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Date : 20251015


Dossier : IMM-12116-24

Référence : 2025 CF 1695

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2025

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DALTON MVULA KALAMBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demande d’asile de Dalton Mvula Kalamba était irrecevable en vertu du paragraphe 101(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]; il a donc déposé une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Dans sa demande ERAR, M. Kalamba prétend qu’il appartient à un parti politique d’opposition en Angola, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola [UNITA]. Il fait état de plusieurs incidents lors desquels les forces de sécurité angolaises l’ont arrêté, détenu et torturé plusieurs fois à la suite de sa participation aux manifestations organisées par l’UNITA et d’autres organisations contre le gouvernement.

[2] Pour appuyer ses allégations de risque, M. Kalamba a déposé avec sa demande ERAR certains documents corroboratifs, y compris sa carte de membre de l’UNITA, deux déclarations médicales, des photographies de ses blessures, et des déclarations écrites par son pasteur, son voisin et quelqu’un qui aurait été arrêté en même temps que lui.

[3] L’agente principale d’immigration qui a examiné la demande ERAR a conclu que les preuves qu’a déposées M. Kalamba étaient insuffisantes pour établir ses allégations, et donc, pour démontrer qu’il serait confronté à un risque de persécution, de torture, de menaces à sa vie ou de traitements ou de peines cruelles ou inusitées au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Conséquemment, l’agente a rejeté la demande ERAR.

[4] En général, les demandes ERAR sont examinées sur la base des documents soumis sans tenir d’audience. Néanmoins, en vertu de l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, une audience doit être tenue dans le cadre d’une demande ERAR si : (a) il existe des éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la LIPR qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur; (b) ces éléments de preuve sont importants pour la prise d’une décision; et (c) ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient l’accord de la protection : Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27 aux para 12–16. Ne pas tenir d’audience avant de rendre une conclusion défavorable en matière de crédibilité ne respecte ni l’obligation d’équité procédurale ni les principes de justice fondamentale : Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1985 CanLII 65 (CSC) aux para 59, 107–108; Roy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 189 aux para 24–25.

[5] Comme je l’ai observé récemment, la jurisprudence de cette Cour comprend de nombreux arrêts, surtout dans le contexte de contrôle judiciaire de décisions rejetant les demandes d’ERAR, portant sur la différence entre une détermination d’insuffisance de preuve et une détermination sur la crédibilité du demandeur : voir Cali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 587 au para 18 et la jurisprudence y citée. La jurisprudence soutient qu’il est possible qu’un·e agent·e formule incorrectement « de véritables conclusions relatives à la crédibilité comme s’il s’agissait de conclusions d’insuffisance de la preuve » et s’y réfère comme étant des « conclusions voilées de crédibilité » : Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984 au para 34; Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275 aux para 19, 30–31; Kiss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 363 au para 22; Kaur c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2025 CF 649 au para 16.

[6] Cette Cour a reconnu que dans certains cas il peut être difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de preuve et une conclusion portant sur la crédibilité : Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 au para 32; Kiss au para 22. Les mots utilisés par l’agent e—insuffisance ou crédibilité—ne sont pas déterminants; la Cour devrait plutôt examiner le fond du raisonnement de l’agent·e : Gao au para 32; Sidhu v Canada (Citizenship and Immigration), 2025 FC 1510 [actuellement disponible seulement en anglais] au para 28.

[7] En l’espèce, ayant lu la décision de l’agente à la lumière de la preuve soumise, la Cour conclut qu’elle a effectivement tiré plusieurs conclusions quant à la crédibilité de M. Kalamba et ce, sur des questions centrales de son narratif, dont son appartenance à l’UNITA et sa condition médicale suite à ses arrestations par les forces de sécurité.

[8] L’agente a examiné la photographie de la carte de membre non traduite de l’UNITA que M. Kalamba a déposé pour confirmer son appartenance à ce parti politique. Comme l’a reconnu l’agente, l’appartenance à l’UNITA était « au centre » des allégations de M. Kalamba. L’agente a noté qu’un chiffre « semble avoir été rajouté » à côté d’une année, tandis qu’une autre année « semble avoir été écrite par-dessus d’autres chiffres illisibles ». L’agente a déterminé qu’elle ne peut pas conclure que M. Kalamba a récemment été membre de l’UNITA « à cause de dates qui semblent altérées ». L’agente note également que la carte n’est pas traduite, limitant sa capacité d’en tirer de l’information pertinente. En tenant compte de ces éléments, elle conclut que la carte a « très peu de valeur probante ».

[9] L’agente a également examiné les deux déclarations médicales, qui portent respectivement sur M. Kalamba et sa femme. L’agente note, entre autres choses, une incohérence entre les dates mentionnées dans la déclaration médicale concernant M. Kalamba et les dates de ses prétendues détentions selon les allégations du demandeur, de son voisin, et de celui qui aurait été détenu en même temps que lui. Selon l’agente, puisque les déclarations médicales ne confirment pas les faits et risques allégués par M. Kalamba, elles ne démontrent pas un lien entre les blessures et les faits et risques qu’il allègue. L’agente a donc conclu que les déclarations médicales n’ont pas de valeur probante.

[10] Il ressort de ses motifs que l’agente a considéré l’altération potentielle de la carte de membre de l’UNITA et l’incohérence des dates comme étant pertinentes à leur valeur probante et, ultimement, à la suffisance de la preuve. Cependant, la Cour ne peut que lire ces conclusions comme étant des conclusions de crédibilité. L’agente a effectivement douté de l’authenticité de la carte de membre de l’UNITA et donc de la crédibilité des déclarations de M. Kalamba à cet égard. Elle a également noté une incohérence entre les dates auxquelles, selon la déclaration médicale, M. Kalamba était à l’hôpital et les dates auxquelles, selon les déclarations de M. Kalamba et ses témoins, il était détenu par les forces de sécurité. Il s’agit, encore une fois, d’une question de crédibilité.

[11] Comme l’a récemment noté cette Cour, une détermination qu’un élément de preuve est incohérent avec d’autres déclarations est un [ma traduction] « repère commun » (« common marker ») d’une détermination de crédibilité : Sidhu au para 28. Une détermination qui met en doute l’authenticité d’un document en est une autre : Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 au para 27, citant Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1082 au para 20.

[12] Ainsi, en ce qui a trait à la décision de l’agente, les conclusions précitées quant à la « valeur probante » des documents sont en effet des conclusions négatives « voilées » quant à la crédibilité de M. Kalamba. Tirer de telles conclusions à l’égard d’aspects centraux de la demande ERAR de M. Kalamba, sans lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agente lors d’une audience et de fournir des explications, constitue un bris des principes d’équité procédurale.

[13] La décision de l’agente rejetant la demande ERAR de M. Kalamba doit donc être annulée.

[14] À la lumière de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de se pencher sur les autres questions en litige soulevées par les parties, y compris l’admissibilité des nouveaux documents déposés par M. Kalamba dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, et la raisonnabilité de l’analyse de l’agente des autres éléments de preuve.

[15] La Cour constate, cependant, qu’elle ne juge pas opportun dans les circonstances de déclarer—comme l’a demandé M. Kalamba dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, sans élaborer sur ce sujet dans ses prétentions écrites—que les agent es qui examinent les demandes ERAR ont le devoir d’appliquer les critères de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants : voir, entre plusieurs autres causes impliquant le même procureur, Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 164 au para 11; Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797 aux para 40–44; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1690 aux para 27–30; Dadral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1367 au para 8.

[16] Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune. Enfin, l’intitulé de cause est modifié pour correctement désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑12116‑24

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le rejet de la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur datée du 18 janvier 2024 est annulé et la demande du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen par un·e autre agent·e.

  2. L’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12116-24

 

INTITULÉ :

DALTON MVULA KALAMBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 octobre 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 octobre 2025

 

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Me Zoé Richard

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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