d’accès à la justice en l’espèce? Comme dans la plupart des actions en justice, les aspects d’ordre économique des litiges sont souvent intimidants : Fischer, au paragraphe 27. Bien qu’il n’y ait pas de preuve directe sur les moyens économiques de M. Wenham ou des autres demandeurs, il est incontestable que les personnes handicapées souffrent d’un « désavantage social et économique persistant » qui fait obstacle à leur éducation et à leur participation à la population active, ce qui a donc une incidence directe sur leur capacité de gagner leur vie : Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, au paragraphe 56. Il ne fait aucun doute que certains membres du groupe envisagé se heurtent à des obstacles économiques pour poursuivre ce litige.

[83] De plus, l’incapacité physique en soi a toujours été reconnue comme un obstacle à l’accès à la justice, ce qui favorise l’autorisation d’un recours collectif : Fischer, au paragraphe 27; Rumley c. Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184, au paragraphe 39; Cloud c. Canada (Procureur général), 2004 CanLII 45444 (ON CA), (2004) 247 D.L.R. (4th) 667, 73 R.J.O. (3e) 401, au paragraphe 87 (C.A. Ont.); Pearson c. Inco Ltd. (2006), 78 R.J.O. (3e) 641, au paragraphe 84 (C.A. Ont.); Kenney c. Procureur général du Canada, 2016 CF 367, au paragraphe 26.

[84] Ces préoccupations relatives à l’accès à la justice font qu’un recours collectif est le meilleur moyen. Je ferai plusieurs observations.

[76] Dans les circonstances, le recours collectif est préférable aux nombreuses actions individuelles.

E. Représentante demanderesse

[77] La représentante demanderesse proposée, Jenny Ferris, est née aveugle. Dans ses affidavits, elle a inclus des relevés de notes d’études postsecondaires et des renseignements sur les prêts étudiants. Dans ses affidavits, elle décrit le temps qu’elle a passé à faire des études postsecondaires et la façon dont elle a accumulé une dette excessive.

[78] Le Canada soutient que, selon l’affaire McMillan c Canada, 2023 CF 1752, conf par 2024 CAF 199, Mme Ferris n’est pas une représentante demanderesse convenable parce que sa demande de dommages-intérêts est prescrite. Autrement dit, elle n’est pas « ancrée dans le recours ». Comme je l’ai mentionné plus haut, à cette étape, je ne peux conclure de façon définitive que Mme Ferris n’a pas de revendication viable ou que sa demande est prescrite puisqu’il n’y a aucune preuve démontrant le moment de la découverte des faits générateurs.

[79] Le Canada soutient également que ni Mme Ferris ni aucun membre du groupe ne peut représenter le groupe parce qu’il n’y a aucune preuve à l’appui du paragraphe 23 de la déclaration, qui énumère divers désavantages découlant des effets préjudiciables imposés aux étudiants par le PCPE. Comme le suggère l’argument du Canada, il s’agit d’une question qui devra être prouvée au moyen d’éléments de « preuve », et il n’appartient à la Cour de se pencher sur cette question dans une requête en autorisation. Les contestations sur la preuve ne peuvent être évaluées à ce stade.

[80] Rien n’indique que Mme Ferris ne représentera pas de façon juste et adéquate les intérêts des membres du groupe.

(1) Plan du déroulement de l’instance

[81] Le sous-alinéa 334.16(1)e)(ii) des Règles exige que le représentant demandeur ait préparé un plan du déroulement de l’instance qui définit une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom des membres du groupe et aviser ces derniers de son déroulement.

[82] La demanderesse a fourni un plan détaillé du déroulement de l’instance à la pièce D de son affidavit souscrit le 17 août 2023. Ce plan indique que les avocats du groupe (Sotos LLP, Ross & McBride LLP et Hāki Chambers Global) géreront les communications, tiendront à jour un site Web bilingue et diffuseront les avis. Après l’autorisation, le plan comprend la diffusion d’avis, la procédure d’exclusion et les interrogatoires préalables. Les interrogatoires préalables, la rétention d’experts et les requêtes potentielles y sont décrits. Le plan mentionne la nécessité de nommer un administrateur et un arbitre pour gérer les réclamations et les appels, si l’action est accueillie. Il indique que les dommages-intérêts seront évalués en fonction de critères objectifs.

(2) Conflit d’intérêts

[83] Le sous-alinéa 334.116(1)e)(iii) des Règles exige que la représentante demanderesse n’ait pas, sur les points de droit ou de fait communs, un intérêt qui entre en conflit avec les intérêts des autres membres du groupe. Aucun conflit d’intérêts n’a été relevé entre Mme Ferris et les membres du groupe.

(3) Honoraires

[84] Le sous-alinéa 334.16(1)e)(iv) des Règles prévoit que la représentante demanderesse doit fournir un résumé de toute entente concernant les honoraires et débours conclue par elle et les avocats inscrits au dossier. Mme Ferris a inclus à la pièce E dans son affidavit un résumé de l’entente qu’elle a conclue avec les avocats du groupe concernant les honoraires et les débours.

IV. Conclusion

[85] En conclusion, je suis convaincue que le présent recours collectif envisagé et la représentante demanderesse proposée satisfont aux exigences énoncées à l’article 334.16 des Règles. J’autoriserai le présent recours collectif sous réserve de la modification par la demanderesse de la question commune c) afin de supprimer la référence à la décision Simpson.

ORDONNANCE dans le dossier T-116-23

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. La présente action est autorisée en tant que recours collectif en vertu de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, sous réserve de la modification apportée à la question commune c) afin de supprimer la référence à Simpson v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 6465.

  2. Jenny Ferris est nommée représentante demanderesse pour le groupe.

  3. Le groupe est défini ainsi :

Tous les étudiants qui :

a. ont contracté une dette d’études entre le 1er août 1995 et la date d’autorisation de la présente action à titre de recours collectif;

b. ont une invalidité permanente qui les a amenés à prolonger leurs études postsecondaires;

c. n’ont pas reçu suffisamment d’aide au remboursement pour compenser leur dette excessive.

  1. Les points de droit ou de fait communs sont autorisés sous réserve de la modification de la question commune c).

  2. Après l’approbation de la question commune modifiée c), la demanderesse peut demander l’approbation de la forme et du contenu de l’avis d’autorisation et du mode de diffusion de l’avis d’autorisation.

  3. Le défendeur doit fournir à la demanderesse, sous forme électronique, la liste des étudiants éventuellement membres du groupe, incluant leur nom, leur adresse postale et leur adresse électronique, pour que l’avis d’autorisation leur soit communiqué.

  4. Le défendeur paiera les frais de diffusion de l’avis d’autorisation à Sotos LLP, Ross & McBride LLP et Hāki Chambers Global, qui sont les sociétés désignées comme avocats du groupe.

  5. Le plan du déroulement de l’instance joint en tant que pièce D à l’affidavit de Jenny Ferris souscrit le 17 août 2023 est approuvé.

  6. Toute autre instance fondée sur les faits à l’origine du présent recours collectif est suspendue et aucune autre instance fondée sur les faits à l’origine de la présente instance ne peut être engagée sans l’autorisation de la Cour.

  7. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente requête.

en blanc

« Ann Marie McDonald »

en blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Guillaume Chénard, jurilinguiste principal

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

T-116-23

 

INTITULÉ :

FERRIS c LE PROCUREuR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 3, 4 ET 5 DÉCEMBRE 2024

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUIN 2025

COMPARUTIONS :

David Baker

Louis Sokolov

Sujit Choudhry

Adil Abdulla

Daniel Mulroy

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kathryn Hucal

Monisha Ambwani

Oliver Backman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SOTOS LLP

Toronto (Ontario)

Ross & McBride LLP

Hamilton (Ontario)

HĀKI CHAMBERS GLOBAL

a/s Sujit Choudhry Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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