Date : 20250613
Dossier : IMM-4642-24
Référence : 2025 CF 1069
Ottawa (Ontario), le 13 juin 2025
En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur
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ENTRE : |
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ANGÉLICA MARIA FLOREZ CUBIDES |
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Partie demanderesse |
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Angelica Maria Florez Cubides, a obtenu l’autorisation de se pourvoir en contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 février 2024 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. L’autorisation est obtenue en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La demanderesse avance, entre autres, que la décision ne satisfait pas les critères d’une décision raisonnable. Elle demande que la Cour renvoie l’affaire devant un autre commissaire de la SAR.
[2] La demanderesse, une citoyenne de la Colombie, allègue craindre de retourner dans son pays par crainte du groupe criminel Las Aguilas Negras. Sa demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [SPR] parce qu’elle bénéficie d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans les villes de Medellín ou Carthagène.
[3] Conformément à l’article 111c(1) de la LIPR, la SAR a confirmé la décision de la SPR à la suite d’une analyse circonstanciée et a conclu à l’existence d’une PRI pour la demanderesse dans ces mêmes villes.
[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II. Contexte
[5] La demanderesse travaillait comme gestionnaire de ventes pour une entreprise automobile située à Bogota. En mars 2021, « Monsieur E. »
, un client de l’entreprise a commencé à la harceler, lui téléphonant plusieurs fois et lui envoyant des fleurs au travail. C’est un homme qui est un fermier ayant des liens avec le groupe criminel Las Aguilas Negras. En mai 2021, elle lui a exprimé ne souhaiter qu’une relation professionnelle avec lui. Monsieur E est devenu furieux et il l’a menacée en lui disant qu’elle sortirait malgré tout avec lui et qu’il ferait tout pour que cela arrive. Vers le 1er juin 2021, la demanderesse a remarqué qu’une moto la suivait alors qu’elle rentrait chez elle après le travail. Le 7 juin 2021, Monsieur E lui a téléphoné au travail et lui a décrit ce qu’elle portait la veille et lui a dit que ce si elle n’était pas pour lui, elle ne serait pour personne.
[6] Le 25 juin 2021, la demanderesse a démissionné de son emploi et le 19 juillet 2021 quitte la Colombie pour se rendre aux États-Unis. Le 15 décembre 2021, la demanderesse est arrivée au Canada.
III. Décision sous contrôle judiciaire
[7] La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse parce qu’elle dispose d’une PRI dans les villes de Medellín et de Carthagène. La SAR s’est d’abord penchée sur la crédibilité de la demanderesse avant de conclure sur la PRI.
A. Crédibilité
[8] La SPR a estimé que la demanderesse a établi de manière probable avoir subi à partir de mars 2021, du harcèlement de la part d’un client qui effectuait l’achat d’un camion.
[9] Cela dit, la SAR a trouvé que la demanderesse n’a pas démontré avoir fui Bogota en juin 2021 pour trouver refuge à Cali et Barranquilla et qu’elle a été victime d’une tentative d’enlèvement à Cali. La SAR a tenu compte de l’omission de la demanderesse de mentionner avoir habité dans les villes de Cali et de Barranquilla et d’indiquer ses adresses à des endroits lorsqu’elle a été questionnée à ce sujet par la SPR en début d’audience et dans son formulaire d’immigration à l’Annexe A. La SAR n’a pas accepté les explications fournies par la demanderesse pour expliquer cette omission.
[10] La SAR a également conclu que la demanderesse n’a pas démontré avoir démissionné de son emploi à Bogota le 25 juin 2021. Cela, parce qu’elle a allégué avoir déménagé à Cali le 12 juin 2021 tout en omettant d’indiquer avoir pu maintenir son lien d’emploi par le télétravail. La SAR n’a pas trouvé satisfaisantes les explications de la demanderesse à cet égard. La SAR a constaté que la lettre de démission de la demanderesse est datée du 24 juin 2021 et émise à Bogota alors qu’elle se trouvait prétendument à Cali depuis le 12 juin 2021. Là encore la SAR a analysé les explications de la demanderesse, mais ne les a pas trouvées satisfaisantes. Pour la SAR, la lettre de démission constitue un élément additionnel qui contredit sa présence à Cali en juin 2021.
[11] La SAR a toutefois conclu que la demanderesse a démontré, selon la prépondérance des probabilités, avoir reçu chez sa tante à Bogota un pamphlet contenant des menaces. Cependant, la SAR a trouvé que même si la SPR a erré sur ce point, sa décision est correcte puisqu’advenant un retour en Colombie, la demanderesse pourra se relocaliser à Medellín ou Carthagène, des villes où elle dispose d’une PRI.
B. La possibilité de refuge intérieur
[12] La SAR a conclu que la demanderesse a une PRI à Medellín ou à Carthagène parce qu’elle n’y a pas d’élément crédible suggérant que les agents de persécution allégués ont la motivation ou la capacité à la retrouver dans les villes proposées comme PRI pour les motifs suivants.
[13] D’abord, la SAR a trouvé que la demanderesse n’a pas établi de manière crédible avoir été retrouvée à Cali et que même si elle admet la réception d’un pamphlet de menaces de la part de Las Aguilas Negras, celui-ci aurait été délivré à Bogota, ville où la demanderesse a rencontré le client. La SAR remarque que la demanderesse n’a pas eu de contact avec ce client depuis juillet 2021 et que les membres de sa famille restés à Bogota n’ont pas non plus été contactés par cet homme ou ses acolytes depuis qu’elle a quitté la Colombie. Il n’y a pas d’indice que, depuis le dépôt du pamphlet, il aurait tenté de la rechercher.
[14] Ensuite, la SAR a considéré que la preuve documentaire objective démontre que les Las Aguilas Negras n’existent plus, qu’ils n’ont aucun leadership reconnaissable, ni aucun contrôle territorial et qu’il s’agirait d’un groupe paramilitaire disparu et que des personnes utilisent parfois ce nom pour faire des menaces aveugles. La SAR a jugé que conséquemment, elle ne peut retenir l’hypothèse de la demanderesse, voulant que le client est un fermier, il aurait des liens avec Las Aguilas Negras qui lui procurerait les moyens ou encore la capacité de la retrouver partout en Colombie.
IV. Questions en litige
[15] Le présent dossier soulève les questions en litige suivantes :
-
Est-ce qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter la demande d’asile de la demanderesse parce qu’il existait une PRI à Medellín ou à Carthagène ?
-
Est-ce qu’il était déraisonnable pour la SAR de ne pas examiner si la demanderesse serait persécutée pour la seule raison qu’elle est une femme alors que celle-ci n’a pas soulevé cet élément en appel ?
V. Norme de contrôle
[16] La Cour suprême a confirmé que la norme de la décision raisonnable s’applique pour le contrôle judiciaire d’une décision administrative (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]). Spécifiquement, dans la situation d’une PRI, le Juge McHaffie a confirmé que la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable (Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6 [Ambroise]). Aucune des situations justifiant le renversement de cette présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux para 25, 33, 53; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27). Il faut ainsi déterminer si la décision de la SAR est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85).
[17] La demanderesse a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : à cet effet, elle doit convaincre la Cour que la décision souffre « de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov au para 100). D’ailleurs, lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser la preuve à nouveau pour arriver à une autre décision (Vavilov au para 125).
[18] Les manquements à l’équité procédurale ont été considérés comme pouvant faire l’objet d’un contrôle selon une norme semblable à celle de la décision correcte « même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée »
. La cour de révision se concentre essentiellement sur la question de savoir si le processus était équitable, en gardant à l’esprit que l’obligation d’équité procédurale est variable, souple et contextuelle (Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1388 au para 17, citant Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Vavilov au para 77).
VI. Observations des parties
A. Observations de la demanderesse
[19] La demanderesse soumet que la SAR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas étudié le fardeau de la preuve de la PRI de manière différenciée sous l’article 96 et du paragraphe 97 (1)b) LIPR. Elle prétend qu’une lecture de la décision ne permet pas de savoir sous quel article l’analyse de la PRI est tranchée.
[20] La demanderesse prétend également que dans le cadre de son examen, la SAR a fait des conclusions quant à la crédibilité et la PRI, fondées sur une appréciation de la capacité des agents persécuteurs, les Las Aiguilas Negras, alors que la question la capacité des Las Aguilas Negras n’était pas à l’audience devant la SPR et qu’elles ne se retrouvent pas dans la décision de la SPR. Par conséquent, la décision de la SAR aurait manqué à l’équité procédurale. Les conclusions de la SAR sur la capacité et la motivation de ses agents persécuteurs seraient déraisonnables qu’elles contrediraient que le fait que la SAR ait considéré crédible qu’un pamphlet de menaces des Las Aguilas Negras aurait été reçu par sa tante à Bogota. À son avis cela démontre la motivation et la capacité de ses agents persécuteurs.
[21] La demanderesse avance que les conclusions de crédibilité de la SAR ne sont pas raisonnables, car elles portent sur des questions secondaires, comme le fait de ne pas avoir indiqué les adresses temporaires dans lesquelles elle a vécu quelques semaines avant de quitter le pays. Elle souligne que la jurisprudence indique que la crédibilité d’un demandeur ne doit pas être mise en doute simplement parce que les renseignements qu’il a fournis au point d’entrée ne sont pas détaillés.
[22] La demanderesse soumet que la SAR n’a pas « correctement apprécié »
sa demande, car elle n’a pas évalué la persécution fondée sur le sexe puisque la SAR n’a pas fait mention de la persécution fondée sur le sexe dans ses motifs.
B. Observations du défendeur
[23] Le défendeur prétend qu’il est raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse peut bénéficier d’une PRI dans les villes de Medellín ou Carthagène et que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de la preuve de démontrer l’inexistence d’une PRI dans son pays.
[24] Le défendeur soutient que les arguments de la demanderesse ne démontrent pas que la SAR a rendu une décision déraisonnable, que ce tribunal a erré et que l’intervention de la Cour est justifiée. Selon le défendeur, la Cour ne devrait pas faire droit à la présente demande d’autorisation, puisque le défendeur prétend que Monsieur E et les Las Aguilas Negras n’ont pas les moyens et/ou le désir de retrouver la demanderesse.
[25] De plus, de défendeur soumet que la preuve documentaire récente et objective indique que les Las Aguilas Negras n’existent plus depuis de nombreuses années et ce bien que certaines personnes utilisent ce nom pour faire des menaces et ce que cette preuve n’est pas de la nouvelle prouve puisque c’était dans le Cartable National de Documentation devant la SPR.
[26] Finalement, le défendeur soutient que la demanderesse a omis de soulever l’erreur selon laquelle la SPR n’a pas évalué si la demanderesse était persécutée pour la seule raison qu’elle est une femme, alors la SAR ne pourrait pas l’évaluer dans ses raisons. En somme, la demanderesse ne peut pas reprocher à la SAR de ne pas tenir compte d’un élément et d’une possible erreur qu’elle n’a elle-même pas jugé nécessaire de soulever dans son appel.
VII. Analyse
A. La décision de la SAR de rejeter la demande d’asile de la demanderesse parce qu’elle dispose d’une PRI à Medellín ou à Carthagène est raisonnable
[27] La Cour d’appel fédérale dans les affaires Rasaratnam v Canada (Minister of Employment and Immigration), 1991 CanLII 13517 (FCA), [1992] 1 FC 706 [Rasaratnam] et Thirunavukkarasu v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] 1 FC 589 [Thirunavukkarasu] élabore le test à deux volets pour déterminer s’il existe une PRI.
[28] Pour réfuter la viabilité d’une PRI identifiée, le demandeur doit convaincre la SAR, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur sera exposé à la persécution (selon une norme de la « possibilité sérieuse »
) ou à un danger ou un risque au titre de l’article 97 (selon une norme du « plus probable que le contraire »
) dans la PRI proposée; et (2) en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, les conditions dans la PRI sont telles qu’il serait déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu aux pages 595 à 597; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 10 à 12). Chacun de ces deux volets doit être satisfait pour appuyer la conclusion qu’un demandeur d’asile ne dispose pas d’une PRI viable (Ambroise au para 13).
[29] Ainsi, dans un premier temps, en ce qui concerne le premier volet de l’analyse, une fois que la SPR a identifié une PRI dans les villes de Medellín et de Carthagène, il incombe à la demanderesse de démontrer qu’elle risque sérieusement d’y être persécutée ou d’y être exposée à un danger dû à un risque prévu au titre de l’article 97 de la LIPR.
[30] Pour s’acquitter de ce fardeau, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il demeurera exposé, dans la PRI proposée, aux mêmes personnes ou agents de persécution que ceux qui l’ont mis en danger à l’origine. L’évaluation du risque consiste à déterminer si les agents de persécution ont à la fois les « moyens »
et la « motivation »
de causer un préjudice au demandeur d’asile dans la PRI proposée (voir Chatrath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 958 au para 20 [Chatrath], citant Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 au para 8). Cette évaluation est une analyse prospective et est considérée du point de vue des agents de persécution, et non du point de vue du demandeur (voir Vartia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 1426 au para 29, citant Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 81 au para 21 et Aragon Caicedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 485 au para 12). Il incombe donc au demandeur de présenter des preuves ou des faits suffisants pour s’acquitter du fardeau de la preuve et démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les agents de persécution ont les moyens et la motivation nécessaires pour les localiser dans la PRI proposée (voir Chatrath, supra, au para 20).
[31] En l’occurrence, la SAR a conclu que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que ses agents de persécution ont la motivation et la capacité de la retrouver à l’extérieur de Bogota, dans les villes proposées comme PRI.
[32] Les contradictions et omissions dans le récit de la demanderesse relativement à ses déménagements à Cali et à Barranquilla sont des éléments de sa demande d’asile puisqu’ils tendent à démontrer la motivation et la capacité de ses agents de persécution de la retrouver dans les villes proposées comme PRI. Je suis d’accord avec le défendeur que la demanderesse se devait donc d’avoir un témoignage constant et non contradictoire à cet effet. La SAR a tenu compte des explications de la demanderesse. Dans ce contexte, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’a pas établi qu’elle avait déménagé en juin 2021 à Cali et à Barranquilla et donc qu’elle a été retrouvée à Cali.
[33] Qui plus est, depuis le départ de la demanderesse il y a plusieurs années, les agents persécuteurs n’ont pas contacté ses parents qui demeurent toujours à Bogota, là où Monsieur E a contacté la demanderesse et/ou cette dernière vivait. La preuve documentaire au dossier indiquant que les Las Aguilas Negras ne sont pas un groupe organisé, qu’il n’a pas de structure, qu’il ne contrôle pas de territoire en Colombie et qu’il n’existe plus, même si parfois des gens utilisent le nom du groupe pour faire des menaces.
[34] Dans ce contexte, bien que la SAR ait considéré crédible qu’un pamphlet de menaces portant la mention Las Aguilas Negras ait été reçu par la tante de la demanderesse à Bogota, il était raisonnable pour la SAR de conclure au manque de motivation de Monsieur E et des Las Aguilas Negras de rechercher la demanderesse à l’extérieur de Bogota dans les villes proposées comme PRI.
[35] La décision portant sur l’existence ou non d’une PRI fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié. La Cour d’appel fédérale l’a soulignée dans l’affaire de principe Rasaratnam et a rappelé l’origine du concept :
…puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine partie ou région d’un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s’il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s’ensuit que la décision portant sur l’existence ou non d’une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s’il s’agissait d’un refus d’accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention […]
[36] Par conséquent, la demanderesse n’a pas été prise par surprise de voir la SAR conclure à cet égard. D’autant plus que la SPR s’était prononcée sur la PRI y compris sur la motivation et les moyens de ses agents persécuteurs de la retrouver à l’extérieur de Bogota. Quant à la preuve documentaire concernant les Las Aguilas Negras, elle se trouvait dans la preuve au dossier devant la SPR et la SAR. Il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale et comme examiné plus haut, la décision de la SAR relativement à la PRI est raisonnable.
B. L’analyse de la persécution en tant que femme colombienne
[37] La SPR a indiqué avoir analysé la demande d’asile de la demanderesse en fonction de l’article 96 de la LIPR parce qu’il existe un lien entre sa crainte et l’un des cinq motifs prévus dans la Convention, plus précisément le groupe social des femmes. Même sans avoir repris les mots de la SPR, il apparaît évident à la lecture de sa décision, que la SAR a complété sa propre analyse de la PRI en prenant en considération les allégations de la demanderesse à la base de sa demande d’asile voulant qu’elle craigne Monsieur E et ses acolytes, un homme qui l’aurait harcelée et l’aurait menacée lorsqu’elle aurait refusé ses avances, donc que la demanderesse craint la persécution parce qu’elle est une femme colombienne. L’analyse de la SAR a tenu compte du profil de Monsieur E, un fermier, et de ses acolytes allégués, Las Aguilas Negras.
[38] La demanderesse n’a pas donc pas démontré qu’en l’espèce, la SAR n’a pas étudié le fardeau de la preuve de la PRI de manière différenciée sous l’article 96 et du paragraphe 97 (1)b) LIPR. La SAR a conclu que la demanderesse n’a pas démontré la motivation et la capacité de Monsieur E et de ses acolytes de la rechercher hors de Bogota, en particulier à Medellín ou à Carthagène et cette analyse de la PRI vaut tant pour les demandes d’asile présentées en vertu de l’article 96 et que 97.
[39] Quant à l’argument de la demanderesse voulant que la SAR ait omis d’analyser dans son appel une crainte de persécution en raison de sa simple appartenance au groupe social des femmes colombiennes, il doit être rejeté.
[40] Il est bien établi que la SAR n’a pas pour rôle de combler les lacunes d’un appel dont elle est saisie (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 30). En vertu de l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, il incombe à un demandeur d’asile d’identifier dans son mémoire d’appel les erreurs de la SPR qui constituent les motifs de l’appel et l’endroit où se trouvent ces erreurs (Dhillon c MCI, 2015 CF 321 aux para 18-20; Nzouankeu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 440, au para 22 (CanLII)).
[41] Qui plus est, notre Cour a établi que « [i]l est en effet bien établi qu'une question qui n'a pas été soulevée devant un tribunal administratif ne peut être examinée dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, je dois me prononcer sur les questions qui ont été portées à l'attention de l'autorité administrative et sur les seuls motifs qui ont été invoqués au soutien de la décision prononcée »
(Kaur c MCI, 2006 CF 1066 au para 17; voir aussi Chan c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 RCS au para 147; Kajangwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 823 au para 21).
[42] En l’espèce en appel devant la SAR, la demanderesse n’a pas contesté la conclusion rendue par la SPR à cet égard. D’ailleurs, dans sa demande d’asile, la demanderesse alléguait craindre Monsieur E et ses acolytes parce qu’elle a refusé ses avances. La SAR a fait ce qui était attendu d’elle, soit de procéder à sa propre analyse de l’ensemble du dossier, afin d’établir que les conclusions de la SPR sur les questions déterminantes sont correctes.
[43] La demanderesse demande essentiellement à la cour de réévaluer la preuve en lien avec son identité comme femme qui n’est pas permise en contrôle judiciaire (voir par exemple para 29 du mémoire des faits et du droit de la demanderesse). Comme exprimé dans Vavilov la réévaluation de la preuve n’est pas le but d’un contrôle judiciaire (Vavilov au para 125).
VIII. Conclusion
[44] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait dans le cadre du contrôle judiciaire de convaincre la Cour que la décision de la SAR était déraisonnable ou qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. La décision de la SAR qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire est suffisamment justifiée, intelligible et transparente.
[45] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans IMM-4642-24
LA COUR STATUE que :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Il n’y a pas de questions à certifier.
« L. Saint-Fleur »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-4642-24 |
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INTITULÉ : |
ANGÉLICA MARIA FLOREZ CUBIDES c MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 25 MARS 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE SAINT-FLEUR |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 13 JUIN 2025 |
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COMPARUTIONS :
|
Me Nancy Cristina Muñoz Ramírez |
Pour LA PARTIE DEMANDERESSE |
|
Me Zofia Przybytkowski |
Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
ROA Services Juridiques Avocats Montréal (Québec) |
Pour LA PARTIE DEMANDERESSE |
|
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE |