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Date: 20250612


Dossier: IMM-16144-23

Référence: 2025 CF 1064

Toronto, Ontario, le 12 juin 2025

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE:

CHEIKH TIDIANE SALL

Demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur est citoyen du Sénégal. Il conteste la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] laquelle avait conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. Le contrôle judiciaire est rejeté pour les raisons suivantes.

[2] Le demandeur est un musulman pratiquant et était membre d'une association chargée de gérer la mosquée de son quartier à Dakar. Il a allégué qu'un groupe d'extrémistes islamiques appelé les « Hibadous » avait tenté d'infiltrer la mosquée et de prendre le contrôle de l'association. Lorsqu'il s'y était opposé, ils avaient commencé à le persécuter. Il affirme continuer à craindre les Hibadous.

[3] La commissaire de la SPR qui a examiné son cas a jugé ses allégations crédibles. Elle a toutefois conclu que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable dans plusieurs villes, soit Kaolack, Saint-Louis, Thiès, Touba ou Ziguinchor. La SAR a mené sa propre analyse indépendante et s'est rangée à l'avis de la SPR, rejetant également la demande en raison de l'existence de PRI viables.

II. Norme de contrôle

[4] Les parties soutiennent, et je suis d'accord avec elles, que la norme de contrôle en l'espèce est celle du caractère raisonnable (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

III. Décision

[5] Je rejette le contrôle judiciaire pour les raisons suivantes. J’estime que la SAR a appliqué raisonnablement le critère à deux volets de la PRI à la preuve. Elle était donc convaincue que le demandeur n'était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution aux PRIs, et que les conditions énoncées dans les PRIs étaient telles qu'il ne serait pas objectivement déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que le demandeur se réinstalle.

IV. Analyse

A. Cadre légal

[6] Le critère à deux volets d'une PRI est bien établi. Une PRI est un endroit dans le pays de nationalité d'un demandeur où la partie qui demande la protection (c.-à-d. le demandeur d'asile) ne serait pas en danger et où il ne serait pas déraisonnable pour lui de se réinstaller. Cela est considéré dans le sens pertinent et selon la norme applicable, selon que la demande est faite en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR. Lorsqu'il existe une PRI viable, un demandeur n'a pas le droit à la protection d'un autre pays. Pour déterminer s'il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que :

  1. Le demandeur ne sera pas persécuté (selon le critère de la « possibilité sérieuse ») ou ne sera pas exposé à un danger ou à un risque au sens de l'article 97 de la LIPR (selon le critère de la « prépondérance des probabilités ») dans le PRI proposé ; et

  2. dans toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, les conditions dans la PRI sont telles qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de chercher refuge dans le PRI proposé.

[7] Une fois que le PRI est soulevé, il incombe au demandeur de prouver qu'il n'a pas de PRI viable. Par contre, cela signifie que si la PRI proposée est viable, il incombe au demandeur de démontrer soit qu'il serait en danger dans la PRI proposée, soit, même s'il n'est pas en danger dans la PRI proposée, qu'il serait déraisonnable à la lumière des circonstances qu'il s'y réinstalle. Le fardeau de ce deuxième volet (caractère raisonnable de la PRI) est très lourd, car la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 [Ranganathan], a statué qu'il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un demandeur en voyageant ou en se réinstallant temporairement dans une zone sûre. En outre, il faut des preuves réelles et concrètes de ces conditions. Pour le critère de la PRI en général, voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 ; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CA) ; Ranganathan; et Rivero Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1504 au para 8.

B. La décision de la SAR est-elle raisonnable : premier volet du test PRI

[8] Le demandeur allègue que la décision de la SAR est déraisonnable, en partie parce que le SAR n'avait pas suffisamment de preuves qu'il pourrait être en sécurité dans le cadre de la PRI.

[9] La thèse présentée opère un renversement indu du fardeau de la preuve relatif à l'existence d'une PRI. Il n'appartient pas à la SAR de prouver l'indisponibilité de d’une PRI. Une fois que la question est soulevée, c'est au demandeur qu'il incombe de démontrer qu'il n'existe pas de PRI viable (Aleman Pena c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 455 para. 11). Dans le cas présent, le commissaire SAR a appliqué correctement le critère sans renverser indûment le fardeau de la preuve.

[10] Dans ses motifs, la SAR a repris chacun des éléments soulevés par le demandeur et a finalement conclu que la SPR n’avait pas erré en déterminant que le demandeur n’avait pas établi qu’il lui serait impossible de vivre en sécurité à Kaolack, Saint-Louis, Thiès, Touba ou Ziguinchor. Les motifs invoqués par le SAR suivent un raisonnement clair expliquant pourquoi les éléments de preuve démontraient que le demandeur craignait les Hibadous en raison d'une querelle concernant la direction de sa mosquée locale et que les Hibadous n'avaient ni la motivation ni l'intérêt de le poursuivre dans d'autres villes.

[11] Le demandeur fait également valoir que la SAR n'a pas tenu compte de son profil de musulman pratiquant et engagé dans sa communauté. De plus, il est électricien. Il se rendait à la mosquée tous les vendredis pour prier, et il était possible que quelqu'un de son ancienne communauté le voie et alerte les Hibadous. Le même raisonnement s'applique en raison de sa profession. Ces arguments reposent sur de pures conjectures, et il était raisonnable que le SAR fonde sa décision sur des preuves et non sur des conjectures.

[12] La SAR a également examiné les preuves documentaires objectives et a mentionné spécifiquement le document de l’onglet 12.2 dans le Cartable national de documentation (CND) sur le Sénégal pour conclure qu'il ne courrait pas de risque sérieux de persécution ni de risque personnel de préjudice dans le cadre des PRI proposés. Ce document examine l'influence de la religion sur la vie quotidienne et cartographie les contributions d’acteurs d’inspiration religieuse au développement, avec une emphase particulière sur les secteurs clés pour l'engagement d’inspiration religieuse et conclut sur la tolérance religieuse. Je suis conscient que la liberté de religion comprend le droit de manifester sa religion, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement de rites (Fosu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2e) 95 (C.F. 1re inst.), à para 97). Dans le contexte du Sénégal et de sa tolérance religieuse, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur ne s'était pas acquitté de son fardeau de prouver qu'il ne pourrait pas pratiquer sa religion, conformément à sa conscience, dans le cadre des PRI proposés.

[13] Je conclus que les motifs invoqués par la SAR au sujet du premier critère de la PRI étaient raisonnables.

C. La décision de la SAR est-elle raisonnable : deuxième volet du test PRI

[14] Le fardeau de preuve du demandeur dans un tel cas est donc élevé et la barre est placée très haute lorsqu’il s’agit de déterminer l’aspect raisonnable d’une PRI. Le demandeur se doit d’apporter une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient sa vie ou sa sécurité en péril dans les endroits proposés (Ranganathan para 15).

[15] Après avoir déterminé qu’il n’était pas établi que les agents de préjudices du demandeur possédaient l’intérêt ou la motivation à vouloir le pourchasser sur tout le territoire sénégalais, la SAR s’est attardée à l’aspect raisonnable de la relocalisation dans les villes proposées comme PRI.

[16] Pour ce faire, la SAR a tenu compte du fait que le demandeur avait un diplôme comme électricien, qu’il faisait des réparations domiciliaires au Canada, qu’il a commencé à travailler pour une compagnie de télécommunication et qu’il avait déjà eu sa propre compagnie au Sénégal.

[17] La SAR a également indiqué que les épreuves liées au déplacement et à la réinstallation ne constituent pas le genre d’épreuves indues qui rendent une possibilité de refuge intérieur déraisonnable.

[18] Après une analyse tenant compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la SAR a conclu que le deuxième volet du test était rempli, soit qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur de se relocaliser dans les villes proposées au Sénégal. Il s’agit d’une conclusion raisonnable.

[19] Pour les raisons susmentionnées, j'estime que les motifs de la SAR sont raisonnables. Je rejette donc le contrôle judiciaire.

[20] Il n'y a pas des questions certifiées dans cette affaire.

V. Conclusion

[21] Le demandeur n’a pas établi que la Décision de la SAR est déraisonnable quant à l’existence d’une PRI. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[22] Il n'y a pas des questions certifiées dans cette affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-16144-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n'y a pas de question à certifier.

« Negar Azmudeh »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-16144-23

INTITULÉ :

CHEIKH TIDIANE SALL c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, québec

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juin 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AZMUDEH

DATE DES MOTIFS :

Le 12 juin 2025

COMPARUTIONS:

Me Ibrahima Bocar Thiam

Pour le demandeur

Me Michèle Plamondon

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Ibrahima Bocar Thiam

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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