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Date : 20251023


Dossier : IMM-11105-23

Référence : 2025 CF 1705

Montréal (Québec), le 23 octobre 2025

En présence de l’honorable Monsieur le juge Duchesne

ENTRE :

MIKENSON JACQUES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 22 août 2025 par un délégué du ministre [la Décision]. Le délégué du ministre a conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable en raison de l’article 101(1)(e) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et des paragraphe 4(2)(a) et (b) de l’Entente sur les tiers pays sûrs (Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers, pour faciliter la lecture, l’ETPS).

[2] Le demandeur ne s’est pas présenté à l’audition de sa demande. La Cour a procédé en son absence. La Cour considère alors que ses représentations à l’appui de sa demande sont restreintes aux représentations écrites contenues dans son dossier du demandeur. Le défendeur était présent à l’audience et a présenté ses arguments à l’encontre de la demande du demandeur.

[3] La demande du demandeur doit être rejetée pour les motifs qui suivent.

I. Les faits

[4] Le demandeur est citoyen d’Haïti.

[5] Le 21 août 2023, il s’est présenté à la frontière du Canada, au point d’entrée de St-Bernard-de-Lacolle [PdE Lacolle] en provenance des États-Unis, sans visa.

[6] Il a présenté son passeport haïtien aux autorités ainsi que son certificat de naissance. Il a formulé une demande d’asile revendiquant craindre pour sa vie en Haïti.

[7] Le 22 août 2023, le demandeur a rencontré un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] au PdE Lacolle. Le demandeur y a passé une entrevue afin de permettre la détermination de la recevabilité de sa demande d’asile dans le cadre de l’ETPS. Le demandeur a déclaré les faits suivants, entre autres, lors de son entrevue :

  • a)Il a une tante au Canada;

  • b)La tante est la sœur de sa mère;

  • c)Il ne connaît pas l’âge de sa tante;

  • d)Il n’avait pas, lors de l’entrevue, le certificat de naissance de sa mère;

  • e)Il n’avait pas, lors de l’entrevue, le certificat de naissance de sa tante;

  • f)Il n’avait pas, lors de l’entrevue, de moyen de produire une copie desdits certificats de naissance dans le but d’établir le lien familial;

  • g)Pour établir le lien familial, il a seulement présenté son certificat de naissance;

  • h)Avant son arrivée à la frontière du Canada, le demandeur vivait au États-Unis où il est entré muni d’un passeport;

  • i)Il n’a pas déposé de demande d’asile aux États-Unis.

[8] Un délégué du ministre a examiné le dossier du demandeur ainsi que ses réponses lors de son entrevue avec l’agent de l’ASFC et a déterminé que sa demande d’asile était irrecevable en vertu du l’ETPS et ne pourrait pas être déférée à la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[9] Le 29 août 2023, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la Décision auprès de cette Cour.

[10] Le demandeur, qui se représente seul, a identifié la décision qu’il conteste comme suit dans son Avis d’autorisation et de contrôle judiciaire :

« DETAILS DE LA DECISION

 

21 aout 2023 Mikenson Jacques c’est présenter au port d’entrée de St-Bernard de Lacolle,Qc et présenter une demande d’asile en raison de instabilité politique dans mon pays Haiti. Date de réception de la décision : 22 aout 2023. No IUC: #11-3692-2122

Agent commissaire PALOUMBIS #55155 a rejeté son appel. »

[11] Il appert du dossier du demandeur que l’agent « Paloumbis » a le 22 août 2023 signé une mesure d’exclusion visant le demandeur suite à un rapport en vertu de l’article 44(1) de la LIPR. L’agent « Paloumbis » n’est toutefois pas le décideur qui a déterminé que la demande d’asile du demandeur est irrecevable. L’agent « Paloumbis » est un agent de l’ASFC et non pas un délégué du ministre dans le cadre de ce dossier.

[12] Une lecture globale et pratique de la demande et du dossier du demandeur mène la Cour à conclure que la décision visée par le recours du demandeur est la décision qui a déterminé que sa demande d’asile est irrecevable. Cette décision est la décision du délégué du ministre identifié par le numéro 55103 [Décideur 55103].

II. La décision contestée

[13] La Décision se lit comme suit :

« Madame/Monsieur MIKENSON JACQUES:

J'ai déterminé que votre demande d’asile ne peut pas être renvoyée à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut des réfugiés au Canada.

Plus précisément, j’ai établit que votre demande d’asile ne peut être renvoyé à la SPR, conformément au paragraphe 101(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, pour les motifs suivants

101(1)(E) Entente sur les tiers pays

Étapes suivantes

Vous devez quitter le Canada dès que possible et confirmer votre départ auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada. Si vous ne le faites pas, une mesure d’expulsion peut être prise à votre endroit. Si une mesure d’expulsion est prise à votre égard et que vous êtes renvoyé, vous devrez obtenir une autorisation écrite si vous souhaitez un jour revenir au Canada. Il est possible que vous puissiez présenter une demande d’examen des risques avant renvoi. Pour vous renseigner à ce sujet, consultez la page (address de page web). »

[14] La déclaration solennelle du Décideur 55103 indique que :

« JACQUES, MIKENSON a présenté une demande d’asile au Canada le 21 août 2023. Après avoir évalué tous les renseignements disponibles, j’ai déterminé que, selon la balance des probabilités, la demande d’asile de cette personne est assujettie à l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) parce que cette personne a déposé une demande d’asile à l’intérieur de 14 jours après être entrée au Canada entre les points d’entrée désignés et qu’il ne bénéfice d’aucune exception à l’ETPS. Ma décision est fondée sur ce qui suit :

- JACQUES, MIKENSON ont été intercepté le 21 août 2023, à 16h59 au Port d’entrée de Lacolle, Autoroute 15.

- JACQUES, MIKENSON ont fourni tous les documents nécessaires pour l’identifier.

- JACQUES, MIKENSON n’a pas su démontrer une relation familiale avec une personne au Canada.

Par conséquent, selon la balance des probabilités, j’ai déterminé que la demande d’asile de JACQUES, MIKENSON est assujettie à l’ETPS et quelle ne peut être déférée à la Section de la protection des réfugiés en vertu de l’alinéa 101(1)(e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. »

III. La question en litige

[15] La seule question est litige est celle de savoir la Décision est déraisonnable.

[16] Le demandeur plaide que la norme de contrôle de la décision raisonnable en vertu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswicki, 2008 CSC 9 s’applique.

[17] Le défendeur soumet que la norme de contrôle applicable à une décision rendue par les agents d’immigration sur une demande d’asile présentée au Canada par l’entremise de l’ETPS est celle de la décision raisonnable (Jeudi Alfred c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 984, au para 12).

[18] La Cour est d’accord avec les parties que la norme de contrôle applicable à la Décision est la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Sock c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2025 CF 337, au para 14).

[19] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque c’est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. L’application de la norme de contrôle ne s’agit pas d’une « simple formalité ». Ce type de contrôle demeure rigoureux (Vavilov, au para 13). La cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Elle est appréciée en apportant une attention particulière aux motifs écrits du décideur administratif et en les interprétant de façon globale et contextuelle (Vavilov, au para 97).

[20] La décision raisonnable s’apprécie en considérant le contexte dans laquelle la décision est rendue, les contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen, l’historique et le contexte de l’instance, le dossier devant le décideur, et l’impact de la décision sur ceux qui sont touchés par ses conséquences, et que ces conséquences soient justifiées au regard des faits et du droit (Vavilov, aux paras 88 à 90, 94, et 133 à 135). La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une décision raisonnable (Vavilov, au para 85).

[21] Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable (Vavilov, au para 100).

IV. Question préliminaire

[22] Le demandeur a inclus trois pièces, soit, les pièces P1- Acte de Naissance de Mikenson Jacques, P2- Acte de Naissance de Helene Maxime mère de Mikenson Jacques, et P3- Acte de Naissance de Paulette Maguerite Pierre sœur de Helene Maxime et tante de.Mikenson Jacques, dans son dossier du demandeur. Le demandeur n’a pas présenté de requête pour déposer de la nouvelle preuve à son dossier et a tout simplement inclut les pièces P-1, P-2 et P-3 dans son dossier du demandeur.

[23] Le défendeur s’objecte à la recevabilité de ces pièces au motif qu’elles n’étaient pas devant l’agent Décideur lors de la Décision et donc ne peuvent pas servir à attaquer la Décision.

[24] La Cour est d’accord avec le défendeur que les pièces P1, P2 et P3 inclus dans le dossier du demandeur sont irrecevables et ne peuvent pas être considérés dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. Dans un premier temps, les pièces ne sont pas produites régulièrement comme pièces à un affidavit tel que requis par la Règle 80(3) des Règles des Cours fédérales, DORS 98-106, et ne peuvent être reçues en preuve. Dans un deuxième temps, hormis les cas d’exception qui ne s’appliquent pas ici, seules les pièces qui étaient devant le décideur administratif devraient être considérés par la Cour lors de son étude du dossier en contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paras 19 et 20). Les pièces P1, P2 et P3 n’étaient pas devant le Décideur 55103 pour son étude ou devant lui au moment de la Décision. Elles sont alors irrecevables. La Cour n’en tiendra pas compte dans son analyse de la question devant elle.

V. Arguments et analyse

[25] Le demandeur plaide que sa demande d’asile était basée sur les articles 96 et 97 de la LIPR, et qu’il alléguait l’existence d’une appartenance à un groupe social particulier, les femmes, et qu’il est à risque de torture ou a risque de traitement ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en Haïti.

[26] Le demandeur plaide que la Décision « conclut que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger et rejette la demande d’asile ». Il plaide de plus que l’agent de l’ASFC qui a rédigé le rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR « arrive à la conclusion le demandeur n’est pas crédible à cause des omissions et contradictions durant son témoignage ».

[27] La Décision sous étude n’était pas une décision portant sur le fond d’une demande d’asile présentée en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Il s’agit d’une décision portant sur l’irrecevabilité de la demande d’asile qui a été présentée par le demandeur. Le Décideur 55103 n’a pas agi de façon déraisonnable en déterminant que la question devant lui était la recevabilité de la demande d’asile du demandeur, et non pas le bien-fondé d’une telle demande en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[28] Le Décideur 55103 n’a pas conclu quoi que ce soit par rapport à la crédibilité du demandeur. La Décision fait état du fait que le Décideur 55103 a noté que le demandeur n’avait pas la documentation requise pour rendre sa demande d’asile recevable lorsqu’il s’est présenté au point d’entrée. Il n’y a rien de déraisonnable dans la Décision du Décideur 55103 en ce qui concerne la crédibilité du demandeur.

[29] Le demandeur plaide en dernier lieu qu’il a reçu la Décision mais « n’a pas eu l’autorisation de contacter sa tante Paulette Marguerite Pierre qui réside à Montréal Canada afin de recevoir les documents manquants au dossier ». La preuve au dossier reflète que le demandeur a eu l’occasion d’obtenir une copie des documents manquants lors de son entrevue avec l’agent de l’ASFC le 22 août 2023, et a informé l’agent lors de son entrevue qu’il n’avait pas un moyen d’obtenir un document pour tenter d’établir un lien familial avec une personne au Canada lors de son entrevue. Il n’y a pas de preuve au dossier qui soutient l’argument du demandeur à cet égard.

[30] Il est manifeste que le demandeur n’a pas démontré le caractère déraisonnable de la Décision (Vavilov au para 100).

[31] La Décision du Décideur 55103 établit que l’ETPS s’applique au demandeur à la lumière des faits. La Décision tient compte du contenu des paragraphes 100(1) et 101(1)(e) de la LIPR, ainsi que de l’article 159.5 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 et des exceptions prévues aux paragraphes 4(2)(a) et (b) de l’ETPS.

[32] Les dossiers devant la Cour établissent que le Décideur 55103 a apprécié les faits devant lui, a considéré les contraintes juridiques qui s’appliquaient à lui, et est arrivé à des conclusions logiques et cohérentes justifiées par les faits de l’affaire et le droit applicable. La Décision est raisonnable. Il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

VI. Conclusions

[33] La demande du demandeur est rejetée.

[34] Le défendeur a sollicité la modification de l’intitulé de la cause pour remplacer le défendeur identifié par le demandeur par le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, conformément au paragraphe 4(2) de la LIPR. La Cour accorde l’ordonnance recherchée par le défendeur et l’intitulé de la cause sera modifiée par ce jugement en conséquence.

 


JUGEMENT au dossier IMM-11105-23

LA COUR JUGE que :

  1. La demande du demandeur est rejetée.

  2. En vertu de la Règle 104 des Règles des Cours fédérales l’intitulé de la cause est modifié avec effet immédiat en mettant le ministre de la Citoyenneté et de l’immigration à titre de défendeur erronément constitué hors de cause, et en constituant le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile comme défendeur.

  3. Il n’y a aucune question à certifier soulevée par ce dossier et aucune question est certifiée.

« Benoit M. Duchesne »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11105-23

INTITULÉ :

MIKENSON JACQUES c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2025

jugement ET motifs :

le juge duchesne

DATE DES MOTIFS :

LE 23 octobre 2025

COMPARUTIONS :

Margarita Tzavelakos

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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