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Date : 20250709


Dossier : IMM-12376-24

Référence : 2025 CF 1219

Montréal (Québec), le 9 juillet 2025

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ÉMILIENNE YAMDJEU EPSE NGUEMALEU

Demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Émilienne Yamdjeu Epse Nguemaleu, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 21 juin 2024 [Décision] dans laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui avait refusé la demande d’asile de Mme Yamdjeu au motif que cette dernière n’était pas crédible et n’avait pas établi une crainte de persécution en raison de son appartenance au groupe social des femmes.

[2] Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Yamdjeu allègue l’incompétence du consultant en immigration qui l’a représenté devant la SPR et la SAR [Consultant] pour contester la Décision. À titre subsidiaire, Mme Yamdjeu semble aussi contester le caractère raisonnable des conclusions de la SAR sur son manque de crédibilité.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Yamdjeu sera rejetée. Mme Yamdjeu n’a pas convaincu la Cour que la Décision est empreinte d’une violation à l’équité procédurale en raison de l’incompétence du Consultant. D’une part, Mme Yamdjeu a renoncé à son droit d’invoquer en temps utile toutes ses allégations fondant son argument d’incompétence, à l’exception d’une seule allégation admissible devant cette Cour. D’autre part, Mme Yamdjeu et son avocat actuel ont complètement failli à leur obligation de notifier le Consultant des allégations à son encontre, et n’ont de toute manière pas démontré que la seule allégation admissible suffirait pour conclure que le Consultant a fait preuve d’incompétence. Par ailleurs, Mme Yamdjeu n’a aucunement démontré en quoi les conclusions de la SAR sur sa crédibilité seraient déraisonnables.

II. Contexte

A. Les faits

[4] Mme Yamdjeu est citoyenne du Cameroun. Elle affirme craindre d’être tuée ou violée par le groupe séparatiste anglophone des « Amba Boys » à la suite de sa dénonciation, aux autorités camerounaises, d’un policier à la solde du groupe. Elle dit aussi craindre l’insécurité au Cameroun en tant que femme seule, car son mari est invalide.

[5] Le 22 décembre 2023, la SPR rejette la demande d’asile de Mme Yamdjeu. La SPR juge Mme Yamdjeu non crédible quant à ses allégations relatives aux Amba Boys et conclut qu’elle n’a pas établi faire face à une crainte de persécution dû au fait qu’elle est une femme.

B. La Décision de la SAR

[6] Le 8 janvier 2024, Mme Yamdjeu fait appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. En appel, elle plaide un manquement à l’équité procédurale en raison des interventions soutenues de la SPR lors de l’audience. Elle ne soumet aucun nouvel élément de preuve.

[7] Le 21 juin 2024, la SAR rejette l’appel de Mme Yamdjeu. La SAR juge que la SPR n’a pas commis de manquement à l’équité procédurale, que Mme Yamdjeu n’est pas crédible et que celle-ci n’a pas établi une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance au groupe social des femmes. Au niveau de la crédibilité, la SAR conclut que Mme Yamdjeu n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’un policier affilié aux Amba Boys aurait été démis de ses fonctions en raison de la plainte qu’elle a logée à son encontre à l’armée camerounaise, et qu’elle, son conjoint et le reste de sa famille auraient subi des représailles en raison de cette plainte.

C. Les normes de contrôle

[8] Pour ce qui est des questions d’équité procédurale — ici, l’incompétence de son ancien consultant en immigration, la Cour d’appel fédérale a affirmé à plusieurs reprises qu’elles ne requièrent pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles, quoique l’exercice de révision s’apparente alors à celui de la norme de la décision correcte (Association canadienne du contreplaqué et des placages de bois dur c Canada (Procureur général), 2023 CAF 74 au para 57; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [CCP]). L’équité procédurale est plutôt une question juridique qui doit être évaluée en fonction des circonstances afin de déterminer si la procédure suivie par le décideur a respecté ou non les normes d’équité et de justice naturelle (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54 [Huang]). Cette analyse comporte l’examen des cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817).

[9] Il appartient à la cour de révision de se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CCP au para 54). Autrement dit, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte ». Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et a donné aux parties concernées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité complète et équitable d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre (CCP au para 56; Huang aux para 51–54). La cour de révision ne doit faire preuve d’aucune déférence sur les questions d’équité procédurale (Association des employeurs maritimes c Syndicat des débardeurs (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 375), 2023 CAF 93 au para 81).

[10] Quant aux conclusions de la SAR sur la crédibilité, il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique en ce qui regarde les conclusions d’un décideur administratif en matière de crédibilité (Mokoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 815 au para 12; Regala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 192 au para 5; Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 au para 17; Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 13). À tout événement, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui fixé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[11] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[12] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, la Cour le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[13] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

A. Il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale

[14] Pour invalider la Décision, Mme Yamdjeu allègue l’incompétence de son Consultant devant la SPR et la SAR. Elle lui reproche trois erreurs : 1) avoir modifié son narratif contre son gré devant la SPR; 2) avoir omis de produire de la preuve documentaire objective à l’appui de sa demande d’asile; et 3) avoir omis de produire certaines preuves devant la SPR ou la SAR, soit les pièces P-1 (billets d’avion de sa sœur), P-2 (déclaration de sa sœur) et P-3 (photographies de l’agression de son mari) jointes à son affidavit déposé à la Cour.

[15] Avec égards, la Cour n’est pas convaincue par les arguments de Mme Yamdjeu.

(1) L’omission de soulever l’incompétence du Consultant à la première occasion

[16] La défenderesse, la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre], soumet que Mme Yamdjeu ne peut invoquer l’incompétence du Consultant au stade du présent contrôle judiciaire. Selon la Ministre, si Mme Yamdjeu avait des reproches à formuler au sujet de la qualité de sa représentation devant la SPR, elle aurait dû les soulever devant la SPR et/ou la SAR.

[17] Règle générale, la Cour ne devrait pas entendre d’arguments visant à contester une décision de la SPR lorsqu’ils auraient pu être soulevés devant la SAR, mais ne l’ont finalement pas été (Salaudeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 39 au para 20 [Salaudeen]; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1101 au para 27; Oluwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 760 aux para 54, 59; Saint Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 493 au para 39). En effet, il est bien établi que les cours de révision ne peuvent entendre de nouveaux arguments qui n’ont pas été présentés au décideur administratif (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22–26; Klos v Canada (Attorney General), 2023 FCA 205 au para 8; Ozdemir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1506 au para 23). Cette règle va de pair avec la portée limitée du pouvoir d’une cour de révision et avec la déférence qu’elle doit accorder aux décideurs administratifs.

[18] Plus précisément, en ce qui concerne l’équité procédurale, il est aussi de jurisprudence constante que les erreurs d’équité procédurale alléguées doivent être soulevées à la première occasion, laquelle se présente lorsque « le demandeur est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection » (Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 320 au para 47; Maritime Broadcasting System Limited c La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59 au para 67; voir aussi : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office des transports), 2021 CAF 173 au para 68). Autrement dit, de façon générale, il n’est pas possible de soulever des violations à l’obligation d’équité procédurale pour la première fois lors d’un contrôle judiciaire « si elles pouvaient raisonnablement être soulevées en temps opportun devant la juridiction inférieure » (Hennessey c Canada, 2016 CAF 180 au para 20; voir aussi : International Longshore and Warehouse Union - Canada v British Columbia Maritime Employers Association, 2024 FCA 142 au para 73).

[19] En l’espèce, la Cour est partiellement d’accord avec la Ministre. Mme Yamdjeu n’a pas soulevé la majorité de ses allégations d’incompétence à la première occasion, et a donc malheureusement renoncé à son droit de le faire eu égard à ces allégations. Après avoir reçu la décision négative de la SPR, rien ne l’empêchait de changer de consultant en immigration et d’alléguer devant la SAR que le Consultant avait erré en modifiant son narratif, en omettant de produire de la preuve objective sur le Cameroun et en ne produisant pas les pièces P-1 et P-2.

[20] Contrairement à la situation récente dans l’affaire El Khatib v Canada (Citizenship and Immigration), 2025 FC 49 [El Khatib], il n’y a aucune preuve attestant que Mme Yamdjeu ne pouvait soulever ces allégations d’incompétence devant la SAR au motif, par exemple, que ce ne serait qu’après avoir embauché son avocat actuel qu’elle s’en serait rendu compte (voir, a contrario, El Khatib au para 9). Au contraire, en lisant la décision de la SPR, il lui aurait été aisément possible de s’apercevoir que le Consultant n’avait pas soumis l’ensemble des éléments de preuve qu’elle jugeait pertinents.

[21] Cependant, la Cour est d’avis qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que Mme Yamdjeu ne soulève son reproche à l’égard de la pièce P-3 qu’au stade du présent contrôle judiciaire. D’après l’affidavit de Mme Yamdjeu, l’agression contre son mari s’est produite en février 2024, c’est-à-dire au stade de son appel devant la SAR. Elle a ensuite transmis les photographies de l’agression au Consultant le 5 mars 2024, lequel n’aurait pas tenté de les soumettre à la SAR en tant que nouvelles preuves. Par conséquent, tout porte à croire que c’est en lisant la Décision de la SAR qu’elle a pris conscience de la non-production de la pièce P-3, et que la première occasion de soulever cette allégation d’incompétence était bel et bien survenue lors du présent contrôle judiciaire.

[22] En résumé, la Cour est d’avis que Mme Yamdjeu a renoncé à son droit d’invoquer en temps utile les allégations suivantes pour fonder son argument d’incompétence du Consultant : la modification de son narratif, et la non-production de la preuve documentaire objective ainsi que des pièces P-1 et P-2. En revanche, elle est en droit de soulever devant la Cour un argument d’incompétence fondé sur le défaut de production de la pièce P-3.

(2) Le test applicable à l’incompétence d’un ancien conseil

[23] Le test applicable aux allégations de représentation inefficace ou incompétente par un ancien conseil exige que trois volets soient satisfaits. Mme Yamdjeu doit : 1) corroborer l’allégation en avisant le Consultant et en lui donnant la possibilité de répondre; 2) établir que les actes ou les omissions du Consultant relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives; et 3) établir que le résultat aurait été différent n’eût été de l’incompétence (Melgar Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 40 au para 8 [Melgar Morales]; Sachdeva v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 1522 au para 21 [Sachdeva]; Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au para 21; Badihi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 64 au para 17 [Badihi]; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84).

[24] Le fardeau de preuve pour démontrer l’incompétence est très élevé. Effectivement, selon la jurisprudence, « la preuve de l’incompétence de l’avocat doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l’injustice causée au demandeur crèverait pratiquement les yeux » (Blandon Quintero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 966 au para 12 [Blandon Quintero], citant Mbaraga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580 au para 25). Il faut également que « l’incompétence et le préjudice allégués soient clairement prouvés » (Blandon Quintero au para 12, citant Dukuzumuremyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 278 au para 19). Ce lourd fardeau découle de l’existence d’une forte présomption que la conduite reprochée se situait « à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable » (R c GDB, 2000 CSC 22 au para 27).

[25] Pour démontrer l’incompétence, « il incombe au demandeur de prouver chacun des éléments du critère de la représentation négligente pour démontrer qu’il s’est produit un déni de justice » (Reyes Contreras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1453 au para 39 [Reyes Contreras], citant Badihi au para 18). De ce fait, les volets du test sont cumulatifs et doivent donc tous être établis pour satisfaire le lourd fardeau qui incombe au demandeur (Reyes Contreras au para 39). Si un seul volet n’est pas rempli, le test doit échouer (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 2013 au para 19; Twizeyumukiza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 974 au para 31).

[26] Au sujet du premier volet du test, la Cour ajoute que la procédure de notification à l’ancien conseil est prévue au protocole intitulé Allégations formulées contre les représentants autorisés dans le cadre d’instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et des réfugiés [Protocole], désormais inclus dans les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté du 31 octobre 2023 [Lignes directrices]. Ce Protocole a pour but d’aider la Cour à statuer sur les demandes faisant l’objet d’allégations d’incompétence à l’encontre de représentants autorisés et de veiller à ce que la procédure soit équitable pour les parties concernées (Lignes directrices au para 48). La Cour attend de toutes les parties qu’elles se conforment aux Lignes directrices, ce qui inclut le Protocole. Dans la négative, le défaut de s’y conformer n’est ni utile à la Cour, ni équitable pour la partie adverse (Sachdeva aux para 19, 36).

(3) Mme Yamdjeu n’a pas informé le Consultant de ses allégations

[27] La Ministre soumet que Mme Yamdjeu n’a pas dûment avisé le Consultant des allégations d’incompétence à son encontre, contrairement à ce qu’exigeait le Protocole. La Cour est d’accord.

[28] Il existe trois moments clés où le Protocole exige qu’un ancien conseil soit avisé qu’une allégation d’incompétence a été formulée contre lui et qu’il ait la possibilité d’y répondre.

[29] Premièrement, avant de soulever l’incompétence devant la Cour, Mme Yamdjeu et son avocat actuel devaient informer, par écrit, le Consultant des allégations dont il fait l’objet, l’aviser que la question pourrait être soulevée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et lui demander s’il souhaite répondre aux allégations. Entre autres choses, le Consultant devait recevoir suffisamment de renseignements au sujet des allégations pour être en mesure d’y répondre adéquatement, s’il le souhaitait. À ce moment, Mme Yamdjeu et son avocat actuel devaient fournir au Consultant une copie du Protocole et une autorisation signée par Mme Yamdjeu renonçant à tout privilège applicable qui empêcherait le Consultant de répondre (Lignes directrices aux para 50–51).

[30] Deuxièmement, lorsque l’avocat de Mme Yamdjeu a décidé de soulever l’incompétence comme motif de contrôle judiciaire, le dossier de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour devait être signifié au Consultant, et une preuve de cette signification devait être produite devant la Cour. Si le Consultant répondait aux allégations telles que soulevées dans le dossier de la demande, l’avocat de Mme Yamdjeu devait transmettre cette réponse à la Cour ainsi que toute réplique au Consultant. En l’absence de réponse du Consultant dans les dix jours suivant la signification, l’avocat de Mme Yamdjeu devait informer la Cour et la Ministre qu’aucune réponse n’a été soumise. Tous ces documents sont pris en compte par la Cour au moment de trancher la demande d’autorisation (Lignes directrices aux para 53, 62).

[31] Troisièmement, si le Consultant avait choisi de répondre à la signification du dossier de demande, l’avocat de Mme Yamdjeu devait lui transmettre une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation et fixant la date de l’audience (Lignes directrices au para 63). Ceci servait à permettre au Consultant de solliciter l’autorisation d’intervenir dans le présent contrôle judiciaire devant la Cour, s’il le souhaitait.

[32] Le Protocole reflète le fait que la Cour prend très au sérieux les allégations d'incompétence d’un ancien conseil et que de telles accusations ne doivent jamais être formulées à la légère. En tant qu’officiers de justice, les avocats sont censés vérifier avec prudence si une allégation d’incompétence à l’encontre d’un ancien conseil est fondée, mener une enquête approfondie avant de porter une telle accusation devant la Cour, et abandonner les allégations si elles ne sont pas suffisamment fondées (Lignes directrices aux para 49, 55).

[33] Dans son mémoire, l’avocat de Mme Yamdjeu allègue avoir informé le Consultant, le 25 juillet ainsi que les 7 et 13 août 2024, qu’il allait soulever son incompétence devant la Cour. Abstraction faite que l’on ne peut pas alléguer des faits dans un mémoire, l’avocat de Mme Yamdjeu n’a pas fourni la copie de quelque correspondance que ce soit avec le Consultant. De plus, aucun affidavit n’a été déposé pour attester des démarches d’information qui auraient été faites auprès du Consultant. Dans la même veine, Mme Yamdjeu ne mentionne pas avoir transmis quoi que ce soit au Consultant, à ces dates précises, dans son affidavit. Elle allègue plutôt, de façon générale, avoir transmis un « avis de représentation inadéquate » au Consultant. Elle affirme aussi dans son affidavit que « l’avis notifié de représentation inadéquate » est déposé en preuve à la pièce P-4, mais c’est faux. La pièce P-4 contient uniquement le narratif modifié de Mme Yamdjeu. Aucun avis n’est joint à cette pièce ou n’est même mentionné.

[34] Il n’y a donc strictement aucune preuve d’une quelconque correspondance avec le Consultant.

[35] Il ne fait aucun doute que Mme Yamdjeu et son avocat actuel n’ont pas respecté le Protocole, loin de là. Non seulement n’ont-ils pas présenté en preuve les communications supposément transmises au Consultant, mais ils n’ont pas non plus produit la preuve de signification du dossier de demande à la Cour (Lignes directrices au para 53). En effet, rien n’indique que l’avocat de Mme Yamdjeu ait fourni le dossier de demande au Consultant. Même en présumant que le Consultant n’aurait pas répondu aux communications qu’il aurait reçues, il aurait pu décider de fournir une réponse aux allégations une fois qu’elles avaient été formellement soulevées dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Plus encore, s’il advenait que le Consultant avait reçu le dossier de demande, l’avocat de Mme Yamdjeu n’a pas informé la Cour et la Ministre de l’absence de réponse du Consultant (Lignes directrices au para 62). Toutes ces circonstances démontrent que Mme Yamdjeu et son avocat actuel n’ont pas respecté le premier volet du test applicable aux allégations de représentation inefficace ou incompétente par un ancien conseil (Wadhwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 951 au para 19 [Wadhwa]).

[36] En bref, le Consultant a été entièrement privé de la possibilité de répondre aux allégations d’incompétence soumises à la Cour. Cette erreur est fatale dans les circonstances. En effet, le non-respect de l’obligation de notification du Protocole peut suffire pour rejeter les allégations d’incompétence soulevées par un demandeur (Melgar Morales au para 13; Sharif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2022 CF 745 au para 33; Ados c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 689 au para 21; Salaudeen au para 21; Chhetry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 513 au para 17).

[37] Comme l’a récemment souligné la juge Anne M. Turley, il est vrai que la Cour a déjà accepté de se prononcer sur le mérite d’allégations d’incompétence même lorsqu’un demandeur ne s’était pas entièrement conformé au Protocole (El Khatib au para 19, citant Devi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 328 au para 14, Discua c Canada (Citioyenneté et Immigration), 2023 CF 137 au para 51 [Discua], et Nik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 522 au para 26 [Nik]). Cette jurisprudence récente démontre que la Cour peut prendre en considération les circonstances propres à une affaire pour déterminer si, nonobstant le défaut partiel de respecter le Protocole, le demandeur ou son avocat ont respecté ou pas le premier volet du test (Wadhwa au para 19). En d’autres termes, le fait que le Protocole n’a pas été respecté « à la lettre » n’est pas forcément fatal dans tous les cas (Discua au para 51).

[38] Aux yeux de la Cour, la question essentielle est de savoir si l’essence du Protocole a été respecté de telle sorte que l’avocat de Mme Yamdjeu aurait tout de même pu corroborer les allégations en avisant le Consultant et en lui donnant la possibilité de répondre. Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Hormis une simple et vague allégation dans l’affidavit de Mme Yamdjeu, il n’y a pas la moindre preuve que le Consultant ait été informé des allégations formulées à son endroit. L’avocat de Mme Yamdjeu n’a même pas déposé en preuve les prétendues correspondances de juillet et août 2024 avec le Consultant (voir, a contrario : Nik au para 26; Shirvan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509 au para 32). La preuve ne permet donc pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, à l’existence d’une quelconque notification et encore moins de savoir le contenu de cette prétendue notification.

[39] La notification à l’ancien conseil n’est pas qu’une simple formalité. Au contraire, elle donne à cette Cour l’opportunité d’avoir tous les faits et arguments pertinents au sujet des allégations d’incompétence au lieu de s’en remettre à la seule version du demandeur. Elle donne également à l’ancien conseil une opportunité de répondre aux allégations sérieuses d’incompétence qui pèsent contre lui et soulève donc une question d’équité envers ce dernier (Lignes directrices au para 48). Il s’agit d’une condition préalable à l’examen du fond de la question de l’incompétence (Melgar Morales au para 10). Sans la notification, la Cour n’a pas la possibilité d’entendre l'autre version de l’histoire et ne peut accomplir sa fonction d’appréciation des faits (El Khatib au para 19, citant Discua au para 36).

[40] Pour toutes ces raisons, les allégations d’incompétence de Mme Yamdjeu échouent dès le premier volet du test. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale dans le présent dossier.

(4) Mme Yamdjeu n’a pas démontré l’incompétence du Consultant

[41] Par souci d’exhaustivité, la Cour conclut également que Mme Yamdjeu n’aurait pas non plus satisfait au deuxième volet du test. En effet, Mme Yamdjeu n’a pas établi que l’omission du Consultant de tenter d’admettre en preuve les photographies de l’agression contre son mari relèverait de l’incompétence. En effet, dans son affidavit, elle ne fournit aucun détail quant à l’agression alléguée contre son mari. Au surplus, les photographies ne sont pas datées, ce qui réduit considérablement leur crédibilité et leur valeur probante. Mme Yamdjeu n’a manifestement pas répondu au fardeau élevé pour démontrer l’incompétence du Consultant.

B. La Décision est raisonnable

[42] À la fin de son mémoire, et lors de l’audience devant la Cour, l’avocat de Mme Yamdjeu a par ailleurs soumis que la SAR aurait commis une erreur de droit en tirant des conclusions défavorables quant à sa crédibilité, lesquelles seraient fondées sur un exposé circonstancié incomplet dont les manquements seraient attribuables à l’incompétence du Consultant. Toutefois, Mme Yamdjeu ne fournit aucun détail à cet égard dans son affidavit et son avocat a reconnu, lors de l’audience, n’avoir offert rien de tangible dans son mémoire à l’appui de cet argument.

[43] Compte tenu de cette absence totale de détails, Mme Yamdjeu a clairement failli à son fardeau de démontrer que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité seraient déraisonnables (Vavilov au para 100). À tout événement, elle admet dans son mémoire que les soi-disant erreurs de crédibilité de la SAR seraient attribuables à l’incompétence du Consultant. En effet, elle reconnaît que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse et que la Décision « pouvait être tout à fait appropriée compte tenu des renseignements figurant au dossier » (Mémoire de Mme Yamdjeu aux para 29, 31). Or, la Cour a déjà rejeté les allégations d’incompétence. La Décision est donc raisonnable.

[44] À l’audience, l’avocat de Mme Yamdjeu a tenté de plaider que la SAR aurait contrevenu aux Directives numéro 4 du président : Considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR, et de bonifier les soumissions laconiques de son mémoire sur le caractère déraisonnable de la Décision. Il reconnaît toutefois qu’il n’a pas soulevé ces arguments dans son mémoire. Or, la jurisprudence de la Cour établit clairement « [qu’] à moins d’une situation exceptionnelle, tout nouvel argument non présenté dans le mémoire des faits et du droit d’une partie ne doit pas être examiné, puisque cela porterait préjudice à la partie opposée, et pourrait faire en sorte que la Cour ne puisse pas évaluer convenablement les mérites du nouvel argument » (Makori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1088 au para 21; voir aussi : Altiparmak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 776 au para 11; Abdulkadir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 318 au para 81; Del Mundo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 754 aux para 12–14).

[45] Dans le cas présent, l’avocat de Mme Yamdjeu n’a pas fourni la moindre explication pourquoi il n’aurait pas pu soulever ses nouveaux arguments dans son mémoire. Il n’y a rien d’exceptionnel à la présente situation. En fait, il a même reconnu, en réponse aux questions de la Cour, qu’il n’avait présenté, dans son mémoire, aucun argument particulier pour appuyer son allégation générale sur le caractère déraisonnable de la Décision.

IV. Conclusion

[46] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Yamdjeu est rejetée. Mme Yamdjeu n’a pas convaincu la Cour que la Décision est entachée d’une violation à l’équité procédurale en raison de l’incompétence du Consultant. De plus, elle n’a pas démontré en quoi le raisonnement de la SAR dans la Décision serait déraisonnable.

[47] Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-12376-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

  3. Le nom de la défenderesse est corrigé et remplacé par la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12376-24

INTITULÉ :

ÉMILIENNE YAMDJEU EPSE NGUEMALEU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUILLET 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS

LE 9 JUILLET 2025

COMPARUTIONS :

Me Hervé Ndedi Penda

POUR La partie demanderesse

Me Andrey Leshyner

POUR La partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hervé Ndedi Penda
Montréal (Québec)

POUR La partie demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR La partie défenderesse

 

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