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Date : 20250613


Dossiers : T-299-24

T-300-24

T-301-24

Référence : 2025 CF 1075

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

PAUL DES RUISSEAUX

Demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Paul Des Ruisseaux, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 janvier 2024 par laquelle l’agente de l’Agence du revenu du Canada [ARC] a déterminé l’inadmissibilité du demandeur à la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE], la Prestation canadienne de la relance économique pour proche aidant [PCREPA] et la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement [PCTCC].

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur était travailleur indépendant dans le secteur des portes de garage (vente, installation et réparation) pendant 30 ans. Depuis 2003, il est propriétaire, avec un associé, de la compagnie 9192-9703 Québec Inc., opérant sous la raison sociale de « Portes de garage 640 ».

[4] Lors d’une entrevue avec l’ARC, le demandeur par le biais de sa représentante a expliqué avoir reçu des dividendes à titre de revenus pour la somme de 11 500 $ en 2019 et n’avoir eu aucun revenu en 2020. Le demandeur a déclaré 5 750$ en dividendes en 2021, ce qui représente 50% des dividendes déclarés par son épouse, Chantal Des Ruisseaux en 2019. Le calcul des dividendes a été effectué par le comptable en soustrayant les dépenses de l'entreprise et en répartissant les bénéfices entre les actionnaires. Le comptable, ainsi que la conjointe du demandeur ont confirmé lors d’un appel téléphonique qu’ils ont décidé de déclarer les dividendes du demandeur pour 2017, 2018 et 2019 dans la déclaration de revenus de Mme Des Ruisseaux, puisque c’était à leur avantage fiscal. Aucun relevé fiscal n’a été trouvé au nom du demandeur pour l’année 2019.

[5] En ce qui concerne la prestation PCREPA, lors d’un appel téléphonique de l’ARC, la conjointe a mentionné que le demandeur avait subi un accident en 2015 et avait réduit ses heures de travail par la suite en raison de douleurs au dos. Il était toutefois encore capable de continuer à travailler. Il effectuait quelques réparations et installations de portes de garage, mais s'occupait principalement des tâches administratives de l'entreprise (répondre au téléphone, facturation, commande de matériel, etc.). Il supervisait également les employés pendant les installations.

[6] Le demandeur a déposé une demande pour les prestations PCRE et PCTCC puisque le qu’il n’était pas capable de travailler, les clients ayant reporté leurs projets de rénovation et que puisque les gens ne quittaient plus leur domicile, les portes de garage ne s’abîmaient pas. L'entreprise a continué à offrir ses services, mais il n'y avait pas assez de travail pour deux personnes. En 2020, les heures travaillées et les revenus de l'entreprise n'ont pas été suffisants pour verser un salaire au demandeur. En 2021, il y a eu plus de travail, ce qui lui a permis de travailler, et de percevoir un salaire. Le demandeur se versait des dividendes en retirant de l'argent en espèces chaque fois qu'il devait payer des courses ou d'autres dépenses personnelles. Il n'y avait pas de virements bancaires réguliers entre les comptes bancaires et les montants retirés n'étaient jamais les mêmes.

A. Prestations reçues

[7] À compter du 12 octobre 2020, le demandeur a demandé des prestations de PCRE pour les périodes 1 à 4, soit du 27 septembre 2020 au 21 novembre 2020 et pour les périodes 6 à 28, soit du 6 décembre 2020 au 23 octobre 2021 et les a reçus.

[8] Le demandeur a demandé et reçu des prestations de PCREPA pour les périodes 9 et 10, soit du 22 novembre 2020 au 5 décembre 2020.

[9] Le demandeur a demandé et reçu une prestation de PCTCC, soit pour les périodes 10, 11 et 12 allant du 26 décembre 2021 au 15 janvier 2022.

B. Processus de l’examen

[10] L’épouse du demandeur a entrepris les démarches à la demande de celui-ci pour la révision des décisions de l'ARC puisqu’il est malade et qu’il se trouve dans l'incapacité de répondre aux questions.

[11] Le 2 juin 2022, après un premier examen de l’éligibilité du demandeur, l’ARC a rendu trois décisions l’informant qu’il n’était pas admissible à toutes les périodes demandées de la PCRE, de la PCREPA et de la PCTCC.

[12] Le demandeur a transmis une lettre de demande de révision à l’ARC concernant les décisions rendues le 2 juin 2022.

[13] Le 15 janvier 2024, l’ARC a rendu trois décisions de deuxième examen déclarant le demandeur inadmissible à la PCRE, la PCREPA et la PCTCC.

[14] Le 14 février 2024, le demandeur a déposé trois demandes de contrôle judiciaire des trois décisions de deuxième examen rendues le 15 janvier 2024 devant la Cour fédérale. Le 8 avril 2024, une requête informelle signée par les deux parties a été présentée à cette Cour, demandant la réunion des instances T-299-24, T-300-24 et T-301-24. Le 25 avril 2024, une ordonnance a été rendue par la juge adjointe Steele de cette Cour ordonnant que les instances portant les numéros T-299-24, T-300-24 et T-301-24 soient réunies et instruites conjointement sous le numéro principal T-299-24 tel qu’il appert du dossier de la Cour.

III. Décisions sous contrôle judiciaire

[15] Le 15 janvier 2024, l’ARC rend trois décisions de deuxième examen déclarant le demandeur inadmissible à la PCRE, la PCREPA et la PCTCC qui se détaillent de la manière suivante.

[16] D’abord, en ce qui concerne la PCRE, l’Agente de l’ARC a conclu que le demandeur n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenu d’emploi et/ou de revenu net de travail indépendant en 2019, 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa demande de prestations.

[17] Les faits suivants étaient devant l’Agente :

a) Le demandeur, par le biais de sa représentante, explique avoir reçu des dividendes à titre de revenus pour la somme de 11 500 $ en 2019 et n’avoir eu aucun revenu en 2020.

b) Selon ses explications, il faisait des retraits au compte de son entreprise en argent comptant et dépensait l’argent pour faire des achats courants.

c) Le demandeur n’a pas déclaré ce revenu de dividende dans sa déclaration de revenus, mais il a plutôt déclaré un revenu d’un dollar (1 $).

d) Toujours selon ses explications, c’est sa conjointe qui a déclaré les revenus de dividendes dans sa déclaration de revenus.

[18] En ce qui concerne la PCREPA, l’Agente a conclu que : i) le demandeur n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenu d'emploi ou de travail indépendant net en 2019, 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande; ii) que sa semaine de travail prévue n'a pas été réduite d'au moins 50 % parce qu’il prenait soin d'un membre de sa famille pour des raisons liées à la COVID-19 et iii) qu’il ne prenait pas soin d'un enfant de moins de 12 ans ou d'un membre de sa famille parce qu'il ne pouvait pas fréquenter son école, sa garderie ou son établissement de garde pour des raisons liées à la COVID-19 ou que la personne qui assurait habituellement les soins n'était pas disponible pour des raisons liées à la COVID-19.

[19] Les conclusions de l’Agente reposent les faits suivants.

a) Le 7 décembre 2020, le demandeur a demandé la PCREPA pour les périodes 9 et 10.

b) Le demandeur n’est pas admissible à cette prestation pour les mêmes raisons qu’il ne l’est pas pour la PCRE puisqu’il ne satisfait pas le critère du 5 000 $.

c) De plus, le demandeur a admis ne pas être admissible à la PCREPA, car en aucun cas il n’a été proche aidant d’un membre de sa famille.

d) Également, la preuve démontre que la conjointe de M. Des Ruisseaux, a confirmé à l’agent que la demande de PCREPA a été faite par erreur et que le demandeur n’y était pas admissible.

[20] Finalement, relativement à la PCTCC, l’Agente a conclu que : i) le demandeur n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi en 2020, 2021 ou dans les 12 mois précédant la date de sa première demande; ii) qu’il ne travaillait pas pour des raisons considérées comme déraisonnables ou non liées à un confinement lié à la COVID-19.

[21] Les faits suivants étaient devant l’Agente :

a) Le demandeur a fait sa demande de PCTCC le 12 janvier 2022 pour les périodes 10 à 13, soit du 26 décembre 2021 au 22 janvier 2022.

b) Le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer que s’il n’a pas été en mesure de travailler à ce moment, c’était en raison de la COVID-19.

c) Le demandeur explique, par le biais de sa représentante, n’avoir reçu aucun revenu en 2020 et avoir reçu des dividendes à titre de revenus pour la somme de 5 750 $ en 2021.

d) Comme il n’est pas admissible à la PCRE et à la PCREPA, les revenus de ces prestations ne peuvent pas servir pour cumuler des revenus pour satisfaire au critère du 5 000 $.

e) Tel qu’expliqué précédemment lors de l’analyse de l’admissibilité du demandeur à la PCRE, le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer les dividendes qu’il aurait reçus à titre de revenus puisqu’il n’a pas soumis de preuve à cet effet.

f) En effet, le demandeur, lors du deuxième examen, n’a pas été en mesure d’expliquer de quelle manière son entreprise a été affectée par la COVID-19.

g) De plus, le demandeur était incertain à savoir quelle était sa situation professionnelle et personnelle au moment des demandes de PCTCC.

[22] Les documents suivants ont été reçus pour le deuxième examen :

• Invoice from Portes de garage 640 dated October 14, 2021

• Invoice from Portes de garage 640 dated December 13, 2021

• Invoice from Portes de garage 640 dated November 24, 2021

• Invoice from Portes de garage 640 dated December 11, 2021

• Invoice from Portes de garage 640 dated December 14, 2021

List of total income for company Porte de Garage 640 for December 2021

IV. Question en litige et norme de contrôle

[23] À mon avis, la présente affaire ne soulève qu’une seule question en litige et c’est celle de savoir si les décisions rendues le 15 janvier 2024 par l’agente de l’ARC concluant que le demandeur n’est pas admissible à recevoir les prestations de la PCRE, de la PCREPA et de la PCTCC sont raisonnables.

[24] La norme de contrôle appropriée pour répondre à cette question est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 16-17; Fortin c Canada (Procureur général), 2024 CF 2031 au para 12). Il incombe donc à M. Des Ruisseaux de démontrer que la décision est entachée de graves omissions sur le plan factuel ou juridique, ou alors qu’elle ne fait pas état d’une analyse rationnelle (Vavilov aux para 102 à 107).

V. Dispositions législatives pertinentes

A. Conditions d’admissibilité

[25] Le gouvernement du Canada a mis en place la PCRE et la PCTCC dans le cadre d’une série de mesures visant à atténuer les conséquences de la pandémie de COVID-19 (Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5; Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 [LPCRE]; Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement, LC 2021, c 26 [LPCTCC]). Afin de recevoir des prestations, un résident canadien admissible devait présenter une demande.

B. PCRE

[26] La PCRE découle de la LPCRE. L’article 3 de la LPCRE présente les conditions d'éligibilité à la PCRE. Une personne est admissible si, dans le cas d'une demande concernant une période de deux semaines commençant en 2020, ses revenus pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande s’élevaient à au moins 5 000 $ (art. 3(1)d) et (f) de LPCRE). De plus, au cours de la période de deux semaines couvertes par la prestation et pour des raisons liées à la COVID-19, une personne travaillant à son compte ne doit pas avoir exécuté un travail ou subi une réduction d’au moins 50% de son travail pour l’année ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande.

[27] La PCRE, était offerte pour toute période de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Les employés et les travailleurs autonomes qui avaient subi une perte de revenu en raison de la pandémie de COVID-19 y étaient admissibles (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 2 [Aryan]).

[28] Les critères d’admissibilité à la PCRE sont énoncés à l’article 2 de la LPCRE. La LPCRE établit notamment les critères suivants pour les employés ou les travailleurs autonomes demandant la PCRE : (i) avoir gagné au moins 5 000 $ en revenu d’emploi ou en revenu net de travail indépendant en 2019, 2020, 2021 ou dans les 12 mois précédant la date de la première demande (alinéas 3(1)(d) et (e) et para 3(2) LPCRE); (ii) avoir subi une baisse de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente, et ce, pour des raisons liées à la COVID-19 (alinéa 3(1)(f) LPCRE); et (iii) avoir effectué des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de la période de deux semaines durant lesquelles les prestations sont reçues, en vue de maintenir l’admissibilité à la PCRE (alinéa 3(1)(i) LPCRE).

[29] Afin de recevoir des prestations, il incombait au demandeur de démontrer à l’ARC qu’il satisfaisait, selon la prépondérance des probabilités, à tous les critères établis de ces programmes de prestations (Ntuer c Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 au para 24). Ces critères d’admissibilité ne sont pas discrétionnaires (Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 au para 23).

[30] Le demandeur portait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il satisfaisait les critères d’admissibilité pour recevoir les prestations (Desautels c Canada (Procureur général), 2022 CF 1774 au para 41, citant Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 55).

C. PCREPA

[31] Le PCREPA était une mesure prise par le gouvernement fédéral en réponse à la pandémie de COVID-19. Il offrait un soutien financier aux salariés et aux travailleurs indépendants qui avaient dû cesser de travailler en raison de leurs obligations familiales liées à la pandémie. Les critères d'admissibilité pertinents sont énoncés au sous-alinéa 17(1)f)(i) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique pour proche aidant, LC 2020, c 12, article 2.

Admissibilité

Eligibility

17 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique pour les proches aidants, à l’égard de toute semaine comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 7 mai 2022, la personne qui remplit les conditions suivantes :

17 (1) A person is eligible for a Canada recovery caregiving benefit for any week falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on May 7, 2022 if

[…]

[…]

f) au cours de la semaine visée, elle a été incapable d’exercer son emploi pendant au moins cinquante pour cent du temps durant lequel elle aurait par ailleurs travaillé — ou a réduit d’au moins cinquante pour cent le temps qu’elle aurait par ailleurs consacré au travail qu’elle exécute pour son compte — pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(f) they have, as an employee, been unable to work for at least 50% of the time they would have otherwise worked in that week — or they have, as a self-employed person, reduced the time devoted to their work as a self-employed person by at least 50% of the time they would have otherwise worked in that week — because

(i) elle s’occupait d’un enfant qui avait moins de douze ans le premier jour de la semaine visée, pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(i) they cared for a child who was under 12 years of age on the first day of the week because

(A) l’école ou toute autre installation que l’enfant fréquentait était fermée, ou ouverte seulement durant certaines périodes ou seulement pour certains enfants, pour des raisons liées à la COVID-19,

(A) the school or other facility that the child normally attended was, for reasons related to COVID-19, closed, open only at certain times or open only for certain children,

(B) l’enfant ne pouvait fréquenter l’école ou l’installation car :

(B) the child could not attend the school or other facility because

(I) soit il a contracté la COVID-19 ou pourrait avoir contracté la COVID-19,

(I) the child contracted or might have contracted COVID-19,

(II) soit il était en isolement sur l’avis d’un médecin, d’un infirmier praticien, d’une personne en situation d’autorité, d’un gouvernement ou d’un organisme de santé publique pour des raisons liées à la COVID-19,

(II) the child was in isolation on the advice of a medical practitioner, nurse practitioner, person in authority, government or public health authority for reasons related to COVID-19, or

(III) soit il risquait, de l’avis d’un médecin ou d’un infirmier praticien, de développer de graves complications s’il contractait la COVID-19,

(III) the child would, in the opinion of a medical practitioner or nurse practitioner, be at risk of having serious health complications if the child contracted COVID-19, or

(C) la personne qui s’en occupait habituellement n’était pas disponible pour des raisons liées à la COVID-19,

(C) the person who usually cared for the child was not available for reasons related to COVID-19, or

[…]

[…]

D. PCTCC

[32] Pour la PCTCC, la loi applicable est la LPCTCC, en vigueur depuis le 27 décembre 2021, et particulièrement pour les critères d’admissibilité de la PCTCC, l’article 4.

VI. Observations des parties

A. Observations du demandeur

[33] Le demandeur soutient qu’il était admissible à la PCRE. Il soutient également que puisqu’il avait reçu la PCRE en 2020, il était également admissible à la PCTCC. En ce qui concerne la PCREPA, le demandeur demande à la Cour de considérer sa demande de cette demande comme étant une demande à la PCRE.

[34] D’abord, relativement à la PCRE, le demandeur soutient que les livres comptables établissent qu’il a reçu de la compagnie 9192- 9703 Québec Inc. au cours de 2019 et à titre de dividendes, un montant de 11 500 $. Il explique que le montant de dividendes au montant 11 500 $ versé au demandeur a été inscrit au rapport d'impôt de son épouse pour des fins fiscales uniquement tel que le permet la Loi de l'impôt sur le revenu (LRC (1985), ch. 1 (5e suppl.)). Le demandeur fait également valoir qu’il a déposé à titre de preuve supplémentaire, la liste des retraits au compte de la compagnie 9192-9703 Québec Inc. et que cette inscription comptable démontre le total d'argent retiré du compte et qui est appliqué à titre de dividendes.

[35] Ensuite, relativement à la PCTCC, le demandeur soutient avoir expliqué à l'agent réviseur que les clients n'étaient pas à l'aise d'avoir des travailleurs dans leur résidence par crainte d’être contaminé à la Covid-19. Ainsi, malgré la présence publicitaire, la compagnie avait beaucoup moins de contrats, ce qui a créé une baisse importante de travail. Le demandeur soutient que pour les années 2020 et 2021, il a reçu comme revenu la PCRE, et que selon les critères d'admissibilités de la PCTCC, les sommes versées pour la PCRE sont prises en compte dans le revenu (article 4(1)(iii) de la LPCTCC). De plus, le demandeur fait valoir qu’il a obtenu 5 750 $ en dividendes de la part de 9192-9703 Québec Inc. pour l'année 2021.

[36] Finalement, en ce qui concerne la PCREPA, le demandeur explique avoir demandé la PCREPA par erreur pour la période du 22 décembre 2020 au 28 décembre 2020. Selon ses prétentions, l'agent aurait dû intégrer la période du 22 décembre 2020 au 28 décembre 2020 comme une prestation de PCRE et non de PCREPA.

B. Observations du défendeur

[37] Le défendeur soumet quant à la PCRE que même si les règles fiscales générales permettent de déclarer un revenu en distribuant ledit revenu entre conjoints, la jurisprudence récente de cette Cour relève que la détermination du revenu aux fins de l’admissibilité à la PCRE et à la PCTCC et celle effectuée aux fins de déterminer l’impôt payable par un contribuable est différente et qu’elle est sujette à la compétence de tribunaux distincts (Vetrici v Canada (Attorney General), 2025 FCA 15, au para 6). De ce fait, le défendeur soumet que le fait qu’une somme puisse être considérée comme un dividende à des fins comptables ou fiscales n’en fait pas nécessairement un revenu aux fins des lois applicables aux prestations liées à la COVID-19. Par exemple, un dividende constaté par une écriture comptable à un compte « dû à l’actionnaire», sans versement d’argent, ne constitue pas un revenu aux fins de programmes de soutien du revenu tels que les prestations liées à la COVID-19 (Duchesneau c Canada (Procureur général), 2023 CF 1632, aux para 4, 9 et 29-31 [Duchesneau]).

[38] Le défendeur soutient que les motifs exposés par l’Agente sont cohérents et intelligibles, en plus de prendre en considération toute la documentation soumise par le demandeur. Il n’y a donc pas lieu pour cette Cour d’intervenir quant à cette conclusion.

[39] En ce qui concerne la PCREPA, le défendeur avance que la décision de refuser l’admissibilité du demandeur à cette prestation est raisonnable, puisque selon les faits exposés à l’Agente, il n’a pas satisfait le critère du 5 000 $ et qu’il n’a pas vu sa semaine de travail prévue réduite d'au moins 50 % parce qu’il prenait soin d'un membre de sa famille pour des raisons liées à la COVID-19 et parce qu’il ne prenait pas soin d'un enfant de moins de 12 ans ou d'un membre de sa famille ne pouvant pas fréquenter son école, sa garderie ou son établissement de garde pour des raisons liées à la COVID-19.

[40] Selon le défendeur, en aucun cas la preuve ne démontre que le demandeur aurait demandé à l’Agente de transférer sa demande de PCREPA à une demande de PCRE pour les périodes 5 et 6.

[41] Finalement, relativement à la PCTCC, le défendeur prétend que contrairement aux prétentions du demandeur, l’agente de deuxième examen a pris en considération tous les renseignements et les documents qu’il a soumis. Il soutient qu’il était raisonnable que l’Agente ait déterminé que le demandeur était inéligible puisqu’il n’était pas en mesure d’expliquer de quelle manière son entreprise a été affectée par la COVID-19.

VII. Analyse

A. Question préliminaire : la nouvelle preuve

[42] Le 2 avril 2024, le demandeur a soumis à l’appui de la demande de contrôle judiciaire un affidavit auquel il a joint plusieurs documents qui n’ont pas été soumis dans le cadre du processus décisionnel devant l’agente du deuxième examen. Il s’agit des documents suivants :

• P-1 : Extrait du Registraire des entreprises pour l’entreprise 9192-9703 Québec Inc.;

• P-2 : Relevés bancaires de l’entreprise 9192-9703 Québec Inc. Du 1er septembre 2019 au 31 décembre 2019;

• P-3 : Sommaire de l’hospitalisation du demandeur du 2 au 4 février 2022; et

• P-4 : Facture de publicité de l’entreprise 9192-9703 Québec Inc. datée du 25 septembre 2019.

[43] Le demandeur cite les trois exceptions établies par la jurisprudence pour admettre une nouvelle preuve soit: i) lorsqu’un nouvel élément de preuve est nécessaire pour fournir des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire, ii) pour signaler les manquements à l’équité procédurale, et iii) pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion (Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] et Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97 et 98.)

[44] Le défendeur soutient que la Cour ne prendra généralement pas en considération les éléments de preuve qui n'étaient pas présentés au décideur que dans les trois circonstances exceptionnelles acceptées selon la jurisprudence. Il soutient que les éléments de preuve soumis ne tombent pas dans aucune des exceptions prévues et qu’ils ne sont donc pas admissibles. Il souligne également que le demandeur n’indique pas dans son mémoire, quelles sont les circonstances qui seraient exceptionnelles en l’espèce pour justifier que la Cour prenne en considération la nouvelle preuve du demandeur.

[45] La règle générale est que la Cour n’accepterait pas de considérer de la nouvelle preuve, dont une preuve qui n’était pas devant le décideur administratif au moment qu’il avait pris la décision faisant l’objet en litige, sauf dans le cas d’une situation exceptionnelle (Aryan au para 42, citant Access Copyright au para 19; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 aux para 27-29).

[46] En l’espèce, le demandeur n’explique pas en quoi ces documents rencontreraient les exigences de l’une des trois situations d’exceptions énoncées plus haut. J’estime que ces documents ne les rencontrent pas. Je conviens donc avec le défendeur que la Cour ne doit pas accepter de documents nouveaux à l’étape du contrôle judiciaire (Access Copyrightaux para 19-20).

B. Les décisions de l’agente de l’ARC sont raisonnables

[47] Premièrement, en ce qui a trait à la PCRE, à mon avis la décision de l’Agente était raisonnable.

[48] Le système fiscal du Canada en est un système d’auto-déclaration partant du principe que le contribuable est capable de fournir tous les documents pertinents à l’appui de sa déclaration. (Walker c Canada (Procureur général), 2022 FC 381 aux para 36–37 [Walker]). À cette fin, le demandeur devait produire suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa demande (Payette c Canada (Procureur général), 2023 CF 131 au para 35; Walker au para 55), et l’ARC pouvait lui demander de fournir des documents ou de l’information additionnelle afin de prouver son admissibilité (Aryan au para 34; voir aussi l’article 6 de la LPCRE et l’article 7 de la LPCTCC).

[49] Je suis d’accord avec le défendeur que le seul fait qu’une somme puisse être considérée comme un dividende à des fins comptables ou fiscales n’en fait pas nécessairement un revenu aux fins des lois applicables aux prestations liées à la COVID-19. Si le montant des dividendes n'a pas été versé au contribuable mais a simplement été inscrit dans les registres comptables, il est raisonnable de conclure que ce montant n'a pas été gagné et qu'il ne constitue pas un revenu au sens de la Loi (Duchesneau au para 31, Konlambigue v Canada (Attorney General), 2022 FC 1781, au para 25). Il est raisonnable de conclure qu'une écriture comptable ne constitue pas une preuve tangible de revenu au sens de la Loi, en particulier lorsqu'elle s'inscrit dans le cadre d'un programme de remplacement du revenu.

[50] Je suis d’accord avec le défendeur que si les règles fiscales générales permettent de déclarer un revenu en distribuant ledit revenu entre conjoints, la jurisprudence récente de cette Cour relève que la détermination du revenu aux fins de l’admissibilité à la PCRE et à la PCTCC ainsi que celle effectuée aux fins de déterminer l’impôt payable par un contribuable est différente. Il était raisonnable de conclure que le demandeur n’a pas atteint le minimum de revenu requis puisque les dividendes ont été inscrits au nom de sa conjointe.

[51] Deuxièmement, pour la PCTCC, considérant les faits au dossier qui se trouvait devant l’Agente et énumérés plus haut, il était raisonnable pour l’Agente de conclure que le demandeur n’était pas éligible à cette prestation, car il n’a pas démontré avoir gagné au moins 5 000 $ de revenus d'emploi en 2020, 2021 ou au cours des 12 mois précédents sa première demande. Il n’a pas plus démontré qu’il ne travaillait pas pour des raisons considérées comme déraisonnables ou non liées à un confinement lié à la COVID-19. L’Agente du deuxième examen a pris en considération tous les renseignements soumis par le demandeur, y compris le feuillet T-5 qu’elle a inclus dans la liste des documents qu’elle indique être au dossier. Les notes de l’Agente sont détaillées.

[52] J’ai tenu compte de la prétention du demandeur voulant que pour les années 2020 et 2021, il a obtenu de la PCRE et que selon les critères d'admissibilités de la PCTCC, les sommes versées pour la PCRE sont prises en compte dans le revenu (article 4(1)(iii) de la LPCTCC). Or, le demandeur n’était pas éligible à la PCRE, il ne peut pas déclarer ce revenu pour déterminer son admissibilité à la PCTCC.

[53] Troisièmement, à la lumière des faits énumérés plus haut et qui étaient devant l’Agente concernant la PCREPA, il était raisonnable pour elle de conclure que le demandeur n’y était pas admissible. Le demandeur a reconnu avoir demandé la PCREPA par erreur. Il demande à cette Cour de conclure que la demande de PCREPA soit convertie et considérée comme une demande de PCRE. Or, cette demande n’a pas été formulée à l’Agente de deuxième examen et il ne s’agit pas de ce que la Cour peut faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[54] Le rôle de la Cour n’est pas non plus de conclure à l’admissibilité ou non du demandeur aux prestations mais de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant l’ARC, si ses décisions sont raisonnables (Paquin c Canada (Procureur général), 2024 CF 1430 au para 3). Il incombait au demandeur de démontrer que la décision est entachée de graves omissions sur le plan factuel ou juridique, ou alors qu’elle ne fait pas état d’une analyse rationnelle (Vavilov aux para 102 à 107). Ce qu’il n’a pas fait. Les trois décisions émises par l’Agente sont cohérentes et intelligibles. Il n’y a donc pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

VIII. Conclusion

[55] Compte tenu de la preuve au dossier et des lois applicables, le demandeur n’a pas démontré que les décisions de l’Agente du deuxième examen sont déraisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[56] Le défendeur a demandé que des dépens lui soient adjugés et les deux parties se sont mises d'accord pour fixer le montant à 700$. Des dépens de 700$ sont donc adjugés.


JUGEMENT dans T-299-24, T-300-24 et T-301-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 700$ sont adjugés.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-299-24, T-300-24 et T-301-24

INTITULÉ :

PAUL DES RUISSEAUX c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUIN 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUIN 2025

COMPARUTIONS :

Me Gloria Ntirandekura

Pour LE DEMANDEUR

Me Emmanuelle Rochon

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Gloria Ntirandekura

Avocate

Québec (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Québec (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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