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Date : 20251205


Dossier : T-1937-22

Référence : 2025 CF 1927

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2025

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE SHAMATTAWA

et CHEF JORDNA HILL en son propre nom et au nom de tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE SHAMATTAWA

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Première Nation de Shamattawa et le chef Jordna Hill, en son propre nom et en celui de tous les membres de la Première Nation de Shamattawa, ont intenté un recours collectif [le recours]. En sa qualité de représentant, le chef Hill représente les membres de la Première Nation de Shamattawa qui ont été visés pendant un an ou plus par des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable dans les réserves.

[2] Le 14 mars 2023, avec le consentement des parties, notre Cour a autorisé la présente instance comme recours collectif et a certifié les questions communes. Le groupe est ainsi défini :

[traduction]
a) Toute personne, autre qu’une personne exclue :

(i) qui est membre d’une bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (la « Première Nation »), dont la disposition des terres est assujettie à cette Loi, à la Loi sur la gestion des terres des premières nations, LC 1999, c 24, ou à un traité moderne (collectivement, les « terres des Premières Nations »), et dont les terres étaient visées par un avis concernant la qualité de l’eau potable (comme un avis d’ébullition de l’eau, un avis de ne pas consommer ou un avis de non-utilisation) qui est demeuré en vigueur pendant au moins un an et qui a été maintenu ou émis après le 20 juin 2021 (les « Premières Nations visées »);

(ii) qui, après le 20 juin 2020, a résidé habituellement pendant au moins un an sur des terres des Premières Nations alors que ces terres étaient visées par un avis concernant la qualité de l’eau potable qui est demeuré en vigueur pendant au moins un an;

b) la Première Nation de Shamattawa et toute autre Première Nation touchée qui choisit de participer au présent recours en sa qualité de représentante (les « Premières Nations participantes »).

[3] Le recours est divisé en deux étapes. À la première étape, la Cour doit répondre à la question commune suivante :

[traduction]
Du 20 juin 2020 jusqu’à ce jour, le défendeur avait-il envers les membres du groupe le devoir ou l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour leur donner un accès suffisant à de l’eau potable propre à la consommation humaine, de s’assurer qu’il leur soit donné un tel accès ou de s’abstenir de les priver d’un tel accès?

[La question commune de la première étape]

[4] À la deuxième étape, la Cour doit trancher neuf autres questions, qui portent notamment sur les manquements et les mesures de réparation.

[5] Par voie de requête, les demandeurs sollicitent un jugement sommaire sur la question commune de la première étape.

[6] La question commune de la première étape, et les thèses des parties, sont pratiquement identiques à celles exposées dans la décision Première Nation de St. Theresa Point c Canada (Procureur général), 2025 CF 1926 [St. Theresa Point], qui a été publiée en même temps que la présente ordonnance et les présents motifs. De manière générale, les demandeurs soutiennent ce qui suit :

  1. Le jugement sommaire convient pour trancher la question commune de la première étape;

  2. La question commune de la première étape devrait recevoir une réponse affirmative, car :

  1. le Canada a une obligation de fiduciaire sui generis et ad hoc envers les membres du groupe;

  2. le Canada a une obligation de diligence en common law envers les membres du groupe;

  3. les articles 15 et 7 et l’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte] s’appliquent;

  4. l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Loi constitutionnelle de 1982] s’applique.

[7] Les observations des demandeurs à l’appui de leurs thèses sont identiques à celles exposées dans l’affaire St. Theresa Point, à l’exception que, en l’espèce, les demandeurs ne soulèvent pas l’application de l’alinéa 2c) de la Charte. À tous autres égards, les thèses des demandeurs et du défendeur sont identiques, sous réserve des adaptations nécessaires pour tenir compte des questions différentes soulevées dans les recours.

[8] En général, le défendeur, appelé aussi le Canada, fait valoir ce qui suit :

  1. Il ne convient pas de trancher la question commune de la première étape au moyen d’un jugement sommaire, puisque les demandeurs sollicitent un résultat garanti en matière de financement. À titre subsidiaire, il fait valoir que s’il est tenu à des obligations, celles-ci doivent être restreintes afin d’exclure les revendications fondées sur la Constitution et la Charte;

  2. Bien que des obligations puissent être reconnues, celles-ci ne peuvent être déterminées à la première étape du recours. En effet, le critère juridique pour établir l’existence d’une obligation est inextricablement lié à la question de savoir s’il y a eu manquement aux obligations, et cette question doit être tranchée à la deuxième étape. Le Canada fait valoir que s’il a une obligation commune envers l’ensemble du groupe, sa portée n’est pas aussi large que celle définie par les demandeurs.

[9] Pour les motifs qui suivent, je conclus, au vu du dossier complet dont je dispose, qu’il convient en l’espèce de rendre un jugement sommaire. Par conséquent, la question commune de la première étape reçoit une réponse affirmative. Je conclus que le défendeur a des obligations de fiduciaire sui generis et ad hoc envers les demandeurs et que le Canada a des obligations en common law envers les membres du groupe, en tant qu’individus et en tant que Premières Nations. Je conclus également que les articles 15 et 7 et l’alinéa 2a) de la Charte entrent en jeu et font naître des obligations par application du paragraphe 32(1) de la Charte. Enfin, je conclus que l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s’applique pas.

II. Question préliminaire – admissibilité de la preuve de certains témoins experts

[10] Comme dans la décision St. Theresa Point, le Canada s’oppose par voie de requête à la preuve de deux des témoins experts des demandeurs : Brian Dean et James Reynolds. Il conteste la portée de la preuve de ces experts ainsi que l’admissibilité de leur preuve, en totalité ou en partie.

[11] Au moment de l’audience, à l’exception de la preuve de M. Dean et de M. Reynolds, les parties sont parvenues à s’entendre sur l’admissibilité et la portée de la preuve de huit des dix témoins experts des demandeurs.

[12] Je conclus que la preuve de M. Dean et de M. Reynolds est admissible. Je suis d’accord avec le défendeur qu’il est utile de définir le champ de compétences des témoins experts pour établir le cadre d’analyse de l’admissibilité. Je suis également d’accord avec le défendeur que la preuve d’expert ne peut être admissible que si elle relève du domaine d’expertise de l’expert.

[13] Le défendeur remet en question le champ de compétences de M. Dean, car il affirme que sa connaissance du Programme de formation itinérante en Colombie-Britannique entre 1998 et 2017 se limite à une région et est propre à la Première Nation avec laquelle il a travaillé.

[14] Les demandeurs souscrivent à l’interprétation du droit que fait le défendeur, mais soutiennent également qu’il faut faire preuve de souplesse dans l’application des règles de preuve dans les revendications autochtones (Mitchell c MRN, 2001 CSC 33 au para 30).

[15] Après avoir examiné le droit et la preuve de M. Dean, y compris son champ de compétences, je conclus que M. Dean est un expert aux fins énoncées dans son affidavit et son rapport. Il possède des connaissances en matière de fonctionnement, de gestion, d’entretien et de réparation de systèmes de traitement de l’eau. De plus, pendant la période visée, il a conseillé les Premières Nations sur des questions liées aux systèmes de traitement de l’eau et a donné une formation à cet égard aux Premières Nations et aux opérateurs de l’usine de traitement de l’eau. Cette preuve présente également un intérêt pour le recours.

[16] Le défendeur conteste la preuve de M. Reynolds au motif qu’elle n’est pas conforme à l’alinéa 52.2(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Il soutient que M. Reynolds n’a pas démontré qu’il est historien, ou plus précisément historien du droit, et que sa connaissance des événements historiques est seulement accessoire à son travail juridique.

[17] Pour démontrer que M. Reynolds a des compétences à titre d’historien, les demandeurs renvoient à ses études, notamment en histoire du droit, à son travail professionnel, à ses présentations et à ses publications sur l’histoire des relations entre la Couronne et les peuples autochtones, ainsi qu’au rapport qu’il a rédigé et qui a été utilisé dans l’approbation du règlement dans la décision Nation des Cris de Tataskweyak c Canada, 2021 CF 1415 [Tataskweyak].

[18] Après avoir examiné le droit et la preuve de M. Reynolds ainsi que son champ de compétences, je conclus que M. Reynolds est un expert aux fins énoncées dans son affidavit et son rapport. La preuve de M. Reynolds est utile pour établir le contexte de la relation entre la Couronne et les peuples autochtones, qui est l’un des principaux éléments de la question en litige.

[19] L’intégralité de la preuve présentée par M. Dean et par M. Reynolds est admissible. La pertinence sera évaluée en conséquence.

III. Contexte

[20] Le présent recours fait suite au règlement du 15 septembre 2021 d’un recours collectif précédemment intenté contre le défendeur au motif qu’il avait manqué à son obligation de s’assurer que certaines Premières Nations et leurs membres aient accès à de l’eau potable dans les réserves. La Cour du Banc du Roi du Manitoba et notre Cour ont approuvé le règlement du précédent recours collectif sur la qualité de l’eau potable dans la décision Tataskweyak.

[21] Le présent recours porte essentiellement sur les questions qui ont été soulevées ou qui ne sont toujours pas réglées depuis la fin de la période visée dans la décision Tataskweyak, à l’exception de la durée des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable et de la période visée. Le Canada nie que la décision Tataskweyak constitue un aveu de responsabilité de sa part ou une reconnaissance qu’il a un devoir ou une obligation juridique aux fins du présent recours.

[22] Le volumineux dossier démontre que les questions en l’espèce sont techniques et concernent de nombreux facteurs qui se recoupent en lien avec les politiques et pratiques de financement, les défis d’approvisionnement en eau, le contrôle historique exercé par le Canada sur les Premières Nations, ainsi que les préjudices spirituels et physiques qu’elles allèguent avoir subis en raison des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable dans leurs collectivités.

[23] L’histoire du colonialisme, y compris la création des réserves et le contrôle exercé par le Canada sur les membres des Premières Nations dans les réserves en vertu de la Loi sur les Indiens, est également en litige dans le présent recours. En l’espèce, la preuve relative à ces questions a été documentée pratiquement de la même manière que dans l’affaire St. Theresa Point (aux para 95-96).

[24] La Première Nation de Shamattawa, signataire du traité no 5, est située dans le nord du Manitoba. Il s’agit d’une collectivité isolée accessible par avion, qui dispose de routes de glace qui limitent l’accès durant l’hiver. Située au confluent de la rivière Gods et de la rivière Echoing, la Première Nation de Shamattawa vivait traditionnellement de la terre et s’approvisionnait en eau dans ces rivières voisines. Toutefois, en 1908, elle a été relocalisée dans une réserve dont la superficie était bien inférieure à celle de son territoire ancestral. Cette relocalisation a entraîné la dépendance de la Première Nation de Shamattawa envers le Canada.

[25] Le Canada est responsable depuis un certain temps de l’approvisionnement en eau et de l’aménagement des infrastructures hydrauliques à Shamattawa. Par exemple, dans les années 1980, le Canada a foré des puits à Shamattawa, ce qui a confirmé que les ressources en eau de la Première Nation étaient limitées. De plus, l’eau trouvée dans l’aquifère sous Shamattawa contenait du méthane, ce qui la rendait impropre à la consommation humaine; la présence de méthane posait également un risque d’incendie. Le Canada a alors commencé à approvisionner les réserves de Shamattawa au moyen de camions-citernes, qui puisaient l’eau dans le ruisseau Trout, à proximité, jusqu’en 1999 lors de l’ouverture de la première usine de traitement de l’eau.

[26] Pendant toute cette période, la Première Nation de Shamattawa n’avait aucune eau courante ni plomberie intérieure. Les livraisons d’eau étaient limitées et insuffisantes pour répondre aux besoins de la population trop nombreuse de Shamattawa; les résidences étaient à court d’eau bien avant la prochaine livraison prévue. Au début des années 2000, le Canada a lentement commencé à raccorder les infrastructures d’approvisionnement en eau et les égouts aux bâtiments situés dans les réserves. Le Canada a commencé par les bâtiments du gouvernement – d’abord le poste de la GRC, puis le poste de soins infirmiers et l’école. Peu à peu, le Canada a étendu les services d’approvisionnement en eau et les services d’égouts aux résidences de la collectivité. Toutefois, l’usine de traitement de l’eau n’avait pas été conçue pour desservir l’ensemble de la collectivité, mais plutôt pour traiter une quantité d’eau précise et fonctionner par intermittence. Elle n’était pas en mesure d’alimenter un réseau de distribution par canalisations couvrant l’ensemble de la réserve. Par conséquent, les services d’approvisionnement en eau étaient interrompus presque chaque semaine.

[27] L’usine de traitement de l’eau a été mal conçue. L’emplacement de la prise d’eau, choisi unilatéralement par le Canada, s’est révélé complètement inadapté pour l’approvisionnement en eau. L’eau est puisée à la hauteur du courant où la rivière Gods et la rivière Echoing se rencontrent. Par conséquent, l’usine de traitement de l’eau est fréquemment contaminée et régulièrement obstruée en raison de l’accumulation de vase à l’emplacement de la prise d’eau. L’usine de traitement de l’eau a dépassé sa capacité et sa durée de vie prévues, et son remplacement n’est pas dans les plans. Son système de filtration par membranes et sa chloration intensive ne permettent pas de remédier à la turbidité de l’eau et ne répondent pas aux Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada. De plus, le dégel au printemps fait en sorte que la prise d’eau est souvent obstruée et provoque un écoulement d’eau brune contaminée des robinets, ce qui entraîne chaque année des états d’urgence récurrents qui nécessitent l’acheminement par avion d’eau embouteillée vers la collectivité. La Première Nation de Shamattawa est visée par un avis concernant la qualité de l’eau potable quasi permanent depuis décembre 2018. En 2021, l’inspection annuelle du rendement du Canada a confirmé tous ces problèmes de longue date, mais ceux-ci n’ont toujours pas été réglés.

[28] Les autres facteurs liés au groupe seront exposés dans la section suivante ci-dessous.

IV. Résumé de la preuve

[29] Le dossier de preuve en l’espèce contient plus de 10 000 pages. Je reproduis ci-dessous un bref résumé de cette preuve, dont la majeure partie se rapporte aux questions communes de la deuxième étape. Le résumé est utile pour mettre en contexte le présent recours et la requête en jugement sommaire.

A. La preuve des demandeurs

(1) Les témoins des faits

[30] Les demandeurs ont présenté en preuve l’affidavit des dix témoins des faits suivants :

  1. Le chef Jordna Hill : chef actuel de la Première Nation de Shamattawa et ancien conseiller;

  2. Sharon Garson : cheffe du service des finances et membre de la Première Nation de Tataskweyak;

  3. David Ward : ingénieur agréé et membre de la Nation Líl̓wat;

  4. Sheri Schweder : membre de la Première Nation de Shamattawa et directrice du refuge pour femmes à Shamattawa;

  5. Isaac Mandamin : membre des Wabaseemoong Independent Nations [la Nation Wabaseemoong] et directeur des services de la Nation Wabaseemoong;

  6. Esther Thomas : membre de la Première Nation de Shamattawa et préposée à l’entretien au centre de crise pour femmes de Shamattawa;

  7. Carl Kennedy : membre de la Première Nation Little Pine, conseiller depuis 1993 et responsable du parc de logements de la Première Nation Little Pine;

  8. Cordell James Pinay : membre de la Nation crie Peepeekisis [la NCP], directeur du capital et des infrastructures et membre de l’équipe chargée du projet de réparation d’urgence de l’usine de traitement de l’eau de la NCP;

  9. Jerry Andrew : technicien agréé en génie civil, membre de la Nation Secwepemc et directeur des travaux publics et des infrastructures de la bande indienne Adams Lake;

  10. Jennifer Kasper : adjointe juridique des avocats des demandeurs ayant fourni à la Cour une série de pièces justificatives.

[31] Le défendeur a contre-interrogé le chef Hill, Mme Garson, M. Ward, le conseiller Kennedy et M. Andrew.

a) Chef Jordna Hill

[32] En plus d’être chef de la Première Nation, le chef Hill, âgé de 48 ans, est père de sept enfants et grand-père de quatre petits-enfants. Il a vécu à Shamattawa pendant la majeure partie de sa vie.

[33] Le chef Hill a témoigné de l’historique des infrastructures d’approvisionnement en eau à Shamattawa et de leur dysfonctionnement. Il a expliqué que les fonds alloués à l’exploitation et à l’entretien de ces infrastructures sont insuffisants et que les ressources disponibles pour recruter et maintenir en poste des opérateurs qualifiés pour l’usine de traitement de l’eau sont inadéquates. Le chef Hill a affirmé ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]
L’état de crise dans laquelle se trouvent nos membres vivant dans les réserves est inconnue des employés du Canada. Le Canada fournit à ses employés qui travaillent à Shamattawa des bouteilles et des cruches d’eau pour leur usage personnel. La vie des employés du Canada n’est donc pas affectée par les nombreuses difficultés que nous sommes contraints d’endurer. Seuls les membres de la Première Nation de Shamattawa en assument les conséquences. Il est difficile d’imaginer un symbole plus éloquent de la négligence du Canada que de voir les palettes d’eau embouteillée à notre aéroport et de savoir que le Canada les a fait venir par avion pour ses employés, et non pour nous.

[34] Le chef Hill a relaté l’expérience des dirigeants des Premières Nations dans leurs négociations avec le Canada concernant les infrastructures d’approvisionnement en eau et leur exploitation. Il a affirmé que le Canada collabore avec la Première Nation de Shamattawa durant le processus d’appel d’offres lorsque les entrepreneurs soumissionnent pour des projets d’infrastructure. Selon le chef Hill, la contribution de la Première Nation est [traduction] « superficielle », car les dirigeants des Premières Nations sont tenus de respecter les règles imposées par le Canada, qui les obligent à choisir l’entrepreneur qui fait l’offre la plus basse. Il a expliqué que le Canada oblige les Premières Nations à choisir le soumissionnaire le moins disant. Le chef Hill a présenté des pièces démontrant les formulaires de rapport du Programme de formation itinérante [le PFI] du Canada ainsi que les éléments requis lorsqu’une Première Nation ne respecte pas les normes et que le Canada doit intervenir.

[35] Le chef Hill a également témoigné de l’histoire de la relation de la Première Nation de Shamattawa avec l’eau. Il a affirmé que l’eau est au cœur du mode de vie de la Première Nation. Le chef Hill a démontré que le Canada avait contraint la Première Nation à une situation de dépendance et que les ressources de cette dernière sont limitées. De plus, il a montré que l’industrie dans la région près de Shamattawa est contrôlée par des tiers.

b) Sharon Garson

[36] Mme Garson a déclaré que la Première Nation de Tataskweyak est visée par un avis concernant la qualité de l’eau potable depuis le 17 mai 2017. Elle a affirmé que la Première Nation de Tataskweyak est liée par une entente de financement global avec Services aux Autochtones Canada [SAC] et que cette entente fournit à peine suffisamment de ressources pour couvrir le sixième des besoins actuels de la collectivité en matière d’infrastructure d’approvisionnement en eau. Les fonds reçus ne suffisent pas à garantir un salaire décent aux employés de l’usine de traitement de l’eau, encore moins à financer des améliorations ou des travaux d’infrastructure. Mme Garson a déclaré que le budget des investissements mineurs de la Première Nation de Tataskweyak doit être consacré aux infrastructures d’approvisionnement en eau, au détriment d’autres secteurs essentiels comme le logement, les écoles, les services d’incendie, les bâtiments du conseil de bande, les services d’urgence et le nettoyage des citernes.

c) David Ward

[37] M. Ward a déclaré que, parmi les trois réseaux d’alimentation en eau dans la réserve Líl̓wat, SAC ne fournit aucun financement pour le plus petit. Il en est ainsi parce que la politique de SAC n’autorise pas le financement des réseaux desservant moins de cinq foyers. De plus, SAC refuse d’allouer des fonds pour les puits privés individuels.

[38] M. Ward a déclaré que le petit réseau fait l’objet d’un avis concernant la qualité de l’eau potable continu depuis quatre ans et que faire bouillir l’eau n’est pas une solution envisageable pour remédier au problème. De plus, les nourrissons et les tout-petits ne peuvent pas prendre leur bain dans cette eau en raison de l’avis. M. Ward a expliqué que la Nation Líl̓wat a dû réaffecter les fonds provenant du règlement conclu avec la Première Nation de Tataskweyak pour mettre en place une solution provisoire pour le réseau, même si ces fonds n’étaient pas destinés à cet usage. Le financement reçu pour les plus gros réseaux est insuffisant, le versement des fonds accuse des retards importants, les échéanciers sont inadéquats et des restrictions limitent le nombre de réseaux pouvant être financés simultanément.

[39] M. Ward a également parlé des problèmes découlant du fait que SAC ne soutient pas les plans d’infrastructure de la Nation Líl̓wat en fonction des besoins réels et ne veut pas cerner les problèmes qui auront certainement des effets négatifs sur la Nation Líl̓wat dans un avenir prévisible.

d) Sheri Schweder

[40] Grâce à son travail auprès des femmes de Shamattawa, Mme Schweder est à même de constater les lésions, les maladies gastriques, rénales et hépatiques, ainsi que les maladies graves causées par la consommation de l’eau des réserves. Mme Schweder a déclaré que son petit-fils de cinq ans avait subi des lésions nécessitant l’ablation de son testicule parce qu’il avait pris son bain dans l’eau traitée de la réserve. Les maladies attribuables à la consommation d’eau contaminée sont courantes parmi les membres de la Première Nation de Shamattawa.

[41] Mme Schweder et sa famille sont obligées de puiser l’eau dans un petit ruisseau. Lorsqu’elles utilisent le ruisseau en hiver, il y a des enjeux de sécurité évidents liés au temps froid. De même, lorsqu’elles puisent l’eau dans la noirceur, d’autres enjeux de sécurité se posent en raison du manque de visibilité. Même si l’eau du ruisseau est parfois décolorée et qu’il faut beaucoup de temps et d’efforts pour la puiser, Mme Schweder estime qu’il est nécessaire de l’utiliser en raison des problèmes liés à l’eau du robinet traitée dans la réserve. De plus, elle a expliqué qu’il est courant à Shamattawa que la Croix-Rouge achemine par avion des bouteilles d’eau pour la collectivité lors de situations de crise, lorsque le réseau d’alimentation en eau de la collectivité est complètement hors service.

[42] Comme le chef Hill, Mme Schweder a également témoigné des répercussions importantes de l’insalubrité de l’eau sur les pratiques culturelles et spirituelles de la Première Nation de Shamattawa. Le manque d’eau salubre perturbe non seulement les pratiques culturelles et spirituelles, mais empêche également l’éducation des jeunes générations qui ne peuvent s’adonner à ces pratiques en raison du manque d’eau salubre.

[43] Mme Schweder a déclaré que le modèle de financement du Canada repose sur des hypothèses de base irréalistes qui ne tiennent pas compte des besoins réels de la collectivité et n’y répondent pas. De plus, les fonds ne suffisent pas pour résoudre les problèmes importants liés au gel des conduites d’eau et aux fuites des égouts, qui peuvent entraîner directement la contamination de la source d’eau de Shamattawa.

e) Isaac Mandamin

[44] M. Mandamin a expliqué que la Nation Wabaseemoong avait été visée par un avis concernant la qualité de l’eau potable du 11 août 2017 au 6 décembre 2021. Plusieurs conduites d’eau se sont rompues et une pompe aspirante est tombée en panne, ce qui a entraîné l’avis concernant la qualité de l’eau potable.

[45] La conduite d’eau principale de la Nation Wabaseemoong a dû être remplacée, ce qui a pris des années. Bien que le Canada ait annoncé avec fierté la levée de l’avis concernant la qualité de l’eau potable, celle-ci n’a duré que six mois. D’autres ruptures de canalisations ont provoqué des inondations, ce qui a entraîné une contamination au diesel et la fermeture de l’ensemble du réseau d’alimentation en eau. La collectivité a été évacuée pendant plus de deux mois et demi, dans l’attente de la livraison des pièces nécessaires à la réparation du réseau. De nombreux membres sont rentrés chez eux avant que le réseau d’alimentation en eau soit réparé. Le Canada a fourni une petite quantité d’eau potable embouteillée et d’eau non potable pour la chasse d’eau des toilettes. Des toilettes portatives ont également été installées, mais elles n’étaient pas changées régulièrement et ont fini par déborder.

[46] M. Mandamin a affirmé que l’école primaire était restée fermée pendant toute la durée de l’évacuation et que l’école secondaire avait rouvert ses portes après deux mois, ce qui avait considérablement perturbé la vie et la scolarité des enfants de la collectivité. Une fois l’approvisionnement en eau rétabli, celle-ci restait impropre à la consommation, et d’autres problèmes sont survenus, comme le gel des canalisations et le refoulement des égouts. Les travaux effectués jusqu’à présent sont temporaires, et il pourrait falloir des années pour remettre en état le réseau d’alimentation en eau. D’ici là, l’eau potable de la Nation Wabaseemoong est livrée par camion.

[47] M. Mandamin a également déclaré que ces avis à long terme concernant la qualité de l’eau ont rompu le lien sacré qui unissait la collectivité à l’eau.

f) Esther Thomas

[48] Mme Thomas a déclaré que l’eau à Shamattawa ne ressemble pas à de l’eau et ne semble pas potable. Elle a ajouté que quand elle ou son fils de deux ans boivent cette eau après ébullition, ils ont des problèmes de santé, comme des maux d’estomac, de la diarrhée et des vomissements.

[49] Mme Thomas a également témoigné des dangers liés à la collecte d’eau dans le ruisseau en hiver, affirmant qu’elle était déjà tombée à travers la glace dans l’eau froide du ruisseau. Malgré ces risques, l’eau du ruisseau est plus sûre que l’eau du robinet à Shamattawa. Sans véhicule, Mme Thomas dépend des autres pour l’emmener au ruisseau afin de puiser de l’eau. Lorsque cela n’est pas possible, elle est contrainte de consommer de l’eau du robinet bouillie, même si cela la rend malade. Mme Thomas a déclaré qu’elle n’avait pas les moyens d’acheter de l’eau embouteillée, car les prix sont exorbitants.

[50] Mme Thomas a déclaré qu’elle et sa famille souffraient fréquemment de lésions et de furoncles attribuables à l’utilisation de l’eau du robinet pour se laver, ce qui entraînait des cicatrices et des irritations cutanées sur tout le corps.

g) Le conseiller Carl Kennedy

[51] Le conseiller Kennedy est responsable du portefeuille des infrastructures au sein de la Première Nation Little Pine. Il a travaillé à la première usine de traitement de l’eau dans les années 1980 et est devenu l’un des premiers opérateurs qualifiés au milieu des années 1990.

[52] Le conseiller Kennedy a affirmé que l’usine de traitement de l’eau de la Première Nation Little Pine était inadéquate dès sa création et que de graves problèmes ont commencé à survenir vers 2011. La demande en eau provenant de ce système inadéquat a entraîné l’assèchement et l’effondrement de deux puits. Les canalisations ont commencé à pomper du sable dans l’eau, ce qui a diminué la quantité d’eau et nui à sa qualité. Des canalisations éclatées et corrodées, des pannes majeures du système et des chutes de pression ont empêché de nombreux foyers d’être alimentés en eau, les autres devant limiter leur consommation. Cela a également entraîné la fermeture d’écoles et la nécessité d’acheminer l’eau par camion à la collectivité. Bien que le Canada avait déjà commencé les travaux de forage de deux nouveaux puits, il n’était pas disposé à financer le raccordement de ces puits ni les réparations urgentes nécessaires au réseau d’alimentation en eau. La Première Nation Little Pine a dû contracter un prêt, qu’elle a remboursé à même les fonds destinés à des projets de développement économique et au logement. Un an plus tard, le Canada a accepté de la rembourser.

[53] Depuis la fin des travaux de réparation ayant fait suite à l’effondrement, des problèmes persistants ont entraîné des avis d’ébullition de l’eau à court terme. Le manque de financement pour les salaires entraîne un faible taux de rétention des opérateurs de l’usine de traitement de l’eau. En raison de l’incapacité de retenir ces opérateurs et du financement insuffisant pour assurer un fonctionnement continu, le réseau fait l’objet d’un avis depuis environ 2018.

[54] Bien que le Canada ait réalisé des progrès encourageants dans la modernisation du réseau lui-même, celui-ci reste insuffisant. Environ 22 foyers raccordés au réseau ne peuvent être alimentés en raison d’une pression insuffisante. Ces foyers dépendent de l’eau livrée dans des citernes à système ouvert, qui sont pour la plupart impossibles à maintenir dans des conditions hygiéniques. De plus, comme les canalisations d’eau de l’école sont contaminées, de l’eau embouteillée doit y être acheminée.

[55] En raison du manque de financement pour la rétention et la formation des opérateurs, la Première Nation Little Pine ne dispose que d’un seul opérateur certifié de niveau 2 qui travaille deux jours par semaine. Cet opérateur est assisté par des stagiaires de niveau 1 qui ne sont pas suffisamment qualifiés pour faire fonctionner l’usine. SAC s’est engagé à fournir un financement qui :

…répondr[a] aux préoccupations de longue date soulevées par les collectivités des Premières Nations, y compris le financement pour tenir compte des progrès technologiques, des pratiques exemplaires de l’industrie, des normes applicables en matière d’approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées, et de la formation des opérateurs, de leur certification et de leur maintien en poste.

[56] Or, il ne s’agit pas de la réalité. La formule de financement utilisée par SAC est imparfaite et inadéquate. En conséquence, la Première Nation Little Pine enregistre chaque année un déficit financier simplement pour couvrir les coûts actuels insuffisants liés au projet, à l’entretien, aux opérations et à la formation.

h) Cordell James Pinay

[57] M. Pinay a déclaré que la première usine de traitement de l’eau de la NCP, construite en 1988, desservait la [traduction] « zone centrale » de la réserve. Les personnes vivant en dehors de cette zone disposaient de citernes remplies par camion ou de puits privés. L’eau provenant de ce système a rendu malades de nombreux membres de la collectivité, causant des infections, des éruptions cutanées et divers autres problèmes de santé. Avant l’achèvement de la nouvelle usine, la collectivité avait été visée par plusieurs avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable, chacun d’une durée supérieure à un an. La nouvelle usine de traitement de l’eau, achevée en décembre 2020, dessert uniquement la « zone centrale ».

[58] Parmi les avis toujours en vigueur et que la construction de la nouvelle usine n’a pas permis de lever, mentionnons un avis émis en février 2015 qui vise la majorité des résidences situées dans la réserve, car elles se situent à l’extérieur de la « zone centrale » et n’ont accès qu’à des citernes contaminées. Un autre avis à long terme est en vigueur depuis avril 2013 pour un puits à système ouvert qui dessert six foyers dans la réserve. Dans ces régions, les membres de la collectivité sont souvent contraints de rationner l’eau à laquelle ils ont accès, car les quantités disponibles ne suffisent pas à répondre à tous leurs besoins en eau.

[59] M. Pinay a déclaré que les problèmes résultants du sous-financement délibéré par SAC de l’exploitation et de l’entretien du réseau d’alimentation en eau de la NCP continuent d’avoir des répercussions aujourd’hui. SAC n’a pas pris en charge les coûts supplémentaires assumés par la collectivité en lien avec les problèmes d’eau potable, tels que l’achat d’eau potable et de réservoirs de stockage, les frais de transport, les réparations des camions de livraison et l’usure excessive des routes. Les tentatives de SAC de scinder la construction des infrastructures nécessaires en deux projets distincts ne tiennent pas compte des besoins ni des préoccupations de la NCP, qui lui ont été communiqués dès 2017. L’étude de faisabilité menée par la NCP pour une mise à niveau visant un cycle de vie de dix ans oriente les choix de conception qui permettraient de répondre aux besoins actuels de la Première Nation à un coût d’exploitation annuel moindre, tout en réduisant les risques pour la santé et la sécurité. Les travaux de conception sont presque terminés, mais l’absence de financement de la part de SAC a conduit à l’arrêt du projet.

[60] En raison des critères et des exigences minimales fixés par SAC, celui-ci ne financera qu’un système à basse pression et a établi des plafonds de financement par raccordement domestique. Les communications et les conceptions de la NCP ont respecté ces exigences. Toutefois, bien que SAC ait financé la phase préparatoire du projet, sa contribution financière pour la phase de construction ne représente que vingt pour cent des coûts réels, soit 2,6 millions de dollars, ce qui laisse 9,6 millions de dollars à la charge de la NCP, qui n’est pas en mesure de payer cette somme. Par conséquent, le projet n’a pas progressé au cours des deux dernières années. SAC continue de refuser de financer adéquatement ce projet. L’avis concernant la qualité de l’eau potable demeure donc en vigueur.

i) Jerry Andrew

[61] M. Andrew était auparavant copropriétaire et employé de Gentech Engineering Inc., une société de génie civil offrant ses services à la bande indienne Adams Lake depuis 1983. Il connaît bien les infrastructures d’approvisionnement en eau de la bande et les défis auxquels elle est confrontée.

[62] La bande indienne Adams Lake compte plusieurs petites réserves adjacentes, comme la réserve Sahhaltkum 4 (no 4) et la réserve Switsemalph 6 (no 6), ce qui pose des défis uniques en matière d’infrastructures d’approvisionnement en eau. La bande compte 847 membres, dont 350 à 400 vivent dans les réserves nos 4 et 6, chacune confrontée à d’importants problèmes liés à l’eau potable et au traitement des eaux usées. Le témoignage de M. Andrew ne porte que sur la réserve no 4, qui dispose d’un système de niveau 1 combinant des puits privés, des puits communautaires reliés à une usine de traitement de l’eau, trois réservoirs et un réseau de distribution par canalisations.

[63] M. Andrews a déclaré que différentes parties du réseau d’alimentation en eau de la réserve no 4 ont fait l’objet d’avis concernant la qualité de l’eau potable au cours des 20 dernières années, en raison du sous-financement du Canada. Les puits et la station de pompage équipée de trois réservoirs en béton, construits dans les années 1980, ainsi qu’un puits supplémentaire construit en 2019, peinent à satisfaire la demande en eau.

[64] Dans une zone de la réserve no 4, 25 foyers, auparavant alimentés par des puits privés, sont visés par des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable en raison de la présence de coliformes, de métaux lourds et d’arsenic dans leur réseau d’alimentation, ainsi que de la très mauvaise qualité générale de l’eau disponible. En juin 2020, 13 de ces foyers ont été raccordés à une nouvelle conduite d’eau principale dans le cadre des phases 1 et 2 d’un projet en trois phases. La bande indienne Adams Lake a dû assumer environ 45 000 $ de ce coût et financer 376 878,96 $ pour la phase 3, alors que trois foyers situés dans une autre zone ne sont toujours pas raccordés et demeurent visés par des avis concernant la qualité de l’eau potable. L’achat d’eau embouteillée nécessaire pendant la durée des avis à long terme représente environ 30 000 $ par an pour la bande. Ces coûts ne sont pas pris en charge par SAC.

[65] Le puits communautaire situé dans la réserve no 4 a été visé par des avis récurrents concernant la qualité de l’eau potable de 2012 à août 2022 en raison de niveaux problématiques de fer et de manganèse. Conformément aux normes provinciales, la bande indienne Adams Lake a chloré l’eau, ce qui a provoqué une réaction qui l’a rendue brune et a entraîné une accumulation importante de sédiments dans le réseau de distribution. La solution immédiate proposée par le Canada consistait à utiliser des filtres à cartouche, qui se bouchaient tous les quelques jours et devaient être remplacés. Le Canada n’a pas voulu financer l’achat de filtres plus coûteux, malgré les preuves de défaillance des cartouches. En août 2022, la bande a financé l’achat de filtres adéquats et l’agrandissement du bâtiment, ce qui lui a coûté plus de 130 000 $. Le Canada n’a pas contribué à ces frais.

[66] La formule de financement du Canada ne couvre pas les coûts réels liés à l’exploitation et à l’entretien des réseaux. La bande indienne Adams Lake ne dispose pas de ressources suffisantes pour constituer des réserves financières d’urgence en vue de réparer le réseau d’alimentation en eau, comme le recommande le Canada. Même lorsque le réseau fonctionne normalement, le financement du Canada demeure insuffisant, ce qui engendre des situations de crise. Les déficits de financement continus du Canada sont compensés par les propres revenus de la bande, qui sont nécessaires à d’autres secteurs. Cela crée d’autres situations d’urgence dans ces secteurs, qui nécessitent du financement de la part de la bande. La bureaucratie du Canada, sa pratique de longue date consistant à sous-financer les Premières Nations, les changements constants dans ses programmes de financement et ses retards sont inacceptables.

j) Jennifer Kasper

[67] Mme Kasper a remis à la Cour une série de pièces justificatives rassemblant des renseignements de diverses sources, notamment SAC, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, les médias, Human Rights Watch, le Bureau du vérificateur général, le directeur parlementaire du budget, Archives Canada et Aboriginal Infant Development. Ces pièces contiennent : des renseignements sur le type, la quantité et la récurrence des avis concernant l’eau potable ainsi que les endroits où ils sont en vigueur, y compris les évaluations annuelles et nationales, les indicateurs, les audits, les rapports, les rôles et responsabilités, la budgétisation et les rapports sur le (sous‑)financement; des informations historiques détaillant les causes, les impacts du colonialisme, les appels à l’action, les rapports d’action, les rapports de situation, les programmes officiels, les plans et stratégies, ainsi que les rapports des groupes d’experts; des pactes et conventions relatifs aux droits de la personne, ainsi que des résolutions; des rapports périodiques, des enquêtes, des rapports sur la suffisance budgétaire, des conférences de presse et des déclarations politiques officielles.

[68] Ces pièces datées de 2020 ou postérieures à cette date sont notamment les suivantes :

  • Des conférences de presse, des déclarations publiques et une déclaration devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, faites par l’honorable Marc Miller, alors ministre des Services aux Autochtones;

  • Une copie de la lettre adressée par le Canada à la Première Nation de Neskantaga, datée du 6 novembre 2020;

  • Une copie du document publié par le Canada intitulé Indicateurs canadiens de durabilité de l’environnement : traitement des eaux usées municipales, daté de décembre 2020;

  • Le rapport de 2021 de la vérificatrice générale du Canada intitulé Accès à une eau potable salubre dans les collectivités des Premières Nations; le plan d’action détaillé du Canada, publié en avril 2021 en réponse à ce rapport; et la mise à jour de ce rapport de la vérificatrice générale datée du 14 juin 2022;

  • Le rapport de 2021 intitulé Évaluation du Programme d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées dans les réserves;

  • Plusieurs articles de journaux, dont un du Global News daté du 18 mai 2021 concernant la déclaration de l’état d’urgence par la Première Nation de Shamattawa à la suite d’une série de suicides et de tentatives de suicide parmi les résidents;

  • L’inspection annuelle du rendement du réseau d’alimentation en eau de la Première Nation de Shamattawa, effectuée par le Canada le 6 octobre 2021;

  • Le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget intitulé Eau potable pour les Premières Nations : le gouvernement dépense-t-il assez?, daté du 1er décembre 2021;

  • Des conférences de presse, des articles de médias et un article de CBC News daté du 2 avril 2022, citant l’honorable Patty Hajdu, ministre des Services aux Autochtones;

  • Le rapport d’Environnement et Changement climatique Canada intitulé Indicateurs canadiens de durabilité de l’environnement : avis d’ébullition de l’eau, daté de juin 2022;

  • Les Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada du gouvernement du Canada, datées de septembre 2022;

  • Le rapport de Human Rights Watch intitulé World Report 2023, Our Annual Review of Human Rights Around the Globe;

  • Le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, publié le 21 juin 2023.

(2) Les témoins experts

[69] Les demandeurs ont présenté les dix témoins experts suivants, dont les champs de compétences ont été acceptés par les parties, sauf ceux de Brian Dean et de James Reynolds. Leurs témoignages sont les suivants :

a) Brian Dean

[70] Champ de compétences : Opérateur en traitement des eaux ayant plus de vingt-cinq ans d’expérience dans le soutien opérationnel direct aux Premières Nations pour leurs infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, notamment dans le cadre du PFI du Canada, et ayant une connaissance de l’approche canadienne en matière d’exploitation et d’entretien des réseaux d’alimentation en eau dans les collectivités des Premières Nations.

[71] Preuve : En tant que président de Brian Dean Consulting, M. Dean a offert aux Premières Nations de la Colombie‑Britannique un soutien direct relativement à leurs infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées pendant plus de vingt-cinq ans, dont vingt dans le cadre du PFI pour SAC, de 1998 à 2017. Le PFI a été mis en place pour fournir un soutien aux Premières Nations :

[traduction]
À titre de formateur itinérant de 1998 à 2017, mon rôle consistait principalement à former les opérateurs des réseaux d’alimentation en eau au sein des Premières Nations, et je continue depuis à travailler avec les Premières Nations. J’ai rapidement constaté que ces opérateurs avaient peu de soutien, voire aucun. J’ai travaillé en étroite collaboration avec le chef et le conseil de bande, ainsi qu’avec le gestionnaire des travaux publics (lorsqu’il y en avait un), afin de souligner le rôle central des opérateurs des réseaux d’alimentation en eau et l’importance d’une formation adéquate. Notre survie dépend d’un accès fiable à une eau potable salubre, et cet accès fiable dépend des opérateurs de réseaux d’alimentation en eau.

[72] M. Dean poursuit son travail auprès des Premières Nations dans le domaine du traitement de l’eau, notamment en conseillant et en formant les collectivités sur l’exploitation, l’entretien et la réparation des réseaux d’alimentation en eau, en assurant la gestion de ces réseaux, en remplaçant ou en appuyant les opérateurs des usines de traitement de l’eau et en collaborant avec divers intervenants externes afin de répondre aux besoins des Premières Nations en matière d’infrastructure d’approvisionnement en eau.

[73] M. Dean a déclaré que le Canada a transféré aux Premières Nations la responsabilité de construire leurs propres infrastructures, sans égard à leurs capacités ni à leurs compétences. Conformément au protocole d’approvisionnement et au Protocole pour les infrastructures financées par SAC, les Premières Nations sont tenues de sélectionner les entrepreneurs du PFI offrant la soumission la moins élevée dans le cadre d’un processus d’appel d’offres.

[74] M. Dean a déclaré que, au cours de son travail à titre de formateur itinérant, les Premières Nations étaient accueillantes en raison de la formation et du soutien importants dont elles avaient besoin. D’après son expérience, les collectivités des Premières Nations ne bénéficient pas de l’inspection des réseaux d’alimentation en eau, du soutien et des hausses de financement dont profitent les villes et les municipalités non autochtones. De plus, les défis culturels, l’absence de relations et le manque de formation des opérateurs au sein des Premières Nations limitent leur capacité à obtenir le soutien des fournisseurs et des autres intervenants.

[75] M. Dean a affirmé qu’il existe peu ou pas d’autres formes de soutien pour les Premières Nations et que SAC continue de restreindre la nature et la portée du soutien que les formateurs itinérants sont autorisés à fournir, sans égard aux besoins des Premières Nations. SAC a réduit le nombre d’heures que les formateurs itinérants peuvent consacrer aux Premières Nations et conserve une longue liste d’activités qui leur sont interdites. Il est rare que les opérateurs membres des Premières Nations possèdent une formation scolaire spécialisée. Bien qu’ils soient des opérateurs motivés et désireux de se perfectionner, une grande partie de leur travail repose forcément sur l’improvisation.

[76] Plutôt que de bénéficier de normes et de règlements clairement définis, comme c’est le cas pour les réseaux d’alimentation en eau gérés par les provinces, les Premières Nations doivent se contenter des Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada, qui ne sont que des lignes directrices techniques non contraignantes et des objectifs à atteindre. Lorsque le Canada modifie ces recommandations, il le fait sans tenir compte des mises à niveau nécessaires des réseaux d’alimentation en eau, ce qui entraîne des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable, tandis que les Premières Nations touchées doivent attendre d’obtenir du financement du Canada pour moderniser ou remplacer leurs réseaux.

[77] De plus, les opérateurs et les opérateurs suppléants travaillant dans les réserves sont rémunérés bien en deçà du taux du marché, ce qui rend ces postes extrêmement difficiles à pourvoir. De même, la formation des opérateurs s’étend sur plusieurs années, et les opérateurs suppléants doivent souvent quitter leur poste avant d’obtenir leur certification en raison de contraintes financières.

[78] La classification du réseau d’alimentation en eau change à mesure que la population augmente et que le réseau est modernisé. La Première Nation se retrouve donc dans l’urgence de trouver un nouvel opérateur pour son réseau d’alimentation en eau afin de répondre à ses besoins immédiats, plutôt que de pouvoir soutenir le perfectionnement de l’opérateur déjà en poste, qui possède une véritable connaissance du réseau.

b) Kerry Black, PhD

[79] Champ de compétences : Ingénieure et conseillère en infrastructures ayant des connaissances spécialisées de l’approche du Canada à l’égard des infrastructures dans les réserves, de leur exploitation et de leur entretien, notamment en ce qui concerne les répercussions des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable.

[80] Preuve : Mme Black a démontré que la qualité globale de l’eau au Canada figure parmi les meilleures au monde. Or, les membres du groupe disposent des réseaux d’alimentation en eau présentant les risques les plus élevés et les problèmes les plus graves et persistants au pays. Mme Black a démontré que la qualité de l’eau dans les collectivités des Premières Nations est nettement inférieure à celle observée dans le reste du Canada. Les taux de maladies d’origine hydrique y sont 26 fois plus élevés, et les membres des collectivités vivant dans les réserves sont 90 fois plus susceptibles que les non Autochtones de ne pas avoir accès à une eau salubre. Entre 2011 et 2017, environ 10 % des ménages situés à l’extérieur des réserves ont été touchés par des avis d’ébullition de l’eau. En revanche, environ 65 % des collectivités des Premières Nations ont été visées par au moins un avis concernant la qualité de l’eau potable entre 2004 et 2014. Mme Black a également expliqué que les collectivités des Premières Nations ne bénéficient pas des mêmes types d’analyses de l’eau que celles situées hors réserves, ce qui laisse croire que les données issues des tests effectués dans les réserves ne sont probablement pas entièrement exactes. Ainsi, le nombre réel de situations d’eau potable insalubre nécessitant des avis concernant la qualité de l’eau potable serait bien supérieur à ce qu’indiquent les données officielles. Mme Black a fait référence à des exemples aussi extrêmes pour démontrer que les Premières Nations vivant dans les réserves sont également touchées sur le plan quantitatif. Alors que la consommation moyenne d’eau résidentielle au Canada est d’environ 220 litres par personne et par jour, celle des Premières Nations dans ces collectivités est inférieure à 15 litres par personne et par jour. Les conditions difficiles vécues par la Première Nation de Shamattawa ne sont pas uniques et reflètent plus largement la réalité des membres du groupe et étaient entièrement prévisibles pour le Canada.

[81] Dans son rapport, Mme Black a exposé la situation actuelle et les effets importants des règlements, protocoles et lignes directrices de conception que le Canada impose aux Premières Nations comme condition de financement. Cet [traduction] « enchevêtrement » de lignes directrices, de protocoles et de politiques, combiné au droit de veto unilatéral du Canada, équivaut à un contrôle quasi total du Canada sur les infrastructures, y compris la conception, la planification, la modernisation, la construction, l’approvisionnement, la mise en service, l’exploitation et l’entretien, ainsi que la formation et la certification des opérateurs, jusque dans le choix de la couleur des tuyaux. Ce contrôle a pour effet de rallonger les délais de construction des infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves, d’en augmenter les coûts et d’entraîner le recours à des pratiques de conception et de construction qui ne respectent pas les normes. Bien qu’il s’agisse de lignes directrices, il appartient à SAC de décider si une Première Nation peut s’en écarter. Même le choix de l’entrepreneur est régi par la politique, puisque c’est le soumissionnaire le moins disant, souvent insuffisamment qualifié, qui l’emporte. Ces protocoles et lignes directrices [traduction] « ont été élaborés par le Canada pour dicter la conception et la gestion de l’eau » dans les collectivités des Premières Nations et sont notamment les suivants :

  • a)Protocole pour les infrastructures financées par SAC;

  • b)Soutenir le contrôle des Premières Nations sur la distribution de l’eau de SAC;

  • c)Rôles et responsabilités de SAC;

  • d)Eau potable et eaux usées dans les collectivités des Premières Nations;

  • e)Protocole pour les systèmes d’eau potable centralisés dans les collectivités des Premières Nations;

  • f)Protocole pour les systèmes centralisés de traitement des eaux usées dans les collectivités des Premières Nations;

  • g)Protocole pour les systèmes décentralisés d’eau potable et de traitement des eaux usées dans les collectivités des Premières Nations;

  • h)Lignes directrices sur la conception des ouvrages et systèmes d’alimentation en eau potable dans les communautés des Premières Nations;

  • i)Plan de protection des sources d’eau dans les réserves des Premières Nations;

  • j)Politique et normes sur les niveaux de services pour l’eau potable et l’eau usée (Système des guides ministériels);

  • k)Avis à court terme concernant la qualité de l’eau potable.

[82] De plus, le Canada établit des distinctions [traduction] « en utilisant des termes comme “réseau privé”, “réseau appartenant à des particuliers” ou “réseau géré par la bande”, qui ont été choisis par le gouvernement du Canada sans discussion ni consultation avec les Premières Nations ». Cependant, le Canada se sert de ces définitions pour soutenir qu’elles entraînent des situations différentes d’une Première Nation à l’autre.

[83] Le Canada s’est positionné comme le seul bailleur de fonds et fournisseur de réseaux d’alimentation en eau potable. Ce financement est essentiel. Pourtant, pendant des décennies, le Canada n’a financé qu’au maximum 80 % des coûts d’exploitation et d’entretien, calculés selon une formule fédérale erronée qui ne tient pas compte des coûts réels associés à ces réseaux. Sans ce financement, les Premières Nations sont incapables de fournir de l’eau potable salubre à leurs membres et n’ont pas la capacité d’assumer les coûts liés à leurs réseaux d’alimentation en eau à partir de leurs propres revenus.

[84] Mme Black affirme que la formule de financement de SAC repose sur des hypothèses [traduction] « archaïques », « inexactes et très en deçà de la réalité » et démontre que, même à 100 %, ses calculs mis à jour couvrent moins de 80 % des besoins réels des Premières Nations. Même avec ces projections irréalistes, les Premières Nations ne reçoivent qu’une fraction de leurs besoins totaux, déjà mal évalués, et sont contraintes d’utiliser des fonds provenant d’autres programmes.

[85] L’Assemblé des Premières Nations [l’APN] a demandé plusieurs fois au Canada de revoir ses formules de financement. Le Canada a été avisé à maintes reprises qu’il devait procéder à d’importants investissements supplémentaires dans les infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves, notamment dans ses propres évaluations et dans les rapports élaborés en 2011 par Affaires indiennes et du Nord Canada. Dans ces rapports, on reconnaît que la plupart des réseaux d’alimentation en eau des Premières Nations présentent un risque élevé ou ne respectent pas les Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada, et on recommande d’engager des dépenses immédiates de 4,7 milliards de dollars pour remédier aux problèmes existants, ainsi que 419 millions de dollars par année en coûts d’exploitation récurrents. Ces recommandations n’ont pas été mises en œuvre.

[86] Mme Black a expliqué que, même dans sa version révisée, la formule de financement actuelle demeure insuffisante pour couvrir les coûts réels d’exploitation et d’entretien, ce qui rend les membres du groupe vulnérables au contrôle exercé par le Canada.

[87] Dans sa formule révisée de 2022, le Canada a mis à jour ses tableaux de coûts erronés, qui n’avaient pas été actualisés depuis 1998. Les nouveaux tableaux reposent sur des données issues d’études sectorielles sur les coûts et sur des données régionales inexactes, de sorte que le problème de financement persiste, car [traduction] « ces estimations sous-évaluent grossièrement les véritables coûts d’exploitation et d’entretien pour les Premières Nations au Canada, et ce, encore à ce jour ». Par exemple, les formules de financement de SAC ne couvrent que 30 % à 60 % des coûts réels. Mme Black souligne qu’à la fin de chaque exercice financier, SAC affiche pourtant un surplus, puisqu’il n’a pas alloué l’ensemble de ses ressources disponibles aux Premières Nations dans le besoin.

[88] Même avec une formule de financement à 100 %, les estimations inexactes et inadéquates ne permettent pas de couvrir les coûts réels ni de corriger les effets des déficits accumulés après des décennies de sous-financement. Selon Mme Black, tous les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable dans les réserves découlent directement du [traduction] « manque d’accès au financement nécessaire pour les grands projets et du financement insuffisant accordé par le gouvernement fédéral pour l’exploitation et l’entretien réguliers ». L’état actuel de l’eau potable dans les réserves est une honte nationale largement reconnue sur le plan politique.

c) James Reynolds, PhD

[89] Champ de compétences : Historien du droit, avocat et auteur ayant une connaissance de l’histoire des relations entre le Canada et les Premières Nations, notamment la façon dont le Canada exerce un contrôle sur les Premières Nations et leurs terres, ainsi que l’incidence de ce contrôle sur la capacité des Premières Nations à gérer les infrastructures d’approvisionnement en eau situées sur leurs terres.

[90] Preuve : L’opinion de M. Reynolds portait sur l’histoire du droit et s’appuie nécessairement sur l’historique législatif, les rapports secondaires et les évolutions juridiques qui ont façonné la relation entre la Couronne et les Premières Nations. M. Reynolds a retracé les principaux développements juridiques et historiques ayant influencé cette relation, notamment le système des réserves et les effets de la Loi sur les Indiens, en particulier en ce qui concerne l’approche de la Couronne envers les Premières Nations, y compris sa manière de gérer les infrastructures dans les réserves.

[91] Depuis au moins les années 1880, le Canada exerce un contrôle direct sur tous les aspects de la vie des Premières Nations au moyen de lois, de règlements, de politiques et de pratiques, y compris dans des domaines tels que les infrastructures d’approvisionnement en eau. Bien que certains pouvoirs aient été délégués aux chefs et aux conseils de bande à la suite des modifications apportées à la Loi sur les Indiens, le Canada a conféré un pouvoir de réserve aux agents des Indiens. Selon M. Reynolds, ces agents étaient souvent de véritables [traduction] « dictateurs de pacotille », dont « les pouvoirs et l’influence sur les chefs et les conseils étaient considérables ». Le Canada a conservé le pouvoir de passer outre aux décisions des conseils de bande et de destituer leurs dirigeants. Même après des modifications ultérieures, « le contrôle ultime demeure entre les mains de la Couronne et non de la Première Nation ». Les procédures, pratiques et protocoles fédéraux continuent de renforcer la dépendance des Premières Nations envers le Canada pour leurs besoins essentiels, y compris l’accès à l’eau.

[92] La Loi sur les Indiens et d’autres lois fédérales ont restreint sévèrement la capacité des Premières Nations à offrir des garanties leur permettant d’obtenir du financement auprès de tiers pour des projets de construction. Cette situation rend les Premières Nations fortement dépendantes du Canada pour le financement de tels projets.

[93] En 2013, le Canada a mis en œuvre la Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations, qui conférait [traduction] « d’importants pouvoirs à la Couronne pour régir expressément l’approvisionnement en eau potable et l’élimination des eaux usées sur les terres des Premières Nations ». Toutefois, aucun règlement n’a été pris en vertu de cette loi, ce qui en a limité l’efficacité opérationnelle.

[94] La Loi a suscité une vive opposition de la part des Premières Nations, et les chefs de l’APN ont adopté en 2015 une résolution en faveur de son abrogation. La Loi a finalement été abrogée en 2022 dans le cadre du règlement de l’affaire Tataskweyak.

d) Adele Perry, PhD

[95] Champ de compétences : Professeure d’histoire émérite spécialisée dans l’histoire du système des réserves et de la Loi sur les Indiens, dans l’histoire du gouvernement fédéral et de l’eau domestique dans les réserves depuis les années 1880, ainsi que dans les mécanismes par lesquels le Canada a pris le contrôle de l’eau potable dans les réserves.

[96] Preuve : Dans son rapport, Mme Perry a mis en lumière l’histoire de la dépossession et a démontré que la relation entre les parties est enracinée dans la colonisation, alors que moins de 1 % des terres avaient été réservées aux peuples autochtones d’origine. Elle a également démontré que les Premières Nations, autrefois autonomes, ont été reléguées à une mosaïque de réserves et se sont retrouvées dans une situation de pauvreté, d’oppression et de dépendance totale envers la Couronne.

[97] Malgré les promesses du Traité de Niagara et de la Proclamation royale de 1763, la relation est passée d’un lien fondé sur les obligations des Britanniques envers leurs alliés militaires des Premières Nations à une relation marquée par une tutelle paternaliste. En 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867), 30 & 31 Vict, c 3 (R-U), a transformé les colonies britanniques en ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada, ce qui a eu d’importantes conséquences pour la relation entre la Couronne et les peuples des Premières Nations, notamment en raison du partage des pouvoirs entre les gouvernements provinciaux et fédéral. Cette « compétence » a eu pour effet d’effacer le droit et le pouvoir autochtones. La superficie des terres de réserve variait selon les régions du Canada. Certaines réserves ont été déplacées, d’autres ont été réduites au fil du temps, le gouvernement s’étant donné comme principal objectif dans les années 1880 d’encourager et de faciliter la cession et la vente des terres de réserve. Lorsque l’emplacement de la réserve devenait incommode ou préoccupant pour la Couronne, elle était déplacée. Des milliers d’acres de terres de réserve ont été expropriés par les gouvernements afin de favoriser les intérêts des colons plutôt que ceux des Premières Nations. Une partie de ces terres a été utilisée pour la construction d’ouvrages hydrauliques, de parcs, de chemins de fer et d’autres infrastructures. Certaines Premières Nations ont perdu près de 90 % ou la totalité de leurs terres de réserve lors de cessions, qui se sont révélées à maintes reprises illégales, survenues au cours de deux grandes périodes : celle marquée par la croissance démographique des colons au XXᵉ siècle et celle suivant la fin de la Première Guerre mondiale.

[98] Le lien entre les terres de réserve, la pauvreté et la répression a été consolidé par la création de la Loi sur les Indiens, qui a transféré au Canada le contrôle des terres, des ressources, des finances et du processus décisionnel. Les versions subséquentes de la Loi sur les Indiens ont renforcé le pouvoir fédéral sur les « Indiens » et les « terres réservées pour les Indiens », en précisant la manière dont ces terres pouvaient être attribuées, utilisées ou aliénées.

[99] Le ministère des Affaires indiennes comprenait parfaitement que les réserves ne pouvaient subvenir adéquatement aux besoins vitaux des collectivités des Premières Nations ni soutenir leur économie. Plutôt que de remédier à cette pauvreté, le Canada a choisi de déplacer les membres des Premières Nations vers des centres urbains ou de relocaliser des collectivités entières loin de leurs territoires ancestraux ainsi que de leurs zones de chasse et de pêche. Le rapport Hawthorn, publié en 1966, a évalué 35 réserves et a conclu que, alors que le reste du Canada connaissait une prospérité croissante après la Première Guerre mondiale, ces réserves demeuraient appauvries et dépendantes. Le rapport a également souligné que cet écart entre les réserves et les collectivités non autochtones persistait après la Seconde Guerre mondiale, puisque la majorité des réserves ne disposaient toujours pas d’électricité, de plomberie intérieure ni d’eau courante.

[100] Entre 1896 et 1969, le ministère des Affaires indiennes a creusé des puits dans les réserves, fourni du financement pour y amener de l’eau potable salubre et pris en charge la construction ou la réparation de fosses d’eau, de puits et de réseaux d’alimentation en eau dans les réserves.

[101] Par la suite, après l’échec du Livre blanc et l’attention médiatique accrue portée à la pauvreté dans les réserves, le ministère des Affaires indiennes a déclaré dans son rapport annuel de 1970 qu’il aidait simplement les peuples autochtones « à organiser leurs communautés et à améliorer leurs conditions de vie, y compris les services sanitaires et l’approvisionnement en eau, l’électrification et l’amélioration des routes dans les réserves, ainsi que des voies d’accès reliant les réserves indiennes et les communautés adjacentes ». Cependant, les pratiques gouvernementales demeuraient variables et changeantes, tout comme les lois, notamment la Loi sur les Indiens, dont la modification de 1985 a conféré aux conseils de bande le pouvoir de prendre des règlements, sous réserve du droit de révocation sans appel du ministre. Le Canada a alors commencé à négocier des contrats attribuant aux Premières Nations la responsabilité des infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves.

[102] Des siècles de colonisation ont mené aux problèmes persistants et insurmontables d’aujourd’hui, qui laissent les Premières Nations aux prises avec les conséquences de la pauvreté créée par l’État. Les réserves où l’eau, les égouts et l’électricité demeurent inadéquats abritent également des édifices fédéraux, où travaillent principalement des fonctionnaires non autochtones disposant de leurs propres petites usines de traitement de l’eau. Santé Canada, contraint par les lois du travail, a fourni des unités de traitement de l’eau aux cliniques infirmières situées dans les réserves. Toutes les populations relevant de la compétence fédérale, à l’exception des Premières Nations, voient leur approvisionnement en eau protégé par la loi.

e) Melanie O’Gorman, PhD

[103] Champ de compétences : Professeure d’économie ayant une connaissance de la fourniture d’infrastructures d’approvisionnement en eau et de la levée des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable dans les réserves, ainsi que du lien entre ces infrastructures et les avis à long terme, et leurs répercussions.

[104] Preuve : Le rapport de Mme O’Gorman porte sur le changement d’orientation du Canada, qui est passé d’une approche pratique jusqu’aux années 1970 à un rôle d’organisme de financement, ce qui a laissé de nombreux besoins non comblés. Cette « prestation de services pratiques » consistait à construire des infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves. Jusqu’aux années 1980, les Premières Nations ne jouaient aucun rôle dans la prestation des services d’approvisionnement en eau ni dans l’exploitation de leurs infrastructures. Dans les réserves, le Canada contrôlait entièrement la prestation des services d’approvisionnement en eau, alors que ce n’était pas le cas à l’extérieur des réserves.

[105] Dans les années 1990, alors que de nombreuses Premières Nations n’avaient toujours pas accès à de l’eau potable salubre, le Canada est passé à un rôle d’« organisme de financement » ayant pour objectif déclaré d’accroître la participation des Premières Nations. Toutefois, le Canada conserve le pouvoir et le contrôle ultimes sur les infrastructures, tout en transférant le fardeau opérationnel aux Premières Nations, lesquelles se retrouvent privées de contrôle. Le Canada a cessé de construire lui-même les infrastructures, transférant ces responsabilités aux Premières Nations, indépendamment de leur capacité ou de leurs moyens. Le Canada a mis en œuvre le PFI pour soutenir les Premières Nations, qu’il finance et déploie encore à ce jour.

[106] Mme O’Gorman a présenté une comparaison qualitative et quantitative entre les collectivités autochtones vivant dans les réserves et les collectivités non autochtones hors réserve. Bien que les défis liés aux réseaux d’alimentation en eau dans les réserves soient similaires à ceux des petites municipalités rurales hors réserve, les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable y sont plus fréquents et y durent beaucoup plus longtemps. De plus, les autorités interviennent plus rapidement dans les collectivités non autochtones lorsqu’un avis est émis.

[107] Mme O’Gorman a évalué la qualité de l’eau dans les réserves et a conclu que la mauvaise qualité des infrastructures, notamment celles de distribution et de traitement, découle du contrôle de fait exercé par le Canada et de la dépendance qu’il a créée chez les Premières Nations, ce qui entraîne des avis concernant la qualité de l’eau potable. Le Canada impose une série de politiques et de protocoles opérationnels sur la manière dont les Premières Nations doivent concevoir, construire, exploiter et entretenir leurs réseaux d’alimentation en eau dans les réserves, tout en fournissant sciemment des fonds insuffisants.

[108] Mme O’Gorman a comparé l’état des infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves et la qualité de l’eau qui en découle à ceux observés dans les camps de réfugiés. Dans les réserves, les membres des collectivités résidentielles disposent de moins de 15 litres d’eau par jour, et certains n’ont pas accès à l’eau courante. En revanche, les membres de la population canadienne vivant hors réserve consomment en moyenne 220 litres d’eau par personne et par jour. Les réserves sont les seuls endroits au Canada où des foyers n’ont pas d’eau courante.

[109] La qualité de l’eau dans les réserves est la plus mauvaise au Canada en raison de l’état des infrastructures. Dans les foyers desservis par camion-citerne, l’eau est plus susceptible d’être contaminée. À l’échelle nationale, les deux tiers des réserves sont visés par des avis concernant la qualité de l’eau, et les avis à long terme y sont plus fréquents et prennent davantage de temps à être levés. En revanche, les infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées hors réserve, régies par les gouvernements provinciaux et territoriaux, sont [traduction] « bien financées et exploitées », offrent une qualité constante, sont jugées « esthétiquement satisfaisantes » et fournissent une eau potable parmi les plus sûres au monde.

[110] Ces conditions ont des répercussions importantes et généralisées sur la santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle des membres des collectivités.

[111] Mme O’Gorman a démontré qu’il existe une preuve abondante que les conditions ont changé, notamment en ce qui concerne l’accès à l’eau et sa disponibilité. Depuis la création des réserves, les normes de qualité de l’eau potable ont également changé. Ces changements concernent la sécurité, la propreté et les risques. Des installations sanitaires inadéquates entraînent divers problèmes, notamment des maladies physiques responsables de millions de décès évitables dans le monde. Bien qu’il soit conscient de ces faits, le Canada continue de sous-financer l’exploitation et l’entretien des infrastructures.

[112] Mme O’Gorman a constaté que le financement joue un rôle déterminant dans la vulnérabilité des peuples des Premières Nations vivant dans les réserves. Par exemple, une enquête systémique réalisée en 2011 a révélé qu’un investissement de 4,7 milliards de dollars était nécessaire. Or, le Canada n’a dépensé que 54 % de la somme requise. Le sous-financement des infrastructures, de leur exploitation et de leur entretien – le Canada ne couvrant que 80 % des coûts connus selon sa propre formule déficiente – oblige les Premières Nations à combler elles-mêmes le déficit.

f) Ian Halket, PhD

[113] Champ de compétences : Ingénieur civil et consultant en environnement ayant plus de 40 ans d’expérience dans les questions techniques liées à l’analyse hydrologique et à l’évaluation de la qualité de l’eau, à la surveillance environnementale et aux études d’impact. M. Halket possède également des connaissances sur les dangers liés à un traitement inadéquat de l’eau dans les collectivités des Premières Nations.

[114] Preuve : M. Halket est président de Halket Environmental Consultants Inc. Il a été mandaté par la Première Nation de Tataskweyak en 2018 pour analyser son approvisionnement en eau. Lorsque la collectivité avait accès à l’ensemble de ses territoires ancestraux, elle pouvait puiser l’eau à partir de sources naturelles. Les éléments de preuve présentés par la Première Nation de Tataskweyak montrent que ses membres ne peuvent plus boire l’eau des sources voisines et ont besoin d’infrastructures pour fournir de l’eau potable salubre à leur importante collectivité. M. Halket a mené une étude sur la qualité de l’eau du lac Split, qui constitue la source d’eau dans la réserve. Son rapport a révélé que la qualité de l’eau du lac Split est très mauvaise : tous les échantillons analysés ne respectaient pas les Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada et contenaient des cyanobactéries productrices de toxines, susceptibles de provoquer de graves maladies chez les humains et les animaux, notamment des gastro-entérites et des troubles neurologiques. M. Halket a affirmé ce qui suit :

[traduction]
En 2018, j’ai réalisé une étude sur l’eau du lac Split (« étude de 2018 »). J’ai constaté que l’eau de tous les échantillons analysés ne respectait pas les Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada ni les Objectifs applicables à la qualité de l’eau – Échelon II du ministère de la Gestion des ressources hydriques du Manitoba. Tous les échantillons présentaient des coliformes totaux, et la majorité contenait également la bactérie
Escherichia coli.

J’ai également identifié six genres de cyanobactéries dans les échantillons prélevés dans le lac Split, dont trois, Anabaena, Aphanizomenon et Oscillatoria, sont connues pour produire des toxines pouvant provoquer de graves maladies chez les humains et les animaux, notamment des gastro-entérites et des troubles neurologiques.

Ces résultats révèlent des niveaux dangereux de pathogènes d’origine hydrique. J’en ai conclu qu’il serait dangereux de boire l’eau non traitée du lac Split et qu’il serait également dangereux de s’y baigner.

[115] En 2019, M. Halket a réalisé une autre étude sur le lac Split, qui a de nouveau confirmé la présence de bactéries ainsi que l’absence d’azote et de nutriments assimilables pour les plantes; ces conditions sont susceptibles de favoriser la prolifération des cyanobactéries. De plus, M. Halket a affirmé ce qui suit :

[traduction]
La présence de la bactérie
Escherichia coli donne fortement à penser que l’eau était contaminée par des eaux usées ou des déchets animaux.

[…]

Sur la base de l’étude de 2018 et de celle de 2019, j’ai conclu qu’il existe deux sources principales de contaminants dans l’eau du lac Split : les bactéries et les cyanobactéries. Selon la littérature, ces contaminants peuvent provoquer les troubles gastro-intestinaux et les éruptions cutanées signalés par les membres de la Nation crie de Tataskweyak.

[116] L’usine de traitement de l’eau de la Nation crie de Tataskweyak n’est pas conçue pour évacuer ces toxines, et l’ébullition de l’eau ne permet pas de les éliminer. M. Halket a communiqué au Canada les résultats des études de 2018 et 2019 et a proposé la mise en place d’un protocole de suivi et d’analyse de la toxicité des algues dans le lac Split ainsi que dans l’eau traitée par l’usine. Toutefois, M. Halket a déclaré que le Canada ne dispose d’aucun protocole équivalent :

[traduction]
Les propres Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada : Document technique – Les toxines cyanobactériennes, dont une copie est jointe à titre de pièce « I », indiquent qu’« il peut être très difficile de traiter la source d’eau fortement contaminée par les cyanobactéries (p. ex. prolifération importante) » et recommandent une série de mesures correctives, notamment de « choisir une autre source d’approvisionnement en eau ».

[117] Malgré la volonté de M. Halket d’effectuer les tests, le Canada a refusé de fournir le financement nécessaire. [traduction] « Par conséquent, [la Nation crie de Tataskweyak] ne dispose toujours pas des données nécessaires pour mieux comprendre pourquoi les membres de la collectivité ne peuvent consommer l’eau du lac Split », ni pour évaluer les capacités et les limites de leur système actuel d’approvisionnement en eau dans ces conditions.

g) Aimée Craft

[118] Champ de compétences : Professeure de droit ayant une connaissance de la signification sacrée de l’eau pour les Premières Nations et des répercussions du manque d’eau salubre sur leurs pratiques culturelles et spirituelles.

[119] Preuve : Mme Craft a démontré que les répercussions des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable sur les membres du groupe et sur les Premières Nations sont généralisées et portent atteinte à la santé physique, émotionnelle, mentale et spirituelle des membres du groupe. L’accès insuffisant à une eau salubre perpétue et accentue les inégalités auxquelles sont confrontés les résidents autochtones vivant dans les réserves, notamment en limitant leurs possibilités économiques, en leur causant des préjudices physiques et psychologiques et en entravant leurs pratiques spirituelles.

[120] Mme Craft a démontré que les membres du groupe ont des croyances et des pratiques spirituelles sincères qui dépendent d’un accès adéquat à de l’eau salubre. Les peuples des Premières Nations ont un lien spirituel profond avec l’eau, qui revêt une signification sacrée pour leur identité, leur mode de vie ainsi que leurs pratiques culturelles et spirituelles :

[traduction]
De nombreux peuples autochtones considèrent l’eau comme un membre de la famille. « [L’]eau est perçue comme un ancêtre et comme un parent doté d’une capacité d’action au sein de ce réseau de vie, et elle mérite respect, soin et protection. »

Les lois autochtones reposent sur des systèmes complexes de relations et de parenté, qui englobent à la fois les liens entre êtres humains et ceux qui unissent les humains au monde non humain.

[121] Le manque d’eau salubre empêche les membres du groupe de pratiquer leurs traditions culturelles et spirituelles, notamment de participer à des cérémonies comme les cabanes de sudation. Faire bouillir une eau contaminée ne permet pas d’atténuer ce préjudice.

[122] Mme Craft a également décrit la relation sacrée que les femmes autochtones entretiennent avec l’eau dans leur rôle de mères. Le lien spirituel puissant qui unit les femmes des Premières Nations à l’eau, ainsi que leurs importantes responsabilités dans la protection et la gestion des sources d’eau vont bien au-delà du rapport à la transmission de la vie : [traduction] « Notre relation avec l’eau ne se limite pas à notre lien avec le don de la vie; c’est une relation fondée sur une réflexion sur notre manière de vivre sur Terre. Il s’agit d’un apprentissage qui dure toute une vie. »

[123] Cette relation concerne également les générations futures, de même que les obligations juridiques, éthiques et morales des peuples autochtones envers les autres êtres de la Création qui dépendent eux aussi de l’eau pour vivre. Ces êtres comprennent les poissons, les tortues, les castors, les canards, les oies, les huards et toutes les créatures qui viennent à l’eau pour s’y abreuver ou s’y baigner :

[traduction]
Les peuples des Premières Nations ont la responsabilité de préserver la salubrité de l’eau, non seulement pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble de la Création. Il s’agit d’une responsabilité ancienne que le capitalisme, l’assimilation, l’extractivisme et la pollution, entre autres facteurs, sont venus perturber. « Les Premières Nations assument depuis des temps immémoriaux des responsabilités inhérentes afin de s’acquitter de leurs obligations envers le Créateur et garantir une eau salubre à tous les êtres vivants. »

[124] Ces obligations, ainsi que les pratiques, cérémonies et traditions qui y sont associées, s’expriment chez les peuples autochtones au Canada sous forme de lois autochtones, que de nombreuses Nations ont d’ailleurs confirmées dans des lois écrites et des déclarations formelles.

[125] Enfin, Mme Craft a expliqué que le manque d’accès à une eau salubre et fiable entraîne une dissociation et des bouleversements territoriaux, culturels, cérémoniels et sociaux, qui se manifestent directement par un bouleversement spirituel. Ce bouleversement a des répercussions immédiates et intergénérationnelles sur les membres du groupe et les Premières Nations, ce qui peut entraîner des effets potentiellement irréversibles sur les membres du groupe et les générations futures. Mme Craft a souligné que la Commission de vérité et réconciliation du Canada a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones [la DNUDPA] comme cadre de réconciliation au Canada. Elle a noté que l’article 25 de la DNUDPA protège la relation particulière que les peuples autochtones entretiennent avec l’eau.

h) Aînée Dorothy Taylor

[126] Champ de compétences : Gardienne des savoirs ancestraux possédant une connaissance du rôle sacré de l’eau pour les Premières Nations.

[127] Preuve : Mme Taylor, de la Première Nation de Curve Lake, est reconnue pour son autorité et sa connaissance de la perspective ancestrale sur l’eau. Depuis douze ans, elle travaille activement à sensibiliser les gens et à promouvoir le caractère sacré de l’eau. Elle est aînée et gardienne des savoirs ancestraux, tambourineuse et marcheuse de l’eau. Elle affirme que [traduction] « l’eau, c’est la vie » et que « toute vie naît de l’eau et a besoin de l’eau pour se maintenir ». Mme Taylor a décrit ainsi la cérémonie de la Marche de l’eau :

[traduction]
Grand-mère Josephine Mandamin, reconnue pour son engagement dans l’initiation des Marches de l’eau, a constaté la mauvaise qualité des eaux, notamment celle des réserves en Ontario. Elle s’est donné comme mission de sensibiliser davantage les gens à la valeur précieuse et sacrée de l’eau pour les peuples autochtones et pour tous. Elle a parcouru le pourtour de chacun des Grands Lacs, en commençant par le lac Supérieur en 2003. On estime qu’elle a marché environ 25 000 kilomètres pour l’eau. Elle est décédée en 2018 à l’âge de 71 ans.

La Marche de l’eau est une cérémonie en action. Elle est menée par une femme portant un seau en cuivre contenant de l’eau du lac, accompagnée d’un homme portant un bâton d’aigle. Les participants marchent et prient du lever au coucher du soleil. La Première Nation de Curve Lake a organisé une Marche de l’eau communautaire en mai 2015. Les participants ont marché autour du lac Upper Chemong, priant pour l’eau dans le cadre de la cérémonie. Les marcheurs locaux, appelés Nibi Emosaawdamajig, marchent pour l’eau depuis 2009.

[128] Mme Taylor a qualifié l’eau de centre vital de la vie elle-même, qui vient du Créateur et s’écoule vers lui. Elle a expliqué que le Cercle sacré de l’eau de 2014 avait organisé un rassemblement international, réunissant de nombreux aînés de plusieurs Nations de l’île de la Tortue afin de partager leurs enseignements sur la signification et le pouvoir de guérison de l’eau.

[129] Mme Taylor a partagé la première partie de l’histoire de la Création ojibwée, issue des enseignements cérémoniels de la loge Midewin. Bien qu’il ne soit pas d’usage de retranscrire cette histoire par écrit, Mme Taylor l’a fait afin de faciliter la compréhension de la Cour et au bénéfice de son peuple et de sa collectivité bien-aimée. Par respect pour cette tradition, la Cour ne reproduira pas l’histoire, sauf pour préciser qu’elle explique que l’eau a été créée en premier, qu’elle existe sous quatre formes (dont l’une est Mide Waabo, l’eau de l’esprit) et qu’elle circule dans toute la création. Mme Taylor a expliqué que les sources d’eau situées en dehors du territoire ancestral de la Nation ne répondent pas aux obligations ancestrales de Mide Waabo, ce qui compromet le caractère sacré de la cérémonie.

[130] Mme Taylor affirme que l’eau, créée avant nous, est sacrée. Elle doit être traitée avec respect et considération. La qualité et l’accès à l’eau salubre préoccupent grandement les aînés et les gardiens des savoirs ancestraux, qui ont la responsabilité de mener les cérémonies au sein de la collectivité. L’eau utilisée durant les cérémonies doit provenir du territoire ancestral sur lequel les prières sont offertes. L’essence spirituelle et l’énergie de l’eau sont compromises lorsqu’elle est embouteillée et provient de l’extérieur du territoire ancestral.

i) Jillian Campbell

[131] Champ de compétences : Toxicologue ayant une connaissance des blessures causées par les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable en général.

[132] Preuve : Mme Campbell est toxicologue et cheffe de projet principale. Elle compte plus de 15 ans d’expérience en évaluation des risques pour la santé humaine et écologique, en toxicologie et en étude de sites contaminés. L’opinion et l’analyse de Mme Campbell ont été sollicitées dans le cadre de l’entente de règlement du litige antérieur sur les points suivants :

  • a)les blessures auxquelles les membres du groupe étaient exposés en raison de l’utilisation de l’eau traitée ou de l’eau du robinet visée par un avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable, ou en raison d’un accès restreint à cette eau découlant d’un tel avis;

  • b)les symptômes associés à ces blessures;

  • c)le risque que les membres du groupe subissent ces blessures;

  • d)les conséquences que ces blessures pourraient avoir sur les membres du groupe.

[133] Mme Campbell a présenté son avis sur l’article 8.02 et l’annexe H de l’entente de règlement du litige antérieur et a relevé l’éventail des blessures que les membres du groupe auraient vraisemblablement pu subir en utilisant de l’eau traitée ou de l’eau du robinet visée par un avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable, ou en raison d’un accès restreint à cette eau découlant d’un tel avis, ainsi que les principaux symptômes associés à ces blessures.

j) Dr Gary Chaimowitz

[134] Champ de compétences : Psychiatre ayant une connaissance des types d’effets sur la santé mentale causés par les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable.

[135] Preuve : Le Dr Chaimowitz est chef de service du Programme de psychiatrie légale au St. Joseph’s Healthcare Hamilton, professeur de psychiatrie à l’Université McMaster et président de l’Académie canadienne de psychiatrie et de droit. Il a été consulté par les avocats dans le cadre de l’entente de règlement du litige antérieur sur les points suivants :

  • a)les préjudices à la santé mentale auxquels les membres du groupe étaient exposés en raison de l’utilisation de l’eau traitée ou de l’eau du robinet visée par un avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable, ou en raison d’un accès restreint à cette eau découlant d’un tel avis;

  • b)les symptômes de ces préjudices;

  • c)le risque que les membres du groupe subissent ces préjudices;

  • d)les conséquences que ces préjudices pourraient avoir sur les membres du groupe.

[136] Le Dr Chaimowitz a présenté son avis sur l’article 8.02 et sur la partie de l’annexe H portant sur la « santé mentale » et a relevé l’éventail des préjudices à la santé mentale que les membres du groupe auraient vraisemblablement pu subir en utilisant de l’eau traitée ou de l’eau du robinet visée par un avis concernant la qualité de l’eau potable, ou en raison d’un accès restreint à cette eau découlant d’un tel avis, ainsi que les principaux symptômes associés à ces préjudices.

[137] Le Canada a contre-interrogé M. Dean, Mme Black, M. Reynolds et Mme O’Gorman.

(3) La preuve du défendeur

[138] Le Canada cite trois témoins des faits et s’appuie sur leurs témoignages.

a) Ian Corbin

[139] M. Corbin a occupé divers postes liés aux infrastructures dans les réserves entre 1978 et 2006 au sein d’Affaires indiennes et du Nord Canada [AINC]. Dans son affidavit, il a fait état de ses connaissances des politiques, des mesures de soutien et des efforts du Canada en matière d’eau potable salubre entre les années 1980 et 2006.

[140] M. Corbin a réitéré l’engagement du Canada à soutenir les Premières Nations afin qu’elles puissent disposer de réseaux d’alimentation en eau adéquats pour fournir de l’eau potable salubre dans leurs collectivités. Il a présenté les lignes directrices relatives à l’analyse et à la surveillance de la qualité de l’eau, y compris un bref historique de la période allant des années 1980 à 2006, en commençant par un examen de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. M. Corbin a décrit plusieurs initiatives générales mises en œuvre par le Canada durant cette période en ce qui concerne le financement et les programmes de formation, les plans d’action, les rapports commandés et les montants de financement alloués.

[141] M. Corbin a affirmé qu’à l’échelle nationale, la plupart des Premières Nations vivant dans les réserves disposent d’eau potable salubre. Selon lui, le Canada n’était pas responsable des infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves avant les années 1980. Bien que le Canada ait participé à la construction ou au financement d’une grande partie de ces infrastructures, sa responsabilité n’était pas exclusive. Le Canada offrait un soutien financier et consultatif pour l’exploitation et l’entretien des infrastructures qu’il finançait, en supervisant les projets d’investissement, mais ce sont les Premières Nations qui participaient directement à l’exploitation et à l’entretien quotidiens des réseaux. Au fil du temps, la gestion et la planification de l’aménagement des infrastructures ont été transférées aux dirigeants des Premières Nations dans un [traduction] « effort délibéré pour collaborer avec les collectivités », en réponse aux demandes des Premières Nations.

[142] Au milieu des années 1990, le Canada a commencé à transférer la responsabilité directe des projets d’investissement aux Premières Nations, leur offrant [traduction] « davantage de responsabilités et une plus grande participation », conformément à l’appui du Canada au droit inhérent des Autochtones à l’autonomie gouvernementale. Le Canada a conclu des « ententes de financement avec les Premières Nations, qui leur ont donné une plus grande flexibilité et des pouvoirs décisionnels accrus, toutes élaborées en consultation avec les Premières Nations ». Le PFI national, qui visait à former et à encadrer les opérateurs des réseaux d’alimentation en eau potable et de traitement des eaux usées des Premières Nations, faisait partie du financement consacré à l’exploitation et à l’entretien.

[143] En 2003, AINC et Santé Canada ont élaboré la Stratégie de gestion de l’eau des Premières Nations, qui comprenait des normes et des protocoles complets de qualité de l’eau, un programme efficace de surveillance de la qualité de l’eau, des plans visant à examiner les politiques et règlements existants, ainsi que l’évaluation et l’élaboration de nouveaux règlements et politiques de conformité. Diverses procédures et politiques ont été mises en place au milieu des années 2000, notamment le programme communautaire de surveillance de la qualité de l’eau potable de SAC, dans le cadre duquel SAC a fourni le financement et assuré la formation des surveillants communautaires de la qualité de l’eau potable.

[144] Pour aider les Premières Nations à cerner leurs besoins en matière de mises à niveau et de nouveaux aménagements, le Canada a mis en œuvre le Programme du Système de rapport sur la condition des biens. Dans le cadre de ce programme, des consultants externes effectuent des inspections tous les trois ans afin d’évaluer l’état des biens, la suffisance des efforts d’entretien et les travaux d’entretien supplémentaires requis. Le rapport d’inspection qui en découle est ensuite communiqué au conseil de bande et au bureau régional de SAC, puis fait l’objet de discussions avec eux.

[145] Entre 1995 et 2003, le Canada a dépensé environ 1,9 milliard de dollars pour aider les Premières Nations à fournir des services d’eau potable salubre et de traitement des eaux usées. Puis, entre 2003 et 2016, il a accordé 4,6 milliards de dollars supplémentaires, en plus de son allocation annuelle d’environ 189,1 millions de dollars. Depuis au moins les années 1990, le Canada finance les projets d’investissement liés à l’eau à hauteur de 100 % des coûts.

b) Karl Carisse

[146] De 2006 à 2017, M. Carisse a travaillé au gouvernement du Canada en tant que directeur général de la Direction de la politique et de la stratégie de service au sein de la Direction générale des politiques stratégiques et de service d’Emploi et Développement social Canada.

[147] M. Carisse a également réitéré l’engagement du Canada envers les Premières Nations vivant dans les réserves et a affirmé que la plupart d’entre elles disposent d’une eau salubre et potable. Il a indiqué que les responsabilités et les rôles liés à la prestation des services d’approvisionnement en eau aux collectivités vivant dans les réserves sont partagés. Il a précisé que les Premières Nations sont propriétaires de leurs réseaux d’alimentation en eau, qu’elles en assurent le contrôle, l’exploitation et l’entretien, tandis que le Canada fournit des politiques, des initiatives et des lignes directrices en matière de financement pour soutenir ces services.

[148] M. Carisse a présenté un aperçu de l’historique des programmes, du financement, des projets et des plans d’investissement dans les infrastructures des Premières Nations offerts entre 2006 et 2017. Il a également fait état des décisions budgétaires et politiques générales du Canada concernant l’eau potable dans les réserves.

[149] M. Carisse a affirmé qu’au milieu des années 2010, environ 100 avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable étaient en vigueur à tout moment. En mai 2006, AINC, Santé Canada, Environnement Canada et l’APN ont créé le [traduction] « Groupe d’experts sur la salubrité de l’eau potable pour les Premières Nations, chargé de fournir des conseils sur la mise en œuvre d’un cadre réglementaire approprié, notamment l’adoption d’une nouvelle loi sur l’eau potable et le traitement des eaux usées dans les collectivités des Premières Nations ». Les travaux de ce groupe ont mené à la publication des volumes I et II du Rapport du groupe d’experts sur la salubrité de l’eau potable dans les collectivités des Premières nations en novembre 2006.

[150] En 2013, le Canada a adopté la Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations, LC 2013, c 21, et a lancé à l’automne 2014 un processus de mobilisation auprès des Premières Nations et d’autres intervenants en vue d’élaborer des règlements en vertu de cette loi. Toutefois, à la suite des élections fédérales de 2015, le Canada a renouvelé son engagement à améliorer la salubrité de l’eau potable pour les Premières Nations, en faisant de l’élimination des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable une priorité. Cela a entraîné la suspension du processus de mobilisation en vue de l’élaboration de règlements.

[151] Chaque Première Nation au Canada est unique. Chaque réserve autochtone a sa propre situation géographique, sa propre géologie, sa propre topographie, son propre réseau d’alimentation en eau et ses propres installations hydrauliques, ce qui crée des besoins uniques pour chaque Première Nation. Le financement de la construction, de l’exploitation et de l’entretien d’infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves est principalement géré par le Programme d’immobilisations et d’entretien de SAC, qui englobe également d’autres catégories d’immobilisations, comme les écoles, le logement, les routes et la gestion des déchets. De 2008 à 2016, le Plan d’action pour l’approvisionnement en eau potable et le traitement des eaux usées des Premières Nations a été mis en œuvre afin d’axer le financement sur les infrastructures, la formation sur l’exploitation et l’entretien, la surveillance de la qualité de l’eau et les normes techniques. Il a été suivi en 2016 par le Programme amélioré pour l’approvisionnement en eau potable et le traitement des eaux usées des Premières Nations, lequel est soumis à des programmes de classement par priorité selon un financement basé sur une formule (exploitation et entretien) ou sur des propositions (projets d’investissement). Toutefois, le financement doit être réparti entre les régions et priorisé parmi les Premières Nations participantes. Le Système national de classement des priorités et ses critères garantissent que « les facteurs dont la priorité est la plus élevée (comme la santé et la sécurité) influencent le plus la note globale ».

[152] Le lancement de tout nouveau projet d’investissement relève de la responsabilité des Premières Nations. Pour être admissibles au financement, les Premières Nations, en consultation avec SAC, sont tenues d’élaborer un « Plan d’investissement dans l’infrastructure des Premières Nations » annuel afin de déterminer les priorités de financement. Des études de faisabilité évaluent ensuite les coûts et comparent les options proposées afin de déterminer celles qui seront les plus rentables à court et à long terme. Comme pour tous les services gouvernementaux, les projets d’infrastructure ne recevront pas nécessairement le niveau de financement initialement envisagé, et des ajustements seront apportés en fonction de l’évolution des besoins de la collectivité, du projet et de la situation financière. Des inspections annuelles du rendement sont effectuées chaque année dans les réserves par des tiers et financées par SAC.

c) Curtis Bergeron

[153] M. Bergeron travaille pour le gouvernement du Canada depuis 2000 et est employé par SAC depuis sa création à la fin de 2017. Actuellement directeur par intérim de la Direction de l’équipe stratégique en gestion de l’eau au sein de SAC, M. Bergeron exerce notamment les fonctions suivantes :

[traduction]
Soutenir la gestion de l’attribution des fonds nationaux de la Direction; examiner et approuver les grands projets d’infrastructure hydraulique; superviser les rapports liés aux avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable, ainsi que les produits d’information, les rapports publics et les demandes d’information; élaborer des politiques et formuler des conseils sur les programmes et services liés à l’eau et aux eaux usées dans les réserves; informer les hauts fonctionnaires, les ministres et les comités sur les questions relatives à l’eau potable.

[154] M. Bergeron a repris là où M. Carisse s’était arrêté. Il a décrit l’état actuel de l’eau potable salubre dans les collectivités des Premières Nations, la surveillance de ces lieux et les avis concernant l’eau potable. Il a formulé des commentaires généraux sur le financement depuis 2016, sur l’engagement du Canada à mettre fin aux avis à long terme concernant l’eau potable et sur les efforts qu’il déploie actuellement pour modifier la loi. M. Bergeron a aussi exposé les détails du règlement dans l’affaire Tataskweyak, soulignant les obligations continues du Canada, ainsi que du plan ministériel. Son témoignage concerne les Premières Nations en général et ne vise aucune Première Nation en particulier ni sa situation.

[155] M. Bergeron a déclaré que la plupart des Premières Nations vivant dans les réserves disposent d’une eau potable salubre. En 2018, le Canada a élargi son initiative liée aux avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable et s’est engagé à ajouter 250 réseaux publics dans les réserves. En 2021, on comptait 53 avis à long terme dans 34 collectivités, dont seulement un petit pourcentage était touché. En décembre 2023, 143 avis à long terme avaient été levés depuis 2015, et il n’en restait plus que 29 dans 27 collectivités des Premières Nations. Chaque réseau est unique et possède ses propres besoins, et la façon dont le Canada soutient ces réseaux d’alimentation en eau varie selon la province ou la région.

[156] SAC utilise divers modèles de financement et types d’ententes de financement, assortis de montants d’investissement variables. La politique intitulée « Politique et normes sur les niveaux de services pour l’eau potable et l’eau usée » précise quels réseaux d’alimentation en eau ne sont pas financés par SAC et énonce les conditions de financement qui sont « sous réserve de la disponibilité des fonds et des priorités ministérielles ». Les Premières Nations qui ont besoin d’un financement supérieur à celui prévu dans cette politique sont libres de trouver elles-mêmes ces fonds.

[157] Toutefois, lorsqu’un financement est accordé, divers protocoles fixant les normes de conception, de construction et d’entretien opérationnel s’appliquent selon le nombre de raccordements. Il revient à la Première Nation de faire en sorte que les réseaux non financés relèvent de la compétence de SAC.

[158] Les Premières Nations sont responsables de conclure et de superviser les contrats avec des tiers pour la conception et la construction du projet. De plus, des inspections du Système de rapport sur la condition des biens sont réalisées tous les trois ans, et des inspections annuelles du rendement sont effectuées chaque année; les deux types d’inspections sont communiqués à la Première Nation. Les Premières Nations contrôlent, exploitent et entretiennent leurs réseaux d’alimentation en eau dans les réserves.

[159] Le financement des opérations et de l’entretien sert généralement à couvrir les coûts liés à l’exploitation et à l’entretien des réseaux d’alimentation en eau et des équipements connexes, notamment : les salaires, les avantages sociaux et la formation des opérateurs; les fournitures et les matériaux, y compris les produits chimiques et le carburant utilisés dans les processus; les pièces, les outils et les équipements nécessaires aux opérations quotidiennes et aux activités d’entretien; l’électricité et les autres services publics; les services de réparation et d’entretien sous-traités. Avant 2019, une subvention de 80 % était accordée aux Premières Nations, laquelle a été portée à 100 % en 2020 à la lumière des données régionales mises à jour et des études de coûts sectorielles plus récentes. De plus, les indices de centralité urbaine et d’éloignement ont été modernisés afin d’intégrer un financement reflétant les progrès technologiques, les pratiques exemplaires du secteur, les normes de qualité de l’eau applicables, ainsi que la formation, la certification et le maintien en poste des opérateurs.

[160] Les demandeurs ont contre-interrogé M. Corbin, M. Carisse et M. Bergeron.

V. Le recours au jugement sommaire

[161] Comme je le mentionne dans la section Aperçu, le Canada affirme que le jugement sommaire ne convient pas pour trancher la question commune de la première étape. Je ne souscris pas à ses arguments. J’estime que la question commune de la première étape se prête à un jugement sommaire pour les mêmes raisons que celles exposées aux paragraphes 110 à 112 de la décision St. Theresa Point.

VI. La seule question en litige en l’espèce

[162] La seule question à trancher en l’espèce est la question commune de la première étape certifiée :

[traduction]

a) Du 20 juin 2020 jusqu’à ce jour, le défendeur avait-il envers les membres du groupe le devoir ou l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour leur donner un accès suffisant à de l’eau potable propre à la consommation humaine, de s’assurer qu’il leur soit donné un tel accès ou de s’abstenir de les priver d’un tel accès?

VII. Les thèses des parties

A. Les demandeurs

[163] Pour des raisons pratiquement identiques à celles invoquées par les demandeurs dans l’affaire St. Theresa Point, les demandeurs en l’espèce soutiennent que le Canada a envers les membres du groupe des obligations de fiduciaire sui generis et ad hoc, ainsi que des obligations de diligence en common law. Ils font également valoir que le Canada est tenu de garantir aux membres du groupe certaines protections en vertu des articles 15 et 7 et de l’alinéa 2a) de la Charte ou, à tout le moins, de faciliter l’exercice de ces droits ainsi que des droits garantis par l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, et de s’abstenir d’y faire entrave.

[164] Les demandeurs affirment que ces obligations et ces droits découlent : 1) de la dépendance des membres du groupe à l’égard du Canada, créée directement ou indirectement par ce dernier, comme l’illustrent les témoignages de Mme Perry, de M. Reynolds, de Mme O’Gorman et de M. Corbin, témoin pour le compte du Canada; 2) du contrôle de fait exercé par le Canada, comme l’ont présenté Mme Black et M. Bergeron, témoin pour le compte du Canada; et 3) du fait que le Canada a à plusieurs reprises assuré aux demandeurs qu’ils pouvaient compter sur lui pour régler ces questions, comme l’a démontré le témoignage de son témoin, M. Bergeron, qui a rapporté les déclarations de divers ministres de la Couronne.

B. Le défendeur

[165] Le défendeur présente aussi des arguments pratiquement identiques à ceux qu’il a invoqués dans l’affaire St. Theresa Point. En bref, il nie avoir envers les demandeurs des obligations légales. Il nie également avoir envers eux des obligations découlant de la Charte. À titre subsidiaire, il estime qu’il convient davantage d’examiner l’existence et la portée de ces obligations découlant de la Charte, et toute violation qui pourrait en résulter, à la deuxième étape du recours. Enfin, le défendeur soutient que l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s’applique pas au présent recours.

(1) Les obligations du Canada

a) Obligation de fiduciaire sui generis

[166] Les demandeurs présentent des observations similaires à celles que les demandeurs ont invoquées dans l’affaire St. Theresa Point pour soutenir que le Canada a une obligation de fiduciaire sui generis, une obligation de fiduciaire ad hoc, ainsi qu’une obligation de diligence en common law (aux para 134-147, 179-185, 200-222). Pour sa part, le défendeur formule essentiellement les mêmes observations que celles qu’il a formulées dans l’affaire St. Theresa Point à cet égard (aux para 148-154, 186-193, 223-245).

[167] Bien que l’affaire St. Theresa Point porte sur la revendication du droit d’accès au logement dans les réserves, les demandeurs soutiennent que l’eau dans les réserves, tout comme les terres de réserve elles-mêmes, constitue un intérêt autochtone non fongible, qui leur permet non seulement d’y habiter, mais aussi de s’adonner à leurs pratiques culturelles indissociables. Cet aspect de l’eau dans les réserves illustre l’importance de la relation qui unit les collectivités autochtones à la terre. Ce droit, tout comme la terre, est indéniablement exclusif aux Autochtones.

[168] Ce droit d’accès à l’eau potable est similaire. L’eau potable est liée à l’utilisation et à l’occupation antérieures. L’accès à l’eau potable a rendu possible l’établissement des réserves. Lorsque les réserves ont été créées, les Premières Nations ne pouvaient à aucun moment vivre sur ces terres sans disposer d’eau potable. En conséquence, la Couronne en était consciente et a pris des mesures pour implanter les réserves là où il y avait de l’eau.

[169] Depuis la création des réserves, les normes de qualité de l’eau ont évolué, tout comme l’accès à celle-ci et sa disponibilité. L’évolution des circonstances impose des changements dans les pratiques fiduciaires. La portée de l’obligation change, mais l’obligation elle-même reste la même.

[170] En ce qui concerne le contrôle discrétionnaire nécessaire pour établir l’existence d’une obligation de fiduciaire sui generis, les demandeurs soulignent [traduction] « l’enchevêtrement » des lignes directrices, des protocoles et des politiques obligatoires qui constituent une condition du financement. L’étendue du contrôle discrétionnaire et la capacité de l’exercer démontrent l’existence d’une obligation de fiduciaire. La manière dont ce contrôle est exercé permet de déterminer s’il y a eu manquement à l’obligation de fiduciaire, ce qui sera examiné à l’instruction des questions communes de la deuxième étape.

[171] Le contrôle discrétionnaire ne concerne pas la forme ou l’étendue du pouvoir d’influer sur des droits. C’est plutôt la vulnérabilité de ces droits au risque de faute ou d’incompétence fiduciaire qui démontre l’existence d’une obligation de fiduciaire. Le fait que ce contrôle puisse être partagé ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’obligation de fiduciaire. Ce sous-groupe de Premières Nations est particulièrement vulnérable au manquement du Canada à ses obligations, comme en témoigne le fait qu’il a été visé pendant plus d’un an par un avis concernant la qualité de l’eau potable au cours de la période visée.

[172] En ce qui concerne les priorités concurrentes, le Canada n’a présenté aucune preuve démontrant l’existence de conflits concrets. Même lorsqu’il existe des priorités concurrentes, celles-ci ne remettent pas en cause l’obligation de fiduciaire sui generis.

[173] Le défendeur adopte une position contraire à ces observations.

b) Obligation de fiduciaire ad hoc

[174] Bien que de nombreux éléments du critère pour établir l’existence d’une obligation de fiduciaire ad hoc recoupent ceux du critère pour établir l’existence d’une obligation de fiduciaire sui generis, l’élément clé qui les distingue est l’engagement d’agir dans l’intérêt supérieur de la Première Nation. Comme je le mentionne plus haut, les observations des parties sont pratiquement identiques à celles formulées dans l’affaire St. Theresa Point.

c) Obligation de diligence en common law

[175] Les parties s’entendent sur la formulation du critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper pour établir l’existence d’une obligation de diligence en common law : (i) il doit exister un lien de proximité dans le cadre duquel l’omission de faire preuve de diligence raisonnable peut, de façon prévisible, causer une perte ou un préjudice au demandeur, ce qui donne ainsi naissance à une obligation de diligence prima facie; et (ii) aucune raison de politique générale ne doit militer contre la reconnaissance d’une telle obligation de diligence.

[176] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si, au vu des faits en l’espèce, il existe une obligation de diligence en common law. Leurs observations respectives sont pratiquement identiques à celles formulées dans l’affaire St. Theresa Point (aux para 200-222, 223-245).

d) Conclusions sur les obligations de fiduciaire et l’obligation de diligence en common law

[177] Je conclus que les demandeurs ont établi l’existence d’une obligation de fiduciaire sui generis. Je parviens à cette conclusion pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 155 à 176 de la décision St. Theresa Point.

[178] Je conclus que les demandeurs ont établi l’existence d’une obligation de fiduciaire ad hoc. Je parviens à cette conclusion pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 194 à 199 de la décision St. Theresa Point.

[179] Je conclus que les demandeurs ont établi l’existence d’une obligation de diligence en common law. Je parviens à cette conclusion pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 246 à 255 de la décision St. Theresa Point.

(2) Analyse des droits découlant de la Charte et de la Constitution

a) Article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982

[180] Hormis le fait que le présent recours porte sur l’accès à l’eau potable plutôt que sur le droit à un logement sûr, les arguments des parties sont identiques à ceux présentés dans l’affaire St. Theresa Point, à la différence que les demandeurs en l’espèce n’ont pas soulevé d’arguments concernant la DNUDPA et son effet sur la Charte. Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision St. Theresa Point, je conclus que l’article 36 ne s’applique pas (au para 304).

b) Protections garanties par l’article 15 de la Charte

[181] Comme dans l’affaire St. Theresa Point, les parties se sont entendues en l’espèce sur le critère en deux volets applicable pour déterminer s’il y a violation de l’article 15 de la Charte. Je ne juge toutefois pas nécessaire, comme dans cette affaire, d’examiner leurs arguments.

[182] J’estime qu’à cette étape de l’instance, je n’ai qu’à déterminer si l’article 32 de la Charte s’applique. Je conclus par l’affirmative. Par conséquent, j’adopte le raisonnement exposé aux paragraphes 269 à 271 de la décision St. Theresa Point.

c) Protections garanties par l’article 7 de la Charte

[183] Les parties ont correctement exposé le critère à appliquer pour déterminer s’il y a violation de l’article 7 de la Charte, et leurs observations sont identiques à celles formulées par les parties dans l’affaire St. Theresa Point.

[184] Tout comme pour l’article 15, je conclus que l’article 7 de la Charte entre en jeu par application du paragraphe 32(1) de la Charte.

[185] De plus, comme dans la décision St. Theresa Point, je conclus également que les circonstances particulières de l’espèce pourraient entraîner, pour le Canada, une obligation positive de protéger l’eau potable dans les réserves en application de l’article 7 de la Charte (aux para 281 à 283). Cette obligation s’ajoute à l’obligation déjà reconnue d’éviter toute atteinte aux droits garantis par l’article 7. Je parviens à cette conclusion étant entendu que la portée et l’étendue des droits garantis par l’article 7 de la Charte seront examinées à la deuxième étape, notamment la question de savoir s’il y a eu violation de ces droits.

d) Protections garanties par l’alinéa 2a) de la Charte

[186] Les observations des parties sur cette question sont identiques à celles formulées par les parties dans l’affaire St. Theresa Point (au para 284).

[187] À cette étape de l’instance, je conclus également que l’alinéa 2a) de la Charte entre en jeu. Je parviens à cette conclusion pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision St. Theresa Point (au para 285).

VIII. Conclusion

[188] La question commune de la première étape est au cœur de la requête des demandeurs en jugement sommaire. Ils prient la Cour de déterminer la nature et la portée des obligations auxquelles le Canada est tenu envers les membres du groupe relativement à l’eau et aux infrastructures d’approvisionnement en eau dans les réserves.

[189] Il convient de rendre un jugement sommaire compte tenu des faits de la présente affaire. Comme j’ai reconnu que l’accès à une eau potable salubre et propre dans les réserves constitue un intérêt autochtone, le Canada est, en conséquence, tenu à une obligation de fiduciaire sui generis et ad hoc envers les membres du groupe, en tant qu’individus et en tant que collectivités des Premières Nations en leur qualité de représentantes.

[190] Je conclus également que le Canada a envers les membres du groupe une obligation de diligence en common law.

[191] De plus, je conclus que les articles 15 et 7 ainsi que l’alinéa 2a) de la Charte entrent en jeu. Ma conclusion ne résulte pas de l’analyse que commande le critère applicable à chacune de ces dispositions, elle repose uniquement sur le paragraphe 32(1) de la Charte. Faire une analyse plus approfondie m’obligerait à me prononcer sur la portée et l’étendue de ces droits, et sur les atteintes à ces droits, mais ces points seront examinés à l’instruction des questions communes de la deuxième étape. Par ailleurs, en ce qui concerne l’article 7, je conclus que des circonstances particulières font naître des protections tant positives que négatives.

[192] Enfin, je conclus que l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s’applique pas en l’espèce.


ORDONNANCE dans le dossier T-1937-22

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. La requête des demandeurs en jugement sommaire est accueillie.

  2. La question commune de la première étape reçoit une réponse affirmative. Du 20 juin 2020 jusqu’à ce jour, le défendeur avait envers les membres du groupe le devoir ou l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour leur donner un accès suffisant à de l’eau potable propre à la consommation humaine, de s’assurer qu’il leur soit donné un tel accès ou de s’abstenir de les priver d’un tel accès.

  3. Puisqu’ils ont dans une large mesure obtenu gain de cause dans la présente requête, sauf en ce qui concerne leur argument selon lequel l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 s’applique en l’espèce, les demandeurs ont droit aux dépens établis selon le tarif applicable.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, jurilinguiste principale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-1937-22

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE SHAMATTAWA et CHEF JORDNA HILL en son propre nom et au nom de tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE SHAMATTAWA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

DATE DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE EN PERSONNE
DU 7 AU 9 OCTOBRE 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 décembre 2025

 

OBSERVATIONS ORALES :

H. Michael Rosenberg

Kosta Kalogiros

Stephanie Willsey

Alana Robert

Heather MakiBryce Edwards

Kevin Hille

SCOTT FARLINGER

BRENNAGH SMITH

EMMA GOZDZIK

POUR LES DEMANDEURS

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault SENCRL, SRL

TORONTO (OnTARIO)

Olthuis Kleer Townshend LLP

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA

BUREAU RÉGIONAL DES PRAIRIES

WINNIPEG (MANITOBA)

BUREAU RÉGIONAL DES PRAIRIES

EDMONTON (ALBERTA)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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