Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20250616


Dossier : T-1511-24

Référence : 2025 CF 1084

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

SAID ZOUITA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Monsieur Said Zouita [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 24 mai 2024 par laquelle une agente de l’Agence du revenu du Canada [ARC] a déterminé l’inadmissibilité du demandeur à la Prestation canadienne de relance économique [PCRE] puisqu’il n’a pas satisfait le critère d’admissibilité du revenu minimal [Décision]. Le Demandeur affirme se conformer aux exigences d’admissibilité de la PCRE et que la Décision était déraisonnable.

[2] Le demandeur soutient qu’il a effectivement satisfait au critère de revenu minimal parce qu’il a gagné plus de 5 000 $ en 2019 et en 2020 en fonction de ses cotisations d’impôt modifiées. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’ARC de ne pas tenir compte de certaines de ces modifications parce qu’elles ont été apportées dans le seul but de satisfaire aux critères d’admissibilité à la PCRE et qu’elles ne reflétaient pas la véritable situation financière du demandeur.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[4] Le demandeur travaillait comme chauffeur indépendant sous la bannière d’Uber Canada depuis le mois d’octobre 2018. Il utilisait sa voiture personnelle. À partir du 24 octobre 2020, le demandeur a demandé, et obtenu, les prestations de la PCRE, pour les périodes 1 à 5 (du 27 septembre 2020 au 5 décembre 2020), 9 à 21 (du 17 janvier 2021 au 17 juillet 2021) et 24 à 28 (du 15 août 2021 au 23 octobre 2021).

[5] Le 8 avril 2022, l’agent de premier examen a décidé que le demandeur était inadmissible à la PCRE parce qu’il (1) n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emplois ; (2) a quitté son emploi volontairement ; (3) ne travaille pas pour des raisons autres que la COVID-19 ; (4) n’a pas eu une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19 ; et (5) était capable de travailler, mais ne cherchait pas d’emploi.

[6] Lors de ses déclarations de revenus initiales, le demandeur déclarait les revenus suivants :

 

2019

2020

Revenus bruts

8 178 $

5 939 $

Revenus nets

1 713 $

3 911 $

[7] Le demandeur a demandé un nouvel examen avec les documents justificatifs supplémentaires. Le 16 août 2022, l’agent du deuxième examen a conclu que le demandeur était inadmissible à la PCRE parce qu’il n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emplois.

[8] Le demandeur a demandé un autre nouvel examen en faisant valoir qu’il n’a pas pu fournir toute l’information en sa possession lors du deuxième examen. Il a soumis des demandes de modification de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2019 et 2020, lesquelles modifiaient ses revenus de la façon suivante :

 

2019

2020

Revenus bruts

8 178 $

5 939 $

Revenus nets

5 171 $

5 325 $

[9] L’ARC a accepté que le demandeur fournisse la documentation supplémentaire et lui a accordé un deuxième examen révisé [troisième examen]. Le 27 février 2023, celui-ci a également été rejeté ; l’agent de l’ARC a conclu que le demandeur était inadmissible à la PCRE parce qu’il n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus ; et (2) ne travaille pas pour des raisons autres que la COVID-19.

[10] Le 28 mars 2023, le demandeur a entamé un contrôle judiciaire de la décision du 27 février 2023 devant la Cour fédérale. Ce contrôle judiciaire s’est soldé par un second renvoi en deuxième examen révisé (troisième décision). Le 24 mai 2024, l’agent de l’ARC a de nouveau conclu que le demandeur est inadmissible à la PCRE (quatrième décision). Cette décision est 1’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Décision sous contrôle judiciaire

[11] Pendant le quatrième examen, l’agente a, à plusieurs reprises entre le 22 avril 2024 et le 10 mai 2024, tenté d’obtenir du demandeur les documents au soutien des redressements effectués à ses revenus, spécifiquement les papiers que son comptable a transmis au gouvernement pour faire les modifications aux cotisations. Le 8 mai 2024, le demandeur a soumis une lettre explicative du redressement de formulaire T2125 de l’année 2019. Le 10 mai 2024, le demandeur a soumis une copie du formulaire T2125 avec les explications à la main, également concernant l’année d’imposition 2019 seulement. Il n’a soumis aucun document quant aux modifications apportées au revenu de l’année 2020.

[12] Pour l’année 2019, le demandeur a modifié ses revenus de la manière suivante : alors qu’il réclamait initialement une déduction pour amortissement relative à son véhicule, déduisait 100 % des dépenses liées à son véhicule et déduisait des frais de repas comme étant à des fins commerciales, les modifications réduisaient les déductions prises quant aux frais de repas et celles liées à son véhicule et, surtout, éliminaient complètement la déduction pour amortissement relative à son véhicule.

[13] Pour l’année 2020, le demandeur n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles les modifications ont été faites, et pourquoi elles n’avaient pas été appliquées dans les déclarations initiales.

[14] Le 22 mai 2024, 1’ARC a de nouveau conclu à l’inadmissibilité du demandeur à la PCRE. Le motif invoqué était le suivant :

Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi et/ou de revenu net de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de votre demande.

[15] Les notes au dossier révèlent que, en rendant sa décision, 1’ARC a en effet conclu que les revenus modifiés du demandeur étaient injustifiés et ne reflétaient pas sa véritable situation financière. Prenant en compte que le demandeur a demandé de redresser uniquement les déclarations de revenus qui ont un impact sur son admissibilité aux prestations d’urgence (2019 et 2020), le décideur a considéré que le demandeur a demandé de redresser les impôts afin de réduire ses dépenses pour satisfaire au critère portant sur le 5 000 $ net et pas pour les raisons justifiées. L’agente a reconnu que le demandeur a le droit de modifier sa déclaration d’impôt en retirant la totalité de déduction pour amortissement, mais elle a considéré que ce n’était pas sa situation réelle. En conséquence, l’agente a refusé d’ajouter le 1 200 $ que le demandeur a initialement déduit pour l’amortissement de son véhicule, et a conclu que le demandeur n’avait pas le 5 000 $ requis même après les redressements.

IV. Questions en litige

[16] Les questions en litige sont celles de savoir si la décision rendue par l’agente de l’ARC est raisonnable et si cette dernière a manqué à l’équité procédurale.

V. Norme de contrôle

[17] Les parties soutiennent et je suis d’accord que la norme de contrôle de la première question est celle de la raisonnabilité.

[18] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non du demandeur aux prestations. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant l’ARC, si sa décision est raisonnable (Paquin c Canada (Procureur général), 2024 CF 1430 au para 3).

[19] L’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] établit le cadre d’analyse qui préside lors de l’examen d’une décision administrative selon la norme de la décision raisonnable. Qui recherche un contrôle judiciaire a le fardeau de démontrer que la décision n’a pas les caractéristiques de la décision raisonnable que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité, la justification étant évaluée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes au cas (Vavilov aux para 99–100). Pour ce faire, la cour de révision est tenue au principe de la retenue judiciaire et adopte une attitude de respect à l’égard de la décision à l’étude (Vavilov aux para 13–14).

[20] Pour la deuxième question, les manquements à l’équité procédurale sont considérés comme pouvant faire l’objet d’un contrôle selon une norme semblable à celle de la décision correcte « même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Canadien Pacifique]) La cour de révision se concentre essentiellement sur la question de savoir si le processus était équitable, en gardant à l’esprit que l’obligation d’équité procédurale est variable, souple et contextuelle (Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1388 au para 17, citant Canadien Pacifique au para 54 ; Vavilov au para 77).

VI. Dispositions législatives pertinentes

[21] Dans l’arrêt Tadros c Canada (Procureur général), 2024 CF 1411 au paragraphe 19, la juge Tsimberis a résumé les critères cumulatifs de l’admissibilité à la PCRE prévus à l’article 3 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance, LC 2020, c 12, art 2 [LPCRE] comme suit :

1. Le contribuable qui travaille à son propre compte doit démontrer que ses revenus provenant d’un emploi ou un travail indépendant s’élevaient à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande ;

2. Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, le contribuable doit avoir été empêché d’exercer un emploi ou d’exécuter un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID-19, ou d’avoir subi une réduction d’au moins 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte par rapport à l’année précédente ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande, pour des raisons liées à la COVID-19 ;

3. Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, le contribuable doit également démontrer avoir fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte, afin de combler le manque à gagner ;

4. Le contribuable doit démontrer avoir été présent au Canada et en mesure de travailler durant la période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées.

[22] Le fardeau de la preuve quant à l’admissibilité à la PCRE appartient au contribuable. En vertu de l’article 6 de la LPCRE, le demandeur est tenu de fournir tout renseignement exigé par l’agent relativement à sa demande.

VII. Observations des parties

A. Observations du demandeur

[23] Le demandeur prétend que la Décision a avancé deux motifs ; soit qu’outre l’insuffisance des revenus, mais également le fait qu’il n’a pas travaillé pour des raisons autres que la COVID-19. Pourtant, la décision n’évoque qu’un seul motif, soit celui de l’insuffisance de revenus. Par conséquent, les observations du demandeur sur les raisons pour lesquelles il n’a pas travaillé ne peuvent pas être traitées.

[24] Le demandeur prétend qu’il respecte les critères établis par la LPCRE ; il affirme que, pour l’année 2019, il a réalisé un chiffre d’affaires de 8178,06 $ et un résultat net de 5171,17 $, et pour l’année 2020, il a réalisé un chiffre d’affaires de 5939,83 $ et net de 5325,14 $. Il affirme également que ses avis de cotisation attestent de ces chiffres. Il ne fournit aucune explication pour ces chiffres, ne cite pas de jurisprudence ni d’argument légal dans ses observations.

B. Observations du défendeur

[25] Le défendeur prétend que le raisonnement qui sous-tend la décision de refuser l’admissibilité à la PCRE du demandeur est cohérent, fondé sur la preuve qui a été soumise au décideur et se justifie à 1’égard de la loi applicable.

[26] Le défendeur rappelle que le fardeau incombe à celui qui formule une demande de prestations d’établir qu’il satisfait aux critères de la LPCRE, selon la prépondérance des probabilités (Ntuer c Canada (Procureur générale), 2022 CF 1596 au para 26 et Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 55).

[27] Le défendeur constate que, par rapport à l’année d’imposition 2020, en ne soumettant aucune preuve pour appuyer ses modifications de revenus pour cette année, le demandeur n’a pas rencontré ce fardeau.

[28] Par rapport à l’année d'imposition 2019, le défendeur prétend qu’il était raisonnable pour le décideur, avec les documents soumis, de considérer que la modification des revenus du contribuable ne reflétait pas sa réalité économique et visait plutôt à rendre le demandeur éligible aux PCRE ; le demandeur a soumis des demandes d’ajustement de ses déclarations de revenus après avoir reçu une décision défavorable, et, même en acceptant les modifications aux frais de repas et dépenses du véhicule, le retrait de la déduction pour amortissement est injustifié et ne reflète pas la véritable situation financière du demandeur.

[29] Au surplus, le défendeur cite Cozak c Canada (Procureur général), 2023 CF 1571 at paragraphe 23 et Lavigne c Canada (Procureur général), 2023 CF 1182 [Lavigne] pour le point qu’une cotisation d’impôt ne constitue pas une preuve concluante du revenu aux fins d’une demande de prestations liées à la COVID-19.

VIII. Analyse

A. Question préliminaire : l’admissibilité de la nouvelle preuve

[30] Le demandeur a soumis à l’appui de la demande de contrôle judiciaire un affidavit de treize (13) pages auquel il a joint trente-cinq (35) documents, dont plusieurs n’étaient pas devant le décideur. Les pièces P-4, P-5, P-19, P-20, P-21, P-22, P-23 et P-28, les annotations à la pièce P-27 ainsi que les faits contenus aux paragraphes 9, 31– 36, 40, 44, 45, 46, 47 et 51–52 de l’affidavit du demandeur n’ont pas été soumis dans le cadre du processus décisionnel et n’étaient pas devant le l’agente de l’ARC.

[31] La règle générale est que la Cour n’accepte pas de considérer les nouveaux éléments de preuve, dont une preuve qui n’était pas devant le décideur administratif au moment qu’il avait pris la décision faisant l’objet en litige, sauf dans le cas d’une situation exceptionnelle (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 42, citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright] ; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 aux para 27–29).

[32] Les trois exceptions établies par la jurisprudence pour admettre une nouvelle preuve sont : (1) lorsqu’un nouvel élément de preuve est nécessaire pour fournir des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire, (2) pour signaler les manquements à l’équité procédurale, et (3) pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion (Access Copyright et Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97 et 98).

[33] Les contenus dans l’affidavit ne sont pas pertinents dans le présent contrôle judiciaire. Le quatrième examen qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire n’a commencé que le 9 avril 2024, après que l’affaire a été renvoyée à l’ARC à la suite de la demande de contrôle judiciaire du troisième examen présentée par le demandeur. Malgré cela, le récit dans l’affidavit se termine en mars 2023, avant la demande initiale de contrôle judiciaire. Par conséquent, l’affidavit ne fait pas la lumière sur la décision en cause.

[34] En l’espèce, considérant que l’affidavit ne concerne pas la décision pertinente, les nouveaux éléments de preuve ne relèvent aucunement d’une des exceptions reconnues pour admettre une nouvelle preuve. En conséquence, je ne tiendrais pas compte du nouveau contenu et je ne considérerais pas la preuve qui n’était pas devant l’agent de l’ARC.

[35] Par ailleurs, le demandeur a présenté de vive voix un argument qui ne figurait pas dans son mémoire des faits et du droit. Le défendeur s’est opposé à la recevabilité de cet argument, puisque c’était la première fois qu’on le portait à sa connaissance. Je suis d’accord que cela a porté préjudice à la partie adverse, qui a évidemment été prise par surprise. Qui plus est, il ne fait aucun doute que la Cour n’est pas en position de pleinement apprécier le bien‑fondé d’un nouvel argument qui est soulevé de manière soudaine lors de l’audience. La Cour a statué que les arguments qui ne sont pas présentés dans les mémoires écrits ne seront habituellement pas étudiés par la Cour (Mishak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8579 (CF)).

[36] En temps normal, je ne me pencherais pas sur les nouveaux arguments. Cependant, en l’espèce, trois jours avant l’audience devant la Cour, le demandeur a indiqué ne plus être représenté par l’avocat inscrit au dossier, mais vouloir maintenant agir en son propre nom. Il a également indiqué qu’il croyait avoir signalé dans son mémoire des manquements à l’équité procédurale concernant une date butoir pour soumettre des documents à l’agente et qu’il y avait un manque de clarté concernant les documents à soumettre. Il s’est montré surpris que ces arguments ne se trouvent à son mémoire. Dans ces circonstances, j’ai permis au demandeur de soumettre par écrit des soumissions additionnelles pour signaler ces manquements et au défendeur d’y répondre également par écrit. Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation, je traiterai de ces arguments relatifs à l’équité procédurale.

B. Le caractère raisonnable de la Décision

[37] Pour les raisons qui suivent, la Décision de l’agente de l’ARC est raisonnable.

[38] D’abord, je suis d’accord avec le défendeur qu’en ne soumettant aucune preuve pour appuyer ses modifications de revenus pour l’année d’imposition 2020, le demandeur n’a pas rencontré son fardeau d’établir qu’il satisfait aux critères de la LPCRE pour cette année. Le demandeur était requis par l’article 6 de la LPCRE de fournir au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande. L’agente a communiqué à plusieurs reprises qu’elle exigeait plus de documentation relative aux redressements de revenu pour l’année 2020, et le demandeur n’a pas répondu à ces demandes. Le demandeur ne peut pas simplement se fier aux récapitulatifs Uber pour les trois premiers mois de 2020 qu’il a initialement soumis et à un nouveau tableau qu’il a préparé en indiquant un revenu net différent de celui qu’il a initialement soumis. Cela, sans soumettre aucune explication de la façon dont le nouveau revenu a été déterminé.

[39] Ensuite, en ce qui concerne l’année d’imposition 2019, je suis également d’accord avec le défendeur.

[40] Dans la lettre expliquant les changements apportés au redressement de formulaire T2125 de l’année 2019, le demandeur a expliqué que les changements apportés aux déductions de frais de repas et aux dépenses de véhicule ont été apportés pour corriger les erreurs du comptable précédent. Le demandeur explique que ces erreurs consistaient notamment à déclarer les frais de repas personnels lorsque le demandeur ne quittait pas Montréal pour son travail et à déduire cent (100) pourcent des frais de véhicule lorsque celui-ci n’a pas été utilisé à cent (100) pourcent à des fins commerciales.

[41] En ce qui concerne la modification de la déduction pour amortissement, le demandeur a donné l’explication suivante : « De valeur de 1200$ sans notre consentement, la déduction pour amortissement [DPA] est au choix de contribuable, nous avons renoncé à ce choix et nous avons modifié le montant à zéro ».

[42] L’agente a admis que les modifications apportées aux cotisations d’impôt étaient dans le droit du demandeur. Elle a accepté les modifications apportées aux déductions de frais, mais a rejeté la suppression de la DPA en indiquant ce qui suit dans ses notes :

Bref, étant donné que nous devons considérer le revenu net de travail indépendant pour satisfaire le critère du 5,000$, c’est-à-dire, son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner, mais avant l’impôt, même si le BP [bénéficiaire de prestations] est en droit de modifier sa déclaration d’impôt en retirant la totalité de déduction pour amortissement, nous considérons que ce n’est pas le reflet de sa situation réelle. De ce fait, en déduisant les montants ajoutés dans la section amortissement de 1 200 $ sans ses déclarations, BP n’a pas le 5k admissible même après redressements.

[43] Même si le demandeur peut modifier sa cotisation fiscale, l’ARC est n’est pas tenue de tenir compte de ces modifications si elle croit qu’elles sont inexactes ou apportées seulement dans le but de satisfaire aux critères d’admissibilité (Lavigne c Canada (Procureur général), 2023 CF 1182 [Lavigne] au para 37).

[44] Dans l’affaire Lavigne, la Cour a souligné la distinction entre les mesures de nature fiscale qui encadrent les déclarations de revenus et les mesures de soutien économique et social que sont les PCRE, estimant qu’il est incorrect d’assimiler une modification de ses revenus pour tenter de satisfaire aux critères d’admissibilité d’une mesure de soutien économique comme la PCRE à une réorganisation pour se soustraire (de bon droit) à une obligation fiscale (Lavigne aux para 53–58).

[45] Compte tenu de ce qui précède, il était raisonnable pour l’agente de conclure que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE. L’agente a fourni dans la lettre de décision adressée au demandeur ainsi que dans ses notes les motifs qui justifient sa décision de manière transparente et intelligible. Les notes de l’agente établissent que cette dernière n’a pas fait abstraction des documents fournis par le demandeur, mais plutôt qu’elle les a jugés insuffisants et non convaincants pour appuyer sa demande.

C. Soumissions additionnelles relativement à l’équité procédurale

[46] Dans un premier temps, le demandeur soutient que le 11 avril 2024, l’agente est entrée en contact avec lui concernant son admissibilité, qu’elle lui aurait alors mentionné la date butoir du 29 avril 2024 pour soumettre ses documents lorsqu’il s’est plaint d’une douleur à l’oreille, mais qu’aucune nouvelle échéance n’aurait subséquemment été fixée. Le demandeur avance également qu’il l’a mise en contact avec son nouveau comptable, mais qu’elle a fermé son dossier de manière pressée, malgré ses tentatives de communiquer avec elle qu’elle ne l’aurait pas rappelé lui, ou son comptable.

[47] Je suis d’accord avec le défendeur que les notes de l’agente démontrent qu’entre le 11 avril et le 10 mai 2024, elle a multiplié les communications téléphoniques avec le demandeur pour lui indiquer quels documents étaient exigés et pour convenir d’échéances précises. Le 10 mai 2024, elle a d’ailleurs tenté sans succès de rejoindre le comptable pour obtenir les pièces manquantes. Bref, il appert des notes de l’agente que ce n’est qu’au bout de plusieurs prolongations de délais et de relances et que le demandeur n’a soumis aucun document supplémentaire relativement à l’année 2020 qu’elle a rendu sa décision le 22 mai 2024. Le demandeur a donc eu l’occasion de se faire entendre et de soumettre sa preuve. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[48] Dans un deuxième temps, le demandeur avance qu’aucun document autre que les avis de redressements de ses déclarations d’impôts ne lui aurait été demandé. Ce n’est pas ce que la preuve démontre. Les notes de l’agente montrent qu’elle a accordé au demandeur la possibilité de répondre et de fournir les preuves de ses revenus de travail indépendant tout comme ses déclarations de 2019 et de 2020. Il revenait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait à l’exigence de revenu minimal requise pour être admissible à la PCRE. Il s’agit de son fardeau. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

IX. Conclusion

[49] Compte tenu de la preuve au dossier et la loi applicable, le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agente du quatrième examen est déraisonnable ou qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[50] Le défendeur a demandé que des dépens lui soient adjugés, mais je préfère exercer mon pouvoir discrétionnaire pour conclure qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens contre le demandeur (Lalonde c Canada (Agence du revenu), 2023 CF 41 au para 97 ; Hu c Canada (Le Procureur Général), 2023 CF 1590 au para 36).


JUGEMENT dans T-1511-24

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1511-24

INTITULÉ :

SAID ZOUITA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 DÉCEMBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2025

COMPARUTIONS :

Said Zouita

Pour le demandeur

(EN SON PROPRE NOM)

Me Brandon Bonan

Pour le défendeur

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.