Date : 20250616
Dossier : IMM-16035-23
Référence : 2025 CF 1082
Ottawa (Ontario), le16 juin 2025
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
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ENTRE : |
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OSCAR RIVERA GALICIA MARICELA PEREZ GARCIA ESTEPANIA YENY LEHT RIVERA PEREZ ALISON NAOMI RIVERA PEREZ OSCAR ALLAN RIVERA PEREZ |
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Demandeurs |
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et |
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MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ |
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Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Les demandeurs, Oscar Rivera Galicia [demandeur principal], Maricela Perez Garcia, Estepania Yeny Leht Rivera Perez, Alison Noami Rivera Perez et Oscar Allan Rivera Perez [collectivement les « demandeurs »
] sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision négative d’un agent avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [Agent] [IRCC] rejetant leur demande d’Examen des Risques avant Renvoi [ERAR] du 31 janvier 2023 [Décision]. L’Agent a rejeté la demande au motif que les demandeurs n’ont pas pu établir qu’ils risquaient d’être torturés ou persécutés, de subir des traitements ou peines cruels et inusités ou de menaces à leurs vies advenant un renvoi vers leur pays de nationalité ou de résidence habituelle.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les demandeurs ont démontré que la Décision enfreint l’équité procédurale.
II. Faits
[3] Les demandeurs d’asile sont des citoyens du Mexique. La famille se compose du demandeur principal, son épouse ainsi que leurs trois enfants. Ils allèguent craindre « des gens affiliés à un groupe criminel ou cartel »
. Le 15 octobre 2015, les demandeurs sont arrivés au Canada où ils ont fait une demande d’asile. Cette demande d’asile a été rejetée le 18 février 2019 en raison de problèmes de crédibilité.
[4] Le 26 avril 2022, les demandeurs ont déposé une demande d’ERAR. En mai 2022, l’avocat des demandeurs responsable de la demande d’ERAR [Avocat] a sollicité à deux reprises une prolongation de délai pour envoyer des soumissions à l’appui de la demande d’ERAR.
[5] Le 24 août 2022, le demandeur et son Avocat ont reçu une lettre d’IRCC [Lettre] indiquant que la mesure spéciale pour les personnes qui présentaient une demande ERAR mise en place pendant la pandémie n’était plus en vigueur. La Lettre avise qu’« en raison d’une erreur de publication sur le site Web externe, vous ne nous avez peut-être pas fourni tous les renseignements dont vous voulez que nous tenions compte dans votre demande »
. Les demandeurs ont été accordés 30 jours supplémentaires pour envoyer leurs observations écrites et les preuves documentaires qu’ils souhaitent ajouter à leur demande.
[6] Le 31 janvier 2023, l’Agent a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs notant qu’ils n’ont pas allégué dans leur formulaire ERAR les risques et craintes précédemment soulevées dans leur demande d’asile, et qu’ils n’ont pas fourni de nouvelles preuves ou de soumissions en lien avec leurs craintes et risques. L’Agent, en faisant référence à la Lettre, souligne que « la lettre de 30 jours suite à l’erreur de publication a été envoyée, les délais de 30 jours incluant les jours de services sont écoulés »
. Considérant que le fardeau de preuve repose sur les demandeurs, l’Agent conclut que les demandeurs n’ont donc pas déposé de preuves pour soutenir l’allégation qu’ils seraient à risque advenant leur retour au Mexique. Il tranche que « compte tenu de ce qui précède, la protection ne pourrait être accordée aux demandeurs sur une simple déclaration, mention ou présentation de demande ERAR »
. Il entreprend une analyse de la demande ERAR en traitant de la question de protection de l’État et de la documentation dans le Cartable de Documentation Nationale. En l’absence de soumissions détaillées, de preuve et de documentation, l’Agent conclut que selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’ont pas démontré des motifs sérieux de croire qu’ils courent des risques de torture, de menaces à leurs vies, de traitements ou de peines cruels ou inusités, au sens des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27, advenant un retour au Mexique. Cette Décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III. Question en litige
[7] La question en litige est celle de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs font valoir qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, car l’Agent n’a pas considéré leurs soumissions écrites qu’ils soutiennent avoir envoyées à l’IRCC le 28 juin 2022 soit plusieurs mois avant que la Décision soit rendue le 23 janvier 2023.
[8] Une allégation d’équité procédurale est déterminée sur la base ressemblant à la décision correcte. La Cour doit analyser si la procédure était équitable en considérant toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14).
[9] La question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. L'obligation d'agir équitablement comporte deux volets: 1) le droit à une audience équitable et impartiale devant un décideur indépendant et 2) le droit d'être entendu (Fortier c Canada (Procureur général), 2022 CF 374 au para 14; Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Chacun a droit à une possibilité complète et équitable de présenter sa cause (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 28).
[10] La nature et l’étendue de l’obligation sont éminemment variables. C’est ainsi que la question de savoir si une décision respecte les principes d’équité procédurale doit être tranchée au cas par cas (Baron c Canada (Procureur Général), 2023 CF 1177 aux para 22-24).
IV. Analyse
A. Question d’ordre préliminaire : renvoi de certains des demandeurs
[11] Lors de l’audience, l’avocat des demandeurs a informé la Cour que trois des demandeurs soit Oscar Rivera Galicia, Oscar Allan Rivera Perez et Marciela Perez Garcia ont été renvoyés en novembre 2024.
[12] Le défendeur allègue que la demande de contrôle judiciaire est sans objet à l’égard des demandeurs qui ont été renvoyés puisque l’ERAR s’applique uniquement aux demandeurs encore au Canada. Donc, si la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire, cette décision ne s’appliquerait plus aux trois demandeurs renvoyés. Par contre, les demandeurs soutiennent que les effets de la décision s’appliquent toujours à tous les demandeurs et par exemple, elle pourrait leur être pertinente advenant un retour au Canada (citant Nshimyumuremyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1352 [Nshimyumuremyi]).
[13] La question devant la Cour n’est pas théorique. À la lumière des critères de Borowski c Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 RCS 342, il existe toujours un débat contradictoire entre les parties. La demande de contrôle judiciaire porte sur le refus d’une demande ERAR de cinq demandeurs. Le souci d’économie des ressources judiciaire est sans impact puisque la Cour doit toujours trancher le débat sur la décision négative de l’ERAR pour les deux demandeurs qui n’ont pas été renvoyés. De plus, la question de l’admissibilité d’un demandeur à une demande ERAR et le fait de ne pas être au Canada est un facteur que l’agent ERAR doit déterminer (Nshimyumuremyi au para 36).
B. La décision a manqué à l’équité procédurale
[14] Dans la décision sous contrôle, l’Agent note que l’Avocat des demandeurs a indiqué par écrit « Voir soumissions »
sous certaines questions des formulaires de la demande d’ERAR. Or, l’Agent soutient qu’il n’a reçu aucune documentation ou soumission à l’appui des demandes d’ERAR. Les soumissions ne se retrouvent pas non plus au dossier certifié du tribunal [DCT].
[15] Cependant, les demandeurs soutiennent qu’ils ont bel et bien envoyé leurs soumissions écrites à l’Agent. Les demandeurs ont déposé l’affidavit de Estepania Yeny Leht Rivera Perez daté du 7 mars 2024 [Affidavit] à l’appui de leur affirmation. L’Affidavit contient un bordereau/facture de transmission daté du 28 juin 2022 et une lettre de l’Avocat qui confirme avoir envoyé les soumissions par courrier postal à la même date que le bordereau/facture. Les demandeurs notent que le bordereau confirme la cote postale du Bureau de la migration humanitaire - Vancouver. L’Affidavit fournit aussi une copie des soumissions écrites.
[16] D’autre part, le défendeur allègue que la Lettre est déterminante. Cette Lettre aurait dû soulever un soupçon qu’IRCC n’a pas reçu leurs documents. Cependant, ni le demandeur ni l’Avocat n’ont répondu à cette lettre. En l’espèce, il n’y a pas eu de violation à la justice fondamentale parce que l’Agent a fourni aux demandeurs l’opportunité de soumettre de nouvelles preuves et de nouvelles représentations. L’Agent ne peut être tenu responsable pour son inaction puisqu’il n’était pas responsable d’enquêter ou de demander de la preuve supplémentaire. Le défendeur cite Mei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1040 au paragraphe 23 pour étayer sa position que l’on ne peut présumer qu’un document envoyé est reçu à moins que le demandeur ait un doute quant à la transmission du document en question.
[17] Or, en l’espèce, je suis d’avis que les demandeurs ne pouvaient entretenir un doute quant à la non-réception de ces documents et le Lettre d’août 2022 ne pouvait servir d’avertissement à cet effet. La Lettre était de nature si générique que les demandeurs n’ont eu aucune raison de soupçonner un potentiel problème de transmission. En effet, l’utilisation des termes « peut-être »
ne pouvait suggérer que les soumissions n’ont pas été reçues et qu’ils devaient agir pour remédier au problème. Il n’y avait également aucune preuve spécifiant si cette Lettre ciblait particulièrement le dossier des demandeurs ou s’il s’agissait d’une lettre d’ordre général.
[18] La jurisprudence de la Cour a traité de circonstances lorsqu’il est confirmé qu’un document a été correctement soumis par le demandeur, mais il ne se trouve pas le DCT, et que pour des raisons échappant au contrôle du demandeur, il n’a pas été présenté au décideur. Dans ce cas, la jurisprudence veut que la décision soit annulée (Kotowiecki c Canada (Procureur général), 2022 CF 1314 au para 26 [Kotowiecki], citant Togtokh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 581 au para 16, autres citations omises).
[19] Les informations quant à l’envoi des soumissions n’ont pas été contestées et le défendeur n’a pas contre-interrogé la déclarante au sujet de son Affidavit. Je conclus que les documents ont été envoyés par les demandeurs.
[20] L’équité procédurale suppose le droit d’être entendu, et je conclus que la décision contestée est inéquitable sur le plan procédural en raison de l’omission de l’Agent de tenir compte des soumissions des demandeurs (Kotowiecki au para 29).
[21] Il n’appartient pas à la Cour de formuler des hypothèses sur la façon dont les observations des demandeurs auraient pu influer sur la décision de l’Agent. En conséquence, le dossier sera envoyé à un autre décideur pour une nouvelle évaluation de l’ERAR (Rasasoori c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 207 aux para 14-15).
V. Conclusion
[22] Il y a eu un manquement à l’équité procédurale, car les demandeurs n’ont pas eu la possibilité complète et équitable de répondre à la demande d’ERAR. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[23] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans IMM-16035-23
LA COUR STATUE que :
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La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
-
Il n’y a pas de questions à certifier.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-16035-23 |
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INTITULÉ : |
OSCAR RIVERA GALICIA, ET AL. c MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 MAI 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 16 JUIN 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Me Vincent Desbiens |
Pour LES DEMANDEURS |
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Me Sherry Rafai-Far |
Pour LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Aide juridique de Montréal Avocats Montréal (Québec) |
Pour LES DEMANDEURS |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour LE DÉFENDEUR |