Date : 20250611
Dossier : IMM-13804-23
Référence : 2025 CF 1050
Ottawa (Ontario), le 11 juin 2025
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
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ENTRE : |
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ROBERTO MONROY CORTES YARENNY PATRICIA MONROY AGUIRRE LAURA TERESA MONROY AGUIRRE |
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Partie demanderesse |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Les demandeurs, Roberto Monroy Cortes [demandeur principal], Yarenny Patricia Monroy Aguirre, Laura Teresa Monroy Aguirre [collectivement les « demandeurs »
], sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant leur demande d’asile en raison de l’absence de crédibilité des demandeurs quant au risque allégué [Décision]. Dans sa Décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] puisque les demandeurs n’ont pas pu établir qu’ils pourraient être exposés à un risque de préjudice crédible au titre de l’article 96 ou de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les demandeurs n’ont pas démontré que la Décision était déraisonnable.
II. Faits pertinents et Décision sous contrôle
[3] Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. Le demandeur principal est le père des deux autres demanderesses. Les demandeurs allèguent craindre la persécution des membres du cartel de Jalisco Nouvelle Génération [CJNG].
[4] En janvier 2018, un vol et un cambriolage seraient survenus dans une résidence appartenant au demandeur principal où une amie de ce dernier, ILR, y habitait depuis 2015. Le demandeur principal aurait épaulé ILR dans ses démarches judiciaires en l’accompagnant au tribunal, en l’aidant à introduire une demande en justice et en enquêtant sur les possibles suspects. Le demandeur principal aurait aussi fourni un témoignage à l’encontre des suspects. Lors des procédures, les demandeurs ont découvert un lien entre les responsables du vol et le CJNG. ILR aurait réglé son litige contre les coupables en août 2019.
[5] Les demandeurs allèguent avoir reçu des menaces, et qu’en novembre 2019, des membres de CJNG auraient tiré des coups de feu sur le véhicule du demandeur principal. En août 2020, ils auraient percuté le véhicule du demandeur principal.
[6] D’août 2018 à novembre 2021, les demandeurs sont restés dans le même état, et ont déménagé une fois. Le 6 novembre 2021, les demandeurs sont arrivés au Canada où ils ont déposé une demande l’asile.
[7] Le 22 février 2023, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi une possibilité sérieuse de persécution au regard de l’article 96 de la LIPR ni un risque de préjudice au sens de l’article 97 de la LIPR. La SPR a conclu que les demandeurs manquaient de crédibilité et n’ont pas établi qu’ils pourraient être exposés à un risque de persécution advenant leur retour au Mexique.
[8] Le 27 septembre 2023, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR. La SAR a conclu que la SPR avait correctement conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger en raison de leur manque de crédibilité. La SAR a noté que plus de trois ans se sont écoulés entre l’arrestation en août 2018 et le départ des demandeurs en novembre 2021. La SAR a également souligné que les demandeurs n’étaient pas les victimes visées par le cambriolage, mais qu’il s’agissait uniquement d’ILR. La SAR a toutefois reconnu que les demandeurs ont participé à l’introduction en justice de la demande. Finalement, la SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi le lien entre les deux incidents, soit les tirs sur le véhicule du demandeur principal et la collision automobile l’impliquant, aux cambrioleurs ou au CJNG. La SAR a tranché qu’il s’agissait d’incidents distincts dans un pays où le crime est endémique.
III. Questions en litige et norme de contrôle
[9] La question en litige est de savoir si la Décision était déraisonnable et s’il y avait un manquement à l’équité procédurale dû à l’incompétence de l’ancien conseil qui a comparu devant la SPR et la SAR.
[10] Les manquements à l’équité procédurale sont considérés comme pouvant faire l’objet d’un contrôle selon une norme semblable à celle de la décision correcte « même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée »
. La cour de révision se concentre essentiellement sur la question de savoir si le processus était équitable, en gardant à l’esprit que l’obligation d’équité procédurale est variable, souple et contextuelle (Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1388 au para 17 [Kandiah], citant Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 77 [Vavilov]).
[11] Dans des circonstances extraordinaires, le comportement d’un conseil ou représentant peut constituer un manquement à la justice naturelle, justifiant l’intervention de la Cour. Le critère de la conduite susceptible de contrôle est en trois parties, et il incombe au demandeur d’établir que :
i. les omissions ou les actes de l’ancien représentant constituaient de l’incompétence ou de la négligence;
ii. n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent (autrement dit, la conduite reprochée a entraîné un déni de justice); et
iii. le représentant a bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre aux allégations.
(Kandiah aux para 47-48, autres citations omises)
[12] Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable aux motifs de la Décision s’agit de la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 16-17, 25). Je suis d’accord qu’il s’agit de la norme de contrôle appropriée.
[13] En contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse et déterminer si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).
IV. Analyse
A. Question d’ordre préliminaire : admissibilité de pièces présentées par les demandeurs
[14] À titre d’objection préliminaire, le défendeur s’oppose à l’admission en preuve d’une décision concernant une tierce partie, soit ILR, puisqu’il s’agit d’un document confidentiel. Les demandeurs allèguent qu’ILR a renoncé à son secret professionnel et qu’ils ont obtenu son autorisation d’utiliser la décision dans le cadre de ce contrôle judiciaire. Les demandeurs expliquent que ce consentement était « implicite sans autres procédures »
. Quoique l’affidavit du demandeur principal mentionne le consentement d’ILR à utiliser la décision, il n’y a aucune preuve directe d’ILR témoignant de son consentement.
[15] À l’audience, le défendeur a proposé de retirer le document et de l’émettre une seconde fois au dossier de la Cour de façon confidentielle afin de respecter l’alinéa 166c) de la LIPR. Les demandeurs ont accepté cette approche et la Cour a retenu la proposition du défendeur afin de permettre aux demandeurs de présenter le fait de la décision d’ILR.
B. L’incompétence de l’ancien conseil
[16] Les demandeurs ont suivi les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté émises le 24 juin 2022 et modifiées le 31 octobre 2023 à l’égard de leur allégation d’incompétence de l’ancien avocat qui était chargé du dossier devant la SPR et la SAR. Il y a au dossier la réponse du conseil. Je note également que les demandeurs ont déposé une plainte auprès du Barreau du Québec à l’encontre de cet avocat.
[17] Tout d’abord, les demandeurs soulignent des problèmes de communications et des malentendus entre une firme de traduction [Firme] et l’ancien avocat. Les demandeurs allèguent qu’ils avaient envoyé des documents à la Firme qui les aurait ensuite transmis à l’ancien avocat. L’ancien avocat aurait omis de déposer ces documents devant la SAR et la SPR. Les demandeurs expliquent que l’ancien avocat est responsable pour cette erreur, peu importe qu'il ait réellement reçu les documents ou non. Ils soutiennent que la Firme effectuait des tâches qui s’étendaient au-delà de la traduction de documents et agissait comme secrétaire juridique en sollicitant la signature des demandeurs sur des documents juridiques et en organisant des rencontres.
[18] Le défendeur explique que l’incompétence ou la négligence de l’ancien avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (Javeed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1377). Le défendeur soutient que les allégations ci-dessus sont non fondées, et aucun élément de preuve n’a été fourni pour démontrer le lien entre la Firme et l’avocat ni la négligence alléguée. Plus précisément, les demandeurs n’ont soumis aucune preuve montrant que la Firme a transmis des documents à l’ancien avocat. Au contraire, la preuve démontre que tous les documents soumis à l’ancien avocat ont été mis en preuve sauf un qui a été justifié par une décision stratégique de l’ancien avocat.
[19] Je retiens les arguments du défendeur. L’ancien avocat dans les circonstances ne peut être tenu responsable pour les erreurs d’une tierce partie, surtout lorsqu’il n’y a aucune preuve à l’appui des allégations présentées. En effet, il n’y a pas de preuve au dossier démontrant que l’ancien avocat a retenu les services de la Firme à titre d’intermédiaire ni pour toute autre tâche au-delà des services de traduction. De plus, les demandeurs n’ont soumis aucune preuve montrant que l’avocat aurait reçu les documents omis et qu’il aurait été négligent dans la transmission de ces derniers. Je m’en remets au processus de plainte du Barreau du Québec pour analyser les plaintes faites contre la Firme et l’ancien avocat quant aux manquements déontologiques allégués.
[20] De surcroît, les demandeurs allèguent que la SAR ne disposait pas de tous les éléments de preuve lui permettant de rendre une décision raisonnable parce que l’ancien avocat a erré en omettant de mentionner ILR dans leurs procédures devant la SPR et la SAR. Cette omission, selon les demandeurs, aurait mené la SPR et la SAR à ne pas prendre en considération les similitudes entre le présent dossier et celui d’ILR et ainsi a rejeté injustement leur demande d’asile.
[21] Les demandeurs concèdent que le choix de scinder les deux dossiers et de s’abstenir de mentionner la demande d’asile d’ILR devant la SPR et la SAR était un choix stratégique de l’ancien avocat. Les demandeurs indiquent qu’ils ne remettent pas en question ce choix stratégique de l’ancien avocat, mais plaident toutefois que ce dernier a indûment minimisé la relation du demandeur principal avec ILR en raison des doutes qu’il entretenait au sujet de la nature de leur relation. Ils soutiennent que ce manque de confiance dans la relation avocat client aurait dû inciter celui-ci à se retirer du dossier.
[22] Le défendeur affirme que les manquements allégués par les demandeurs se limitent à une remise en question des choix stratégiques de l’ancien avocat qui relève de l’exercice du jugement professionnel de l’avocat dans le cadre de son travail. Ce type de décision ne peut mener à un jugement d’incompétence. Le défendeur explique, en se basant sur la déclaration de l’ancien avocat, que cette décision avait été prise dans le meilleur intérêt du client.
[23] En l’espèce, étant donné que les demandeurs concèdent que les actes reprochés constituaient des choix stratégiques, je ne peux statuer que l’ancien avocat a commis un acte pouvant se qualifier comme un acte entrainant des allégations d’incompétence ou de négligence. Je conclus que le premier critère du test n’est pas satisfait.
[24] Le test énoncé dans la jurisprudence est un test cumulatif, ce qui veut dire que les demandeurs ont le fardeau de prouver tous les éléments du test afin que la Cour puisse reconnaître une incompétence menant à un vice d’équité procédurale (Discua c Canada (Citoyennetéet Immigration), 2023 CF 137 au para 30; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225 au para 43).
[25] Ainsi, comme un seul élément du test n’est pas rempli, l’allégation des demandeurs quant au manquement d’équité procédurale et de justice naturelle découlant de l’incompétence de l’ancien avocat doit échouer (Macias Vargas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 736 au para 43 citant Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99 au para 22, Del Angel Quiroz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 194 au para 35).
C. Raisonnabilité de la Décision
[26] Les demandeurs soutiennent que la Décision comporte plusieurs erreurs de faits et de droit. Plus précisément, les demandeurs allèguent que la SAR a tiré des conclusions erronées sur la crédibilité du demandeur principal, a erronément identifié les raisons pour lesquels le demandeur principal était ciblé par la CJNG et a erré en concluant qu’il était plus probable que les attaques contre le demandeur principal représentaient des « incidents distincts »
au lieu d’intimidations provenant du CJNG. De plus, la SAR savait ou devait savoir que le dossier d’asile des trois demandeurs était intrinsèquement lié à celui d’ILR, mais n’a pas tenu compte de cet élément, pourtant pertinent, lors de son analyse. Les demandeurs expliquent que cette demande d’asile porte sur les mêmes motifs, les mêmes risques et les mêmes agents de persécution que celle d’ILR. Ainsi, considérant que la demande d’asile d’ILR a été acceptée, celle des demandeurs aurait dû l’être aussi.
[27] Lors de l’audience, les demandeurs ont concédé qu’il y avait des différences entre les deux dossiers soutenant que seule ILR a été victime d’une tentative d’enlèvement et qu’elle était la seule cible de cambriolage puisque le demandeur principal n’habitait pas avec elle lors de cet événement.
[28] D’autre part, le défendeur soutient que les demandeurs n’ont identifié aucune erreur susceptible de révision dans la Décision. Le défendeur souligne que la SAR et la SPR ne sont pas liées par le résultat obtenu dans une autre décision et que la détermination du statut de réfugié se fait au cas par cas (citant Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1111). La Décision a clairement considéré et analysé les faits liés aux similitudes des deux dossiers soulevés par les demandeurs. Les demandeurs ne font qu’exprimer leur désaccord avec l’évaluation de la preuve et demandent essentiellement à la Cour de substituer ses conclusions à celles de la SAR. Or, ceci n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (citant Vavilov au para 125).
[29] L’analyse des demandes d’asile doit se faire au cas par cas. Plus précisément, les demandeurs ont concédé que le dossier d’ILR et leur dossier ne sont pas identiques. D’après la preuve devant la SAR, ILR a été ciblée par des menaces additionnelles à celles subies par les demandeurs. Il était donc loisible à la SAR de conclure que même si le demandeur principal a appuyé ILR dans ses démarches judiciaires, ILR était la seule véritable victime – distinguant ainsi leur dossier à celle d’ILR. De plus, à la lumière de la preuve objective témoignant du crime endémique au Mexique, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les deux incidents impliquant les demandeurs étaient distincts, que les demandeurs ne seraient pas des victimes potentielles du cartel et qu’ils n’ont pu démontrer un risque prospectif. La SAR a considéré les soumissions qui lui ont été présentées en appel, a fait l’analyse de la preuve et a justifié ses conclusions.
[30] Je suis donc d’avis que les demandeurs tentent de soupeser la preuve avec leur argument sur la crédibilité des demandeurs, sur l’analyse de la SAR des incidents impliquant les demandeurs et sur les ressemblances entre les deux dossiers. Comme l’affirme Vavilov, ceci n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire.
V. Conclusion
[31] La Décision constitue une issue raisonnable justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-13804-23
LA COUR STATUE que :
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucune question n’est certifiée.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-13804-23 |
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INTITULÉ : |
ROBERTO MONROY CORTES, ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 18 MARS 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS |
LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 11 JUIN 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Alexis Dumont |
Pour LA PARTIE DEMANDERESSE |
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Guillaume Bigaouette |
Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Nexus Services Juridiques Avocat Montréal (Québec) |
Pour LA PARTIE DEMANDERESSE |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE |